Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin and Daniel Lessard meet exceptional francophones from throughout Canada and beyond. Discover politicians, artists, entrepreneurs and scientists whose extraordinary stories are worth telling.


Video transcript
Carte de visite: Jean-Louis Roy
He was the former editor of Le Devoir. Then later, as Secretary General of the International Organisation of La Francophonie, he fell in love with the Africa, and dedicated a book to it.
Réalisateurs: Francis Lussier, Marie Léveillé
Production year: 2012
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GISÈLE QUENNEVILLE rencontre des personnalités francophones et francophiles: des politiciens, des artistes, des entrepreneurs ou des scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Début générique d'ouverture
[Début information à l'écran]
Carte de visite
[Fin information à l'écran]
Fin générique d'ouverture
GISÈLE QUENNEVILLE
Bienvenue à Carte de visite.
La francophonie, les droits
humains, l'Afrique, voilà
quelques-unes des passions
de Jean-Louis Roy.
Jean-Louis Roy a dirigé
le journal Le Devoir
durant les années 80.
Il a ensuite été nommé délégué
général du Québec à Paris.
Mais ce sont ses années comme
secrétaire général de l'agence
que l'on connaît aujourd'hui
comme l'Organisation
internationale de la
francophonie qui ont marqué sa
carrière. Durant ces huit
années à la francophonie,
Jean-Louis Roy a voyagé partout
dans le monde francophone. Et
il a été spécialement touché
par l'Afrique francophone. De
ses problèmes, mais aussi de
son potentiel. Il a publié
récemment une compilation de
ses écrits sur l'Afrique, un
tome intitulé « Ma rencontre avec
un continent ».
(GISÈLE QUENNEVILLE et JEAN-LOUIS ROY sont assis l'un face à l'autre dans une pièce de la résidence de ce dernier.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Monsieur Roy, bonjour.
JEAN-LOUIS ROY
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Monsieur Roy, vous avez voyagé
un peu partout dans le monde et
je pense que vous avez été
particulièrement touché par
l'Afrique, ce continent.
Pourtant, quand on pense à
l'Afrique, on pense à la
guerre, à la famine, à la
misère. Qu'est-ce qui va vous
chercher dans ce continent?
JEAN-LOUIS ROY
J'ai voyagé en Afrique parce
que, quand j'étais secrétaire
général de la francophonie,
les deux tiers des pays membres
étaient africains. Donc je
passais la moitié de mon temps,
et ça a duré dix ans.
Je connaissais déjà
un petit peu avant, l'Afrique,
mais là, je l'ai connu
beaucoup plus intimement.
Et j'ai d'abord découvert
deux ou trois choses
qu'on doit savoir absolument
sur l'Afrique. Y a pas une
telle chose que l'Afrique. Y a
53 pays. Et y a autant de
différences entre la Côte
d'Ivoire et puis... le Burundi
qu'il y en a entre la Grèce et
le Danemark. C'est extrêmement
diversifié, l'Afrique. Et
pourquoi c'est diversifié?
Parce que y a une histoire en
arrière de l'Afrique. Nous,
on a de l'Afrique une
représentation: l'esclavage, la
colonisation, etc., etc. Mais
y a une histoire avant ça.
Y a des civilisations africaines
très, très différentes les unes
des autres. Si vous prenez par
exemple, à partir du centre de
l'Afrique jusqu'en Afrique du
Sud, c'est la civilisation
bantoue. C'est des gens qui ont
une philosophie de la vie, une
conception de l'univers, une
conception des rapports sociaux
extrêmement différente des
Peuls, ou des Bambaras qui sont,
eux, en Afrique de l'Ouest.
J'ai découvert un monde
extraordinaire à explorer, à
connaître, que je ne connaissais
pas. Et quand on dit qu'il y a
une histoire, je crois que la
question de la mémoire est très
importante pour tous les pays
du monde. Y a pas de pays où ne
se pose pas à un moment donné
la question de la mémoire. Pour
les Blacks aux États-Unis, c'est
une affaire considérable. Pour
les autochtones partout dans
les Amériques. L'Afrique pendant
quatre siècles a été soumise
à la règle des autres. Les
Africains n'avaient pas de
pouvoir pour définir et pour
défendre leurs propres
intérêts. Ça, ça va apparaître
au milieu des années 50.
Quelques petits mouvements
avant, mais ça va apparaître au
milieu des années 50. Ils ont
perdu ce qu'on appelle la
période moderne et une grande
partie de la période
contemporaine et se sont
retrouvés dans des difficultés
considérables. Ce qui est
extraordinaire, au moment où on
a la chance d'en parler
ensemble, c'est qu'ils sont en
train de sortir de cette
difficulté extraordinaire. Les
taux de croissance en Afrique
sont parmi les plus élevés du
monde. En moyenne cette année,
l'Afrique va croître
entre 6 % et 7 %.
GISÈLE QUENNEVILLE
Bien, justement, et on dit que
l'Afrique subsaharienne qui est
la partie la plus pauvre du
continent va voir une explosion
démographique. On parle d'un
milliard de personnes
d'ici 2050.
JEAN-LOUIS ROY
Un milliard de plus.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que le continent a
ce qu'il faut pour subvenir
aux besoins de toutes
ces personnes?
JEAN-LOUIS ROY
Absolument. Absolument. C'est
un ajustement énorme. Et s'il
n'y avait que ça, un milliard
de personnes qui s'ajoutent, on
pourrait se dire: ouf! ça va
être compliqué. Ça va être
compliqué, mais en même temps,
l'Afrique actuellement touche
des investissements privés
internationaux comme jamais.
Elle est au niveau de ce que la
Chine a touché depuis 20 ans.
C'est-à-dire entre 50 et 60
milliards par année. Maintenant,
ça se fait en Afrique.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais ce sont des
investissements étrangers.
Souvent les ressources
naturelles, y en a plein en
Afrique... Est-ce que c'est
dangereux, est-ce que l'Afrique
doit maintenir les rênes de son
propre destin économique dans
ce sens-là?
JEAN-LOUIS ROY
Écoutez, quand on est le
Canada et qu'on dépend à ce
point des ressources naturelles,
surtout en ce moment, je
verrais pas pourquoi les
Africains tireraient pas le
maximum de leurs ressources
naturelles. Ce qui est nouveau,
c'est que le développement de
l'Afrique se fait ailleurs
aussi. Se fait dans la
construction des villes, dans
les services urbains. L'Afrique
est un grand continent qui
s'est urbanisé depuis 20 ans.
Avec un peu de retard, mais qui
est en train de s'urbaniser.
Dans les 20 plus grandes villes
du monde, en 2040, quand on va
refaire une entrevue ensemble
en 2040, dans les 20 plus
grandes villes du monde, il va
y en avoir dix qui vont être
sur le continent africain. C'est
un autre monde. Et le progrès
économique de l'Afrique se fait
à partir de ses ressources
naturelles, c'est évident. Et
le Canada a 30 milliards
d'investis dans les mines en
Afrique, tout le monde est sur
le continent africain, parce
qu'il y a un marché. Maintenant
une classe moyenne, on l'estime
à 300 millions de personnes, qui
ont les mêmes niveaux de vie
que vous et moi, qui achètent
des voitures, des ordinateurs,
qui veulent des maisons
organisées. Y a tout le
traitement des grands besoins
communs, l'énergie,
des investissements énormes.
Prenons le cas du Cameroun.
Au moment où on se parle, y a
trois grandes centrales
qui sont en train d'être
construites au Cameroun.
Y a un port en eau profonde,
qui va être le deuxième plus
important au monde, qui est là.
Il est pas là uniquement pour
les ressources naturelles,
il est là parce qu'il y a des
containers qui arrivent
avec toutes sortes de choses,
des meubles, etc., qui repartent
aussi avec notamment des
ressources agroalimentaires. La
production agricole de l'Afrique
et... La transformation de
l'agroalimentaire va être un
des grands secteurs de
croissance du continent aussi.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous parlez d'une classe
moyenne. Ceci étant dit, y a
quand même une certaine
pauvreté qui demeure toujours
et, dans votre livre, vous
semblez dire que la clé, c'est
l'éducation. Et que,
malheureusement, y a encore des
millions d'enfants en Afrique
aujourd'hui qui ne vont pas à
l'école, qui n'iront jamais à
l'école. Comment faire
comprendre à l'Afrique
l'importance de l'éducation,
pour rendre cette éducation-là
obligatoire, voire même
gratuite un jour?
JEAN-LOUIS ROY
Écoutez, vous avez raison, ça
passe par l'éducation. Moi,
j'enseigne dans des universités
en Afrique, notamment, je
reviens au Cameroun, à
l'Institut des relations
internationales du Cameroun,
presque tous les ans.
Y a un effort énorme qui
est fait sur tout le continent.
Pays après pays, on se rapproche
de la scolarité universelle au
primaire. C'est un peu moins
vrai au secondaire, mais ça
croît. Et puis vers le niveau
universitaire. Malheureusement,
certains pays qui sont parmi
les plus pauvres du monde avec
500 $, 800 $ de revenu annuel
moyen par habitant, vous avez
raison, y a beaucoup de
pauvreté encore en Afrique. Y
en a beaucoup en Amérique
latine, y en a beaucoup aux
États-Unis au moment où on se
parle. Y a 20 % des Américains
qui mangent sur les Food
Stamps. Y en a eu Europe, ça se
développe. Y a malheureusement
encore des pays qui n'ont
honnêtement pas, même malgré
les efforts qu'ils font, la
ressource pour amener tous les
enfants à l'école et donc, vous
avez raison et c'est un
scandale, et c'est un scandale,
notamment dans les pays de la
francophonie parce que c'est
surtout là que c'est concentré.
Y a encore beaucoup trop
d'enfants qui n'iront jamais à
l'école une seule journée de
leur vie. En 2012, on dit:
faites la démocratie, l'économie
de marché et tout ça. Qui va
aller investir dans des pays
où il y a 30 %, 25 % des enfants
qui sont pas du tout
scolarisés?
GISÈLE QUENNEVILLE
Et comment changer ça?
Comment faire en sorte que
ces enfants-là aillent à l'école
un jour?
JEAN-LOUIS ROY
Ça ne viendra pas de
l'extérieur. Ça va venir et
ça vient des Africains eux-mêmes
et je crois que c'est en train
de se produire. Le manque de
ressources qui était leur
situation change aussi,
y a plus de ressources
privées, plus de ressources
publiques. Je crois qu'on va
connaître, dans peu d'années,
la scolarisation universelle sur
le continent africain. Avec des
poches, parce qu'il y a des
résistances, etc. Mais dans
l'ensemble, ils vont réaliser
un objectif très compliqué
d'amener... Nous, on a des
systèmes organisés, tout ça est
fait, mais de le faire... Y a 50
ans, y avait pas de système
scolaire, y avait pas d'armée,
y avait pas de ministère des
Finances. Ils ont été obligés
de tout créer avec peu de
ressources. Ils sont rendus là
à donner l'extension globale ou
totale à certains de leurs
services, dont l'éducation.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que le Canada fait
sa part en Afrique?
JEAN-LOUIS ROY
Écoutez, cette année marque
le 50e anniversaire des
relations organisées entre le
Canada et l'Afrique. Y avait
avant des missionnaires,
toutes sortes de choses.
Entre les États africains et le
gouvernement du Canada. Le
Canada a fait des choses
absolument remarquables sur
le continent africain.
En éducation notamment, dans les
infrastructures, l'organisation
des coopératives d'épargne,
de production. Ça pourrait
continuer comme ça.
Et c'est reconnu aussi.
Malheureusement, le gouvernement
actuel du Canada a fait un
autre choix. Il a fait le choix,
je ne partage pas ce choix, mais
je le respecte, ils ont fait le
choix de l'Amérique latine, de
l'hémisphère. Et pendant
x années, on a transféré les
ressources qu'on mettait sur
l'Afrique vers l'Amérique
latine. C'est terminé. J'étais
très heureux de voir récemment
dans des grands journaux du
Canada, dont le Globe and Mail,
mais pas simplement,
des textes en page éditoriale,
extrêmement forts, disant au
gouvernement Harper: « Vous avez
reconsidéré votre position sur
la Chine. » Parce qu'à un moment
donné, le Canada, disons, ne
parle pas à ces gens-là.
Et on voit bien qu'aujourd'hui,
c'est complètement autre chose
la relation du Canada et de la
Chine. M. Harper est allé
quatre, cinq fois. Vous devez
reconsidérer votre position sur
l'Afrique aussi. Parce que le
développement d'ici 2050, il va
continuer à se faire en Asie,
mais il va s'accélérer sur le
continent africain.
GISÈLE QUENNEVILLE
Parlons de la francophonie
maintenant. Vous avez été
secrétaire général de
l'Organisation internationale
de la francophonie pendant de
nombreuses années. La
francophonie, c'est un peu
le pendant francophone du
Commonwealth. Quoique y a
une partie culturelle qui est
importante également pour les
francophones. Est-ce que la
francophonie devrait être un
organisme politique ou
culturel, ou les deux?
JEAN-LOUIS ROY
Ah, je crois que le monde
étant ce qu'il est, la réalité
du monde étant ce qu'elle est,
il ne peut pas ne pas être
culturel. C'est clair. Toutes
les autres organisations de même
nature y a 163 pays dans le
monde qui appartiennent à des
organisations semblables.
Vous avez mentionné le
Commonwealth, y a la Conférence
ibéro-américaine, les pays qui
parlent espagnol, y a la
communauté des pays lusophones,
etc. Les pays turcophones, les
pays arabes, etc. Elles sont
toutes culturelles parce qu'il y
a un élément qui est dans
l'identité qui est la langue,
qui est la culture, la science,
la technologie. Mais bon, on vit
aussi dans un environnement
politique et y a eu un grand
débat dans la francophonie qui
n'est pas fini. Les gens
disaient qu'à partir de 1989-90,
la francophonie est devenue
très politique, etc. Est-ce que,
bon... Moi, j'essaie de...
j'étais là à ce moment-là.
J'essaie de me dire: et si on
n'avait pas décidé d'entrer dans
le champ politique au moment où
le monde entier changeait à
cause de l'implosion de l'Union
soviétique, où les questions des
libertés humaines, des droits
humains, la question de la
démocratie étaient en train de
s'universaliser et que tout le
monde parlait de ça dans tous
les forums dans le monde, s'il
avait fallu que le sommet
francophone dise: « Nous, on
parle pas de ça »? Les mêmes qui
aujourd'hui disent qu'il y a
trop de politique dans la
francophonie auraient dit: c'est
scandaleux, les dictateurs
conduisent la francophonie, ils
veulent pas qu'on parle de
libertés, de droits, etc.
Je trouve qu'il y a un assez
bon équilibre en ce moment.
Est-ce qu'il y aura un petit peu
plus de culture, un petit peu
moins de politique, bon.
Ça, on peut en débattre. Mais
de dire, comme on entend
des fois, il faut que la
francophonie se retire de la
politique, c'est une vue de
l'esprit, c'est totalement
irresponsable. Et les opinions
publiques dans les pays
francophones, notamment en
Afrique, mais pas seulement, ne
comprendraient pas qu'on ne les
accompagne pas, qu'on ne les
soutienne pas dans leur lutte
pour la liberté, pour l'égalité
homme-femme, etc.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous mentionnez les dictateurs
en Afrique. Une question que
je brûle de vous poser depuis
avoir lu votre livre, c'est que
vous vous êtes retrouvé en
réunion avec des dictateurs,
des gens corrompus, de pays
où les gens se sont entretués.
Vous qui êtes un grand partisan
militant pour les droits de la
personne, comment est-ce que
vous ressentiez autour de ces
tables de réunion avec des gens
qui avaient peut-être...
JEAN-LOUIS ROY
Vous savez, je me disais que
si je siégeais dans d'autres
tables, je serais aussi entouré
de dictateurs. Mais ceux-là, ils
viendraient d'Amérique latine
ou ils viendraient d'Asie. Et
j'ai toujours eu à l'esprit que
nous sommes tous les deux d'un
continent où on a vu un
président se faire assassiner,
le président Kennedy.
Où on a vu un président devoir
quitter sa fonction pour
corruption, le président Nixon.
Où on a vu un président, le
président Bush, nommé par la
Cour suprême des États-Unis.
On a pas trop de leçons à
donner aux autres. C'est une
recherche commune. Comment
vivre ensemble correctement en
respectant des normes de
libertés, de droits. C'est un
problème qu'on a tous.
Il y a eu un rapporteur des
Nations unies qui vient
de venir au Canada sur le
droit à l'alimentation et qui a
fait tout un tabac en disant
qu'il y a 10 % des enfants au
Canada qui sont sous-nourris,
qui sont dans un état de
pauvreté invraisemblable. Le
gouvernement fédéral a dit:
« Non, non, non.
Qu'ils se mêlent dont des vrais
problèmes du monde. » Non, si y a
un enfant au Canada qui est mal
nourri, c'est un problème. Si
y en a 10 %, c'est un
grave problème.
GISÈLE QUENNEVILLE
Depuis l'implosion de l'Union
soviétique, la francophonie a
accepté comme membres des pays
qui ne sont pas forcément
francophones. Où très peu de la
population finalement parle le
français. Est-ce que c'est la
bonne voie à suivre?
JEAN-LOUIS ROY
C'est un vrai débat. Y a
vraiment des arguments qu'on
doit comprendre des deux côtés.
Ceux qui disent — je ne suis
pas de ceux-là — ceux qui
disent: « On n'aurait pas dû les
accepter », je suis sensible à
leur argument qu'il y a pas
trop de francophones, etc. Même
dans certains cas, y en a pas.
Bon. Qu'est-ce qu'ils font avec
nous? Puis y a l'argument des
autres qui disent: Voilà un
certain nombre de pays qui,
soudainement, en l'espace de
quelques semaines se sont
retrouvés dans aucun forum
international. Zéro. Ils
étaient pas à l'Europe, tous
les forums d'Union soviétique
venaient de disparaître, et qui
ont frappé à la porte de la
francophonie en disant, nous, on
nous demande de faire la
démocratie. On veut faire ça,
on a 50 ans de dictature en
arrière de nous, de régimes
socialistes, scientifiques,
communistes, appelez-les
comme vous voulez. Est-ce
qu'on peut venir à vos tables de
concertation qu'on a vues à New
York, qu'on a vues à Genève, à
Paris, etc.? On aimerait être à
vos tables pour comprendre,
pour aussi tirer de votre
expertise des enseignements pour
ce qu'on essaie de faire dans
nos pays. Moi, je suis allé les
rencontrer à ce moment-là,
je suis allé en Pologne, en
Moldavie, en Roumanie, et les
écouter. Et je suis revenu en
disant qu'on doit les accepter.
Là, où on a été faibles, là où
la francophonie a manqué — et je
m'inclus, j'accuse personne —,
c'est qu'on aurait dû être
beaucoup plus exigeants sur
l'apprentissage du français.
En disant: très bien, on vous
accueille parce que c'est une
question de liberté humaine, on
ne peut pas rester insensible à
ça, mais pouvez-vous faire un
effort au plan de la langue et
de la culture? Ils l'ont tous
un peu fait. Mais d'une façon
qui n'était pas très exigeante.
C'est une affaire extrêmement
compliquée. On a été pris au
cœur d'un des plus importants
changements du monde dans la
période contemporaine. La fin
du communisme au niveau
international. Avec des gens
qui frappaient à notre porte.
Est-ce qu'ils voulaient vraiment
venir à la francophonie? Ils
voulaient aller en Europe, à
l'Union européenne, mais ils
pouvaient pas y aller
directement. Ils se disaient:
on arrive à la francophonie, on
va tirer les enseignements dont
on vient de parler, droits,
démocratie. On va être aussi
très importants pour eux. Dans
les circuits universitaires,
vous savez que la francophonie,
aujourd'hui, l'Agence
universitaire de la francophonie
réunit 900 universités dans le
monde. C'est un des plus grands
réseaux universitaires du monde.
Et ça, ça les intéressait
énormément. On va aller à la
francophonie, on va être avec
la France, la Belgique, le
Luxembourg, un petit peu les
Suisses, et ça va nous
rapprocher de l'Europe. C'était
dans un des moments les plus
extraordinaires de l'histoire
contemporaine et la francophonie
a joué au mieux de son jugement
à ce moment-là.
C'est pas trop mal que les gens
frappent à ta porte plutôt que
les gens passent devant ta
porte en se disant: ça ne nous
intéresse pas.
GISÈLE QUENNEVILLE
Les francophones de l'Ontario
aimeraient bien faire partie de
la francophonie au même titre
que le Québec, au même titre
que le Nouveau-Brunswick. Y a
eu des tentatives en ce sens,
mais bon, ça a jamais donné de
grands résultats. Pourquoi pas
et est-ce que ça viendra
un jour?
JEAN-LOUIS ROY
Vous savez, je crois que le
gouvernement de l'Ontario,
depuis la loi sur la langue,
depuis la nouvelle définition
des francophones ontariens qui
a accru leur nombre,
depuis la création du poste de
commissaire aux langues
officielles, et la façon dont ça
a été exercé par l'actuel
titulaire de ce poste,
François Boileau, je crois que
l'Ontario est une des sociétés
qui fait le plus pour la langue
française dans le monde. C'est
considérable la politique de
l'Ontario. Si j'étais
francophone en Ontario, je me
battrais pour un peu plus. Sur
la santé, comme les gens le
font. Mais quand on regarde où
c'était, et quand on regarde ce
que c'est maintenant, le fait
que devant les tribunaux, le
fait que les lois anciennes et
actuelles sont traduites, etc.
L'éducation, les tribunaux et
la législature. Ce qui manque,
c'est que l'Ontario passe — et
je sais que c'est sensible,
peut-être qu'on connaîtra ça un
jour —, que l'Ontario trouve la
formule pour officialiser ce
statut d'une autre manière,
d'une façon plus, je dirais,
plus constitutionnelle, plus
définitive. Parce que tout ce
qui existe pourrait être défait
aussi. On est pas dans ces
perspectives-là, mais enfin,
si c'était constitutionnalisé,
ce serait autre chose. Y a pas
mal de gouvernements dans la
francophonie qui font moins
que ça. Maintenant, dans le
contexte canadien, québécois,
canadien, il manque ça. Quelque
chose qui officialise, et à ce
moment-là, l'Ontario sera un
formidable partenaire pour
la francophonie.
GISÈLE QUENNEVILLE
Parlons de l'Ontario
maintenant. Vous êtes sur le
point d'achever un livre sur
l'Ontario. Qu'est-ce que vous
avez découvert de l'Ontario et
qu'est-ce qui a précipité
finalement l'écriture de
ce livre?
JEAN-LOUIS ROY
C'est une vieille idée que
j'ai depuis très longtemps. Y a
pas mal d'Ontariens qui ont
écrit sur le Québec et de très
bons livres. On parlait tantôt
de Ken McRoberts, c'est un
des grands livres qui a été
écrit sur le Québec, mais
y en a d'autres.
Des intellectuels ontariens,
Margaret Atwood a toujours un
grand intérêt pour le Québec,
elle l'a écrit, elle l'a dit,
etc. Et on pourrait... la liste
est longue. Y a pas de Québécois
qui ont écrit sur l'Ontario.
Des articles, des colloques,
mais un ouvrage... On a pris
trois ans de travail avec toute
une équipe pour comprendre la
société ontarienne, qui est
une société passionnante à
comprendre. Si on la regarde à
la fin des années 60, et qu'on
se dit: un demi-siècle après,
elle est devenue quoi? En termes
de la composition de sa
démographie, de sa population,
c'est un autre monde. On était
dans un monde très wasp, tout le
monde le dit, je peux le dire
aussi, on est maintenant devant
les Nations unies, on est devant
une population extrêmement
éclatée, qui vit plutôt bien
ensemble et qui ne tient pas
des discours haineux sur
l'étranger comme on tient en
Europe. Dans beaucoup de pays,
y compris en France. En
Ontario, c'est un collectif de
minorités qui est en train de
s'installer comme majorité.
On peut pas traiter les
minorités... Ça veut pas dire
qu'il n'y a pas de tensions,
qu'il n'y a pas ici une petite
crise, etc. Mais y a pas, je
dirais, un discours haineux sur
l'étranger. L'autre aspect qui
est intéressant actuellement
d'observer: l'Ontario était un
grand fragment de l'économie
continentale, l'économie
nord-américaine. Elle
l'est toujours, mais elle sait
maintenant qu'elle doit devenir
un fragment de l'économie
mondiale.
Et puis ensuite, y a, dans le
même esprit, la relation de
l'Ontario avec le reste du
Canada. Y a des groupes en
Ontario qui font un travail
extraordinaire. Le Mowat Center
de Mendelsohn par exemple a fait
des propositions très
nombreuses, extrêmement
précises qui sont,
à mon avis, des ressources
pour tout le Canada. Comment,
j'essaie pas de changer le
Canada demain matin d'un bout à
l'autre, mais comment ajuster
ce pays aux changements très
profonds du monde? On n'y
échappera pas. Et l'Ontario
travaille solidement sur ça. Et
la troisième partie de ce qui
nous intéressait, c'était
qu'est-ce qui s'est passé
vraiment au plan culturel?
Est-ce que les Ontariens ont
juste beaucoup d'argent et ils
refont leurs musées, et puis ils
créent des affaires, et puis ils
ont les moyens de forcer la
porte du cinéma international
pour créer l'un des plus grands
festivals de cinéma?
Quel est le niveau d'adhésion
des Ontariens à la politique
culturelle, le niveau de
participation? Quel est,
aujourd'hui, le rayonnement
culturel des écrivains
ontariens, des créateurs
ontariens, des gens qui font
de la dramaturgie,
qui font de la danse, de la
musique, du cinéma, des nouveaux
médias, etc.? Et on a découvert
là aussi un très, très profond,
un très profond changement.
Elle est obligée, à cause de sa
démographie, à cause de
l'économie mondiale, et à cause
de son background culturel très
british à un moment donné, de
se réinventer et elle a réussi,
à mon avis, cette
réinvention. C'est pas achevé,
ça le sera jamais, mais y a
quelque chose de formidable qui
s'est passé dans cette société.
Y compris pour les
Franco-Ontariens dont on a parlé
tout à l'heure.
GISÈLE QUENNEVILLE
Les Franco-Ontariens. On va
revenir au début de notre
entretien où on parlait de
l'implosion démographique en
Afrique. Beaucoup de ces
Africains-là vont choisir de
quitter l'Afrique et certains
d'entre eux vont se retrouver
au Canada, possiblement en
Ontario, francophones comme
anglophones. On sait que
l'Ontario français en ce moment
mise sur l'immigration
africaine pour renflouer les
chiffres. Est-ce qu'un
immigrant francophone de
l'Afrique va trouver son compte
en Ontario?
JEAN-LOUIS ROY
Y a eu là aussi beaucoup de
changements en Ontario.
D'abord, l'organisation qui
chapeaute tous les
francophones est maintenant une
assemblée des francophones
de l'Ontario et de tous les
Franco-Ontariens. Bon. Y a
vous, TFO, y a les écoles qui
sont là, les services de santé
et y a des services bilingues,
dans 25 régions administratives
de l'Ontario, qui sont
maintenant offerts
aux francophones. Y a
25 districts bilingues définis
par le gouvernement de
l'Ontario. Donc la structure
d'accueil pour des francophones
qui arrivent en Ontario, plus
les programmes très spécifiques
d'accueil aux immigrants qui
sont très forts — le Centre
francophone de Toronto est un
bon exemple —, permet à un
francophone d'arriver à Toronto
et il n'arrive pas dans une
société francophone, mais il
arrive pas non plus dans une
société qui n'a pas pensé à lui.
Comme arrivant francophone. Les
Franco-Ontariens demeurent une
minorité, et les francophones du
monde qui viennent vivre en
Ontarion appartiennent à cette
minorité s'ils le veulent bien.
Mais y a quelque chose qui
s'ajoute aussi. Dans le livre
qu'on va publier sur l'Ontario,
j'ai pris la peine, dans une
note qui a l'air comme ça pas
très forte, mais qui est très
intéressante... La quantité
d'organisations francophones,
les Marocains francophones de
l'Ontario, les Congolais, les
Burundais, etc., etc., ils se
regroupent ensemble et ils se
regroupent en regroupements et
ils appartiennent... Donc, dans
un contexte d'immigration où les
gens changent le monde, c'est
une expérience extrêmement
complexe, très personnelle
aussi, je crois que c'est un
des lieux où les francophones
peuvent aller et... réussir
leur passage d'un monde
à un autre.
GISÈLE QUENNEVILLE
Votre livre sort dans les
prochains mois, fin de l'année,
début 2013 et il sera publié,
quand il sortira, en anglais et
en français en même temps. C'est
important pour vous, ça?
JEAN-LOUIS ROY
à Montréal en français, chez
Mosaic Press à Oakville, en
grande banlieue de Toronto. Les
deux ouvrages vont avoir
strictement le même contenu et
vont paraître en même temps.
GISÈLE QUENNEVILLE
J'ai hâte de vous lire à
nouveau. Merci beaucoup,
monsieur Roy.
JEAN-LOUIS ROY
C'est moi qui vous remercie.
(Générique de fermeture)
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