Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin and Daniel Lessard meet exceptional francophones from throughout Canada and beyond. Discover politicians, artists, entrepreneurs and scientists whose extraordinary stories are worth telling.


Video transcript
Louise Arbour: Former SCC Justice
Former Justice Louise Arbour is without a doubt the world´s best known Canadian jurist.
She was the first woman to be appointed to the Court of Appeal for Ontario, and her career culminated with her nomination to the Supreme Court of Canada.
This fiercely independent woman´s international career has been just as spectacular. Her many accomplishments include serving as the United Nations High Commissioner of Human Rights and Chief Prosecutor for the International Criminal Tribunal.
Now a jurist in residence, Louise Arbour uses her vast experience to serve her people.
Réalisateur: Joanne Belluco
Production year: 2015
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Pendant que DANIEL LESSARD présente son invitée, LOUISE ARBOUR, ex-juge, procureur général et haut-commissaire de l'ONU, on montre des images de la maison de campagne de cette dernière. C'est dans cette maison que se déroule l'entrevue.
DANIEL LESSARD
L'illustre
carrière de Louise Arbour a
commencé à la prestigieuse
faculté de droit d'Osgoode Hall
de Toronto, avant de devenir
juge à la Cour suprême
de l'Ontario.
Elle a été ensuite la première
femme nommée à la Cour d'appel
de cette province, avant
le couronnement: sa nomination
à la Cour suprême du Canada.
Cette femme férocement
indépendante a eu une carrière
internationale tout aussi
spectaculaire, entre autres,
à la tête du Tribunal
pénal international
et du Haut-Commissariat
aux droits de l'Homme de l'ONU.
Aujourd'hui, Louise Arbour
est juriste en résidence
et met sa vaste expérience
au service des siens.
LOUISE ARBOUR
C'est à moi
de me définir comme féministe,
et j'accepte pas que d'autres
prétendent que j'ai droit
ou non à ce titre-là.
DANIEL LESSARD
Mme Arbour, bonjour.
LOUISE ARBOUR
Bonjour.
DANIEL LESSARD
Merci de nous accueillir
chez vous. Les gens qui
vous connaissent bien, enfin,
qui "prétendent" bien vous
connaître, disent de vous que
vous êtes une femme combative,
déterminée, travailleuse
acharnée et pas prétentieuse
pour deux sous. Est-ce
que ça vous décrit bien?
LOUISE ARBOUR
Sur la dernière partie, oui.
Sur les autres... On est pas
toujours un très bon juge
de ses propres qualités.
Mais, oui. Pas prétentieuse
du tout, ça, ça me définit bien.
Le reste... Combative? Oui.
DANIEL LESSARD
On dit de vous aussi que
dans votre carrière, surtout
au début, Cour supérieure
d'Ontario, Cour d'appel,
pour vous, les principes
juridiques, c'était sacré.
Ça passait toujours
avant l'émotion.
LOUISE ARBOUR
Ah oui, ça, c'est sûr.
C'est sûr parce que, ce que j'ai
toujours aimé dans le droit,
pourquoi en fait, ça m'a bien
servie, comme carrière, c'est
que ça a une bonne combinaison
de rigueur intellectuelle
et de fibre morale.
Et donc, moi, je trouve que
c'est un très bon encadrement
pour toutes sortes de décisions
sur des choses difficiles ou
controversées. Beaucoup plus que
les cris de coeur, les grands
sentiments. Et ceux-là, il faut,
pour moi, en tout cas,
je les ai toujours encadrés
par des principes juridiques.
DANIEL LESSARD
Parce qu'il y a des jugements
que vous avez rendus en Cour
supérieure ou en Cour d'appel,
j'oublie, mais que les femmes
étaient furieuses contre vous.
Un, par exemple, sur une cause
de viol où vous disiez: "Oui, le
passé de la victime, on peut pas
l'ignorer." Ça faisait pas le
bonheur des groupes féministes.
Mais ça, pour vous, c'était
pas une considération?
LOUISE ARBOUR
C'est pas un jugement que
j'ai rendu, c'est une cause que
j'ai plaidée. C'est d'ailleurs
la seule cause que j'ai plaidée
dans toute ma carrière.
Je l'ai plaidée au nom
de l'Association canadienne
des libertés civiles comme
intervenant devant la Cour
d'appel de l'Ontario quand
j'étais professeure de droit.
Et c'était sur les limites, en
fait, à mon avis, une révolution
qui était très nécessaire en
droit. Le droit traditionnel
permettait de questionner, par
exemple, une victime de viol,
une plaignante, de façon tout
à fait... très agressive et
non pertinente sur son passé.
Mais la proposition législative
allait, à mon avis, beaucoup
trop loin, en empêchant, dans
tous les cas, que le passé de la
victime soit vu comme pertinent.
Alors, il fallait juste se
positionner là-dessus. Je sais
que ça a pas fait l'unanimité,
mais je pense que finalement,
le droit canadien s'est aligné
exactement comme il le devait
sur cette question-là.
DANIEL LESSARD
Quand vous avez présidé
l'enquête sur la prison
des femmes, tout le monde l'a
dit, c'est un rapport précis,
succinct, tout est là, ça s'est
fait rapidement, dans les
budgets, dans les normes. Il y a
des groupes de femmes qui ont
dit: "Mme Arbour, elle aurait
dû nommer les coupables."
LOUISE ARBOUR
Oui.
DANIEL LESSARD
Vous ne l'avez pas fait.
LOUISE ARBOUR
Non, non. Ça, évidemment,
à mon avis, ça servait à rien.
D'abord, les coupables,
qui est-ce que c'était,
les coupables? À quoi ça aurait
servi d'aller visiter
tout l'odieux de ce qui s'est
passé à la prison des femmes?
Sur quelques femmes qui ont
été interpellées, qui étaient
des agents des services
correctionnels ou la directrice
de la prison, alors que ce qu'il
fallait, à mon avis, mettre
en lumière, c'était l'aspect
systémique du mauvais traitement
que subissaient, non seulement
les femmes qui avaient été
impliquées dans les événements
sur lesquels je me penchais--
DANIEL LESSARD
Les fouilles à nu,
par exemple. Ça, c'est...
LOUISE ARBOUR
Oui, et des interventions
très musclées par des équipes
exclusivement masculines,
à l'époque. Ils allaient
chercher des gens du service
correctionnel du pénitencier
de Millhaven ou de Kingston.
Parce qu'ils avaient pas
ce genre d'équipement là à la
prison des femmes. Mais la vraie
problématique, c'était en
fait les mauvais traitements,
la discrimination systémique et
systématique auxquels faisaient
face les femmes. Et à mon avis,
ça, c'était beaucoup plus
important que de dire que une
telle a utilisé trop de force
ou a porté un mauvais jugement.
DANIEL LESSARD
Est-ce que vous trouvez
que les féministes
exagèrent parfois?
LOUISE ARBOUR
Moi, je me considère
comme une féministe et je trouve
que j'exagère jamais. Donc, non.
Écoutez, j'ai toujours pensé
que si on veut se définir,
par exemple, sur une espèce
de volet politique, par exemple,
comme féministe, c'est à moi
de me définir comme féministe
et j'accepte pas que d'autres
prétendent que j'ai droit
ou non à ce titre-là.
Et des féministes là, entre
nous, on peut avoir aussi
beaucoup de différences
d'opinions. Je peux vous donner
quelques exemples assez récents.
La fameuse question du niqab qui
rejoint beaucoup la question
de la fameuse charte des valeurs
soi-disant québécoises. Ça a
beaucoup divisé les féministes.
Mais les unes et les autres,
je pense qu'on peut pas
empêcher celles avec lesquelles
on est pas d'accord de porter un
titre comme celui de féministe.
DANIEL LESSARD
Oui. Le couronnement de votre
carrière de juge, si je peux
dire, c'est la Cour suprême
du Canada. On dit surtout, ces
temps-ci, que la Cour suprême
du Canada prend les décisions
difficiles que les politiciens
sont pas capables de prendre.
Est-ce que j'exagère?
LOUISE ARBOUR
Ce qui m'a beaucoup inquiétée
dans les dernières années,
je pense, c'est qu'on voyait des
gouvernements, un gouvernement
particulier, laisser une affaire
aller en Cour suprême, alors
qu'ils savaient ou devaient
savoir qu'il y avait très peu
de chance de gagner. Donc, qui
proposaient des initiatives
qui avaient des fortes
chances d'être déclarées
inconstitutionnelles.
En large mesure, possiblement,
pour même discréditer la cour,
et laisser à la cour le fardeau
de rendre des décisions qui,
très souvent, sont impopulaires.
Vous savez, le test de la
constitutionnalité d'une loi,
c'est pas sa popularité.
D'ailleurs, c'est exactement
l'inverse. Les protections
constitutionnelles dont le
Canada s'est doté, entre autres,
par la Charte canadienne des
droits et libertés, c'est là
pour protéger des minorités
vulnérables, donc très
souvent impopulaires.
Et moi, ça m'inquiétait beaucoup
de voir des gouvernements,
au lieu de prendre leurs
responsabilités et d'ajuster
leurs initiatives législatives
pour être bien sûrs qu'elles
soient bien encadrées
constitutionnellement,
avaient des attitudes assez
provocatrices envers la cour,
comme je vous dis. Alors, pour
eux, c'est une double victoire.
Mettre de l'avant une loi
qui est très populaire,
mais possiblement
inconstitutionnelle, et
trois ou quatre ans plus tard,
de pouvoir blâmer les tribunaux.
De toute évidence, la cour avait
raison: c'était une initiative
qui était pas en conformité
avec la Constitution.
DANIEL LESSARD
Une Cour suprême comme
celle du Canada, c'est encore
le meilleur rempart qu'ont les
citoyens contre l'exagération,
contre les mauvaises décisions,
etc. C'est encore ce qu'il y a
de plus solide, de plus
rassurant, dans un système
comme le nôtre, non?
LOUISE ARBOUR
Absolument. C'est ça, en fait,
à mon avis, l'essence d'une
démocratie constitutionnelle.
C'est-à-dire une démocratie
qui s'est dotée elle-même
des contraintes contre, bon,
la tyrannie de la majorité
ou l'abus de pouvoir. Et donc,
qui s'est donné des moyens,
par l'entremise de la révision
judiciaire du pouvoir
exécutif et législatif,
les garanties de protection
contre les gens qui seraient
à la merci de décisions de
la majorité qui enfreignent leur
dignité humaine, leurs droits
fondamentaux à la vie, à la
liberté, à la sécurité, à la
liberté d'opinion, de religion.
DANIEL LESSARD
La Charte des droits
et libertés a facilité
le travail des juges?
LOUISE ARBOUR
Elle a révolutionné le travail
des juges. Là, tout à coup,
ça a donné évidemment au pouvoir
judiciaire, sa vraie place
dans la gouvernance, entre
le pouvoir législatif exécutif.
Et là, tout à coup, on avait
un pouvoir judiciaire qui
prenait sa vraie place dans
la structure de la constitution.
DANIEL LESSARD et LOUISE ARBOUR sont à l'extérieur de la maison.
DANIEL LESSARD
Mme Arbour, vous habitez
à quoi? Une heure et demie de
Montréal. Une magnifique... Vous
appelez ça "maison" ou "chalet"?
LOUISE ARBOUR
J'appelle ça mon chalet.
C'était... Je l'ai acheté,
c'était un tout petit chalet.
Là, il fait un petit peu plus
maison parce que je l'ai
beaucoup agrandi, mais dans ma
tête, c'est toujours mon chalet.
Mais je suis beaucoup ici.
DANIEL LESSARD
J'imagine que vivre ici,
le jour, le soir, la nuit,
c'est complètement différent
que de vivre dans un appartement
à Bruxelles, ou à Ottawa,
ou à Montréal?
LOUISE ARBOUR
C'est tellement beau ici.
C'est très étoilé. C'est
très beau. Et puis, les gens
s'imaginent que, ou bien que
je m'ennuie, mais je m'ennuie
pas du tout. D'abord, j'ai
mes enfants, mes petits-enfants
qui viennent presque tous
les week-ends. J'ai des amis
qui viennent. Mais même
quand je suis toute seule, ici,
d'abord, je m'ennuie pas. J'ai
toutes sortes de trucs à lire,
des choses à faire. Et puis,
c'est très silencieux.
Moi, j'ai vécu dans beaucoup
de bruit, surtout dans
les dernières années.
DANIEL LESSARD
Et vous avez un chien
magnifique qui vous tient
compagnie, j'imagine,
fidèlement.
LOUISE ARBOUR
Oui! Oui! D'abord, je lui
parle beaucoup. Heureusement
qu'il n'y a personne qui nous
écoute parce que des fois,
on pourrait mettre en doute
ma "sainité". J'ai des longues
conversations avec mon chien.
On nous présente un extrait d'un discours de LOUISE ARBOUR de 1996.
LOUISE ARBOUR
(Propos traduits de l'anglais)
Le 22 mai, j'ai déposé
une mise en accusation
à l'endroit de Slobodan Milosevic
et de quatre autres personnes
pour crimes contre l'humanité,
plus particulièrement pour meurtre,
déportation, persécution et violation
des lois et coutumes de guerre.
L'entrevue avec DANIEL LESSARD se poursuit.
DANIEL LESSARD
Mme Arbour, en 1996, le
Tribunal international pour
les crimes de guerre, ancienne
Yougoslavie et Rwanda.
Étiez-vous préparée à cela?
LOUISE ARBOUR
Pas du tout. Pas du tout.
D'ailleurs, j'ai jamais été
préparée vraiment pour rien
de ce que j'ai fait,
ni avant ni après ça.
Mais ça, particulièrement,
j'avais de toute évidence
une idée complètement...
fausse, en fait, de ce qui
m'attendait. Moi, j'avais quand
même un parcours professionnel
assez académique. J'avais été
juge. Alors, je voyais tout ça
d'une façon très théorique.
DANIEL LESSARD
Alors que là, c'était
des atrocités et tout ce qui
vient avec les crimes de guerre.
LOUISE ARBOUR
D'autant plus que c'était,
à l'époque où je suis arrivée,
les tribunaux venaient tout
juste d'être mis sur pied.
Donc, c'était... 90% du travail,
c'était les enquêtes. C'était
pas encore les procès. Alors,
c'était découvrir. D'abord,
avoir accès aux services
de renseignements, faire
déclassifier de l'information
des grandes puissances pour
avoir accès à de l'information.
Découvrir des charniers.
Alors, des enquêtes souvent
très techniques, dans un
environnement extrêmement
politique et très tendu.
Alors, moi, je suis arrivée
là-dedans... J'avais été
professeure de droit pénal,
juge, juge de Cour d'appel...
DANIEL LESSARD
J'ai lu quelque part que vous
avez vraiment pris conscience
de l'ampleur de la tâche
en visitant un charnier
en Croatie, je pense.
LOUISE ARBOUR
Je pense que celui... J'en
ai visité plusieurs, mais le
premier que j'ai visité, c'était
dans la région de Vukovar où on
avait eu de l'information. Et le
site où était le charnier avait
été préservé, gardé, en fait,
par des troupes internationales
pendant plusieurs années,
avant que ce soit
suffisamment sécurisé
pour qu'on puisse l'ouvrir.
Eh oui, quand je suis allée
sur place, et on a découvert
250 corps. Là, c'était toute
une enquête qui était très axée
sur ces événements-là. Là, j'ai
compris que ce que j'avais
appris, ce que je connaissais
sur le plan théorique, par
exemple, pour faire une enquête
sur un meurtre ou un double
meurtre, là, ça venait
de prendre toute
une autre dimension.
DANIEL LESSARD
Et pour aller au bout des
choses, il faut vraiment...
Et c'est peut-être là aussi
le plus difficile, il y a pas
de collaboration. Il faut aller
jusqu'en haut, jusqu'aux têtes
dirigeantes, et ça,
c'est pas évident.
LOUISE ARBOUR
C'était loin d'être évident.
Mais remonter la chaîne de
commandement, encore là,
du côté militaire, c'est
très hiérarchisé, mais
la responsabilité politique,
les dirigeants. Par exemple,
remonter jusqu'à Milosevic,
c'était extrêmement difficile.
DANIEL LESSARD
Pour vous, c'était important
d'aller jusqu'à Milosevic,
à ce moment-là?
LOUISE ARBOUR
C'était ça, le mandat.
Le mandat, les tribunaux avaient
été créés par le Conseil
de sécurité avec le mandat
de poursuivre les gens
les plus responsables pour
les crimes les plus graves.
DANIEL LESSARD
Vous avez dit quelque part
qu'il fallait surtout davantage
que ou tout autant que des pays
comme le Canada, les États-Unis,
cessent de regarder ça de loin
en se disant impuissants devant
les drames qui se produisent.
Je traduis bien votre pensée?
LOUISE ARBOUR
Oui, oui.
Vous savez, la responsabilité,
quand on parle d'atrocités
de grande envergure, alors:
génocide, crime contre
l'humanité, des crimes de guerre
de façon massive, l'instance
internationale qui a la
responsabilité de gérer tout ça,
c'est le Conseil de sécurité
des Nations unies. Et
on connaît bien sa composition,
le veto des cinq. Alors,
il y a beaucoup d'obstacles.
La mobilisation des puissances
que j'appellerais des puissances
moyennes, mais qui ont une
grande capacité d'influence,
comme le Canada, mais des pays
comme la Norvège, plusieurs pays
européens, certains pays
d'Amérique latine. La
mobilisation de ces pays-là peut
avoir un effet qui va compenser,
par exemple, à l'inaction
du Conseil de sécurité.
DANIEL LESSARD
Mme Arbour, restons
aux Nations unies, le
Haut-Commissariat des Nations
unies aux droits de l'homme.
L'impression que ça a été
un passage difficile pour vous?
LOUISE ARBOUR
Bon, ça a été une décision
très difficile pour moi,
d'accepter ce poste-là. J'ai
quitté la Cour suprême du Canada
pour accepter ce poste aux
Nations unies. La décision même
a été extrêmement difficile.
On ne quitte pas...
DANIEL LESSARD
La Cour suprême du Canada.
LOUISE ARBOUR
Légèrement, oui, la Cour
suprême du Canada. Et le poste
que j'avais eu précédemment
aux Nations unies, le poste
de procureur des tribunaux,
qui étaient des tribunaux très
spécialisés sur l'ex-Yougoslavie
et le Rwanda, c'était un poste
qui avait une portée limitée,
mais beaucoup, beaucoup
de pouvoir. Mais par contre,
le mandat est universel.
C'est un mandat de protéger
tous les droits, partout,
tout le temps.
DANIEL LESSARD
Dans ce poste-là, vous n'aviez
pas le droit de critiquer
Israël ou les États-Unis sur le
terrorisme, etc.. À chaque fois
que vous vouliez être un peu
critique, on vous tombait
dessus à bras raccourcis.
LOUISE ARBOUR
Oui, mais ça, je le savais.
DANIEL LESSARD
Vous le saviez au départ?
LOUISE ARBOUR
Bien, je le savais. Tant qu'on
vit pas ce genre d'attaques
là qui souvent devient très
personnalisé, on est toujours un
peu pris par surprise. Mais je
savais très bien que, encore là,
je reviens toujours à des
modèles un peu théoriques, mais
un personnage international
qui s'occupe des droits de
la personne, c'est un personnage
international qui s'ingère
dans la relation entre un État
et ses citoyens. C'est pas
difficile à comprendre.
DANIEL LESSARD
C'est rarement bienvenu.
LOUISE ARBOUR
C'est pas difficile
de comprendre que ça va être
inconfortable, très souvent.
DANIEL LESSARD
Et même sur des questions
comme les droits
des homosexuels,
des lesbiennes, des transgenres,
même la France vous a dit:
"C'est pas de vos affaires."
LOUISE ARBOUR
Mais ça, ça a été,
en particulier, un dossier
très difficile à gérer parce
qu'on parle toujours de normes
et de valeurs qui sont
universelles. Mais la mise
en application, d'abord, dans
la réalité, ce sont des normes
qui ne sont pas acceptées sur
une base universelle. Alors, le
principe de non-discrimination
sur la base de l'orientation
sexuelle, de l'identité
sexuelle, c'est une norme qui,
présentement, est loin d'être
acceptée de façon universelle.
Et je pense que les pays
occidentaux, le Canada
en particulier, devrait être
un peu plus... respectueux.
C'est pas respectueux, c'est pas
le bon mot. Mais devrait
peut-être se rappeler plus
souvent que pour nous non plus,
c'était pas une norme acceptée.
DANIEL LESSARD
Il y a pas si longtemps.
LOUISE ARBOUR
C'est ça. Ça remonte, quoi,
à la fin des années 1960,
début des années 1970. Quand le
premier ministre Trudeau père,
avait dit: "L'État n'a pas
sa place dans les chambres
à coucher de la nation."
Alors, c'est pas comme si
on avait eu la science infuse
pendant si longtemps. Alors,
peut-être que pour être
stratégique, pour faire avancer
ces dossiers-là, ce serait bien
qu'on prêche un peu moins,
ce qui est très mal reçu dans
des pays qui sont pas rendus là,
dans leur acceptation
de ce genre de normes.
DANIEL LESSARD et LOUISE ARBOUR sont à l'extérieur de la maison.
DANIEL LESSARD
Mme Arbour, votre
chalet-maison est situé dans
un domaine qui s'appelle?
LOUISE ARBOUR
Valdurm.
DANIEL LESSARD
Valdurm. Qui est
spécial, hein?
LOUISE ARBOUR
Ah, c'est très spécial. C'est
un endroit qui a été développé
par des gens qui avaient, dès
l'origine, une espèce de concept
très écolo, bien avant que ce
soit à la mode. Donc, ce lac-ci,
en particulier, c'est un lac
sur lequel il y a jamais
eu de bateau-moteur.
Toute la forêt autour est très,
très préservée. Il y a pas
de motoneige non plus, l'hiver.
Alors, c'est quand même
un grand, grand domaine. C'est
comme une espèce de vase clos,
une bulle. On est dans
une très belle bulle.
DANIEL LESSARD
Est-ce qu'il y a des
conditions particulières,
des règlements que les autres
n'ont pas que vous devez
observer ou si...
LOUISE ARBOUR
Oui, on est très autogérés.
Il y a toute une association des
propriétaires. Et au cours des
années, l'association a fait des
acquisitions, tous les terrains
qui étaient adjacents, en fait,
pour se protéger, pour garder
ce genre d'environnement très
protégé. Alors, on a beaucoup
de pistes de ski de fond,
par exemple, dans les forêts.
DANIEL LESSARD
Il y a une route de terre,
à ce que j'ai vu, que vous
devez entretenir vous-même.
LOUISE ARBOUR
Pas moi personnellement,
je vous assure!
DANIEL LESSARD
Est-ce qu'elle est carrossable
au printemps quand ça dégèle?
L'hiver, quand il tombe
50 centimètres de neige?
LOUISE ARBOUR
L'hiver, ça va très bien. En
fait, elle est dans son meilleur
état l'hiver parce qu'elle est
couverte de neige. C'est déneigé
régulièrement. C'est une route
qui est très probablement à
l'origine pour une compagnie
qui travaillait dans la forêt.
DANIEL LESSARD
Des chasseurs.
LOUISE ARBOUR
Des chasseurs, peut-être.
On nous présente une vidéo datant de 2011, où LOUISE ARBOUR reçoit le prix de la Fondation Chirac.
L'ANIMATEUR
Pour remettre le prix
spécial du jury 2011
de la Fondation Chirac pour
la prévention des conflits,
j'appelle M. Kofi Annan,
le secrétaire général
des Nations unies,
à remettre donc ce prix
à Mme Louise Arbour.
Prix spécial du jury 2011
pour la prévention des conflits.
L'entrevue avec DANIEL LESSARD se poursuit.
DANIEL LESSARD
Mme Arbour, après
l'université, plutôt que
de plaider, vous avez choisi,
enfin, plus ou moins, je saute
peut-être quelques semaines,
quelques mois, d'enseigner.
Osgoode Hall, c'est prestigieux,
on le sait. Tout le monde veut
aller enseigner. Pourquoi
l'enseignement plutôt
que les tribunaux?
LOUISE ARBOUR
Bien, en fait, c'est pour
toutes sortes de raisons,
dans une certaine mesure
très personnelles, je me suis
retrouvée en Ontario
pour toutes sortes de raisons.
J'ai été clerc à la Cour suprême
du Canada. J'ai rencontré
quelqu'un comme ça arrive
souvent. On fait des choix
de carrière qui accommodent deux
personnes. Et donc, je me suis
retrouvée en Ontario,
mais j'étais pas membre
du Barreau de l'Ontario.
Et ça allait pas devenir évident
comment devenir membre. J'avais
un diplôme de droits civils.
Il aurait fallu que je refasse
des études; ce que j'ai pas
envie de faire.
Et le doyen de l'époque
de Osgoode Hall Law School,
Harry Arthurs, qui est un homme
fantastique, bien en avance
sur son époque, m'a demandé
si ça m'intéressait d'enseigner.
Là, mon anglais, entre l'Expo
et ce moment-là, s'était
perfectionné un peu, mais...
DANIEL LESSARD
C'était pas encore...
LOUISE ARBOUR
C'était loin d'être parfait.
D'autant plus... Ça, c'est assez
intéressant comme observation,
moi, j'avais peur d'enseigner
parce que je m'étais dit:
"Si quelqu'un, un anglophone,
qui parle aussi mal français
que moi, je parle anglais,
venait enseigner à l'Université
de Montréal, ça passerait pas."
Alors, moi, j'avais l'impression
que c'est comme ça que j'allais
être accueillie. Alors, pour
vous dire que j'étais un petit
peu tendue quand je suis entrée
dans ma première salle de cours.
D'autant plus que j'avais
peut-être trois ans plus vieux
que la moyenne de mes étudiants.
J'ai été extrêmement bien
accueillie. Très, très bien
accueillie. Là, évidemment,
mon anglais, surtout
mon anglais professionnel,
s'est beaucoup perfectionné.
DANIEL LESSARD
Vous avez aimé ça
à Osgoode Hall?
LOUISE ARBOUR
J'ai adoré ça. Je suis
restée 12 ans. Je suis
devenue vice-doyenne.
Mais j'avais jamais fait le
choix d'enseigner. J'étais bien.
En fait, j'ai toujours été bien
dans tous les emplois que
j'ai eus. J'ai jamais cherché
autre chose, mais tout à coup,
le téléphone a sonné,
et j'ai fait autre chose.
DANIEL LESSARD
Votre fille s'est lancée
en politique. Bon, on connaît un
peu les détails de ça. C'est pas
de ça que je veux vous parler.
C'est "vous", pourquoi
vous n'êtes jamais allée
en politique? Vous avez été
sollicitée et pour occuper
des postes très importants.
Chef de parti, je pense.
LOUISE ARBOUR
Ah oui, mais ça, il y en a qui
rêve un peu. Je pense que c'est
pas pour moi. D'abord, j'ai fait
beaucoup de choses assez
disparates. J'ai commencé
une carrière dans
un milieu académique.
Bon, j'ai travaillé au niveau
international. En dernier
lieu, j'ai dirigé une ONG,
International Crisis Group.
Peut-être que la politique...
Je dis toujours: "La politique,
c'est pas pour moi." Peut-être
que ça l'aurait été plus tôt
dans ma carrière. Mais au moment
où les approches comme ça m'ont
été faites, j'avais déjà été
juge à la Cour suprême
du Canada. Moi, je pensais que
je pouvais pas me réincarner,
encore une fois,
dans ce domaine-là.
Mais c'est pas parce que j'aime
pas travailler directement avec
les gens. D'ailleurs, je me suis
occupée un petit peu,
j'ai essayé de m'impliquer un
petit peu dans la campagne de ma
fille. Ça a été une découverte,
l'espèce de démocratie
sur le terrain. J'ai trouvé
ça fantastique de voir tous
les volontaires qui s'étaient
mobilisés autour d'elle.
DANIEL LESSARD
Qui y croient.
LOUISE ARBOUR
Oui, et les enjeux qui
commencent par des enjeux locaux
et qui s'accrochent ensuite
à des enjeux plus larges. J'ai
trouvé ça fascinant. Peut-être
que si on m'avait sollicitée
ou si j'y avais pensé plus tôt,
c'est quelque chose que j'aurais
pu faire, mais au moment
où c'est devenu une possibilité
dans ma carrière, c'est sûr
que ça ne m'intéressait plus.
DANIEL LESSARD
Parce que le débat public vous
passionne encore. Vous pourriez
apporter une contribution assez
exceptionnelle. Dans le débat
sur la Charte des valeurs
au Québec ou sur tout le débat
qu'il y a eu pendant la campagne
électorale sur le niqab. On
le porte ou on le porte pas dans
les cérémonies de citoyenneté?
Vous êtes intervenue très
vigoureusement. C'est des choses
qui viennent vous chercher, ça.
LOUISE ARBOUR
Oui, et je veux pas intervenir
sur tout. J'ai toutes sortes
d'idées sur bien des choses,
mais je pense que, dans
certaines circonstances,
si je pense que ça peut avoir
un certain impact; qu'il y a
des gens qui ont confiance
que je vais porter un jugement
réfléchi; si ça peut les aider
dans leur propre réflexion sur
des questions où je m'inquiète,
des fois, d'une espèce de
dérapage où on s'en va vraiment
dans la mauvaise direction;
là, j'interviens. Le danger
d'intervenir sur tout, j'ai
des opinions sur tout, bien, sur
beaucoup de choses, comme bien
des gens. Mais j'ai des domaines
d'expertise où je pense que mon
approche, en fait, peut avoir
un certain impact pour des gens
qui sont très confus.
Moi aussi, je suis confuse
sur bien des sujets.
DANIEL LESSARD
Sur le niqab, par exemple, les
gens réagissent avant tout avec
leurs tripes, avec une espèce
de peur, appelons ça comme ça.
Dans un article que vous avez
écrit pour La Presse, vous
alliez dans la toute autre
direction en disant: "C'est
pas une question de féminisme,
c'est pas une question
de femmes inférieures." C'est
pour vous, toute autre chose.
LOUISE ARBOUR
Oui, vous savez, quand on dit:
"On réagit avec ses tripes,
on réagit avec qui on est",
moi, je dis souvent à des amis:
"Vous savez, moi, j'ai été
dans un couvent.
J'ai fait tout mon cours
classique. Je suis arrivée
en sixième année. J'ai passé
dix ans avec des femmes très
voilées, de la tête aux pieds."
DANIEL LESSARD
C'est vrai.
LOUISE ARBOUR
Moi, elles me font pas peur.
Mais d'une façon plus
rationnelle, moi, ce qui
m'importe beaucoup, c'est
le fait, le danger d'exclure les
gens pour qui l'exclusion, c'est
la pire des choses qui puissent
leur arriver. C'est très
important d'ouvrir un espace
public "sécure", confortable,
pour des gens qui sont très
différents, culturellement
ou à cause de leurs croyances
religieuses, pour leur permettre
de choisir de s'intégrer.
De choisir parce que c'est la
meilleure option. Mais essayer
de les forcer, par exemple,
de leur dire: "Vous pouvez pas
occuper un certain poste si vous
portez un certain costume."
Ça les force à faire des choix
qui sont, pour elles, d'abord,
très souvent, pas un choix ou
bien, pas un choix acceptable,
à cause de leurs propres
croyances. L'important, c'est
de leur ouvrir, par exemple,
les hôpitaux, les écoles,
l'industrie privée, les secteurs
où elles peuvent travailler
et là, l'indépendance économique
qu'elles vont acquérir va leur
permettre de faire la démarche
qu'on voudrait peut-être leur
voir faire faire. Mais essayer
de leur imposer un choix comme
celui-là, à mon avis, d'abord,
moralement, c'est répugnant.
Et de façon réaliste, ça va pas
donner les résultats escomptés.
DANIEL LESSARD
Merci beaucoup, Mme Arbour.
LOUISE ARBOUR
Ça me fait bien plaisir.
DANIEL LESSARD
Très agréable.
LOUISE ARBOUR
Merci beaucoup.
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