

Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin and Daniel Lessard meet exceptional francophones from throughout Canada and beyond. Discover politicians, artists, entrepreneurs and scientists whose extraordinary stories are worth telling.
Video transcript
Renée Blanchar : Filmmaker
Filmmaker Renée Blanchar was born in Caraquet. She studied in Paris at the Fondation européenne des métiers de l’image et du son.
In 1989, she was part of the Cannes Film Festival jury, beside luminaries Wim Wenders and Sally Field.
You may be able to take the girl away from Acadian culture, but you can’t take Acadian culture out of the girl; after several years in France, Blanchar decided to continue her career… in Caraquet! Ever since that decision, her work has been infused with Acadian culture, both in her documentaries and in her fictional work.
Réalisateur: Linda Godin
Production year: 2014
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GISÈLE QUENNEVILLE rencontre des personnalités francophones et francophiles: des politiciens, des artistes, des entrepreneurs ou des scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Début générique d'ouverture
[Début information à l'écran]
Carte de visite
Fin formation à l'écran
Fin générique d'ouverture
Pendant que GISÈLE QUENNEVILLE présente son invitée, on montre des images de la ville de Caraquet ainsi que des photos de qui illustrent certains moments de la vie professionnelle de RENÉE BLANCHAR.
GISÈLE QUENNEVILLE
Aujourd'hui, l'équipe de
Carte de visite est à
Caraquet, au Nouveau-Brunswick.
Caraquet n'est pas une grande
ville. Elle est située à
2 heures au nord de Moncton
et accueille à peine
4000 habitants, mais elle
se considère comme la capitale
de l'Acadie. Ici, l'industrie
de la pêche est au cœur
de l'économie. La culture
acadienne est dans l'âme des
gens de la place. La cinéaste
Renée Blanchar est née à
Caraquet. Après un bac en
communications de l'Université
d'Ottawa, elle se retrouve à
Paris, à la Fondation européenne
des métiers de l'image et du
son. Elle est une des rares
Canadiennes à fréquenter cette
prestigieuse école de cinéma
et elle y fait sa marque. En
1989, elle se retrouve membre
du jury au Festival de Cannes
aux côtés de Wim Wenders et
Sally Field. Si on peut sortir
la fille de l'Acadie, on ne peut
pas sortir l'Acadie de la fille.
Après plusieurs années en
France, Renée Blanchar décide
de faire carrière à Caraquet et,
depuis, son travail respire son
coin de pays, autant dans ses
documentaires que dans ses
oeuvres de fiction. Renée
Blanchar a été pas mal occupée
ces dernières années. Elle a
signé la télésérie
Belle-Baie,
une série diffusée à Radio-
Canada mettant en vedette
des grands noms québécois,
mais surtout une certaine petite
ville de la péninsule acadienne.
(Début extrait vidéo)
[Début information à l'écran]
Extrait: Belle-Baie
[Fin information à l'écran]
[FEMME:] Je vais
faire comme avec maman
et vieux Félix. Je vais mettre
ses cendres au pied d'un arbre.
Si ça continue de même,
je vais planter toute une forêt.
[HOMME:] La femme
qui plantait des arbres?
[FEMME:] La femme
qui enterrait son monde.
(Fin extrait vidéo)
(GISÈLE QUENNEVILLE et RENÉE BLANCHAR sont assises l'une face à l'autre, dans la demeure de cette dernière. L'entrevue suivante se déroule tantôt à l'intérieur, tantôt à l'extérieur de la maison de RENÉE BLANCHAR.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Renée Blanchar, bonjour.
RENÉE BLANCHAR
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous venez d'avoir des années
assez occupées. Je sais que la
série
Belle-Baie a pris beaucoup
de votre temps ces dernières
années. Peut-être nous dire
dans un 1er temps comment
cette télésérie-là a vu le jour.
RENÉE BLANCHAR
Par un concours de
circonstances assez incroyables.
J'écoutais
à un moment donné
une télésérie, à la télé donc,
qui abordait la question
de l'Acadie et tout ça,
et ça avait pas trop fait
mon affaire. Je trouvais
que c'était assez caricatural et
je me rappelle que j'étais allée
me coucher en me disant:
mon Dieu, il me semble qu'on
pourrait montrer quelque chose
d'autre de l'Acadie, je sais
pas, une espèce de modernité,
une autre manière de
s'exprimer. On n'était pas
toujours obligés de coucher
dans des bateaux. Il y avait
toute cette dimension-là.
Ç'a été l'élément déclencheur.
Puis, sans trop réfléchir, je me
suis assise à mon bureau et
j'ai écrit ce qu'on appelle un
« pitch », c'est-à-dire: je suis
partie de l'idée de la Gaule
d'Astérix - comme dans la bande
dessinée, où on voyait vraiment
les Romains qui se posaient la
question: « Mais qu'est-ce qu'on
va faire avec eux? »
(propos en anglais et en français)
J'ai imaginé
un peu comme ça un zoom in sur
un petit village d'irréductibles
qui ressemble un petit peu
à Caraquet et dans lequel
donc allait arriver un certain
nombre de péripéties. L'élément
déclencheur était l'arrivée
d'un incinérateur de déchets
toxiques et ça, ça
correspondait à quelque chose
qu'on avait vraiment vécu ici
et contre laquelle on s'était
vraiment battus. Sauf que moi,
dans mon esprit, je voulais
réaliser la série, mais je
voulais pas l'écrire.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais vous l'avez écrite?
RENÉE BLANCHAR
Ben oui! Par la force des
choses! Puis, au bout de
quatre épisodes, moi, j'ai dit:
« Je veux réaliser » et ils ont
dit: « Mais attends, c'est qui,
celle-là? Elle va pas en plus
réaliser! » Parce que, vraiment,
c'est pour garder la télésérie
qui se fait au Canada français,
on va dire ça comme ça. Il y a
très peu de gens qui écrivent
et réalisent parce que c'est pas
possible, parce qu'on vire
fous! Ben là, c'est ça. Alors,
j'ai négocié quand même. J'ai
pas parti la série, c'est-à-dire
que les 8 premiers épisodes
ont été faits par un autre
réalisateur; moi, pendant
ce temps-là, j'écrivais. Les
4 derniers, ç'a été comme le
bonbon, ç'a été mon dessert, la
carotte au bout qui m'a permis
d'écrire la première saison.
GISÈLE QUENNEVILLE
Quel a été l'impact
de cette télésérie-là sur vous,
mais aussi sur l'Acadie?
RENÉE BLANCHAR
Je m'arrête pas vraiment
beaucoup à penser à ça
pour vous dire la vérité.
Mais je le sais, la chose
qui me faisait le plus plaisir
notamment, c'était quand des
gens d'ici me disaient: « C'est
donc ben beau où on habite.
Comment t'as fait pour filmer
ça? ». Je leur disais:
« Je me lève tôt le matin.
C'est la première lumière du jour.
C'est la belle lumière du soir.
Il y a pas d'effets, c'est
comme ça où on vit. »
Donc, ça, ça me faisait plaisir
par rapport à l'intérieur,
c'est-à-dire comment les gens
d'ici se percevaient et la
fierté que je pouvais ressentir
du fait que ça marche et que
ça parte d'ici. Maintenant,
pour moi, ç'a pas changé
grand-chose, dans le sens où je
reste constamment avec le défi
de faire de nouveaux projets.
J'ai choisi de vivre dans un
milieu où il y a pas vraiment de
cinéma qui se fait. C'est juste
un petit peu - je dis ça bien
humblement - l'exception qui
confirme la règle, une exception
de longévité aussi. Ça fait plus
de 20 ans et je ne fais
qu'écrire et réaliser.
Il y a un jardin et des choses
comme ça. Mais, je veux dire,
dans ma vie professionnelle,
je considère que tout est
toujours à faire. Donc, j'ai pas
attendu qu'il arrive rien.
J'ai voulu faire autre chose,
quelque chose de différent.
Dans ce sens-là, je vous
dirais, ce que ç'a fait
pour moi, c'est de me dire:
« OK, je l'ai fait. » Je pense,
j'ai réussi ça et on a décidé
d'arrêter quand c'était le temps
et puis voilà.
GISÈLE QUENNEVILLE
Belle-Baie,c'était de la
fiction, mais vous, vous faites
également des documentaires
sur toute une variété de sujets.
Comment vous choisissez
les histoires que vous
voulez raconter?
RENÉE BLANCHAR
C'est un peu les histoires
qui me choisissent. C'est
assez spécial...
En fait, moi, je prends pas
de notes. Je me promène
dans la vie, je vis comme vous.
Puis, tout d'un coup, il y a
quelque chose qui m'interpelle,
il y a un sujet qui va venir
me chercher. Je laisse
comme ça mûrir. Tout d'un coup,
s'il se passe le déclic
où j'ai besoin de passer
à l'écriture, ça veut dire
quelque chose. Presque par
principe, je ne prends pas de
notes, dans le sens où il faut
que ça reste, il faut que ça
reste, il faut que ça se place
dans moi, il faut que ça
s'incarne dans quelque chose,
dans une forme d'urgence
et, là, tout d'un coup, ça
devient comme impossible de pas
faire ce sujet-là. Mais je vous
dirais qu'un thème récurrent,
c'est l'engagement. Je crois
qu'il y a quelque chose dans
l'engagement sous toutes ses
formes qui, vraiment, m'allume
et j'essaie même d'être
conséquente vis-à-vis
l'engagement dans ma propre
vie, par rapport à Caraquet.
Et pour en revenir à
Belle-Baie, pourquoi j'ai
arrêté? Parce que je trouvais
que j'étais en train de devenir
une figurante dans ma propre
vie, que je ne participais plus
à une vie communautaire et,
donc, mon sujet se tarissait.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez pas encore fait
de longs-métrages de fiction.
Est-ce qu'il y en a un
qui se promène encore? Oui?
RENÉE BLANCHAR
Oui, que je veux tourner ici,
dans ma maison, d'ailleurs.
Oui, oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Voulez-vous nous en parler?
RENÉE BLANCHAR
Euh... Est-ce que je peux
en parler? C'est-à-dire que je
n'aime pas parler des choses
qui n'existent pas.
GISÈLE QUENNEVILLE
D'accord.
RENÉE BLANCHAR
Mais pour en revenir à ça...
Je crois que vous parliez
de Belle-Baie et pour revenir
à ça, c'est un petit peu comme
quand je me suis retrouvée par
exemple au Festival de Cannes,
(propos en anglais et en français)
il y a des peaks comme ça qui
arrivent qui font un petit peu
table rase sur les choses
et qui vous propulsent ailleurs
ou qui vous confortent dans
des choses et qui vous disent:
« Je n'ai plus besoin de ça. »
C'est comme si, avec
Belle-Baie,c'était une grosse
machine, un budget relativement
important et tout ça, et que
maintenant j'ai envie de faire
quelque chose pour l'instant
d'un peu plus « modeste »,
mais libre. Alors, essayer
d'être moins formatée et, donc,
forcément, pour arriver à ça,
en ce qui me concerne,
c'est de faire des projets
un peu plus... comment dire...
modestes, mais pas dans la
prétention, mais dans la façon
de faire pour garder vraiment
de la liberté. Donc, l'idée de
faire un film chez moi, c'est
tout simplement parce que, ici,
il y a personne qui pourra me
dire quoi faire. C'est moi dans
mon terrain, mon terrain de jeu
qui est Caraquet.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ici, Renée, on est dans votre
cour. Et ici, dans votre cour,
les arbres ont des noms, ils ont
des histoires. Peut-être nous
en raconter quelques-unes.
RENÉE BLANCHAR
C'est drôle parce que,
quand on est déménagés ici,
il y avait déjà une histoire
d'arbres qui était assez
amusante. C'est qu'en
fait, la maison était comme
toute seule et autour il y avait
très peu d'arbres parce que le
vieux garçon qui habitait ici
avant était très croyant et il
s'est fâché à un moment donné
parce que les petits jeunes
volaient les pommes,
parce qu'il y avait plein
de pommiers.
Et, donc, apparemment,
l'histoire, le mythe veut qu'à
un moment donné, il s'est levé,
il a pris sa scie à chaîne et il
a tout coupé les arbres, donc
les pommiers. Ça, c'est
comme des rejetons de ça
parce que c'est des pommiers.
Ce sont des rejetons en fait
qu'il avait coupés, et ils sont
repoussés. Donc, il y a un arbre
qui a été planté pour la
naissance de ma file, il y a
des arbres que les gens m'ont
donnés. Par exemple, des ormes,
ce qui est pas quelque chose
de commun ici, que j'ai eus
à travers M. Bernard Jean,
qui était quelqu'un qui était
assez connu à Caraquet,
mais qui avait cette passion-là
comme moi, et qui me les
a donnés... Il m'a donné des
rejetons des arbres qu'un
premier médecin de Caraquet
avait importés. En fait, il y a
toutes sortes d'histoires
comme ça. Je dis souvent que, si
j'arrêtais un jour de faire mon
métier, je crois que j'aimerais
planter des arbres et entretenir
les cours parce que je trouve
que c'est une manière - et c'est
peut-être un peu obsessif chez
moi - de changer le monde.
Quand on plante un arbre,
d'abord on fait du bien
à la planète, mais aussi
c'est vraiment quelque chose
qu'on regarde pousser et qui
change l'environnement autour de
nous. Donc, j'ai développé, oui,
cette passion-là. D'ailleurs, il
y a une idée de film qui me
trotte dans la tête où il sera
question un peu de ça,
qui s'appellera peut-être
Le temps des fleurs.
GISÈLE QUENNEVILLE
Renée Blanchar, vous êtes née
ici, à Caraquet. Vous avez
grandi à Caraquet. Vos racines
sont ici. C'est beau, ici.
Comment c'était,
grandir à Caraquet?
RENÉE BLANCHAR
Bien, c'était génial,
c'est-à-dire que, oui, j'ai eu
une enfance... très riche,
heureuse, d'abord avec des
parents aimants et je trouve
qu'ils m'ont bien élevée.
Je suis fille unique, mais j'ai
pas été, je pense, trop gâtée.
Donc, la maison chez moi -
c'était un principe de mes
parents - était la maison
où tous mes amis venaient.
Il y a quelque chose
de très libre de vivre
dans une petite localité.
Il y a des gens qui aiment pas
le fait que tout le monde se
connaisse, mais je crois qu'il
y a quand même assez de distance
pour qu'on arrive à être qui on
est. Ce qui m'a peut-être le
plus marquée, c'est que très
tôt, j'ai comme eu connaissance
d'une espèce de sens du
merveilleux. C'est mon père
beaucoup qui a amené ça dans ma
vie, c'est-à-dire dire comment
faire de petits événements
des choses magiques. Je trouvais
que mes parents, mon papa entre
autres, avaient le don de faire
ça pour moi. C'est comme si
cette idée du merveilleux dans
les petites choses, c'est
toujours ce que j'essaie
de transmettre au cinéma.
Donc, ça part vraiment
de l'enfance. Et sincèrement, le
fait d'être partie, partie des
années - j'ai étudié à Ottawa;
après, Paris - et être revenue
ici... Et quand je suis
revenue, c'était comme un
instinct. Je dis toujours que
c'était un choix plus du cœur
qu'un choix raisonné
par rapport à une carrière.
Mais c'était comme pour
revenir à ce point d'enfance.
Je pense quand même
que tout part de là, en tout cas
en ce qui me concerne,
par rapport à une vision.
GISÈLE QUENNEVILLE
Pourquoi le cinéma?
RENÉE BLANCHAR
Parce que je pense... que ça
correspondait, pour moi,
à une manière totale de
faire de l'art. Moi, j'aimais...
Plus jeune, je m'intéressais
à la comédie, c'est-à-dire:
j'aimais jouer, j'aimais
la musique, j'aimais la
photographie. Il y avait toute
cette dimension-là. J'écrivais.
Disons que j'ose même pas dire
aujourd'hui que j'écrivais, mais
je veux dire, je faisais ça.
Donc, on dirait que ça
correspondait vraiment
à une manière de m'exprimer
en arts. Et j'aimais le défi,
j'aimais ce défi parce que
je ne connaissais personne
qui faisait du cinéma. Moi, je
savais même pas comment ça
se faisait, des films. J'aimais
cette idée d'inventer vraiment
une manière d'être dans la vie.
Il y a personne pour me dire
comment être dans la vie,
il y en avait pas.
Et mes grands souvenirs...
J'ai vraiment des points
d'enfance qui sont liés à des
films. Très tôt, ça s'est
inscrit dans moi.
« Les parapluies
de Cherbourg », « Love Story »
avec mes parents au « drive-in »,
« Tiens-toi bien après
les oreilles à papa »...
Mon père me pardonnera pas
d'avoir dit ça. Après, des
films plus importants. J'ai vu
« What Ever Happened to Baby
Jane? » J'ai vu ça au cinéma à
Caraquet. Donc, il y a vraiment
des moments d'enfance ou des
souvenirs qui sont liés à ça.
Vraiment, la 1re fois que j'ai
pu veiller devant la télé,
c'était pour
« Les parapluies de
Cherbourg ». Ce qui s'est passé,
c'est qu'ils ont comme oublié
de me coucher parce qu'ils
étaient pris dans le film.
Là, j'étais tellement triste
parce que Catherine Deneuve
allait dire non à Guy,
et que c'était chanté
et que c'était en noir et blanc
- j'ai appris 20 ans plus tard
que c'était en couleurs.
J'étais tellement prise
dans le film que ma nounou
et ma mère ont dit: « On
peut pas la coucher, elle va
être traumatisée. » Et j'ai
couché pendant une semaine
entre mon père et ma mère,
les pauvres, parce que j'étais
traumatisée par cette histoire.
Donc, voyez-vous, c'était lié.
Le cinéma, ça me rentrait dedans
comme rien d'autre.
GISÈLE QUENNEVILLE
La Fondation européenne des
métiers de l'image et du son.
RENÉE BLANCHAR
Oui, la Fémis.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous êtes la première Canadienne...
vous étiez la première Canadienne,
je pense, à aller...
RENÉE BLANCHAR
J'espère qu'il y en a eu
d'autres après moi.
GISÈLE QUENNEVILLE
Comment c'était arrivé, ça?
RENÉE BLANCHAR
Mais en fait, j'étais pas la
première. C'est qu'avant
il y avait l'IDHEC, qui était
les Hautes Études
cinématographiques. Ils ont
changé, ils ont revampé l'école.
à partir du moment où, moi, j'ai
fait application, les Canadiens
qui avaient été admis avant moi
étaient admis directement
s'ils avaient une bourse;
tandis que, quand c'est arrivé
à moi, il fallait passer
par le concours parce qu'ils
ne voulaient plus avoir
de passe-droit. Donc, il
fallait passer à travers les
étapes du concours. Je veux
dire, la beauté de l'école que
j'ai faite, c'est que je payais
symboliquement un franc par jour
pour faire cette école si
j'étais admise. Aux États-Unis,
il fallait être fils de riches
ou fille de riches pour arriver
à faire ça, tandis que là,
je trouvais qu'il y avait
quelque chose de démocratique
qui me plaisait parce que
si j'arrivais à entrer dans
cette école....
Et j'ai fait l'école en même
temps que des gens qui venaient
d'une bourgeoisie française
absolument fascinante.
Moi, il se trouve que je suis
entrée au même titre qu'eux
et qu'après il n'y avait plus
de différence. Donc, il y avait
ça et il y avait l'idée de me
rapprocher de l'Europe et d'un
cinéma que j'aimais beaucoup,
le cinéma d'auteur et, après, de
revenir avec ce bagage-là ici.
GISÈLE QUENNEVILLE
En 1989, vous vous êtes
retrouvée comme membre
du jury à Cannes.
RENÉE BLANCHAR
Voyez-vous, c'est là que la
vie a comme pas d'allure.
GISÈLE QUENNEVILLE
Voilà. Comment est-ce qu'une
jeune étudiante canadienne
se retrouve à côté de Wim
Wenders et Sally Field?
RENÉE BLANCHAR
Entre Wim Wenders,
Sally Field. Sally Field était
là et Wim Wenders était...
Non, c'est un concours de
circonstances incroyables.
C'est qu'au départ, ça devait
être... Le président du jury
devait être Francis Ford Coppola
et c'est lui qui avait demandé
à ce qu'il y ait une voix jeune
sur le jury.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez remplacé en plus...
RENÉE BLANCHAR
J'ai remplacé Coppola.
Non, c'est pas vrai. C'est
qu'entre-temps, il a eu des
problèmes avec un film qui est
sorti et s'est retiré de la
présidence du jury. C'est devenu
Wim Wenders, et Wim Wenders
était tout à fait d'accord à ce
qu'il y ait un jeune sur le
jury. Ce qu'ils avaient demandé
en fait, ce qu'ils cherchaient,
c'était quelqu'un qui étudiait
le cinéma, un étranger qui
étudiait le cinéma en France.
Ils ont fait une espèce de
casting, auquel je suis allée.
J'ai rencontré donc le
directeur de l'époque. On s'est
assis, on a discuté de cinéma,
on s'entendait sur rien.
Bien, pas beaucoup, à part
qu'on aimait nager. Puis, je
suis sortie de là en me disant:
« Jamais que ça va marcher. »
Dans le fond, je pense que
c'est ce qu'ils cherchaient. Ils
cherchaient peut-être quelqu'un
qui était un peu capable de
défendre des idées. Oui, je me
suis retrouvée par un concours
de circonstances assez
incroyables membre du jury.
Et il y avait là, au-delà de
Wenders et de Peter Handke,
il y avait Krzysztof Kieslowski,
qui était un grand réalisateur
polonais qui était très peu
connu à l'époque, mais moi,
j'avais vu
« Le Décalogue »,
qui reste à ce jour probablement
une des oeuvres qui m'a le plus
marquée, et il était là.
En fait, moi, j'allais pour lui.
Il est décédé depuis. Donc,
j'ai passé pratiquement tout le
Festival de Cannes avec lui
à discuter de films et à boire
du whisky. C'était super!
Non, mais c'est ça, c'était
comme... je sais pas... Et quand
je suis arrivée là, dans tout ce
strass et toute cette folie de
Cannes et en compagnie de gens
qui avaient fait beaucoup de
choses et j'avais conscience
que, moi, j'avais comme rien
fait, à part me retrouver au bon
moment à la bonne place,
ça m'a... c'est là que je dis
où ç'a été un déclic
important... ça m'a donné
le courage de revenir chez moi.
C'est comme si j'avais vu
Cannes comme on peut rêver
de Cannes quand on commence,
et que, finalement, je m'étais
dit: il va falloir vraiment que
je retourne chez moi, que je
retourne à l'essence de qui je
suis, de ce que je veux faire.
Bon, peut-être qu'un jour,
ça se refera. On dirait que ce
climax-là à 25 ans - parce que
j'ai eu 25 ans à Cannes
en plus -, ça m'a dicté
un parcours probablement
inverse de ce qui se
serait passé, parce que je
crois que je serais restée à
Paris. Mais le fait d'avoir fait
ça à ce moment-là et que ça
correspondait à la fin de mes
études, je me suis dit: « Allez,
je retourne chez moi, il faut
que je revienne à quelque
chose qui me ressemble
vraiment. » Donc, tu vois, c'est
un peu ça que ç'a donné,
Cannes, en fait: un retour ici.
GISÈLE QUENNEVILLE
Là, Renée, on est
dans votre jardin, mais c'est
un jardin collectif.
RENÉE BLANCHAR
Oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Qu'est-ce qu'on fait ici?
RENÉE BLANCHAR
On avait évoqué l'idée
de faire des jardins
communautaires à Caraquet,
mais j'étais pas trop
intéressée à l'idée d'un jardin
communautaire parce que
j'aimais pas l'idée qu'on ait
des lopins, ce qui fait qu'on a
décidé de faire, avec des
amis, un jardin collectif.
GISÈLE QUENNEVILLE
Donc, tout le monde travaille
ensemble?
RENÉE BLANCHAR
Transgénérationnel, dans le
sens où notre plus jeune recrue
a 2 ans et notre plus ancienne
recrue a 78. Alors, entre 2 et
78 ans, vous avez 12 personnes.
Notre rendez-vous dominical. On
travaille ensemble et on récolte
ensemble. On partage la récolte
d'une manière absolument pas
scientifique. C'est-à-dire que
ceux qui viennent se servent et
on n'a jamais eu de problèmes,
dans le sens que tout le monde
est raisonnable, tout le monde
respecte le fait qu'on aime tous
bien manger, alors on partage
ça. C'est une manière
d'être ensemble
et de se voir autrement.
GISÈLE QUENNEVILLE
Maintenant, ce jardin,
on le voit également
dans votre prochain film.
RENÉE BLANCHAR
Oui, mon prochain film
qui n'a toujours pas de nom.
Ça faisait longtemps que
j'avais envie de faire ce
projet-là. Le déclin, ou l'élan,
je l'ai trouvé au moment de
faire le documentaire
que j'ai tourné sur une année
dans mon quartier, ici, à
Sainte-Anne-du-Bocage, dans à
peu près un kilomètre carré.
Le point de départ vient de l'artiste
France Daigle, qui a acheté,
sans le savoir, un bâtiment à
Sainte-Anne-du-Bocage pour en
faire un lieu de création.
Elle a acheté l'ancien Club des
jeunes de Sainte-Anne-du-Bocage
qui avait été, à une certaine
époque, un lieu de rencontre et
de création pour le monde de
Sainte-Anne. Donc, ç'a été le
point de départ de ce film-là
qui, en fait, est une réflexion
entre autres sur
l'artiste-citoyen, c'est-à-dire comment on
s'inspire du milieu pour créer
et comment, inversement, le
milieu nous nourrit au propre
comme au figuré.
(On présente un extrait du projet cinématographique de RENÉE BLANCHAR, dans lequel on la voit discuter avec un homme et une femme.)
(Début extrait vidéo)
[Début information à l'écran]
Les Héritiers du rêve
[Fin information à l'écran]
HOMME
Ça veut-tu dire qu'on peut
faire un spectacle au printemps?
FEMME
Oui. Moi, je crois que oui.
HOMME
Il va y avoir un plancher?
FEMME
Même que ça sera peut-être...
RENÉE BLANCHAR
On va faire un spectacle
au sous-sol!
FEMME
Non, mais le plancher sera
solide à ce moment-là.
Même si c'est pas le
plancher neuf, il sera bon.
(Fin extrait vidéo)
RENÉE BLANCHAR
Ma partie dans le film,
parce que je fais aussi partie
du film, mais je suis dans le
film, c'était l'expérience d'un
jardin collectif avec des gens
que j'aime bien, pour voir
jusqu'où ça allait nous amener.
Il se trouve donc que c'est
concluant puisque ça fait notre
2e année qu'un film est
en voie d'être terminé
qu'on continue de jardiner et
qu'on continue de s'apprécier.
GISÈLE QUENNEVILLE
Renée, pour vous, pour votre
carrière, à quel point il était
important pour vous de faire
carrière en Acadie?
RENÉE BLANCHAR
Euh...
Au départ, je pense
que le retour était motivé
par le besoin de renouer
un peu avec... mon monde,
avec l'enfance que je pense
qui est quand même primordiale.
Après, quand je suis revenue,
j'avais pas nécessairement...
Même aujourd'hui, je suis
incapable de dire si je vais
rester ici toute ma vie...
J'avais pas vraiment une
idée de... Je savais pas si ça
allait être un passage ou pas.
Je sentais qu'il fallait que je
revienne après mon séjour
français et j'ai considéré
m'installer à Montréal
parce que, disons, la voix de
la raison aurait dû m'amener
vers un grand centre pour
poursuivre. Finalement, je me
suis retrouvée à Caraquet.
Même entre Caraquet
et Moncton, j'ai choisi
Caraquet. J'ai jamais regretté.
C'est sûr que ç'a dicté mon
parcours parce que ça fait un
parcours un peu éclaté, un
parcours où, justement, je
touche au documentaire, à la
fiction, mais je crois quand
même qu'il y a un fil
qui se tient, le fil notamment
de l'engagement.
Pour moi, ç'a vraiment donné un
sens supplémentaire. On pourrait
penser que le fait de revenir
comme ça et d'être dans un
milieu où les gens vous
connaissent, ça plombe un peu
les ailes. Or, je crois que,
moi, ça m'a donné des ailes.
GISÈLE QUENNEVILLE
On vous considère comme étant
une artiste acadienne,
une cinéaste acadienne.
Est-ce que vous êtes à l'aise
avec cette étiquette-là?
RENÉE BLANCHAR
Oui. Parce que, oui, je suis
une cinéaste et, oui, j'habite
en Acadie. Maintenant, ce qui
est un peu délicat des fois ou
ce qui peut passer moins bien
en ce qui me concerne, c'est
quand ça devient réducteur.
C'est-à-dire: parce que vous
êtes un cinéaste ou une cinéaste
qui habitez à l'extérieur, vous
êtes pas bon; parce que si vous
êtes bon, vous êtes forcément
dans les grands centres.
Or, moi, j'aurais pu, à un
moment donné, déménager. Il se
trouve que ça avait pas de sens
pour moi. Comme je vous dis,
c'est vraiment pour moi une
quête de sens qui fait que je
reste. À un moment donné,
peut-être qu'il n'y aura plus de
sens à être ici. Parce que, ce
qu'il faut comprendre, c'est que
bien que j'aie fait un certain
nombre de choses, il y a rien
d'acquis. Je sais jamais
comment je vais arriver
à financer mon prochain film.
Je sais jamais qui va accepter
mon prochain film.
Donc,
soit on est dans un
contexte où on a énormément
d'argent dans un grand milieu et
qu'on n'a plus de contraintes,
ou soit on se retrouve, moi qui
suis un peu à l'opposé du
spectre, dans un petit milieu
où, finalement, je crois
que j'ai intérêt à essayer
d'inventer avec peu de moyens
des manières de faire
pour continuer d'être libre.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous êtes fille unique.
RENÉE BLANCHAR
Oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous êtes maman
d'une fille unique.
RENÉE BLANCHAR
Oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que sa vie
ressemble à la vôtre?
RENÉE BLANCHAR
Par procuration. Ma fille est
encore jeune, elle a 15 ans,
et elle est un peu victime
de la vie de sa mère,
dans le sens où ici, ça brasse
beaucoup: il y a un jardin
communautaire, on fait
des corvées, on tourne...
Dans ma vie, il y a comme pas
de différence vraiment entre
ma vie et tourner. Donc, il y a
tout le temps des projets, des
choses. Alors, quand je dis ça,
c'est un peu en rigolant.
C'est que ma fille a pas
nécessairement peut-être cette
fibre-là, mais il se trouve
qu'elle baigne là-dedans. Donc,
je pense que sa vie, si on lui
donnait le choix, c'est
peut-être pas nécessairement
toujours ce qu'elle ferait. Mais
elle baigne là-dedans et elle
semble bien. Donc, j'espère...
C'est drôle parce que le
prochain film, le film que je
suis en train de terminer, une
des trames de fond et peut-être
la plus émouvante pour moi,
c'est cette question que je me
pose par rapport à la
transmission. Quand est-ce qu'on
donne des ailes à son enfant,
versus quand est-ce qu'on plombe
des ailes? Alors, quand on a une
maison, quand on a des projets,
tout ce qu'on fait autour de la
vie d'un enfant et de sa propre
vie, quand est-ce que ça aide
notre enfant à prendre son élan
et quand est-ce que ça
l'arrête? Alors, toute cette
question-là en filigrane,
c'en est une dont je parle
dans le prochain film,
dans le film que je suis
en train de terminer,
et j'ai pas vraiment la réponse.
J'espère que je donne
des ailes à ma fille,
mais je suis pas certaine.
GISÈLE QUENNEVILLE
Renée Blanchar,
merci beaucoup.
RENÉE BLANCHAR
Merci.
(Générique de fermeture)
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