

Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin and Daniel Lessard meet exceptional francophones from throughout Canada and beyond. Discover politicians, artists, entrepreneurs and scientists whose extraordinary stories are worth telling.
Video transcript
Serge Joyal : Senator
Senator Serge Joyal was born in Montreal to parents who were passionate about politics and the arts. President of his Student Association, young Joyal was interested in all types of protest movements.
As a lawyer, he became involved in politics because of Jean Marchand, prior to being elected as a Liberal Member of Parliament in 1974. After an unsuccessful run for mayorship of Montreal, he became a Minister in Pierre-Eliott Trudeau’s last cabinet. Joyal was named to the Senate by Jean Chrétien.
An artwork collector and patron, he has also written several books, and is a stalwart advocate for the French language.
Réalisateur: Joanne Belluco
Production year: 2014
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Début générique d'ouverture
[Début information à l'écran]
Carte de visite
[Fin information à l'écran]
Fin générique d'ouverture
L'ANIMATEUR DANIEL LESSARD fait une courte présentation biographique du sénateur SERGE JOYAL . La présentation est illustrée de plusieurs photos et vidéos.
DANIEL LESSARD
Le sénateur Serge Joyal est né
à Montréal en 1945,
de parents passionnés par
la politique et les arts.
Président d'associations étudiantes,
le jeune homme a été
de tous les mouvements de contestation.
Contre la domination anglophone,
contre la Loi sur les mesures de guerre,
entre autres. Il est un vigoureux
défenseur de la langue française
qui s'est particulièrement illustré
aux côtés des Gens de l'air, qui
réclamaient plus de français de
la part d'Air Canada. Avocat,
il goûte à la politique auprès
de Jean Marchand avant de se
faire élire député libéral en 1974.
Après une tentative malheureuse
à la mairie de Montréal,
il devient ministre dans
le dernier cabinet de
Pierre Elliott Trudeau. Il sera
nommé au Sénat plus tard par
Jean Chrétien. Grand
collectionneur d'oeuvres d'art,
mécènes, Serge Joyal a fondé le
Musée d'art de Joliette. Il a
donné des milliers de costumes
historiques, d'artefacts et
autres oeuvres à différents
musées canadiens.
Il est l'un des plus grands
experts en évaluation d'oeuvres
d'art au Canada. Les musées
font régulièrement appel à ses
services. Il a écrit de
nombreux livres, dont
le plus récent ouvrage,
« Le mythe de Napoléon
au Canada français »,
et un 15e à paraître sur la
participation des Canadiens
français à la Première Guerre
mondiale.
SERGE JOYAL
(En citant Pierre-Eliot Trudeau)
« Serge Joyal, on le contrôle pas. »
(DANIEL LESSARD rencontre le SERGE JOYAL, dans le Salon de la Francophonie, à Ottawa. Au cours de l'entrevue, deux extraits complémentent le propos.)
DANIEL LESSARD
Monsieur Joyal, bonjour.
SERGE JOYAL
Bonjour.
DANIEL LESSARD
Monsieur Joyal, né à Montréal,
grandi à Montréal; parlez-moi
de votre jeunesse à Montréal
d'abord.
SERGE JOYAL
J'ai été éduqué à Montréal
évidemment dans des écoles et
des collèges qui étaient
évidemment administrés par
des communautés religieuses.
Je suis allé chez les Frères du
Sacré-Coeur,
chez les religieuses de la Providence,
qu'on appelait les
Soeurs de la Providence.
Et évidemment chez les Jésuites.
J'ai eu une éducation dans le contexte
du Québec, qui était à ce moment-là
dominé par l'église. Et c'était
une ambiance évidemment où on
était très encadrés. Où l'individu
avait peu de liberté de penser
par lui-même. Le cadre
était extrêmement complet.
C'était pas seulement la vie
religieuse, c'était aussi,
évidemment, la vie sociale,
même la vie économique.
Et j'étais dans un cadre qui,
évidemment, que je sentais étroit.
Puisqu'il y avait peu de liberté
qu'on nous laissait.
On nous disait quoi lire
et comment le lire. Donc,
tous les choix étaient faits
par d'autres. Mes parents
avaient, par ailleurs,
une certaine forme de conscience
que le... que ce qu'on recevait
comme instruction à l'école ou
au collège devait être complété
par d'autres activités. Mes parents
étaient très conscients
que l'éducation, c'est aussi
l'affaire des parents.
Et ma mère nous encourageait
énormément à écouter de la musique
classique. Je me souviens
toujours du premier long jeu
qui était la « Donna e Mobile »,
par Mario Lanza. On s'est fait
l'oreille à l'opéra parce que
forcément, ma mère en écoutait
presque tout le temps, alors
on... par ricochet, on se
faisait l'oreille à la musique.
Donc j'ai eu une enfance,
finalement, qui était
très remplie.
DANIEL LESSARD
Votre enfance s'est passée
sous Maurice Duplessis.
SERGE JOYAL
Oui, exactement.
DANIEL LESSARD
Le premier ministre de
l'Union nationale. Votre père
était un partisan de Duplessis?
[SERGE JOYAL:] Pas du tout.
[DANIEL LESSARD:] Ah non?
SERGE JOYAL
Mon père était... mon père
était libéral avec, si vous
voulez, un grand L. C'est-à-dire
que c'est une personne qui
était vraiment libérale de
pensée. Avant d'être libéral
partisan. Il a toujours voté
libéral, mais il avait cette
espèce de confiance en l'individu.
C'est-à-dire que... on vivait
dans une société qui était très...
comme je vous l'ai souligné,
très encadrée, très déterminée,
mais pour lui, il gardait
une certaine distance
par rapport à ça. Il était pas
dominé par cette ambiance-là.
Je me souviens très bien du 18
septembre 1959 quand Duplessis
est décédé, j'étais avec mon père,
j'étais dans le commerce
de mon père et puis à la radio,
évidemment, ils interrompaient
les émissions pour annoncer la
mort de Duplessis. Et mon père
a eu cette réflexion dont je me
souviendrai évidemment toujours:
"Enfin, on va pouvoir respirer."
[DANIEL LESSARD:] Ah oui?
SERGE JOYAL
Y avait... y avait là-dedans
une sorte de ouf! C'est-à-dire
on va briser un peu l'étroitesse
dans laquelle on vivait tous.
Évidemment, fallait aller
à la messe à toutes les semaines,
à telle heure, il fallait réciter le
chapelet en famille à 19 h avec
le Cardinal Léger, on se
mettait à genoux, et je me
souviens très bien, mon frère
le plus âgé avait plutôt
tendance à s'appuyer contre la
chaise. Ma mère lui disait
toujours: « Tiens-toi droit. »
Aujourd'hui, on raconte des
choses comme ça, les gens nous
croient pas. Mes neveux et
nièces à qui je raconte ça, ils
disent: « Mononcle, t'exagères. »
Ils croient pas qu'on vivait
comme ça.
DANIEL LESSARD
Vous aviez quoi, 15 ans à peu
près quand Duplessis est mort?
SERGE JOYAL
J'avais 14 ans.
DANIEL LESSARD
14 ans. Est arrivé Jean Lesage,
la Révolution tranquille.
Est-ce qu'à ce moment-là,
vous étiez déjà politisé?
Est-ce que ça vous
inspirait ou pas du tout?
SERGE JOYAL
J'avais un peu... ce qui me
rendait à l'aise avec mon père,
c'est que... moi, je me sentais
pas comme tout à fait les
autres étudiants à l'école.
Puis j'étais très curieux
intellectuellement. Ma mère
avait soutenu cet intérêt-là
quand j'étais jeune. Et ce qui
me semblait important, c'était
de... de poursuivre mes propres
intérêts. Et ma mère soutenait
ça même si ça avait l'air un
peu excentrique. Et évidemment
quand la Révolution tranquille
est... enfin, est arrivée, un
peu comme le printemps
succède à l'hiver.
DANIEL LESSARD
Une libération.
SERGE JOYAL
Je me sentais une certaine
forme d'aisance à finalement
exprimer ce que j'étais et comme
j'avais un intérêt pour la vie
étudiante, ce qu'on faisait à
l'école et au collège, et qu'il
y avait toujours un président
de classe, eh bien, je me suis
présenté évidemment à la
présidence de la classe
parce que pour se présenter à
la présidence, il fallait
parler devant les étudiants.
Fallait aller faire une
présentation. Et y a des
étudiants qui étaient,
évidemment, morts de peur
d'aller devant, parler devant
les autres. Les professeurs
étaient là évidemment, le
directeur de discipline, etc.
Et moi, au contraire, ça me
stimulait d'aller parler...
DANIEL LESSARD
D'affronter ces gens-là.
SERGE JOYAL
Oui, d'affronter d'une
certaine façon. D'affronter
l'auditoire. Puis d'affronter
les autorités qui étaient
autour. Et ça, j'ai toujours eu
une certaine forme de stimulus à
faire ça.
DANIEL LESSARD
Et vous avez été élu
président.
SERGE JOYAL
Et j'ai été élu président du
collège et ensuite, j'ai été
élu président des étudiants de
tous les collèges classiques.
Et c'était l'époque du Bill 60
proposé par Gérin-Lajoie. Et
moi, ma position comme chef
étudiant, c'était que les
collèges classiques ne
pouvaient plus être le monopole
des communautés religieuses
parce que si vous vouliez faire
un cours classique, fallait que
vous passiez dans le corridor
des communautés religieuses.
Les 98 collèges classiques au
Québec, garçons et filles,
étaient propriétés gérées par
des communautés religieuses.
Et moi, j'estimais que ça ne
rendait pas... ça ne tenait pas
compte du fait que on... on ne
donnait pas la chance à tous
les étudiants, à tous les jeunes
d'aller au collège. Parce qu'il
fallait payer, c'était privé.
Tout ce réseau-là était privé.
Donc, je... je réclamais un
réseau public.
DANIEL LESSARD
Je ne sais pas si le parallèle
est bon, mais une sorte de
Gabriel Nadeau-Dubois
de l'époque.
SERGE JOYAL
Oui, d'une certaine façon.
(GABRIEL NADEAU-DUBOIS fait une allocution pendant une manifestation du Printemps érable.)
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Parce que nous sommes par
centaines, des milliers dans la
rue et la grève, la grève, elle
ne se passe pas sur les
plateaux de télévision,
la grève, elle se passe dans la rue.
(SERGE JOYAL commente la comparaison.)
SERGE JOYAL
On revendiquait l'accessibilité,
la gratuité scolaire et
de la même façon, à l'université,
les universités étaient
toutes des universités
religieuses, sous la juridiction
des évêques. Donc, on réclamait
un réseau universitaire laïc.
Et en somme, le fait pour les
laïques de prendre leurs
responsabilités sociales. Donc,
ça dépassait d'une certaine
façon les carrés rouges d'il y
a deux ans. Parce que là, on
était vraiment dans une
transformation sociale globale.
On voulait sortir de l'école.
On voulait sortir du cadre
étroit de l'école. C'était
un mouvement qui allait beaucoup
plus loin, d'une certaine façon,
en termes de transformations
sociales, beaucoup plus large
que les revendications
étudiantes du Printemps érable.
(DANIEL LESSARD et SERGE JOYAL sont devant un portrait d'un homme d'une autre époque, )
DANIEL LESSARD
Serge Joyal, qui est-ce? Et
pourquoi il vous passionne?
SERGE JOYAL
Alors c'est le portrait d'Henri III.
Un roi mal aimé de la France,
un des rois maudits,
d'une certaine façon, parce que
ç'a été le roi pendant les
guerres de religion.
Entre la période faste de
François 1er, qui a commissionné
Jacques Cartier pour évidemment
venir explorer le Saint-Laurent,
et Samuel de Champlain,
qui lui évidemment,
a été commissionné par Henri IV.
C'est un roi qui préside
aux destinées de la France,
au moment où les guerres
de religion sont les plus sanglantes.
Les gens se tuent à coups d'épée.
Et par ailleurs, il avait gardé
une préoccupation pour le Canada.
Il a financé trois expéditions
et c'est un roi que les historiens
canadiens français du XIXe siècle
ont complètement ignoré
parce que c'est un roi
qui avait une mauvaise réputation.
Il passait pour être homosexuel,
euh... il était dévoyé, il... il était
indécis. On lui donnait à peu
près tous les mauvais épithètes
qu'on pouvait attribuer à un
souverain. C'est le portrait qui
me faisait le plus plaisir
d'offrir pour orner le Salon de
la francophonie, où sont tous
les souverains de France,
parce que ça remplit un trou
de 50 ans dans l'histoire...
qui correspondait pas
à la version que les historiens,
au XIXe siècle, voulaient donner
du Canada, que le Canada,
évidemment, avait été pensé par
Dieu, une aventure religieuse,
etc. Alors que ce roi,
évidemment, ne correspondait
pas du tout au prototype du
souverain pieux et aux valeurs
qu'on voulait que le Canada,
évidemment, incarne. Mais je
crois que c'est faire droit à
l'histoire d'avoir son portrait
ici à côté de celui de François
1er et d'Henri IV, parce que
c'est un roi qui a assuré la
continuité de la présence
française. Si lui n'avait pas
fait ce qu'il a fait, le Canada
aurait été probablement
britannique déjà à ce moment-là.
Ou aurait pu devenir américain
aussi. Alors, quel aurait été
le sort du Canada? On le sait
pas. Mais on sait cependant que,
grâce à lui, le Canada est
demeuré une possession française
qui a permis par la suite,
évidemment, l'établissement des
colonies et le développement du
Canada qu'on a connu.
[DANIEL LESSARD:] Merci.
Monsieur Joyal, abordons tout le
volet politique très important
de votre carrière. Ce qu'on
doit savoir d'abord, c'est que
vous êtes avocat et que être
avocat, c'est souvent un très
bon tremplin pour faire de la
politique. Enfin, ça l'était à
l'époque, ça l'a été dans
votre cas.
SERGE JOYAL
Euh... j'ai pas fait le droit
essentiellement pour aller en
politique. J'ai fait le droit
avec des études supérieures en
droit public. Alors j'étais pas
qu'un simple avocat.
Je m'excuse pour les avocats
qui sont de simples avocats.
Je ne veux pas les déconsidérer.
Mais ce qui m'apparaissait important,
et mes parents étaient tout à fait
d'accord avec ça, ma mère
m'avait dit: « Tant que tu voudras
étudier, on paiera et puis
on t'appuiera. » Et évidemment,
après les études de
licence en droit à
l'Université de Montréal, moi,
j'étais de l'époque où des études,
fallait que ça soit,
bien sûr au Canada,
mais aussi à l'étranger.
On était de cette opinion-là.
Il fallait compléter, en somme,
son... sa formation avec un...
des études aux États-Unis
ou en France ou en Angleterre.
Alors puisque j'avais eu une
expérience de la vie publique
comme chef étudiant et ça
m'apparaissait important de
comprendre la substance
de ce qu'est, en somme,
le droit public. Donc j'ai fait une
maîtrise de droit administratif
et puis ensuite, j'ai fait un diplôme
d'études supérieures, en
Angleterre. Ensuite, un diplôme
d'études supérieures en droit
comparé en France et puis une
scolarité de maîtrise,
en droit constitutionnel,
au London School.
J'ai vécu pendant deux
ans et demi, en somme,
en Angleterre et en France,
mais c'est pour vous dire,
qu'à cette époque-là, c'était...
si vous voulez, la société
de tous les possibles.
On était une société
qui était... évidemment, on
vivait le « flower power »,
le « peace and love » :
une société idéaliste.
On avait... tout était possible,
on pouvait rêver de
n'importe quoi.
DANIEL LESSARD
Vous êtes arrivé en politique
en 74.
[SERGE JOYAL:] En 74.
DANIEL LESSARD
Vous avez été élu en 74 pour
la première fois, mais avant,
vous aviez travaillé pour
Jean Marchand et c'est
ce qui vous avait...
SERGE JOYAL
Ç'a été le... ce qu'on appelle
en mauvais français :
le réalité test. Je me suis dit:
« Si j'accepte le poste », que
Jean Marchand m'avait offert;
il était leader du Québec,
c'était le ministre sénior
de M. Trudeau à ce moment-là.
On est dans la première élection
de M. Trudeau,
comme premier ministre;
M. Trudeau avait été élu en 68.
Ça, c'était en 71-72.
Je me suis dit: si je veux faire de la
politique un jour, allons voir
en somme de l'intérieur en
quoi ça consiste et non pas
comme député pour porter les
livres, mais dans l'exercice du
pouvoir. Est-ce que vraiment
l'exercice du pouvoir, ça...
c'est un... est-ce que je peux,
comme on dit, supporter ce
genre de vin-là?
DANIEL LESSARD
Parlez-moi de votre relation
avec Pierre Elliott Trudeau.
On a dit beaucoup de choses
à son sujet que, il se préoccupait
peu des députés, de ses ministres...
c'était comment travailler
avec lui?
SERGE JOYAL
Trudeau, c'était un type qui
était très indépendant d'esprit.
Il se suffisait à lui-même,
d'accord? Il avait sa
propre vie intellectuelle,
il... c'est un homme qui lisait
énormément, c'était un homme
qui s'était défini des valeurs
et une ligne de vie. Et... il
était très fidèle à cette forme
d'engagement personnel. Et...
moi, évidemment, j'étais aussi,
comme je vous l'ai mentionné,
de nature, de caractère,
je suis indépendant de nature.
Même si ça nous marginalise
parfois. C'est sûr que ça nous
marginalise parce que quand on
est indépendant par rapport aux
autres, bien, on déstabilise un
peu les autres. On est le petit
canard noir dans la basse-cour
des canards roses, etc.
Donc, Trudeau avait ce genre de
caractère-là et moi aussi, d'une
certaine façon. On s'est affrontés,
évidemment, dans l'affaire
des Gens de l'air,
comme vous savez.
Je suis allé devant les tribunaux
pour demander une injonction
contre le ministre des Transports
de Trudeau : Otto Lang, à l'époque,
et poursuivre Air Canada et
le reste.
DANIEL LESSARD
Si je me souviens bien, vous
n'étiez pas d'accord non plus
avec sa Loi des mesures de guerre.
SERGE JOYAL
Absolument pas. Je trouvais
qu'il y avait pas de contrepoids
à l'application de la
Loi des mesures de guerre
et ça, je trouvais que c'était...
dans un système démocratique,
faut toujours avoir des contrepoids.
Si on donne tous les pouvoirs,
il faut qu'il y ait quelque part
un... quelque chose pour
contrebalancer ça ou pour
surveiller l'exercice de
ces pouvoirs-là.
DANIEL LESSARD
Mais Trudeau aimait ce genre
de défis-là, qu'on le provoque,
qu'on lui tienne tête?
SERGE JOYAL
Trudeau avait dit à ma mère,
en 78, autour de ça, il n'était
pas d'accord que je me présente
à la mairie de Montréal.
Bon, c'était son idée,
mais je me suis présenté pareil
à la mairie de Montréal.
Et... dans l'année qui a suivi,
y a eu une activité libérale,
mes parents étaient là,
puis ma mère l'a rencontré,
elle dit: « Je suis la mère de
Serge Joyal. » Trudeau
lui a dit: « Ah, Serge Joyal, on
le contrôle pas. »
Y avait ça un peu chez Trudeau
et moi, c'est-à-dire que c'est
un peu, si vous voulez, le
rebelle. Celui qui pouvait lui
demander son opinion,
mais faire le contraire.
[DANIEL LESSARD:] Oui.
SERGE JOYAL
Et nous nous sommes réconciliés,
en 80, lorsque la question
du rapatriement est venue sur le tapis.
Le sénateur Lamontagne, avec qui
j'étais très ami parce que
c'était un... je dirais, un partenaire
de jeu de cartes de M. Marchand,
et donc il a dit à Trudeau:
« Bien si tu veux avoir un député
pour présider le comité
qui va étudier la résolution
constitutionnelle;
le seul vraiment qui connaît
un peu la constitution,
le droit constitutionnel,
c'est Serge Joyal. Puis là,
Trudeau lui a dit: « Es-tu fou?
Joyal, on peut pas se fier à lui.
Il va bousiller le projet. »
J'ai dit à Trudeau: « Moi,
ce que je veux, c'est que l'égalité
linguistique soit garantie
constitutionnellement et
qu'on ait la possibilité d'aller
devant les tribunaux si on
estime que notre droit est lésé. »
Alors, Trudeau m'a dit:
« Laisse-moi consulter le cabinet. »
Parce que je... c'était pas
dans le projet. « Et puis
je te reviens. » Et... deux
semaines après, il m'est revenu
et m'a dit: « Oui, on va le
mettre dans la charte. »
Alors je lui ai serré la main
comme on fait quand
on fait un « deal ». On se
donne la parole que j'allais
le faire et je l'ai fait.
À partir de ce moment-là,
on s'est fait confiance.
DANIEL LESSARD
Monsieur Joyal, vous êtes
sénateur, je veux pas qu'on
s'étende longtemps là-dessus,
mais j'ai deux questions à vous
poser sur le Sénat. Est-ce que
c'est utile et surtout, est-ce
que c'est réformable?
SERGE JOYAL
Oui, les deux. Je crois que
c'est utile. En fait, je crois
tellement que c'est utile que
j'ai choisi le Sénat. Moi, j'ai
toujours vu la politique
comme une occasion de transformer
le milieu, la société dans laquelle
on vit. Et comme je suis capable
de lire un projet de loi,
puis je suis capable d'écrire
un amendement, puis je suis capable
d'expliquer mon amendement.
Et puis je suis capable d'aller
devant un tribunal pour
contester la loi, je l'ai fait
l'an dernier, je mets ma toge
et je vais devant le juge.
J'estimais que le Sénat, c'était
pour mon intérêt professionnel,
personnel, un poste d'influence.
Évidemment, y a tout le...
la caricature dont le Sénat
est affublé. Tout le monde dort,
y a personne qui fait rien,
c'est inutile. Au contraire,
je trouve que c'est... un...
le travail législatif, moi,
me passionne.
Ma première chose quand je suis
arrivé au Sénat, ç'a été
d'écrire un livre sur le Sénat.
Je me suis dit, je vais au moins
expliqué ce qu'est le Sénat
comme moi je le vois. Et j'ai
publié cet ouvrage sur le Sénat
et je me suis toujours appliqué
à... à démontrer comment le
Sénat est efficace dans un
système parlementaire fédéral.
DANIEL LESSARD
Monsieur Joyal, vous avez
plusieurs passions. Une pour
Napoléon. Pourquoi?
SERGE JOYAL
Parce que je... j'ai été ami
de Ben Weider, qui était
probablement le plus grand
collectionneur canadien, je
dirais même nord-américain
d'objets reliés à Napoléon.
Fasciné par le personnage de
Napoléon, préoccupé de
résoudre le mystère de la mort
de Napoléon. Il soutenait que
Napoléon avait été empoisonné
à Sainte-Hélène et quand il est
devenu âgé, M. Weider m'a dit:
« Qu'est-ce que je fais avec
toute ma collection? » J'ai dit:
« Écoutez, on va donner ça au
Musée des beaux-arts de Montréal,
on va ouvrir des salles Napoléon
et puis les gens vont être
intéressés par ça. »
Et quand M. Weider est décédé,
après avoir fait son don au
Musée des beaux-arts, le Musée
des beaux-arts m'a demandé de
faire une conférence pour
expliquer l'origine de l'intérêt
de M. Weider pour Napoléon.
DANIEL LESSARD
Vous avez... et ça, c'est
exceptionnel, un foulard qui...
SERGE JOYAL
Un mouchoir.
DANIEL LESSARD
Un mouchoir qui a appartenu
à Napoléon. Où est-ce que vous
avez pris ça?
SERGE JOYAL
J'ai acheté ça dans une vente
aux enchères aux États-Unis et,
évidemment, on ne peut pas se
tromper sur l'identité du
mouchoir parce que il a tous
les symboles impériaux. D'abord,
il y a l'aigle dans le coin et
l'abeille. L'abeille étant le symbole
de Napoléon comme la fleur de lys
est le symbole de la monarchie
française. On le voit dans
le salon ici, qui est le
Salon de la francophonie.
Et évidemment, il y a le manteau
impérial brodé d'abeilles, la
couronne impériale et le M
évidemment de Majesté. Alors
c'est un mouchoir qui réunit
sur un carré d'à peu près,
enfin, 20 centimètres par 20
centimètres, tous les symboles
impériaux et je trouve ça assez
émouvant de tenir un objet
comme ça parce que y a un sens...
y a un sens à un objet comme ça.
Et d'une certaine façon,
quand on tient un objet
comme ça, c'est un peu
comme si on se
rapprochait de l'événement.
(Dans un court extrait, JEAN CHAREST remet une décoration à SERGE JOYAL pour sa contribution.)
JEAN CHAREST
Serge Joyal, avec les compliments
du peuple québécois,
j'ai l'honneur de vous décorer
de l'insigne d'officier de
l'Ordre national du Québec.
(DANIEL LESSARD aborde un dernier volet de la vie de SERGE JOYAL.)
DANIEL LESSARD
Monsieur Joyal, je peux pas
passer à côté, vous êtes un
collectionneur, probablement le
plus important ou le plus grand
au Canada, je sais pas si je
peux dire ça, qu'est-ce que
vous collectionnez?
SERGE JOYAL
Je collectionne ce qui stimule
mon intelligence, c'est-à-dire,
ce qui stimule ma réflexion et
ce que les gens ne voient pas.
DANIEL LESSARD
C'est-à-dire?
SERGE JOYAL
J'ai commencé à collectionner
les choses que... à l'époque,
dans les années 60, on... on
envoyait à la casse ou à la
poubelle. Parce que j'avais pas
beaucoup d'argent, alors on
achète ce que les gens
veulent pas.
DANIEL LESSARD
Comme quoi par exemple?
SERGE JOYAL
Ça coûte pas cher.
DANIEL LESSARD
Ce qu'on appelait des antiquités,
à l'époque, des vieilles chaises,
des vieux meubles, des...
SERGE JOYAL
Oui, parce que, comme vous
savez, on vivait dans une époque,
c'était la Révolution tranquille,
les familles éclataient,
donc les albums de photos
de famille, tout ça, ça
s'en allait, les cadeaux de
mariage de la grand-mère, ça
prenait le bord, etc. Et puis
les vêtements, évidemment, on
touchait pas à ça parce que si
les gens les ont portés,
alors on avait toujours un peu
dédain de ça. Et puis, évidemment,
comme on vidait les églises,
c'était l'époque de Vatican II
avec Jean XXIII alors l'église
devait se défaire de tout ce
qui était triomphaliste, de
tout ce qui avait l'air riche.
Et moi, je voyais ça partout et
je me disais, bien là, y a des
choses là-dedans qui sont
importantes. C'est sûr que
parmi tout ce qu'on vidait
dans les églises, y avait des
bondieuseries, c'est-à-dire y
avait des choses qui n'avaient
aucun intérêt, tout ce qui
était industriel avait aucun
intérêt, mais ce qui avait été
sculpté par les premiers
artisans au XVIIIe siècle, au
XIXe siècle, la tradition
d'orfèvrerie, tous les grands
orfèvres qu'on avait eus
à Montréal, à Québec,
tout ça prenait le bord
avec les choses industrielles
qui n'avaient aucun intérêt.
Alors... et moi, je trouvais
qu'il y avait une chose... y
avait une certaine forme de
renonciation à soi là-dedans.
Et puis, moi, je crois qu'il
faut toujours s'assumer.
On est ce qu'on est, on est
comme on a été puis
comme nos ancêtres ont
été puis on est avec les
limites de notre milieu
également. Et j'estimais qu'il
fallait préserver un certain
nombre d'éléments de référence.
Parce que quand on est dans le
débat public, faut avoir des
références. On peut pas juste
amuser la galerie.
On n'est pas des « stand-up »
comiques. Je m'excuse.
Malgré ce que parfois
on peut penser, quand on est
dans la vie publique, c'est
parce qu'on défend des valeurs.
Donc, collectionner, ça me
permettait d'affirmer d'une
certaine façon des valeurs de
substances et d'enracinement
auxquelles je croyais.
DANIEL LESSARD
Vous avez donné des milliers
et des milliers d'oeuvres d'art
et d'artefacts à des musées,
donnez-moi des exemples.
[SERGE JOYAL:] Bien...
[DANIEL LESSARD:] Des costumes.
SERGE JOYAL
3500 costumes au Musée de la
civilisation à Québec.
DANIEL LESSARD
Des costumes de quelle époque?
[SERGE JOYAL:] De 1800 à 1925.
[DANIEL LESSARD:] Québécois, canadiens?
SERGE JOYAL
Canadiens. C'est devenu le noyau
du département du costume
et c'est devenu la référence
incontournable de toutes les
écoles de mode au Québec. Que
j'ai ramassé beaucoup dans des
poubelles, je m'excuse de vous
le dire.
DANIEL LESSARD
Ah oui?
SERGE JOYAL
Bien oui parce que quand les
successions s'ouvraient ou les
gens déménageaient,
ils prenaient les objets
qu'ils voulaient garder
puis le reste, c'était pour...
on appelle le « Guénillou »,
puis ils viennent chercher ça.
On envoie ça au recyclage.
Alors j'achetais ça par boîte,
je ne savais même
pas ce qu'il y avait, je ne
savais même pas combien...
combien en tout la collection
en comprenait et c'est quand ils
ont fait l'inventaire,
après le don en 87.
Ça fait quand même un certain
temps de ça. J'ai donné au
Musée d'histoire 1000 artefacts
reliés à la vie politique et à
l'identité canadienne. Y en a
encore 1000 à leur donner. J'ai
donné des milliers d'objets au
Musée des beaux-arts de Montréal,
au Musée d'art de Joliette,
des oeuvres d'art, des tableaux,
des sculptures, de l'orfèvrerie,
enfin, toutes sortes d'objets
qu'on peut voir dans le musée.
Et j'estimais que c'était important
pour nous, les Canadiens français,
de ne pas se renoncer.
C'est-à-dire de ne pas se
lessiver ou se javelliser au
point où on n'a plus de racines
parce qu'on veut être moderne.
Moi, je crois pas qu'on est moderne,
tombé du ciel. On est moderne
dans la mesure où on est capable
de se juger par rapport
à ce qu'on a été.
DANIEL LESSARD
Y a un passé qui nous a
amenés là.
SERGE JOYAL
Y a un passé qui nous amène
là et le passé, d'une certaine
façon, nous donne une certaine
ligne de direction.
DANIEL LESSARD
C'était passionnant. Serge Joyal,
merci mille fois.
[SERGE JOYAL:] Merci.
(Générique de fermeture)
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