Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin and Daniel Lessard meet exceptional francophones from throughout Canada and beyond. Discover politicians, artists, entrepreneurs and scientists whose extraordinary stories are worth telling.


Video transcript
Paul Martin: Former PM of Canada
Since he retired from politics, former Canadian PM Paul Martin has been keeping quite busy travelling around the world and meeting some of its greatest inhabitants.
Réalisateur: Joanne Belluco
Production year: 2015
video_transcript_title-en
Générique d'ouverture
Titre :
Carte de visite
Pendant que DANIEL LESSARD présente son invité, PAUL MARTIN, ancien premier ministre du Canada, on montre des images du centre de commerce mondial de Montréal et du bureau de PAUL MARTIN.
DANIEL LESSARD
Depuis
qu'il a quitté la politique,
Paul Martin n'a pas arrêté
une seconde.
L'Afrique, les Autochtones,
le développement international
passionnent l'ancien
Premier ministre du Canada.
Sans oublier, bien sûr,
ses chers libéraux qui viennent
de reprendre le pouvoir.
Il en est très heureux, mais pas
au point de vouloir revenir
en politique à 77 ans.
Il se contente de jouer
les vieux sages, mais pas
les belles-mères.
PAUL MARTIN
Je ne comprends
pas pourquoi quelqu'un veut
devenir premier ministre
à ne rien faire.
On nous présente un extrait d'un discours de JUSTIN TRUDEAU le jour de son élection.
JUSTIN TRUDEAU
Mes amis, nous avons battu la
peur avec l'espoir. Nous avons
battu le cynisme avec le travail
acharné. Nous avons battu la
politique négative avec une
vision rassembleuse et positive.
DANIEL LESSARD interviewe PAUL MARTIN dans le bureau de celui-ci.
DANIEL LESSARD
M. Martin, bonjour.
PAUL MARTIN
Bonjour, M. Lessard.
DANIEL LESSARD
Dites-moi, vous devez être
heureux avec le retour
des libéraux au pouvoir.
PAUL MARTIN
Très heureux. Très. Vraiment,
je pense que ça va être
très différent et beaucoup
plus productif.
DANIEL LESSARD
Vous êtes optimiste, vous êtes
confiant. Les gens se disent:
Ah, nouveau gouvernement,
jeune premier ministre,
pas beaucoup d'expérience...
PAUL MARTIN
Moi, je trouve qu'il y a
énormément de confiance
dans le pays. Écoute...
Et on sent l'optimisme.
On sent l'optimisme.
Et je pense que le premier
ministre Trudeau, et je dois
vous dire aussi, son cabinet,
ils sont très...
DANIEL LESSARD
Une bonne équipe.
PAUL MARTIN
Oui, formidable.
DANIEL LESSARD
Dites-moi, M. Martin,
honnêtement, est-ce qu'il s'est
passé une journée dans votre vie
d'adolescent et d'adulte sans
que vous parliez politique
ou sans que vous pensiez
à la politique?
PAUL MARTIN
Oh oui.
DANIEL LESSARD
Ah oui?
PAUL MARTIN
Ah oui. Mon père était député,
alors je travaillais avec lui,
par exemple, dans ses campagnes.
Mais j'avais pas beaucoup
d'intérêt dans la politique. Et
d'ailleurs, il faut dire que je
l'ai fait beaucoup plus tard
dans la vie. J'avais la
mi-quarantaine avant que j'aie
l'idée de devenir député. Moi,
quand j'étais, par exemple,
teenager à Windsor, sur la
frontière américaine, j'étais
beaucoup plus impliqué dans
toute la question des droits
civils des Afro-Américains.
Je faisais les marches
pour les droits civils
partout au Michigan.
DANIEL LESSARD
Vous étiez un protestataire?
Paul Martin avec une pancarte?
PAUL MARTIN
Oui, oui.
DANIEL LESSARD
C'est difficile à imaginer.
PAUL MARTIN
Bien, c'était ma génération à
Windsor. On était très impliqués
dans la politique, vraiment,
pour appuyer les Afro-Américains
à Détroit et à Michigan.
DANIEL LESSARD
Mais quand on a un père
député, ministre, un ministre
important, il a joué le rôle
extrêmement important dans
l'histoire du Canada, votre
père. La politique sociale,
c'est lui en très grande partie.
On ne peut pas être
très politisé.
PAUL MARTIN
Vous avez entièrement raison.
Mon père a été de loin la plus
grande influence dans ma vie.
C'est tout cet aspect social,
les allocations familiales, la
santé, tout cela. Et lorsqu'il
est devenu le ministre des
Affaires extérieures, j'étais
assez vieux pour aller aux
Nations unies avec lui.
DANIEL LESSARD
C'est difficile de vivre
dans une famille où le père est
politicien, puis un politicien
de premier plan, qui est
souvent absent, j'imagine?
PAUL MARTIN
Oui. Sauf que j'avais une mère
extraordinaire. C'est ma mère
qui tenait la famille ensemble.
Il y a pas de doute. Je dois
énormément à ma mère.
DANIEL LESSARD
Donc, milieu familial stable.
Vous avez fait de bonnes
études. Vous êtes allé, si j'ai
bien compris, en philosophie et
en histoire. C'était quoi l'idée
derrière ça, d'abord, avant
de faire votre droit?
PAUL MARTIN
J'étais pas sûr si je voulais
être avocat. Ça, c'est une
chose. J'ai fait le droit, mais
je l'ai jamais pratiqué. Mais
probablement la philosophie.
C'est parce qu'un jour, j'ai eu
une conversation avec mon
père, mon père a dit: "Fais ta
philosophie, parce que je te
connais, tu liras jamais la
philosophie plus tard." Alors,
j'aimais beaucoup l'histoire,
mais j'ai fait la philosophie
parce que c'est vraiment
le domaine que je ne connaissais
pas. Et je dois vous dire
que lorsque je vieillis,
ça m'intéresse beaucoup plus.
DANIEL LESSARD
Oui. Le droit, c'était quoi?
Vous vouliez devenir avocat?
PAUL MARTIN
Non, pas vraiment. Je savais
pas quoi faire. Et...
DANIEL LESSARD
Vous étiez pas le seul.
Beaucoup de gens,
à cette époque-là...
PAUL MARTIN
Oui. Tout le monde me disait,
avec raison, que c'était la
meilleure formation. Et une fois
que j'étais diplômé en droit,
j'ai rencontré Maurice Strong,
qui est un autre qui m'a
beaucoup influencé. C'est un des
grands environnementalistes de
notre pays. Mais aussi, Maurice
Strong est devenu, après
avoir été président de Power
Corporation, le président de
l'ACDI, c'est le développement.
Et on s'est rencontrés
après que j'aie eu mon...
J'étais membre du barreau
de l'Ontario. Puis Maurice
Strong m'a demandé: "Qu'est-ce
que vous avez l'intention de
faire?" Je lui ai dit: "Je
m'en vais en Afrique." Et il m'a
regardé, puis il dit: "Ah oui,
vous avez entièrement raison.
C'est ça qu'ils ont besoin
en Afrique, c'est un autre jeune
avocat." Mais là, qu'est-ce que
je fais? Puis il dit: "Vas-y
en affaires. Apprends donc les
affaires. Puis après ça, tu
pourras aller en Afrique."
Et il m'a offert la job pour
apprendre. Et... Je dois
vous dire aussi, il m'offrait
un emploi à Montréal. Et c'était
dans le temps de la Révolution
tranquille et... Ça
m'intéressait énormément. Pour
moi, la Révolution tranquille
a été un des mouvements les plus
importants du Canada. Et je
voulais y participer. Alors...
DANIEL LESSARD
Après Duplessis
puis Jean Lesage...
PAUL MARTIN
C'était Jean Lesage. Alors, je
suis venu à Montréal à cause
de cela. Mais ce qui est arrivé,
c'est que je suis venu pour
travailler pour Maurice Strong,
mais Maurice Strong a
démissionné pour aller ailleurs.
Et moi, j'ai fait la campagne
au leadership de mon père. C'est
dans le temps de Pierre Trudeau.
DANIEL LESSARD
En 1968, hum-hum.
PAUL MARTIN
Oui. Quand je suis revenu,
j'avais travaillé un an à Power
Corporation. Paul Desmarais m'a
demandé: "Qu'est-ce que tu veux
faire chez nous?" J'ai dit:
"Je veux démissionner. Je vais
partir en affaires pour
moi-même." Il dit: "Reste,
et tu partiras plus tard."
Je suis resté pendant quoi?
Tu sais... 13 à 15 ans. Et
la raison, c'est que... On parle
des influences sur la vie de
quelqu'un. Paul Desmarais,
comme Maurice Strong, comme mon
père, a été une des grandes
influences. Paul Desmarais est
un homme d'énorme intégrité
et il avait une vision
économique globale.
DANIEL LESSARD
Canada Steamship Lines. Vous
vous êtes levé un matin et vous
vous êtes dit: Moi, je m'achète
des bateaux, ou ça a été
plus compliqué que ça?
PAUL MARTIN
Canada Steamship Lines, ça
appartenait à Power Corp.
Et à l'âge de 33 ans, Paul
Desmarais vient me voir un jour
et il dit: "Tu vas devenir
président. Tu vas être le
président de Canada Steamship
Lines." Une des grandes
compagnies dans le domaine, mais
qui avait des problèmes. Et moi,
j'avais passé pas mal de temps
dans des compagnies qui avaient
des problèmes chez Power Corp.
Alors, il dit: "Là, tu t'en
vas à Canada Steamship Lines."
J'étais le président, nommé
en 1973, et après sept,
huit ans plus tard, 1981, Paul
Desmarais est venu me voir,
il dit: "T'es-tu le président
de Power Corp? Je veux le
vendre. Parce que je songe
À l'acquisition de Canadian
Pacific Railway."
Puis il y a une compétition
entre les deux compagnies.
Alors, il dit: "Je veux que tu
vendes la compagnie." Alors,
moi, je lui ai dit: "Je veux pas
le vendre. Je vais l'acheter."
Alors, il m'a dit: "Mais t'as
pas assez d'argent." J'ai
dit: "Je vais me trouver un
partenaire." Il dit: "Alors, je
vais faire un arrangement. Ça va
être une négociation très dure,
puis je veux pas que tu cherches
15 partenaires puis que tu
gâches toute l'affaire.
Tu me nommes ton partenaire
potentiel tout de suite.
Si t'es capable de faire
un deal avec lui puis que t'es
capable de me faire une offre
convenable, on va te le vendre."
J'avais un ami qui était le
président, le propriétaire de la
plus grande compagnie maritime
au Canada, Lawrence Pathy.
Alors, je lui ai dit son nom.
Puis il a dit: "OK. On va voir
si t'es capable d'avoir un
partenaire." J'ai traversé la
rue, parce que sa compagnie
était de l'autre côté. J'ai
songé au deal que je
voudrais faire. Je rentre,
je vais le voir, je dis: "On va
acheter la compagnie ensemble",
À Larry Pathy. Il dit: "Très
bien." Et je suis retourné une
semaine plus tard, parce qu'il
fallait parler à la banque
puis emprunter l'argent.
J'ai fait l'offre.
Paul Desmarais l'a refusée.
On a commencé trois mois de
négociation, puis après trois
mois, on a acheté la compagnie
moi et mon partenaire.
Et après ça, six ans plus tard,
j'ai acheté les parts
de mon partenaire.
DANIEL LESSARD
Ça a été un grand succès.
PAUL MARTIN
Ça a été un succès. On a
emprunté beaucoup d'argent,
au-delà... C'était vraiment
le plus... je pense, l'achat
par management le plus important
dans l'histoire du Canada
dans le temps. On a emprunté
180 millions, je pense.
DANIEL LESSARD
Ah, bien oui...
PAUL MARTIN
Oui, oui. Mais ça marche.
DANIEL LESSARD
Et on dort bien quand
on emprunte 180 millions?
PAUL MARTIN
Lorsqu'on est jeune, oui.
DANIEL LESSARD rit.
On nous montre des images d'un morceau du mur de Berlin au centre de commerce mondial de Montréal.
PAUL MARTIN (Narrateur)
Le morceau du mur de Berlin,
à côté de nous, j'étais jeune
député quand le mur est tombé.
Mais ce que ça me rappelle,
c'est que cinq, six ans plus
tôt, j'avais été à Berlin,
et j'ai demandé: "Est-ce que
c'est possible de passer par
Checkpoint Charlie pour
entrer dans Berlin-Est?"
Puis, ils ont dit oui. Alors,
j'ai passé tout un matin et
toute une après-midi à marcher
dans les rues de Berlin-Est.
Et j'avais travaillé dans une
shop d'acier lorsque j'étais
jeune avocat, avec des jeunes
Allemands, dont un grand ami qui
était de là. Et il m'a parlé
du désespoir de la population.
Et je marchais dans les rues,
c'était bien avant que le mur
tombe, et j'ai vu ce désespoir.
Je me dis que ce n'est pas
croyable qu'on peut tenir un
peuple en prison comme cela.
Et quand le mur est tombé, je
pensais à mon ami puis je
pensais à toutes ces personnes
que j'avais vues. Et je me
disais: Hé, le monde vient de
changer de façon fondamentale.
On nous présente un extrait d'un discours de PAUL MARTIN à la Chambre des communes en 2001.
PAUL MARTIN
Voilà le résultat de notre
approche prudente. Voilà le
résultat de la ténacité des
Canadiens et les Canadiennes,
car une économie n'est pas une
simple question de statistiques
ou de graphiques. Non, c'est la
mesure du travail, des efforts
de tous et de chacun. Parfois,
il faut du courage devant
l'adversité, du sang
froid devant le défi.
Mais toujours, les Canadiens
et les Canadiennes ont manifesté
cette force. Et voilà pourquoi
nous regardons vers demain
avec confiance.
L'entrevue avec DANIEL LESSARD se poursuit.
DANIEL LESSARD
M. Martin, en 1988, vous
devenez député de LaSalle-Émard,
vous êtes... Mulroney a été là
jusqu'en 1993, cinq ans dans
l'opposition. C'était le fun?
PAUL MARTIN
Oui, c'était le fun.
Honnêtement,
j'ai aimé l'opposition parce que
pour moi, c'était le temps
d'apprendre. Et d'ailleurs, je
suis très content parce que...
Il y a beaucoup à apprendre en
politique. Écoute, c'est un
métier, et puis c'est un métier
qui est très honorable,
mais il y a ses règles,
puis il faut les apprendre.
DANIEL LESSARD
Oui. Donc, vous êtes au
gouvernement en 1993 avec Jean
Chrétien. On vous nomme ministre
des Finances. À cette époque-là,
je me souviens avoir fait un
reportage où on disait, des gens
aux États-Unis disaient: "Le
Canada est en faillite, presque
en banqueroute. C'est presque
devenu une république de
banane." Est-ce que c'était
si épouvantable que ça
après les années Mulroney?
PAUL MARTIN
Absolument.
C'est que le Canada avait
le pire ratio de dettes, le pire
déficit de tous les pays du G7,
sauf l'Italie. Et moi, ce qui
me faisait le plus peur,
c'est que périodiquement, il y a
des crises internationales
et qu'on aurait une crise
internationale avec nos taux
d'intérêt où ils étaient,
et on payait 36 cents sur chaque
dollar, simplement en service de
la dette. Si les taux d'intérêt
montaient, on était la Grèce.
Alors, ce qui m'inquiétait de
plus, c'est qu'il fallait régler
ce problème-là. Et d'ailleurs,
c'est ça qu'on a fait
avec le budget de 1995.
DANIEL LESSARD
Et ministre des Finances
dans un contexte comme
celui-là, c'est quasiment
un cadeau empoisonné?
PAUL MARTIN
Non. Je pense--
DANIEL LESSARD
Ça ne vous faisait pas peur?
PAUL MARTIN
Mais c'est-à-dire, je pensais
peut-être. Si vous êtes en
politique, il faut faire votre
job. Et pour moi, c'était
vraiment de sortir de la crise
potentielle. Deux mois avant que
je présente le budget de 1995
qui a réglé la question du
déficit, il y a eu la crise
mexicaine. Nos taux d'intérêt
ont commencé à monter. Avec
notre budget, on a réglé le
problème un petit peu. Ça a créé
une confiance dans les marchés.
Mais quand même. Et il faut
dire que deux ans plus
tard, après ce qu'on avait
réglé, au moins, on avait créé
un sentiment de confiance
dans le Canada. On a eu la crise
asiatique. Si on n'avait pas
réglé la question comme on l'a
fait, comme je vous ai dit,
le Canada aurait été la Grèce.
DANIEL LESSARD
Les provinces vous en ont
voulu beaucoup en disant:
"Ah, M. Martin, il a fait des
merveilles à Ottawa, mais il en
a pelleté pas mal dans notre
cour, a créé une espèce
de déséquilibre fiscal."
Vous répondez quoi à ça?
PAUL MARTIN
Les provinces faisaient
la même chose, parce que c'était
pas seulement le fédéral qui
avait des problèmes, et on a
travaillé très bien. Écoute,
j'ai expliqué à mes collègues
des provinces, les ministres des
Finances, et ils comprenaient.
Et la preuve, c'est qu'un après
le gros budget, où on a fait ces
coupures-là, mes officiers sont
venus me voir pour dire: "Là,
on a le problème du fonds de
pension du Canada." Et le fonds
de pension du Canada a un niveau
d'endettement plus grand que
la dette nationale. Mais c'est
un programme provincial fédéral.
Alors, j'ai téléphoné à chacun
de mes collègues aux provinces.
J'ai dit: "Écoute, on a passé
une période assez
rough, mais
là, il faut régler la question
du fonds de pension. Il faut
travailler ensemble."
Il n'y en a pas un qui a refusé.
Il n'y en a pas un qui a refusé.
Ils ont dit: "Oui, on va
travailler ensemble." Alors,
honnêtement, on est capables
de travailler ensemble, même
si on fait des choses qui sont
tough, s'ils les comprennent.
Et je leur ai promis que le jour
qu'on efface le déficit,
c'est le jour qu'on commence
à réinvestir dans les provinces,
et j'ai tenu parole.
DANIEL LESSARD
Est-ce que cette période-là,
vers la fin de votre séjour aux
finances et à partir du moment
où Chrétien est parti et vous
êtes devenu premier ministre, il
s'est dit énormément de choses
sur les relations que vous
aviez avec M. Chrétien.
Dans votre biographie,
vous dites à un moment donné que
Chrétien n'a pas joué franc jeu.
Je sais que vous n'avez pas
insisté là-dessus, mais est-ce
que c'était aussi pire que ça?
PAUL MARTIN
C'était pas facile, il y a pas
de doute. Lorsque vous avez une
tension en... Il doit y avoir
une tension entre le premier
ministre et son ministre des
Finances. Il doit y avoir une
tension, parce que le ministre
des Finances est tellement
concentré sur les finances et le
premier ministre a une option,
une vision qui doit être plus
large. Mais on a travaillé très
bien ensemble. À la fin, est-ce
qu'il y avait de la tension
entre nous qui dépassait celle
de ministre Finances/premier
ministre? Oui.
DANIEL LESSARD
Premier ministre, est-ce que
vous avez eu le temps...
Il me semble que ça a été court.
Est-ce que vous avez eu le temps
de faire tout ce que
vous vouliez faire?
PAUL MARTIN
Non. J'aurais profité
peut-être de plus de temps.
Mais c'est pas là où existe
le problème. Ce que je voulais
faire, je voulais un programme
national de garderies. On l'a
fait. Je voulais vraiment avoir
une solution à plus long terme
sur la question de la santé,
l'investissement, puis après ça
des choses comme des programmes
assurances médicaments, des
choses comme ça. Je voulais
le faire. Mais je voulais
absolument l'entente que l'on a.
C'est-à-dire régler la question
de l'éducation, de l'eau potable
des Autochtones. Tout ça,
je l'ai fait. Le problème, c'est
que lorsque M. Harper a pris le
pouvoir, il a tout renié. Il a
tout renié, incluant le fait
qu'on lui a donné un surplus qui
a tourné en déficit très vite.
DANIEL LESSARD
Vous en voulez
à Stephen Harper?
PAUL MARTIN
Je ne comprends pas pourquoi
quelqu'un veut devenir premier
ministre à ne rien faire?
Des images de rapides de Lachine se succèdent.
PAUL MARTIN (Narrateur)
Les rapides de Lachine,
ça fait partie de LaSalle.
LaSalle-Émard, mon comté. Alors,
je passais beaucoup de temps
là-bas. Regardez ces images-là.
C'est très rare les sites qui
sont aussi beaux que cela.
Non seulement les sites, non
seulement les rapides, mais les
oiseaux migrateurs qui sont là,
on les voit. Puis l'autre chose
qu'il faut dire: c'est un site
qui est historique. Parce que le
Cavelier de LaSalle, qui a donné
son nom à LaSalle, qui demeurait
à Lachine juste à côté. Et c'est
lui qui a fait l'exploration
de toute l'Amérique du Nord.
Puis, il les a faites de là.
Et puis c'est les rapides
qui l'ont arrêté.
Alors, il fallait partir de
l'autre côté. Non, c'est un
site historique, puis c'est
certainement une des plus belles
places qu'on a au Canada.
On nous présente un extrait d'un discours de PAUL MARTIN à la Chambre des communes en 2004.
PAUL MARTIN
... de ce parlement minoritaire
sont confrontés à un défi. Faire
en sorte que ce parlement
fonctionne pour le bénéfice des
Canadiens et des Canadiennes.
Pour ce faire, nous devrons
établir des consensus.
Nous devrons agir de façon
constructive. Monsieur le
président, vous rencontrez
de nouveaux défis dans ce
parlement, comme chacun de
nous présent dans cette chambre.
Gouvernement minoritaire est
synonyme des responsabilités
accrues pour vous, pour ceux
d'entre nous qui font partie
du caucus gouvernemental, et
en fait, pour tous les députés.
Le gouvernement ne peut plus
être assuré qu'il garantira
l'adoption de projets de loi.
Mais les partis d'opposition
ne peuvent plus voter
automatiquement contre
les projets de loi sans vivre
avec des conséquences
qui en découlent.
L'entrevue avec DANIEL LESSARD se poursuit.
DANIEL LESSARD
M. Martin, vous êtes à
l'origine de la création du G20.
Expliquez-moi pourquoi c'est
important que 20 pays se
réunissent une ou deux fois par
année pour regarder l'économie.
PAUL MARTIN
Lors de la crise mexicaine,
j'ai essayé de faire partir
le G20 parce que le Canada a été
frappé par la crise mexicaine,
et c'était une économie
émergente. Alors, je me suis
dit et puis j'ai dit à mes
collègues: "Écoute, c'est
pas seulement nous qui affectons
l'économie globale." Mais
ça a pas marché. Mais lorsque
la crise asiatique est arrivée,
et en même temps la dévaluation
de la devise brésilienne puis
le défaut de la Russie, de sa
dette, c'était clair qu'il
fallait faire quelque chose. Le
G7, nous les ministres des G7,
on a envoyé nos instructions
À ces pays-là, la Corée,
l'Indonésie et ces pays-là,
le Brésil. Puis ils nous ont
retournés et dire qu'on n'était
pas à la table, c'est pas à vous
autres de nous dire quoi faire.
Puis là, j'ai vu l'avantage.
Je suis allé voir mon collègue
Larry Summers, qui était mon
homologue américain, j'ai
dit: "Là, c'est le temps pour
le G20." Et j'ai dit: "Il va
falloir que tu m'appuies."
Il a dit: "Très bien." Il dit:
"Quels seront les pays?" On est
assis avec une page blanche
À Washington puis on a nommé les
pays qui devraient faire partie.
Puis le deal était simplement
que les Américains étaient pour
m'appuyer, et je suis allé
voir les pays qu'on invitait.
Et ça a très bien marché. Il
a fallu convaincre certains pays
du G7 parce que les pays du G7
étaient un peu inquiets qu'ils
seraient submergés par ces pays,
comme la Chine et l'Inde. Mais
ça a bien marché et c'était la
chose à faire. Et lorsqu'on
regarde aujourd'hui, le G20 est
très important, parce que dans
le temps, les Américains étaient
la superpuissance.
Ils ne le sont plus. Là,
ils partagent avec les Chinois,
et éventuellement, ils vont
partager avec l'Inde, parce que
ce sont des populations énormes.
Pour moi, ce n'est plus une
superpuissance qui va dominer,
ça va être plusieurs pays.
Et pour le Canada, d'après moi,
c'est ça qu'il faut faire. Nous,
on est un petit pays, mais très
riche. Et je pense qu'on peut
jouer un rôle encore plus
important à l'intérieur du G20
qu'on joue à l'intérieur du G7.
DANIEL LESSARD
M. Martin, vous me disiez
avant l'entrevue: "Le plus grand
défi du G20 ou de la planète,
G20, c'est 90% de l'économie
mondiale, c'est la croissance.
La croissance se fait souvent au
détriment de l'environnement. La
croissance fait souvent que les
plus riches sont plus riches,
les pauvres sont plus pauvres."
Comment on se sort de tout
ça? Comment vous voyez ça?
PAUL MARTIN
Mais d'abord, si on règle pas
la question des changements
climatiques, ça va amener la
plus grande crise économique
qu'on a jamais vue. On n'est pas
capable de continuer comme ça.
Là, vous avez vu ce qui s'est
passé à Paris. Moi, je pense
que l'année entre Paris et
le G20 de la Chine l'année
prochaine va être l'année clé.
Et c'est là où on va déterminer
la façon... Affronter les
changements climatiques va avoir
un changement bénéfique pour
l'économie. On va continuer
À produire des produits
pétroliers. Ça, ça va continuer.
Mais il va y avoir un changement
fondamental. Et ce sont les pays
qui prennent avantage de tout
cela qui vont être les
pays qui vont réussir.
DANIEL LESSARD
Il y a une volonté
politique pour faire ça?
PAUL MARTIN
Ça prend énormément de volonté
politique pour faire ça, mais
heureusement, puis je vais pas
parler de politique ici,
mais c'est très clair que
le gouvernement Trudeau
a cette volonté.
DANIEL LESSARD
Volonté politique, elle semble
pas exister ces dernières années
quand il s'agit des Autochtones.
C'est la cause qui vous tient
le plus à coeur en ce moment.
Souvent, on a l'impression que
c'est un peu désespéré. On a vu
ce qui s'est passé à Val-d'Or,
dans les pensionnats, les
conclusions de la commission
sur la réconciliation. On a
l'impression que depuis des
années, on met des milliards
et des milliards et qu'on tourne
en rond et qu'on n'avance
jamais. Je me trompe?
PAUL MARTIN
Le problème, c'est qu'on
investit l'argent, mais on
investit pas dans les bonnes
places. Écoutez bien. C'est
la population la plus jeune et
la plus en croissance au Canada.
On est un pays qui vieillit.
Regardez-moi. Et c'est
l'exemple. Alors, on ne peut
pas ignorer la population
la plus jeune.
Mais le problème, aujourd'hui,
c'est qu'on dépense la moitié
per capita sur leur éducation.
On dépense la moitié
per capita
sur leur santé. On ne peut
pas continuer comme ça.
C'est la génération à venir et
on aura besoin de ces jeunes-là.
Et aussi, ils ont une culture
qui est très profonde,
qui est très valable.
DANIEL LESSARD
Comment on fait pour qu'ils
restent à l'école, pour qu'ils
apprennent, pour qu'ils
franchissent les seuils
critiques de trois ans, etc.?
PAUL MARTIN
On leur donne une éducation
valable. Une éducation primaire
et secondaire. Après ça, ils
vont prendre leur propre
décision pour aller à
l'université ou travailler dans
d'autres domaines. C'est pour ça
que j'ai parti l'initiative que
nous avons. Notre initiative,
c'est des programmes pour les
écoles primaires et secondaires.
Je dois vous dire que, par
exemple, dans toute la question
de la littératie, ils tirent
derrière les autres écoles. Mais
dans les écoles où on investit
suffisamment d'argent,
comparable à ce que les
provinces le font dans leurs
juridictions, on a les mêmes
réussites. Ils vont réussir,
mais le problème, c'est que,
vraiment, on les a abandonnés.
On n'a pas investi l'argent qui
devrait être dans l'éducation,
dans les choses qui comptent. Et
si on le fait, je vous assure,
avec la population la plus
jeune, d'ici une génération,
vous allez voir un
changement fondamental.
DANIEL LESSARD
Vous êtes allé en Afrique,
vous avez vu la misère là-bas.
Ça se compare à ce que les
Autochtones vivent chez nous ou
si là, j'exagère carrément?
PAUL MARTIN
Un jour, lorsque j'étais
ministre des Finances, la Banque
mondiale m'avait demandé, parce
que j'étais dans un pays de
l'Afrique centrale... Ça, ça
démontre à quel point la
situation, chez nous, avec les
Autochtones est pénible. On
m'avait demandé de visiter un
de ces pays-là puis une des
communautés où les Nations unies
avaient mis de l'argent, puis le
pays demandait d'autre argent.
Je suis allé le visiter. Et le
jour après, parce que c'est
connu, le cabinet et le
ministre des Finances a demandé
de me voir, de ce pays-là. Et je
suis allé les voir. Puis ils ont
dit: "M. Martin, est-ce que vous
allez recommander à la Banque
mondiale de nous donner l'argent
pour cette communauté-là?" J'ai
dit: "Non, pas du tout, monsieur
le ministre." J'ai dit: "J'ai
jamais vu une communauté aussi
pauvre que celle-là et vous
n'avez pas dépensé l'argent
comme vous auriez dû le faire
là-bas." Et alors, tout le monde
était un peu surpris, vous
pouvez comprendre. Il y avait
un jeune homme avec lui. C'était
son adjoint. Et il dit quelque
chose dans son oreille.
Le ministre m'a dit: "M. Martin,
le jeune homme veut vous
parler." Le jeune homme dit: "M.
Martin, vous venez de dire que
vous avez visité chez nous le
village le plus pauvre que vous
avez vu de votre vie. C'est pas
vrai, M. Martin. Moi, j'étais
un étudiant dans une de vos
universités pendant quatre ans.
J'ai travaillé deux ans dans
le Grand Nord de votre pays." Et
puis il a nommé une communauté
que je connaissais. Il dit: "M.
Martin, la pauvreté dans votre
communauté, dans votre pays avec
les Autochtones, c'est deux fois
plus pauvre de ce que vous avez
vu là-bas." Puis j'avais plus
rien à dire parce qu'il avait
raison. Et c'est pour cela
que je travaille tellement
fort pour la cause autochtone.
DANIEL LESSARD
Et c'est pour ça que le mot
"retraite", vous ne connaissez
pas ça. Vous allez continuer
aussi longtemps que la vie
vous permettra de continuer?
PAUL MARTIN
Je suis un peu comme vous,
M. Lessard.
DANIEL LESSARD rit.
DANIEL LESSARD
M. Martin, merci mille fois.
PAUL MARTIN
C'est moi qui vous remercie,
M. Lessard. C'est un plaisir
de vous revoir.
Générique de fermeture
Episodes of Carte de visite
Choose a filtering option by age, fiction or season
-
Category Season
-
Category Documentary
-
Category Report