Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin and Daniel Lessard meet exceptional francophones from throughout Canada and beyond. Discover politicians, artists, entrepreneurs and scientists whose extraordinary stories are worth telling.


Video transcript
Clint Bruce: Centre Acadien Director
Clint Bruce is a professor at Nova Scotia´s Université Sainte-Anne, where he is also the head of the Centre acadien.
He is, however, not Acadian. In fact, he is an Anglophone from Louisiana who fell in love with French when he was just a teenager.
He has lived in several places with French-speaking communities in North America, including Quebec, Maine, Nova Scotia, New Brunswick and, of course, Louisiana.
He is highly critical in his look at French-speaking Acadia and Louisiana.
Réalisateur: Joanne Belluco
Production year: 2015
video_transcript_title-en
Titre :
Carte de visite
Plusieurs images d'édifices de la municipalité de Pointe-de-l'Église, NE défilent pendant que l'animatrice, GISÈLE QUENNEVILLE fait la présentation biographique de CLINT BRUCE, directeur du centre Acadien, à l'Université Sainte-Anne.
GISÈLE QUENNEVILLE (Narratrice)
Il a quitté les bayous ensoleillés
de la Louisiane pour
la fraîcheur du bord de mer
de la Nouvelle-Écosse.
C'est le français qui fait
voyager Clint Bruce. Ce
professeur de la Louisiane s'est
passionné pour le français,
quand il était encore
adolescent.
Ensuite des images de l'intérieur de l'université et de différents documents se succèdent.
GISÈLE QUENNEVILLE (Narratrice)
Depuis, il partage ses
connaissances avec d'autres
dans des universités du Canada
et des États-Unis. Dernièrement,
Clint Bruce s'est installé
à l'Université Sainte-Anne,
endroit idéal pour échanger
sur des traditions acadiennes
du nord et du sud du continent.
On voit CLINT BRUCE, debout dans un petit bureau du centre Acadien.
CLINT BRUCE (Narrateur)
Il se tisse des liens entre le Canada
francophone et la Louisiane.
C'est absolument crucial pour
qu'il y ait une Louisiane
francophone au XXIe siècle.
GISÈLE QUENNEVILLE ET CLINT BRUCE sont assis dans un auditorium.
GISÈLE QUENNEVILLE
Clint Bruce, bonjour.
CLINT BRUCE
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Clint Bruce, qu'est-ce que
vous faites en Nouvelle-Écosse?
CLINT BRUCE
En Nouvelle-Écosse, je
travaille ici à l'Université
Sainte-Anne. Je suis le
directeur du Centre acadien,
un centre de recherche et
d'archives, et j'enseigne
des cours au Département
des sciences humaines. Voilà.
GISÈLE QUENNEVILLE
Un grand rêve pour vous
de vivre en Nouvelle-Écosse?
CLINT BRUCE
Oui. Je suis venu ici une
première fois à l'âge de 18 ans
de la Louisiane. J'ai fait un
stage au journal français de
la province, Le Courrier de la
Nouvelle-Écosse, j'avais suivi
des cours ici, à l'Université
Sainte-Anne, et oui, je pense que s'il
y a dix ans, on m'avait dit: "Ah
bien, tiens, en 2015, tu seras à
l'Université Sainte-Anne en
Nouvelle-Écosse",
j'aurais dit tant mieux.
GISÈLE QUENNEVILLE
Maintenant, vous êtes
Louisianais, mais vous n'êtes
pas Cadien en tant que tel.
CLINT BRUCE
Non.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous venez d'une autre région
de la Louisiane. Quelle région?
CLINT BRUCE
Moi, je suis originaire du
nord-ouest de l'État. C'est une
ville qui s'appelle Shreveport,
c'est une des grandes villes de
la Louisiane, d'une famille
de tradition anglophone. J'ai
appris le français à l'école.
Je suis devenu francophone
louisianais pendant mon
adolescence, de langue et de
coeur, et donc, c'est comme
ça que ça a commencé.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce qu'il y a du
français à Shreveport?
CLINT BRUCE
Oui, il y a du français.
C'est-à-dire qu'on peut croiser
des gens. Il y a des Européens
qui sont installés là pour
travailler à l'hôpital ou dans
l'industrie. Puis il y a des
Cadiens et créoles qui ont pu
s'installer à Shreveport.
J'en ai connu, j'en ai connu
plusieurs.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais vous, il y a pas de
francophones dans votre famille.
Vous n'êtes pas de descendance
cadienne, créole ou française.
Pas du tout.
CLINT BRUCE
Non. Enfin, peut-être une
lointaine ascendance. J'ai un
grand-père qui était originaire
du lac Charles, dans le sud-
ouest de l'État, qui est mort
avant ma naissance, plusieurs
années avant ma naissance. Il
jouait de la guitare et il
aimait beaucoup la musique
cadienne. Et il se faisait
traiter de "coonass" à
Shreveport, probablement parce
qu'il avait un accent du sud de
la Louisiane. Et j'ai demandé à
ma grand-mère. Il n'était pas
francophone, mais j'imagine
qu'il jouait de musique cadienne
avec des amis. Donc, il devait
comprendre un petit peu, mais
c'est pas vraiment de famille.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est une chose d'aimer
le français. C'est une autre, je
pense, de consacrer sa vie à la
langue française. Quel a été le
déclic pour vous? À quel moment
est-ce que vous vous êtes dit:
Moi, je tombe amoureux
de cette langue?
CLINT BRUCE
Hum... Bien, comme pour
beaucoup de jeunes et beaucoup
d'adolescents, on cherche un
talent, on cherche quelque chose
qu'on fait bien, pour laquelle
on a une aptitude. Et plus
jeune, j'avais pas eu la chance
d'étudier une autre langue. Je
suis entré, par la suite, dans
une école secondaire magnifique
à Shreveport et on avait des
professeurs venus... Deux
femmes d'origine belge grâce
au CODOFIL, donc le Conseil pour
le développement du français en
Louisiane, qui plaçait des
coopérants à la grandeur de
l'État. Et donc, j'ai eu des
professeurs magnifiques. Et vers
l'âge de 15 ans, je parlais
convenablement avec des
étudiants d'échange français, et
puis à 16 ans, je m'entraînais
avec des Cadiens.
Bien voilà, donc...
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais est-ce qu'on peut
vraiment apprendre une langue
comme ça sans vraiment la vivre,
juste en ayant des conversations
de coin de table, par
exemple, avec quelqu'un?
CLINT BRUCE
En fait, c'est quelque chose
que je dis à mes étudiants.
Quand on aime quelque chose,
on passe du temps avec. Quand on
aime quelqu'un, on veut passer
du temps avec cette personne,
hein. Donc, c'est sûr que c'est
la lecture de chevet, ça a déjà
été les dictionnaires ou les
guides de conjugaison ou la
poésie. Donc, non, quand quelque
chose devient ta passion, tu y
consacres beaucoup de temps. Et
ça, c'était très vite. C'était
beaucoup plus que la langue.
C'est les chansons de la
Louisiane, c'était la poésie de
Jean Arsenault, Barry Ancelet,
des Zachary Richard. Et plus
tard, littérature créole du XIXe
siècle, à laquelle j'ai
consacré beaucoup d'effort.
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors, vous avez appris le
français, ou vous avez eu le
goût du français, au chevet
de coopérantes belges dans votre
adolescence. Mais vos références
culturelles semblent être très
louisianaises, très cadiennes.
Alors, comment est-ce que
vous réconciliez les deux?
CLINT BRUCE
Je dirais, aujourd'hui, c'est
peut-être depuis les années 80.
Donc, c'est un long aujourd'hui.
On est obligé de le faire,
c'est-à-dire qu'étant
Louisianais, quand on s'intéresse
au fait francophone, il n'y
a pas que du local, et ça, c'est
plus le cas depuis le début
des années 70. Donc, si on va
apprendre en contexte scolaire
on a affaire à des étrangers, ce
qui est une bonne chose parce
que ça nous ouvre des horizons.
Et aussi, bien, je pense que
c'est la même chose pour
toute la francophonie.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais est-ce que c'était plus
facile pour vous, sachant que
vous aviez des références
culturelles chez vous,
dans votre État?
CLINT BRUCE
Oui. L'exemple que je donne...
En fait, c'était une autre façon
d'être sudiste et une façon,
à quelques égards, moins
problématique au vu de
l'histoire, de la question
des races, tout cela.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez enseigné au Canada,
vous avez enseigné dans
différents endroits des
États-Unis. Est-ce que vous avez
jamais eu l'occasion de vivre
pleinement en français? Ou
est-ce que vous avez
toujours été minoritaire?
CLINT BRUCE
J'ai vécu une année à Moncton,
tout de suite après mes études
de premier cycle. C'est une
communauté minoritaire et
pourtant, je ne connais à peu
près que des francophones. Et
donc, toute ma vie là-bas était
en français. J'ai habité une
année à Montréal, 2010-2011.
Donc, oui, oui, à
plusieurs reprises.
GISÈLE QUENNEVILLE
Être Louisianais au Canada, je
pense que c'est considéré comme
étant quelque chose d'assez
exotique. Est-ce que les
gens vous posent beaucoup de
questions sur votre fait
d'être Louisianais?
Des images de Lafayette défilent pendant la conversations.
CLINT BRUCE
Oui, absolument.
GISÈLE QUENNEVILLE
Qu'est-ce qu'on veut savoir?
CLINT BRUCE (Narrateur)
Les Canadiens aiment la
Louisiane et ils ont aussi
beaucoup d'idées sur la
Louisiane qui sont venues des
médias. Certaines sont très
justes, d'autres sont
des idées reçues.
GISÈLE QUENNEVILLE (Narratrice)
Alors, quelles sont les idées
justes et quelles sont les...
CLINT BRUCE (Narrateur)
Bien, les idées justes: il y
fait chaud, hein, qu'on y mange
bien. Et là, je tombe un
peu dans des stéréotypes,
c'est-à-dire des choses qui sont
vraies, comme ça.
(En s'adressant à l'animatrice)
Un passé historique assez
douloureux, mais qui a aussi
contribué à cette culture
qu'on apprécie. Et puis,
des idées fausses, qu'il y
a que des Cadiens qui parlent
français par exemple. Ça,
c'en est absolument une.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais qu'est-ce qu'on vous pose
comme question par
rapport à Louisiane?
CLINT BRUCE
À vrai dire, je pense qu'on ne
pose pas tellement de questions
que de partager ses expériences
ou ses appréciations de la
Louisiane. C'est-à-dire que des
gens qui ont voyagé chez nous
aiment en parler, et moi, j'aime
entendre leurs expériences. En
fait, ça me fait très plaisir de
savoir que des gens aiment venir
visiter mon État adoré. J'aime
qu'il se tisse des liens entre
le Canada francophone et la
Louisiane. C'est absolument
crucial pour qu'il y ait une
Louisiane francophone au
XXIe siècle. C'est à encourager,
c'est à développer, c'est à
chérir, c'est à cultiver, c'est
à nourrir. Ça a été un moment
spécial et marquant pour les
Canadiens. Pour des Acadiens
surtout, mais pas seulement.
Et ça me fait très plaisir de...
Oui, j'aime... En fait, c'est
moi qui finis par poser des
questions très souvent.
On visite un peu le Centre Acadien de l'université Sainte-Anne.
GISÈLE QUENNEVILLE
On est présentement dans le
Centre acadien de l'Université
Sainte-Anne. Qu'est-ce
qu'on retrouve ici?
CLINT BRUCE
On retrouve, d'abord, un
centre de recherche dynamique
qui promeut la recherche qui se
fait à l'Université Sainte-Anne
dans tous les domaines, et
plus spécifiquement en études
acadiennes. Donc, on dispose
de beaucoup de documents sur les
Acadiens de la Nouvelle-Écosse.
GISÈLE QUENNEVILLE (Narratrice)
Alors, vous êtes le directeur
de ce centre? Il y a beaucoup de
gens qui viennent vous voir?
CLINT BRUCE (Narrateur)
De toutes sortes: les gens de
la communauté, on a des conteurs
qui viennent et des musiciens
qui viennent nous consulter.
Des gens de partout, vraiment
partout, pour la recherche
généalogique, des chercheurs,
doctorants, professeurs, oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et vous, qu'est-ce que ça vous
apporte, en fait, en tant que
Louisianais, ici directeur
du Centre Acadien
en Nouvelle-Écosse?
CLINT BRUCE
Pour commencer, on a pas mal
de documents et de livres sur
la Louisiane. D'autre part,
l'Acadie est un peu partout.
Elle est certainement présente
en Louisiane. Et donc, c'est une
grande joie pour moi de mettre
ces ressources à la disposition
des gens qui s'intéressent
à l'Acadie.
On revient à l'entrevue principale dans l'auditorium.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez choisi d'appartenir
à cette francophonie
nord-américaine alors que vous
venez d'une culture majoritaire.
Vous avez choisi la culture
francophone nord-américaine. Ça,
ça doit venir avec son lot
de défis par exemple.
CLINT BRUCE
Alors, je ne sais pas si ça
serait un lot de défis, mais
la découverte de la francophonie
nord-américaine m'a ouvert les
yeux à beaucoup de phénomènes
que j'ignorais au départ. Et je
vais m'expliquer un peu plus
clairement. Je viens de, je suis
originaire, je suis natif d'une
vision du monde qui ne se
questionne pas. C'est-à-dire que
quand on est Américain de
langue anglaise, de tradition
protestante, on a raison et
on peut envahir d'autres pays et
imposer sa vision du monde. On
l'a vu dans les 15 dernières
années. Et donc, on ne se
questionne pas. À la base, on
domine le monde et on le sait,
voilà. Donc, en découvrant la
francophonie louisianaise,
j'ai découvert 1,5 million de
personnes qui avaient bradé leur
langue. Et pour moi, ce
serait absolument impensable.
C'est-à-dire que je vis très
bien l'anglais, je ne vois
pas pourquoi je renoncerais
à l'anglais, et je ne comprenais
pas pourquoi une communauté
renoncerait à sa langue.
Et donc, voilà, c'est devenu une
sorte de quête, qui traverse
ma recherche et qui est en
train d'informer le projet de
recherche que je suis en train
d'élaborer en ce moment sur les
liens transnationaux entre la
Louisiane et les Maritimes.
GISÈLE QUENNEVILLE
Hum-hum. Parlons de ces
liens-là. C'est sûr qu'il y a
beaucoup d'Acadiens qui se sont
retrouvés en Louisiane après le
Grand Dérangement. Aujourd'hui,
toutes ces années plus tard, ces
centaines d'années plus tard,
quelles sont les ressemblances,
les affinités qu'il y a entre
l'Acadie et la Louisiane?
CLINT BRUCE
D'une part, il y a une vraie
affinité entre les gens. Et là,
je pense très particulièrement à
la Nouvelle-Écosse, où viennent
beaucoup de Louisianais, pour
des raisons, disons, de vouloir
découvrir leur passé. Et
également grâce à l'Université
Sainte-Anne qui en accueille,
traditionnellement, un certain
nombre à travers ses programmes
d'immersion de langue française
et qui a été une bouée de
sauvetage pour la Louisiane
francophone. Beaucoup de nos
poètes, enseignants, musiciens
sont venus à Sainte-Anne et ça a
été une expérience marquante
comme chercheur. Pour moi, ça
l'était. Je n'étais pas ici en
immersion, mais j'ai suivi des
cours d'histoire avec Neil
Boucher, j'ai visité, à 18 ans,
le Centre acadien que je dirige
aujourd'hui, et j'ai découvert
une communauté qui avait
affronté un certain nombre
de défis et qui avait trouvé des
solutions. Donc, je pense que,
et là c'est une perspective
peut-être plus de gens
conscientisés à la question
linguistique, je pense que des
Louisianais comme moi, qu'ils
soient Cadiens, créoles ou
qu'ils soient des gens tombés...
des amoureux de la chose, quand
ils viennent ici, ils voient une
possibilité pour la Louisiane
qu'ils ne voient pas au
Nouveau-Brunswick ou au Québec.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est-à-dire?
CLINT BRUCE
C'est-à-dire qu'on a de
petites communautés qui, quand
même, sont obligées de faire un
certain nombre de choses en
anglais, mais qui ont des
institutions et des
établissements et une vie
communautaire en français. C'est
de quoi qui pourrait être,
ou jusqu'à un passé très récent,
aurait pu être réalisable.
Tandis qu'avoir une forme de
dualité, non, ça n'arrivera pas.
Mais avoir une certaine vie
collective en français, sous
certaines contraintes et dans
certains paramètres, je pense
que la manière dont cela a
pu se faire et se fait en
Nouvelle-Écosse, les Louisianais
militants voient une...
peut-être un modèle.
GISÈLE QUENNEVILLE
Hum-hum. Mais qu'est-ce
que vous prendriez de la
Nouvelle-Écosse et que vous
transplanteriez en Louisiane?
Qu'est-ce qui marcherait?
CLINT BRUCE
Bien, d'abord, une chose qui
marcherait, ça serait d'avoir
des vrais médias en langue
française. Je ne pense pas que
ce soit absolument hors de portée.
Il y a même, dans les années 90,
il y avait beaucoup de radios
qui diffusaient en français. Là,
on est rendus à deux à quatre,
deux à cinq. Mais je compte
pas la musique, je veux dire
des gens qui parlent, des
animateurs. D'avoir un blogue
qui diffuse l'actualité en
français, on ne l'a pas.
GISÈLE QUENNEVILLE
Comment décririez-vous l'état
du français en Louisiane
aujourd'hui, en 2015-2016?
CLINT BRUCE
La condition du français est à
la fois bonne et mauvaise. D'une
part, nous sommes en train de
voir disparaître la dernière
génération de francophones
natifs très compétents. Il y a
des gens nés dans les années
60, 70 ou 80 dans certaines
communautés, 90 dans certains
coins, qui ont eu le français
sur les genoux de leurs
grands-parents ou ils l'ont
attrapé dans l'air, chez eux.
Mais la dernière génération de
francophones, des locuteurs très
compétents, est en train de nous
quitter. C'est une ressource
dont il faut absolument profiter
en ce moment, avant qu'il ne
soit trop tard. D'un autre côté,
on a beaucoup d'échanges avec
le Canada et on a une classe
de jeunes et de moins jeunes
qui sont super enthousiastes.
GISÈLE QUENNEVILLE
Bien, justement, il y a
eu cette renaissance du français
avec tous les programmes
de l'État, des programmes
d'immersion, et cetera.
Est-ce que ça marche?
CLINT BRUCE
Je ne suis pas vraiment bien
placé pour le dire. Je vais dire
ce qu'il faut absolument faire,
et ça va avec des questions
qu'on a abordées jusqu'ici.
Il faut avoir un discours
rassembleur et on ne l'a pas. On
a un discours sur les Acadiens
et les Cadiens d'un bord et on a
pas vraiment de discours sur les
"créoles", je vais mettre ça
entre guillemets, de l'autre.
Et pourtant, au XIXe siècle,
la très grande majorité des
francophones louisianais,
quelles qu'étaient leurs
origines, y compris des gens
d'origine acadienne, se
considéraient créoles de
la Louisiane. C'était l'identité
partagée par des Noirs,
par les Blancs, par des gens
de couleur. Et tout le monde se
reconnaissait. Si on n'était pas
immigré de France, d'Europe ou
autochtone, on se reconnaissait
dans cette identité-là.
De nouveau des images de la ville de Lafayette défilent.
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors, qu'est-ce qui s'est passé?
CLINT BRUCE
Ce qui s'est passé, c'était
une rationalisation de cette
identité-là après la Guerre
civile. Créole, ça traverse les
races, donc c'est devenu un
problème. Parce qu'après la
Guerre civile, il a fallu
séparer les races. Et ça, c'est
très bien documenté, des gens
ont caché des choses dans leur
généalogie. Aujourd'hui, quand
on a des débats sur la relation
entre identité cadienne et
identité créole, ça irrite des
sensibilités à fleur de peau et
la colère chez beaucoup de gens.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais on sait qu'aux
États-Unis, la question
raciale est encore très, très
importante. À la lumière de ce
que vous dites, est-ce que
c'est récupérable pour les
francophones de la Louisiane?
CLINT BRUCE
Et d'avoir une identité qui
rassemble tout le monde. Je
pense que oui. Je ne sais pas si
ce sera celle-là. Ce qui est
intéressant pour moi, parce
que je reviens du Grand Réveil
Acadien, c'est que jusqu'à un
certain point, pas assez, mais
jusqu'à un certain point, dans
les milieux et les activités
francophones, on a des pratiques
rassembleuses. Au Grand
Réveil Acadien, des classes
d'immersion, qui viennent
chanter l'Ave Maris Stella,
sont composées de petits Noirs,
de petits Blancs, et souvent
plus de petits Noirs que de
petits Blancs. Hum... Et
pourtant, on a pas de discours
qui explique ça, c'est-à-dire
qui dit à ces jeunes-là pourquoi
ils sont là, pourquoi ils
font partie de cette culture
francophone. Parce que ces
termes sont devenus
problématiques. Alors, pour
beaucoup d'entre eux, leurs
grands-parents ne se seraient
pas dits Afro-américains, par
exemple, ils se seraient dits
créoles, comme des Blancs en
fait. C'est un des grands défis:
c'est d'avoir une identité qui
rassemble tout le monde. Sinon,
on a des individus qui ont
appris le français et qui ont
des parcours individuels, mais
il n'y a pas de collectivité.
GISÈLE QUENNEVILLE
Hum-hum. C'est sûr que la
population francophone de la
Louisiane, c'est petit. Vous
êtes pas très nombreux. Est-ce
que le Canada, le Québec ou la
France a un rôle à jouer dans ce
que deviendront les
francophones de la Louisiane?
CLINT BRUCE
Oui, ça, c'est déjà un fait.
J'ai évoqué, tout à l'heure,
l'importance du programme
d'immersion de l'Université
Sainte-Anne. On est une petite
université ici. C'est incroyable
à quel point ça devient une
sorte de carte de visite, quand
je suis en Louisiane avec
mon t-shirt de l'Université
Sainte-Anne. Ça peut me valoir
une bière dans un bar, des
anecdotes sur les
expériences de quelqu'un.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez de l'espoir pour
l'avenir de cette communauté
francophone?
CLINT BRUCE
Oui, oui, beaucoup. Oui. Comme
je l'ai dit, moi, j'ai le grand
privilège de travailler dans une
institution francophone, dans
une petite, même une très petite
communauté francophone de la
Nouvelle-Écosse. Donc, ça me
donne un autre regard. On
peut voir des outils qui peuvent
marcher, des mécanismes qu'on
peut mettre en place, des
leviers sur lesquels on peut
tirer. Mais en fait, beaucoup de
Louisianais sont passés par ici,
et ça les a conscientisés,
sensibilisés et, à eux aussi
je pense, donné de l'espoir.
Un extrait du film, La nuit des morts vivants de George A. Romero, 1968, est présentée. JOHNNY et BARBARA sont dans un cimetière.
JOHNNY
(Intervention en anglais)
They're coming to
get you, Barbara.
BARBARA
(Intervention en anglais)
Stop it! You're ignorant.
JOHNNY
(Intervention en anglais)
They're coming
for you, Barbara.
BARBARA
(Intervention en anglais)
Stop it. You're
acting like a child.
JOHNNY
(Intervention en anglais)
They're coming for you.
Look, there comes
one of them now.
CLINT BRUCE (Narrateur)
Le cours sur les zombies
s'est rempli tout de
suite dans cette classe de cette
catégorie de cours pour nouveaux
étudiants. La culture populaire
servait souvent de matière
à l'initiation aux études
universitaires.
BARBARA se fait attraper par un zombie.
BARBARA
(Intervention en anglais)
(En criant)
No! Ah! Johnny! Help me!
CLINT BRUCE (Narrateur)
En 1968, c'est à ce moment-là
que « Night of the Living Dead »
est sorti et c'est un film dont
on rit. On rit du titre, mais en
fait, le film a absolument rien
de risible. George Romero, le
réalisateur, je vais vous le
dire, est un génie et il a
trouvé une métaphore de tout
le malaise que vivaient les
États-Uniens à ce moment-là par
rapport à la guerre du Vietnam,
l'assassinat de Martin Luther
King Jr., qui est arrivé à
peu près au même moment. Si
vous avez pas vu le film, le
personnage principal est un
Afro-américain. Et puis,
ensuite, toute sa série de films
tourne autour des grandes
questions qui nous préoccupent.
Et les zombies, c'est toujours
ça. « The Walking Dead », c'est
la hantise d'une société dont
les institutions ne fonctionnent
plus, ont disparu.
On revient à l'entrevue principale entre CLINT BRUCE et GISÈLE QUENNEVILLE.
GISÈLE QUENNEVILLE
Clint, je sais que vous faites
beaucoup de traductions de
différents textes louisianais.
Avant de parler de textes
louisianais, est-ce qu'on peut
commencer avec un mot, et
ça, c'est le mot "cajun". On dit
"cajun" ou on dit "cadien"?
CLINT BRUCE
Bon, en Louisiane, on prononce
"cadjien" et c'est la manière
dont on rend le mot qui
s'écrit "cadien", qui vient de
"acadien". Et le mot "cadien",
et "cadie", était utilisé
au Canada, hein.
Mais surtout après la
déportation. Mais parfois,
on écrivait "la Cadie". Et en
français louisianais, comme en
français acadien, on peut dire
"cadjien" comme on dit "ferme ta
jueule" ou la "jerre", hein. Et
donc, c'est tout simplement ça à
la base. Donc, on écrit et on
écrivait, au XIXe siècle,
dans toutes sortes documents,
"cadien" sans problème, sans
état d'âme. Et parce que des
textes de langue anglaise ont
rendu, on transcrit ce mot-là,
ce que les anglophones
entendaient par "cadjen". Des
fois, ça s'écrivait "C-A-J-A-N",
"C-A-G-A-N". Les français de
l'extérieur, en fait, ont plutôt
pris le mot anglais "cajan"
et ont fait une sorte de
monstruosité, "cajun",
qu'on ne peut pas féminiser,
qui n'a aucun sens, que j'ai jamais
compris pourquoi. Et c'est
devenu le mot anglais qui
est utilisé par les français
d'ailleurs, voilà. Mais en
Louisiane, on dit très bien la
musique "cadjienne", la cuisine
"cadjienne". Il y a pas de
problème. Et si on veut avoir un
registre plus international, on
peut dire "cadien", "cadienne".
GISÈLE QUENNEVILLE
Quelles sont des expressions
louisianaises qu'on
connaît pas, nous?
CLINT BRUCE
Ah! Hum... Bien, quand j'ai
été au Grand Réveil, j'ai
remarqué que mes collègues de
l'Université Sainte-Anne ne
connaissaient pas le mot
"lagniappe" que, pourtant, tous
les Louisianais, même de langue
anglaise, connaissent. C'est...
GISÈLE QUENNEVILLE
Ça veut dire quoi?
J'ai déjà vu ça sur un menu.
CLINT BRUCE
Absolument sur un menu de
restaurant. "lagniappe" ou
"lagnappe" en anglais, c'est
ce que donne le marchand, ou ça
peut être dans un restaurant,
de supplémentaire à ce qui a été
acheté pour fidéliser le
client, voilà. Il y a plusieurs
explications étymologiques:
que ça vient de l'espagnol, que
ça vient de langues autochtones.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et là, vous travaillez sur un
nouveau projet où vous allez
prendre des poèmes écrits en
français à l'époque de la Guerre
civile américaine et vous
allez les traduire en anglais.
Qu'est-ce qu'on pouvait raconter
en français à l'époque de la
Guerre civile américaine
en Louisiane, j'imagine?
CLINT BRUCE
Énormément de choses.
Donc, il faut d'abord savoir
qu'au XIXe siècle, surtout avant
la Guerre civile, mais après,
donc là, on parle des années 1860,
la politique se faisait beaucoup
en français. On avait une presse
en français, nos assemblées
législatives étaient
parfaitement bilingues, il y
avait des traducteurs. Donc,
il y avait toute une sphère
publique en français. Et ce
corpus de poésie provient
d'intellectuels et d'écrivains
de la classe des gens de couleur
de La Nouvelle-Orléans surtout.
C'était un groupe d'hommes
surtout, pas seulement, mais
d'hommes qui, avant la Guerre
civile, avaient connu une
certaine prospérité. Beaucoup
avaient étudié en France, ils
étaient de culture européenne et
aussi de culture antillaise.
Et donc, à l'époque de la Guerre
civile, la Louisiane, et
plus particulièrement La
Nouvelle-Orléans, a été prise
très tôt par l'armée fédérale,
par l'armée du nord. Et donc, La
Nouvelle-Orléans et les régions
environnantes sont devenues un
laboratoire de ce qu'on appelait
la reconstruction. C'était
le programme du gouvernement
fédéral pour créer une société
post-esclavagisme. Et ces gens-là
sont devenus des chefs de file,
et ils ont créé une presse, deux
journaux dans lesquels on trouve
ces poèmes, et ils ont participé
à la vie politique de façon très
importante pendant une dizaine
d'années. Et voilà, leurs
poèmes parlent de ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que vous pensez rentrer
chez vous un jour? Parce que
j'ai l'impression que la
Louisiane a peut-être
besoin de vous.
CLINT BRUCE
J'aimerais rester en
Nouvelle-Écosse, il y a
beaucoup de choses à faire en
Nouvelle-Écosse, et surtout pour
encourager ces échanges. Ça,
c'est en grande partie le rôle
que j'espère avoir ici avec ma
recherche et avec les activités
du Centre acadien. C'est
d'encourager les liens entre les
Maritimes et la Louisiane,
voilà. Je vais dire
que c'est ma mission.
GISÈLE QUENNEVILLE
Eh bien, Clint Bruce, merci
beaucoup. Et bonne chance.
CLINT BRUCE
Merci.
Générique de fermeture
Episodes of Carte de visite
Choose a filtering option by age, fiction or season
-
Category Season
-
Category Documentary
-
Category Report