Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin and Daniel Lessard meet exceptional francophones from throughout Canada and beyond. Discover politicians, artists, entrepreneurs and scientists whose extraordinary stories are worth telling.


Video transcript
Gaëtane Verna: Museum Curator
Gisèle Quenneville meets with Gaëtane Verna, director of the Power Plant Contemporary Art Gallery, in Toronto.
Réalisateur: Simon Madore
Production year: 2013
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GISÈLE QUENNEVILLE rencontre des personnalités francophones et francophiles: des politiciens, des artistes, des entrepreneurs ou des scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Début générique d'ouverture
[Début information à l'écran]
Carte de visite
[Fin information à l'écran]
Fin générique ouverture
Pendant que GISÈLE QUENNEVILLE présente son invité, des photos de GAËTANE VERNA à différents moments de sa vie défilent à l'écran.
GISÈLE QUENNEVILLE
The Power Plant de Toronto est
une des plus prestigieuses
galeries d'art contemporain au
Canada, et depuis 2012, c'est
Gaëtane Verna qui la dirige;
un poste-clé au cœur de la
scène artistique de Toronto.
Gaëtane Verna est née au
Congo, de parents haïtiens.
À l'âge de deux ans, elle et sa
famille déménagent à Montréal.
Gaëtane décide de faire un bac
en commerce à l'Université
Concordia. Mais c'est l'art qui
la passionne. Et en 1991, elle
déménage à Paris pour faire des
études en histoire de l'art à
la Sorbonne. De retour au
Canada, elle devient la
directrice de la galerie d'art
Foreman, à l'Université
Bishop's, près de Sherbrooke.
Quelques années plus tard, elle
dirige le Musée d'art de
Joliette et elle le transforme
en acteur majeur sur la scène
culturelle nationale. En 2012,
un nouveau défi l'attend, celui
du Power Plant. Cette galerie à
but non lucratif ne possède
aucune œuvre. C'est donc à la
directrice d'attirer des
artistes canadiens et
internationaux au Power Plant
dans le but de faire connaître
l'art contemporain aux
Torontois.
(GISÈLE QUENNEVILLE et GAËTANE VERNA sont assises l'une face à l'autre, dans la galerie Power Plant.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Gaëtane Verna, bonjour.
GAËTANE VERNA
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Parlons de votre arrivée ici
au Power Plant. Qu'est-ce qui
vous a attirée à cette galerie?
Qu'est-ce qui vous a poussée à
plier bagage, quitter Joliette,
le poste que vous aviez là-bas,
quitter le Québec pour venir
vous installer ici à Toronto?
GAËTANE VERNA
Ah, wow.
Je dois dire que déjà, il y a la
réputation de l'institution,
la... le lieu à l'intérieur
duquel il est intégré. Donc le
Power Plant fait partie de
Harbourfront Centre.
Le fait qu'une galerie
d'art publique sans collection
était insérée au sein d'un
organisme où on a cette capacité
d'interdisciplinarité, je
trouvais que c'était quelque
chose de très intéressant.
Et aussi le fait que le Power
Plant est donc une galerie qui
n'a pas de collection et qui
met toute son énergie à
présenter des expositions d'art
contemporain avec un mandat
national et international.
Je trouvais que c'était
vraiment... c'était le bon
mélange qui rejoignait, en fin
de compte, mes intérêts
personnels.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous l'avez mentionné à deux
reprises, le Power Plant, c'est
une galerie un peu spéciale dans
le sens que vous ne possédez
rien. Donc vous ne pouvez rien
acheter, vous ne pouvez rien
vendre. Quels sont les défis
que ça pose, ça, pour une
directrice de galerie d'art?
GAËTANE VERNA
Je trouve que... Quand on voit
les musées, les gens vont être
les philanthropes, vont être
souvent fidélisés par le fait
de participer à l'acquisition
d'une œuvre. On va acquérir
une œuvre ou on va faire une
exposition dans le but
d'acquérir une œuvre pour
justement marquer par
l'acquisition et par le...
la prise en charge d'une
collection l'histoire d'une
institution. Donc c'est sûr que
pour une galerie qui ne
collectionne pas, donc qui
n'a pas de collection, y a ce
défi de fidélisation du
public... pas du public, mais
justement des philanthropes,
des donateurs. Donc je pense que
ça, c'est un défi qu'on peut
relever par le fait que on peut
s'intégrer à la carrière d'un
artiste par la production d'une
œuvre d'art. Donc, donner à un
artiste les moyens, par le fait
que cette institution est
flexible et petite, on peut
changer d'idée, on peut mettre
en place un projet beaucoup
plus rapidement que dans une
plus grande institution. À ce
niveau-là, on peut travailler
avec un artiste. Et j'essaie -
c'est une des choses qui
m'intéressent - de dire aux
artistes que, quand ils vont
venir exposer au Power Plant,
on va travailler avec eux pour
leur permettre d'accomplir
quelque chose qu'ils, peut-être,
n'ont jamais pu accomplir dans
une autre institution, pour une
multiplicité de raisons.
Mais aussi ils vont sentir
qu'ici, on a la flexibilité, où
tout est possible. Et dans ce
sens-là, on peut justement
rejoindre un groupe de
philanthropes: travaillez avec
nous parce que nous, on veut
permettre à cet artiste-là de
créer cette œuvre-là.
GISÈLE QUENNEVILLE
Oui, parce qu'il faut dire
qu'exposer ici au Power Plant,
c'est pas n'importe où, c'est
pas n'importe quoi, ça a quand
même un certain cachet,
n'est-ce pas?
GAËTANE VERNA
Musée, ça donne donne
toujours aux gens... Déjà,
ça situe la qualité de
l'institution. Mais c'est sûr
que quand je dis que je suis la
directrice du Power Plant,
partout au monde, les gens
disent: Ah oui, le Power Plant,
on connaît. Donc ça,
je pense que...
c'est sûr que l'institution
a cette réputation, a aussi la
réputation, au fil des 25
dernières années, d'avoir permis
à des artistes de renom de
faire des projets ici. Donc il
y a ce lien-là avec
l'avant-garde en matière d'art
qui fait que le Power Plant
a une réputation vraiment
enviable.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et le fait que vous ne
possédiez rien, que vous n'ayez
pas de collection, comment vous
vous organisez pour planifier
votre programmation?
Et attirer des œuvres
et des artistes ici?
GAËTANE VERNA
Ça, je pense que c'est notre
travail perpétuel d'être à
l'affût de ce qui se fait.
Moi, je crois vraiment aussi à
mon intérêt d'avoir une
programmation qui est
équilibrée. Quand on arrive à
avoir une programmation qui est
diversifiée, chaque personne
qui vient, on espère que la
prochaine fois qu'ils vont voir
qu'il y a une exposition au
Power Plant, qu'ils vont passer
le pas de la porte et se
dire: ah, je me rappelle que
j'avais vu The Clock, qui
m'avait beaucoup intéressé.
À ce moment-là, la prochaine
expo, on devrait y aller.
Sans leur promettre qu'ils vont
tout aimer ce qui est présenté
au Power Plant, mais on a le
mandat et la volonté de toujours
rendre accessible, dans le
sens de leur permettre de
comprendre la...
la démarche de l'artiste, que ce
soit minimaliste, conceptuel...
plus... plus... plus accessible.
Peu importe l'œuvre de
l'artiste, notre rôle devient
d'être le lien entre le travail
de l'artiste et le public,
aussi diversifié soit-il. Et
en même temps, en espérant
que ce public va constamment
vouloir nous faire confiance et
revenir, malgré le fait,
s'ils connaissent pas bien
l'œuvre de l'artiste ou même
si ce qu'ils viennent de voir ne
les intéresse peut-être pas
cette fois-là, ils vont se dire:
je reviendrai voir ce qu'ils
vont faire la prochaine fois.
GISÈLE QUENNEVILLE
J'ai lu en quelque part que
votre budget, ici au Power
Plant, était d'environ 3
millions de dollars par année.
Je m'y connais pas beaucoup dans
le monde de l'art ni des
galeries d'art, mais ça me
paraît pas beaucoup, ça.
GAËTANE VERNA
Non. Je veux dire, c'est un
budget honnête, mais c'est pas
la gloire là. Les gens pensent
qu'il y a une équipe énorme,
mais en vérité, c'est peut-être
une équipe de 10 à 13
personnes, sans compter les
gardiens de salle. Donc c'est
vraiment une petite équipe à
l'interne qui fait beaucoup avec
peu, mais qui a toujours eu le
souci d'un travail à la hauteur
internationale.
GISÈLE QUENNEVILLE
Harbourfront est un lieu de
prédilection pour les touristes,
mais qui vient, finalement?
GAËTANE VERNA
Je dirais que la majeure
partie de nos visiteurs
sont de Toronto.
Il y a aussi... J'ai pas les
pourcentages exacts, mais on
a aussi un grand nombre
d'étrangers qui viennent.
Donc ça veut dire les... On a
commencé à... Depuis un an, on
demande les codes postaux aux
gens, et il y a un super
programme informatique: on met
les codes postaux et ça nous
donne un aperçu de la
provenance des gens. Donc on a
systématiquement, je dirais à
peu près 5 à 10 % de nos
visiteurs qui sont de
l'international. Des fois...
C'est sûr que l'été, ça
augmente à 20, 25 %.
Et je dois dire que les gens,
en majorité, viennent de la
grande région de Toronto. Mais
ce que ça nous permet aussi de
faire, en ayant ces données-là,
c'est de cibler, par exemple
des groupes ou des localités
spéciales, vers lesquels on
veut mettre toute notre énergie
pour que ces gens-là viennent
à la galerie.
GAËTANE VERNA
Moi, j'ai pour mon dire que
s'il y a une exposition qui est
bien faite, qui traite d'un
sujet qu'on veut présenter à
notre public, bien, il faut le
présenter. Parce que l'objectif,
c'est que le public aussi
comprenne ces œuvres-là, ait le
temps de s'y accoutumer, les
comprendre et les voir. Donc
dans ce sens-là, je trouve que
ça reste quelque chose
d'intéressant aussi, pour des
sujets bien pointus, de dire:
ah, on va prendre cette
exposition-là. Ce qui nous
donne aussi le temps à nous,
parce que développer une expo
comme ça, c'est un deux ans,
trois ans de recherche, donc
c'est pas quelque chose qu'on
produit comme ça tous les
jours.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous travaillez dans ce
domaine depuis une bonne
quinzaine d'années maintenant.
Quand vous étiez petite, est-ce
que vous étiez artiste? Est-ce
que vous vouliez être artiste?
GAËTANE VERNA
Non, j'ai jamais voulu être
artiste. Mais j'ai joué le
violoncelle jusqu'à...
début vingtaine.
J'ai fait du ballet classique.
Mais j'ai très tôt, disons dans
l'adolescence, compris que je
m'intéressais à l'art, que
l'art était important pour moi,
mais que j'en avais pas besoin
pour vivre de la même façon
qu'un artiste en a besoin.
Donc je sentais que j'avais un
intérêt pour organiser les
choses et que pour moi, c'est
important de comprendre comment
diriger une institution.
Quelqu'un qui a une
connaissance et un amour
profond de l'art, comment ça,
c'était très important aussi.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais justement, vous avez fait
votre bac en commerce,
à Concordia.
GAËTANE VERNA
Oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et après ça, vous êtes allée
en France faire une maîtrise
en histoire de l'art, à Paris.
Justement, comment est-ce qu'on
arrive à faire la part des
choses entre le côté
gestionnaire et le côté
créatif?
GAËTANE VERNA
Je pense que c'est de
toujours évaluer les deux, donc
de savoir... D'abord, le côté
gestionnaire, c'est de se dire:
combien ça va nous coûter?
Est-ce qu'on a les moyens de
nos ambitions? Si on n’a pas
nécessairement les moyens,
est-ce qu'il y a une autre
façon d'aller les chercher?
Donc d'où tout ce travail
d'aller rencontrer des
donateurs potentiels, de faire
des demandes de subventions...
Aussi, je trouve, d'être très
à l'affût de... Pour moi, c'est
de dire ce qu'on fait et de
faire ce qu'on dit. Donc de pas
promettre qu'on a 200 000
visiteurs si, quand quelqu'un
évalue nos rentrées financières
et qu'il y a un prix
d'entrée, bien... n'importe qui
peut voir qu'il y a quelque
chose qui... Il faut être
honnête face aux gens et
vraiment se donner les moyens
de ses ambitions tout en ne
lésinant jamais sur la qualité
du produit final. Je suis
toujours préoccupée par...
par l'argent parce que bon,
c'est un peu le nerf de la
guerre. Mais quasiment, ça ne
m'empêche pas de faire des
choix et de dire: oui, on prend
le pari, oui, on va faire tel
projet, oui, on y croit, oui,
on va trouver quelqu'un d'autre
qui va y croire autant que nous
pour permettre à cette
œuvre-là d'être présentée.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez fait votre maîtrise
en histoire de l'art à Paris.
GAËTANE VERNA
J'ai passé huit ans à Paris,
quand j'avais à peu près 24
ans, et je trouve que c'était
une période magique. D'être
jeune, d'être là-bas, de voir
tout ce qui s'y passait, autant
en danse, en musique, en arts
visuels... De pouvoir...
je sais pas, de pouvoir rentrer
au Louvre simplement pour aller
voir une série d'œuvres qu'on
veut voir. D'avoir accès à...
à la richesse des collections,
la diversité des collections...
C'était aussi à l'époque où, au
Centre Georges-Pompidou, il y
avait ces grandes expositions
avec des centaines et des
centaines d'artistes. Donc j'ai
beaucoup... Ça m'a
beaucoup influencée et ça m'a
aussi beaucoup permis de voir
ce qui peut être possible en
très grand. Et de pouvoir
prendre des idées de ces plus
grandes structures et
d'insuffler ces idées-là dans
les plus petites structures que
j'ai dirigées par la suite.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que les Européens ont
une appréciation pour l'art
qui est différente de ce que
nous avons ici en Amérique
du Nord?
GAËTANE VERNA
Je dirais, puisque l'histoire
de l'art...
est intégrée dans les écoles
d'une manière beaucoup plus
importante... Y a vraiment toute
une série de programmes qui sont
mis en place pour que les
enfants aillent au musée tout
le temps, tout le temps,
tout le temps. Donc...
GISÈLE QUENNEVILLE
Puis on a pas ça ici?
GAËTANE VERNA
On a pas ça ici et moi, je
trouve que c'est... Il faudrait
que dans nos programmes, qu'on
s'assure que, à tous niveaux
scolaires, que tous les
enfants aillent au musée, je
sais pas, moi, une fois par
année ou deux fois par année.
Qu'ils aillent à un musée, qu'on
trouve des manières d'établir
plus de liens entre les musées
et les institutions scolaires.
Ça peut aussi permettre aux gens
des institutions d'aller dans
les musées. Et aussi,
faut ramener les enfants
face aux œuvres, leur faire
comprendre que, surtout dans
l'ère de l'internet et tout
ça, voir un tableau sur
internet, c'est une chose, mais
le voir en vrai, c'est
complètement différent parce que
là, on discerne la couleur, la
taille, notre rapport à
l’œuvre. Donc je pense que
c'est un défi qu'il faut...
Quant à moi, je trouve qu'on
doit en faire plus pour rendre
l'art accessible à tous. Et le
scolaire est vraiment un des
liens les plus importants.
GISÈLE QUENNEVILLE
On a déjà dit, ou on a déjà
écrit à votre sujet que vous
aimiez ça explorer les thèmes
du déplacement, de l'identité,
de la diaspora. Qu'est-ce que
ça veut dire, ça?
GAËTANE VERNA
Je pense que ça veut dire que
je... de par ma... disons mon
passé personnel, je suis très
intéressée à voir comment les
artistes explorent cette
question de citoyenneté, cette
question d'appartenance. Donc
toutes ces questions d'artistes
qui parlent de diaspora, qui
parlent de déplacement, qui
parlent d'être citoyen...
citoyen à la fois canadien, mais
citoyen, je sais pas, d'origine
chinoise ou citoyen d'origine
japonaise, et comment le passé
ou le présent personnel des
gens, comment ça a une
influence sur la façon qu'ils
voient la vie et comment ils
créent leurs œuvres, et les
thèmes qui vont les intéresser,
puisqu'on est parfaitement
au-delà de la simple
représentation d'un objet.
Donc, ces thèmes-là, moi,
ça me touche beaucoup et je
pense que ça touche beaucoup
de gens aussi.
GISÈLE QUENNEVILLE
Oui, vous parlez de votre
passé, et pourtant, bon, vous
êtes née au Congo, vous êtes
arrivée quand même au Québec,
vous aviez à peine deux ans,
et vos parents sont d'origine
haïtienne.
GAËTANE VERNA
Mes parents sont d'origine
haïtienne. Ils ont été
travailler à l'ancien Zaïre, qui
est maintenant la République du
Congo. Et puis moi, j'y suis
née, je suis arrivée au Québec
j'avais deux ans et demi.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais sentez-vous que vous
faites quand même partie
de cette diaspora?
GAËTANE VERNA
C'est toute la question du
déplacement. Ça veut dire...
j'ai été élevée... Haïti-Haïti.
On parlait d'Haïti, de la
situation politique haïtienne...
la situation africaine...
la situation des Noirs dans le
monde. Et moi, ça m'a beaucoup
frappée, vers l'âge de 25 ans...
C'est que j'ai eu la chance
que l'école secondaire où
j'allais, c'était une école
secondaire où on avait vraiment
de tout. Et ça, c'était...
J'ai gradué dans les années 80,
donc c'était pas... c'est pas la
même situation qu'on voit
maintenant, et c'était à
Montréal. Je me rappelle j'avais
joué dans une pièce de Gratien
Gélinas, Ti-Coq, et on avait
quatre Marie-Ange: moi
d'origine haïtienne, on avait
une d'origine marocaine, on
avait une d'origine française
puis on avait une d'origine
canadienne-française. Puis ça,
c'était dans les années 80.
Donc on était déjà...
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous étiez avant-gardistes.
GAËTANE VERNA
On était avant-gardistes dans
mon école de Roberval.
Et quand on arrive à l'âge
adulte, je me rappelle j'avais
à peu près 20, 25 ans, je
travaillais pour la Ville de
Montréal, et soudainement, tout
le monde me demandait: tu viens
d'où? Je me demandais pourquoi
soudainement on me demande je
viens d'où? On m'a jamais
demandé ça... Et donc c'est
là que, en devenant jeune
adulte, on se rend compte que
même si on se sent de l'endroit
où est-ce qu'on est né, tous
ces a priori que les gens... que
finalement nous, on intègre dans
notre vie... Mais le monde
extérieur nous regarde toujours
face à ce qu'ils voient
devant eux.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et justement, vous faites
partie du Who's Who in Black
Canada puis vous dirigez
une des plus grandes
institutions artistiques au
Canada. Comment est-ce que vous
vous sentez par rapport à ça?
Est-ce que vous sentez une
responsabilité quelconque?
GAËTANE VERNA
Je me sens une responsabilité
de permettre aux gens de voir
des œuvres qui m'intéressent,
peut-être qui n'intéresseraient
pas quelqu'un d'autre, mais qui
moi m'intéressent
particulièrement, et de les
faire découvrir aux gens.
Je vais toujours rester Gaëtane
Verna, d'origine haïtienne, née
au Congo, ayant émigré au Québec
à deux ans et demi. Ça, ça fait
partie de mon parcours
personnel. Et je pense que
l'art est quelque chose de...
de vraiment... c'est
intrinsèque, donc on...
On a une connaissance des
enjeux, des choses qui nous
intéressent, mais y a aussi une
part de nous-mêmes qui est
véhiculée à travers les œuvres
qu'on choisit ou les artistes
qui nous intéressent. Donc je
pense que... Et de se dire qu'on
fait pas ça, je pense que c'est
de pas être honnête. Je veux
dire, à la tête d'une
institution, il faut pouvoir
défendre les œuvres qu'on
présente bon gré mal gré.
Donc à ce moment-là,
il faut y croire.
GISÈLE QUENNEVILLE
Il paraît que vous avez
une collection de globes
terrestres.
GAËTANE VERNA
Oui. Oui, c'est ça. Quand
j'étais... pendant que je
faisais mes études, je pense que
c'était en 89, quand le mur de
Berlin est tombé, avec des amis,
on courait les brocantes pour
acheter des globes qui avaient
encore la Russie et tous les
pays du bloc soviétique. Donc
on a commencé à collectionner
autant des globes des années 50
que des globes contemporains.
Mais là, j'ai un peu mis un holà
là-dessus parce que...
premièrement, ça prend
de la place.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est ce que j'allais dire:
faut de la place pour
des globes.
GAËTANE VERNA
Puis deuxièmement, plus je
voulais des globes anciens, et
plus ça devenait vraiment
dispendieux. J'aime bien
regarder la Terre de cet
angle-là. Donc ma petite
collection de globes... oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Qu'est-ce que vous appréciez
le plus de Toronto?
GAËTANE VERNA
En termes d'offre culturelle,
ça n'arrête jamais. Chaque fois
qu'on essaie de programmer pour
faire, je sais pas, une
conférence ici au Power Plant,
il faut vraiment qu'on regarde
ce qui se passe ailleurs.
Et souvent, on est face à la
situation qu'il y a deux bons
projets qui se passent la même
soirée, et la quantité
d'activités qui ont lieu en même
temps, je pense simplement à
l'automne avec TIFF et tout ça,
c'est comme ça n'arrête plus.
Même si je fais pas tout et je
participe pas à tout, j'ai
toujours l'impression que je
fais partie de cette ébullition
de culture. Et ça, pour moi,
je trouve ça...
c'est très dynamique.
GISÈLE QUENNEVILLE
Avant d'arriver au
Power Plant, y en a qui
disent que vous avez
fait carrément des
miracles au Musée d'art de
Joliette. Les budgets ont
augmenté de 76 %, le nombre de
membres a augmenté de 100 %.
Est-ce que vous sentez les mêmes
pressions ici au Power Plant
d'atteindre justement des
objectifs semblables?
GAËTANE VERNA
Euh... oui. Mais je veux dire,
mon plus grand défi,
c'est moi-même.
Parce que c'est toujours moi qui
pousse, qui pousse. Parce que je
crois aux institutions que je
dirige, et... en même temps,
je crois qu'on a... surtout
quand on a un organisme public,
on a vraiment un devoir de
toujours continuer à bien faire
les choses et puis redoubler
d'énergie et d'idées pour
ouvrir l'institution de plus
en plus.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ça doit être un autre monde
quand on compare la petite
communauté de Joliette au Québec
à Toronto. Il doit quand même
y avoir des différences.
GAËTANE VERNA
Oui. Je dirais que c'est des
différences de tailles. Mais...
En termes que le grand Joliette,
c'était 42 000 personnes.
Mais je vous dirais... des gens
très très intéressés et très
impliqués dans leur communauté,
qui étaient... qui avaient
une fierté. Donc Joliette, c'est
quelque chose d'important.
Dans ce sens-là, j'étais
toujours étonnée de voir que
pour une région qui est si
proche de Montréal, si quelqu'un
devait effectivement réfléchir
à où mettre un musée, c'est
certainement pas à Joliette où
on le mettrait. Donc c'est
au-delà de raisons financières
que ce musée existe. Donc c'est
par la volonté des gens.
Et donc pour ces gens-là, c'est
quelque chose d'important et
ils s'y attachent. Donc c'est un
contexte complètement différent
dans ce sens-là. Mai je pense
aussi, si je regarde l'histoire
du Power Plant et ce que le
Power Plant a pu accomplir au
fil des années, bien, c'est
parce qu'il y a des gens pour
lesquels c'était vraiment
important de... et puis il faut
aussi voir que le...
le panorama ou le paysage
culturel de Toronto a vraiment
changé entre les années 80 et
maintenant, c'est pas du tout
la même ville, en termes de
population, en termes
d'importance au niveau
national. Donc le Power Plant a
été bâti par des gens qui y
croyaient. Il y a une série de
donateurs importants qui
sont tous tour à tour venus
s'asseoir autour de la table
pour être membre du conseil
d'administration. Y a des
donateurs, ça fait 25 ans qui
chaque année donnent de
l'argent à cette institution et
qui croient en la valeur de
l'art contemporain et qui
veulent permettre à une ville
comme Toronto d'avoir une
institution qui présente de
l'art contemporain
international ici, pour tout le
public qui ne voyage pas ou qui
ne va pas voir ces œuvres-là.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce qu'il y a plus
de pression ici?
GAËTANE VERNA
C'est sûr qu'il y a plus de
pression. Quand on est à
l'extérieur, on fait tout pour
que les médias parlent de notre
institution. Alors on frappe à
la porte constamment. Il faut
faire le même effort ici parce
qu'on est en compétition avec
l'opéra, avec beaucoup d'autres
choses. Mais je dirais que c'est
sûr que les gens vont avoir une
plus grande facilité d'être
critiques par rapport à ce
qu'on fait, pour le meilleur et
pour le pire. Donc à ce
moment-là, il faut aussi avoir
la couenne dure et croire en la
vision qu'on essaie de mettre en
place et y aller honnêtement.
Et puis faut avoir une vision et
puis la mener et puis s'assurer
qu'on prend les bonnes
décisions pour les bonnes
raisons tout le temps.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez déménagé toute la
famille ici, je pense que
votre conjoint a eu un
transfert à Toronto, vos deux
jeunes filles ont huit et douze
ans; comment ça s'est passé, ça?
GAËTANE VERNA
C'était difficile. Elles
avaient pas envie de déménager
à Toronto. Elles me demandaient
toujours: comment ça se fait
qu'on a pas fait partie de la
décision? J'étais comme, bon...
Mais je dirais que, après...
bientôt, ça va faire un an pour
elles d'être ici. Petit à
petit, il y a des... Pour ma
plus jeune, c'était le fait
qu'elle pourrait faire de
l'escrime à Toronto, parce
qu'il y avait pas d'escrime à
Joliette. Donc j'ai gagné ce
point-là. La plus âgée,
maintenant qui arrive en
préadolescence... Donc il y a
eu un ajustement, ce qui est
tout à fait normal... entre les
amis, la famille et puis le
milieu dans lequel elles
étaient parfaitement heureuses.
Je dois dire que Joliette, c'est
la ville parfaite pour élever
les enfants à cet âge-là.
Mais je trouve que rapidement,
elles ont trouvé un milieu de
vie qui était... Et puis aussi
le fait qu'elles peuvent aller
à l'école en français, c'est
super important, et je trouve
ça très très bien pour elles.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et justement, j'allais vous
poser la question: est-ce que
vous arrivez à trouver un petit
milieu francophone ici?
GAËTANE VERNA
Oui. Et ce qui...
Dès que je rencontre des gens
qui parlent français,
bien là, je vais directement au
français puis je me fie pas
beaucoup sur les autres autour
de moi et je parle juste en
français. Donc ça... Non, y a
des gens et puis chaque fois
qu'on trouve, bien, on...
on le cultive et puis... Et pour
moi, c'est aussi quelque chose
que je trouve intéressant et
que j'aimerais bien insérer au
niveau de ce qu'on fait au
Power Plant, de trouver les
moyens d'avoir une partie de
notre site internet qui soit en
français, aussi de permettre
de développer des tours de nos
expositions en français. Donc
on est en train de bâtir une
petite équipe de bénévoles qui
parlent français aussi. Parce
qu'il y a une large population
francophone ici et je trouve
ça important de... Bien, ça
nous adonne accès encore à un
autre bassin de public, qui est
là et qui... on espère que ça
les intéresse. Puis je trouve
que si aussi on est national et
international, bien, la moindre
des choses qu'on peut faire,
c'est déjà être bilingue, les
deux langues. Donc pour moi, je
trouve que c'est... Si ça peut
être une chose à laquelle
je contribue, je trouve ça
important. Et je trouve que ça
enrichit aussi l'expérience des
gens. Parce qu'il y a des
touristes partout à travers le
monde. Et un vœu, ça pourrait
être que... je veux dire, qu'on
ait français, anglais,
espagnol... Moi, ce que je
recherche souvent maintenant
dans les gens que j'engage,
c'est: quelles sont les autres
langues que vous parlez?
Parce que ça aussi, ça peut
bénéficier à l'accueil du public
et pour moi, je trouve
que c'est très important.
GISÈLE QUENNEVILLE
Gaëtane Verna,
merci beaucoup.
GAËTANE VERNA
Merci beaucoup.
(Générique de fermeture)
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