Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin and Daniel Lessard meet exceptional francophones from throughout Canada and beyond. Discover politicians, artists, entrepreneurs and scientists whose extraordinary stories are worth telling.


Video transcript
Léo Robert: Franco-Manitoban Activist
Of all the presidents who have sat at the helm of the Société franco-manitobaine (SFM), Léo Robert has undoubtedly had the most visible term.
He is the one people will remember the most, and he is probably the one who has won over the most Franco-Manitoban hearts.
Why? Léo Robert was the SFM president during the constitutional crisis of 1983, and he weathered the organization through the eventful period—arson in its offices and all.
Réalisateur: Linda Godin
Production year: 2015
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Pendant que GISÈLE QUENNEVILLE présente son invité, LÉO ROBERT, militant franco-manitobain, on montre des images du Manitoba.
GISÈLE QUENNEVILLE
Les
premiers Européens à s'aventurer
dans l'Ouest canadien se sont
retrouvés ici, au confluent
de la rivière Rouge et de
la rivière Assiniboine.
Une centaine d'années plus tard,
ce site devient la capitale
de la nouvelle province du
Manitoba. En 1870, la moitié
de la population du Manitoba est
francophone. La province, elle,
est bilingue. Mais 20 ans plus
tard, le Manitoba fait de
l'anglais la seule langue
officielle de la province.
Depuis ce temps-là, les
Franco-Manitobains tentent
de faire reconnaître à
nouveau leurs droits.
Au début des années 80, Léo
Robert était un enseignant et
administrateur scolaire bien
impliqué dans sa communauté.
En 1982, il est élu à la tête de
la Société franco-manitobaine,
un événement qui l'a propulsé au
coeur d'une crise linguistique
qui allait marquer
la province à jamais.
M. Robert, bonjour.
LÉO ROBERT
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
M. Robert, vous, vous avez
été président de la Société
franco-manitobaine de 1982
à 1984, je pense.
LÉO ROBERT
C'est ça, oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'était sans doute les deux
années les plus tumultueuses
de l'histoire de l'organisme.
LÉO ROBERT
Un peu comme, oui.
LÉO ROBERT rit.
GISÈLE QUENNEVILLE
Pour comprendre comment on
s'est rendus là, je pense qu'il
faut retourner dans le passé,
en 1975. Qu'est-ce qui s'est
passé en 1975 ici,
au Manitoba francophone?
LÉO ROBERT
En 1975, c'était surtout le
début du cas Forest, qui avait
reçu une contravention unilingue
anglophone sur la rue Marion--
GISÈLE QUENNEVILLE
Un M. Forest.
LÉO ROBERT
M. Forest. Et il a contesté
cette contravention, maintenant
que c'était supposé être
des contraventions en langue
anglaise et langue française,
devenant d'un droit découlant de
la négociation de la province du
Manitoba dans la Confédération
en 1870. Ça a terminé en Cour
suprême, et finalement, le 13
décembre 1979, la Cour suprême a
rendu sa décision indiquant
que l'Acte du Manitoba n'avait
pas été respecté, donc la
Constitution canadienne n'avait
pas été respectée depuis 1890.
Et dans l'Acte, toutes les lois
et ce qui découle des lois, tout
le système juridique et autre,
devraient être dans les deux
langues officielles. Les lois
devraient être adoptées en
anglais et en français ainsi que
les cours et les juges, ainsi de
suite, devraient fonctionner
dans les deux langues.
GISÈLE QUENNEVILLE
Donc, la contravention
de M. Forest aurait dû être
dans les deux langues.
LÉO ROBERT
Exactement. Exactement. Et la
Cour suprême a donné raison
à M. Forest et a déclaré la
possibilité que toutes les
lois de la province soient
inopérables, qu'elles aient
aucune valeur, les lois
promulguées uniquement en
anglais depuis 1890. Alors, vous
pouvez vous imaginer si, du jour
au lendemain, le gouvernement
provincial se ramasse avec
aucune loi qui a force de loi,
il y a personne qui est protégé,
même pas la minorité qui voulait
être protégée par la propre
constitution qui a
pas été respectée.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais là, c'est la Cour suprême
qui décide de ça. Mais la balle
est donc envoyée dans le camp
de la province, du gouvernement
du Manitoba. Et si je comprends
bien, le gouvernement du
Manitoba a pas fait grand-chose,
jusqu'à ce qu'un
certain M. Bilodeau...
LÉO ROBERT
C'est ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
... arrive quelques années
plus tard. Avec une autre
contravention, oui?
LÉO ROBERT
Oui, oui. En 1979--
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous conduisez mal,
les Franco-Manitobains,
j'ai l'impression.
LÉO ROBERT
Ah ouais, on est pas mal
des brasseurs, oui.
Après la décision de la Cour
suprême, le gouvernement
provincial, qui était
conservateur à l'époque sous
la direction Sterling Lyon, ont
décidé de rien faire. "Ça va
partir de soi." Comme, la
Cour suprême... L'attitude
de M. Lyon, c'était que la Cour
suprême a pas le droit de dire
à des politiciens comment gérer
leur province. En 1981, il y
a eu une élection provinciale
et M. Lyon a été défait.
Alors, c'est un gouvernement
néo-démocrate qui a été élu
à l'automne 1981, sous la
direction de M. Pawley. Puis du
jour au lendemain, M. Pawley
s'est ramassé avec une patate
chaude. En 1980, tout de suite
après la décision de Georges
Forest, on avait une gang de
jeunes avocats nouvellement
diplômés qui se promenaient dans
les rues de Saint-Boniface à
faire de l'excès de vitesse pour
contester, encore une fois,
si la contravention était pour
être uniquement en anglais.
Ils étaient prêts à contester
jusqu'en Cour suprême aussi la
validité de la décision initiale
de la Cour suprême. Alors, Roger
Bilodeau, c'était un de ces
jeunes avocats frais là, que je
trouve, qui se promenaient dans
les rues à faire de l'excès de
vitesse. Puis lui, il y a Rémi
Smith, il y a Renald Guay, il y
en a d'autres avocats qui ont
eu des contraventions. Mais
finalement, c'est Roger Bilodeau
qui a décidé d'aller de l'avant.
Alors là, la province était
pognée avec un deuxième cas,
identique à celui
de M. Forest...
GISÈLE QUENNEVILLE
Et est-ce que ça s'est rendu
en Cour suprême ça aussi?
LÉO ROBERT
En 1985, après la crise
linguistique. Alors là,
M. Pawley s'est présenté à
l'assemblée annuelle de la
Société franco-manitobaine,
en mars 1982, l'année que j'ai
été élu comme président.
Et il a invité la communauté
franco-manitobaine à négocier
avec le gouvernement pour
enlever l'obligation au
gouvernement provincial de
traduire toutes ses lois depuis
1890 en français et en anglais.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et en revanche, qu'est-ce
que la communauté obtiendrait?
LÉO ROBERT
En revanche, il était prêt à
offrir des services en français
à la communauté francophone
enchâssés dans la Constitution
canadienne, pareil comme les
droits des hautes cours,
puis à l'Assemblée législative.
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors, vous, vous êtes
président de la SFM à l'époque.
Ça faisait votre affaire, ça?
LÉO ROBERT
Bien oui, oui. Moi, je
trouvais que... Le système
juridique, c'est bien beau, mais
nos francophones, c'est pas tous
des criminels. Il y en a très
peu d'eux autres qui vont avoir
accès à ces services-là,
tu sais. Alors, bon, on voulait,
nous autres, essayer de trouver
une façon où on pourrait
rendre plus de services à nos
francophones dans leur langue.
Et c'était une façon de le
faire avec un amendement
constitutionnel. Alors, la
province était prête à négocier
un amendement constitutionnel
avec la communauté pour la
libérer de l'obligation de
traduire toutes ses lois.
En échange, la SFM,
avec ses avocats, avait
identifié à peu près 450,
500 lois qui devraient être
traduites depuis 1890.
Alors, en échange de ça,
on avait 500 lois traduites.
De l'entrée en vigueur
de l'entente, la province
respecterait l'entente de la
décision Forest en adoptant
toutes ses lois en
français et en anglais,
et ayant un système juridique
qui répond aussi aux besoins des
francophones dans leur langue.
Et après cette date-là, toutes
les lois étaient pour être
adoptées dans les langues,
mais la province commencerait
à offrir les services à
la communauté francophone.
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors ça, ça faisait
l'affaire de la SFM.
LÉO ROBERT
Bien oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Qu'est-ce que les anglophones
du Manitoba ont pensé
de ça par contre?
LÉO ROBERT
Il y en a beaucoup à cause
de la peur qu'on a semée, entre
autres par Sterling Lyon, qui
était l'ancien premier ministre,
qui était entièrement en
désaccord avec ça. On peut
comprendre pourquoi. Et à cause
d'un néo-démocrate qui était
élu, puis qui a pas eu un
siège au cabinet du nouveau
gouvernement Pawley. Il était
un petit peu fâché de son
gouvernement parce qu'il était
pas ministre. Et lui aussi
a commencé à créer "de la"
grabuge autour de l'amendement
constitutionnel. Puis là, on
a fait peur à la population.
On a dit aux anglophones que
vos enfants auraient jamais des
postes comme fonctionnaires ni
municipal, puis ça avait rien
à faire avec les municipalités,
mais ça, c'était pas important.
Ni provincial ni fédéral, alors
oubliez la fonction publique
pour vos enfants parce qu'ils
parleront pas français. Ils
pourront jamais avoir un poste.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais c'était faux, ça.
LÉO ROBERT
C'était faux. C'était faux,
mais certain. C'était de la peur
qu'on a semée dans la
communauté anglophone.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ça a brassé ici, à la Société
franco-manitobaine. Peut-être
nous décrire ce
qui s'était passé.
LÉO ROBERT
Bien, après l'été, on est
arrivés à une entente au mois de
décembre. On a commencé à avoir,
au mois de décembre, des
graffitis sur les murs,
(Propos en anglais et en français)
"No more french", surtout les
bureaux à Georges Forest sur la
rue Marion, et à toutes les fins
de semaine, il était obligé de
repeinturer son mur. Le Centre
culturel franco-manitobain.
"No more french" paraissait
un petit partout. Le 31 janvier
1983, on a brûlé l'édifice,
nos bureaux, qui était sur la
rue Provencher juste pas loin
du bureau de poste ici, l'autre
bord de la rue. Incendié nos
bureaux, on a tout perdu.
C'était une perte totale. Et la
Gendarmerie a déterminé que
c'était une main criminelle
qui avait allumé le feu,
mais ils ont jamais trouvé
le responsable. On a commencé,
mon épouse et moi, à recevoir
des menaces de mort.
LÉO ROBERT a les larmes aux yeux.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est dur encore aujourd'hui.
LÉO ROBERT
Oui, oui. Hum...
On recevait des appels
téléphoniques à n'importe quelle
heure de la nuit, des lettres
dans ma boîte aux lettres,
fait que les gens savaient où on
demeurait. Hum... On a reçu
une cartouche de .22 avec
ma photo enveloppée autour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ouf!
LÉO ROBERT
Puis on a menacé nos enfants.
On a menacé nos enfants. On a
reçu une lettre dans notre boîte
à lettres à un moment donné nous
indiquant qu'on avait suivi nos
enfants de l'école Taché à chez
nous et qu'ils savaient où ils
allaient à l'école, puis comment
ils se rendaient à l'école et
retournaient. Là, on a décidé de
quitter notre maison. On a amené
nos enfants à Saint-Malo chez
notre belle-famille, la famille
à mon épouse Diane. Ils sont
restés là pour une semaine et
nous autres, on est sortis de
la maison. On demeurait chez
des amis, deux, trois soirs. On
prenait une chambre d'hôtel pour
deux, trois soirs. On louait une
voiture, on changeait de voiture
à toutes les semaines. Et ça a
duré un mois et demi, deux mois
cette situation-là. Après un
mois, on a décidé de réintégrer
notre maison. Et avant de
rentrer, on a appelé les
policiers de la Ville de
Winnipeg pour leur demander
de venir vérifier les lieux,
ma voiture, le garage pour
m'assurer que c'était pas piégé.
On savait pas comment loin que
c'était pour aller. Je veux
dire, ils étaient déjà allés
assez loin. Alors, ils sont
venus vérifier tout ça, puis
finalement, on a réintégré
notre maison, puis...
GISÈLE QUENNEVILLE
Tout ça se passait et
pourtant, vous avez choisi
de demeurer président de la SFM.
LÉO ROBERT
Oui, oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Pourquoi?
LÉO ROBERT
T'abandonnes pas, hein.
Les gens de la SFM, la
communauté francophone... On
avait l'appui de la communauté,
on le savait. Et quand c'est
allé si loin que ça, puis que
t'as subi tout ça, c'est pas le
temps de lâcher, parce que là
tu lâches au nom de toute
une communauté. C'est
pas faisable, non.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et comment ça s'est
terminé tout ça?
LÉO ROBERT
En 1984, les conservateurs de
la fin 1983 jusqu'en 1984, ils
refusaient de venir voter à
l'Assemblée législative, ils
refusaient de rentrer en chambre
pour voter. Et les règlements
de la Chambre indiquaient que
s'il y a pas un membre de
l'opposition dans les bancs, la
législative peut pas adopter de
lois. Alors, à la fin février,
l'Assemblée législative, la
session a été prorogée, et
l'amendement constitutionnel est
mort au feuilleton. Mais le
point culminant, pour moi, dans
toute cette crise, c'était
le 27 septembre en 1983, où on
a eu une audience publique entre
l'adoption de la deuxième et
troisième lecture. Avant la
troisième lecture, il y avait
des audiences publiques
organisées par le gouvernement
provincial, il y a un comité
législatif qui s'est rendu à
Sainte-Anne, le seul village
francophone que le comité
législatif a visité. Et la SFM,
nous avons invité tous les
francophones qui voulaient bien
se déplacer pour se rendre là,
pour démontrer au gouvernement
et à l'opposition que la
communauté appuyait ce que la
SFM avait négocié et discuté. Et
ce jour-là, il y avait au-dessus
de 2500 personnes, des
francophones dans le terrain
de stationnement aux côtés de
l'aréna, puis du
curling rink
et de la Legion. Et on a fait
notre présentation, la SFM
a fait sa présentation au comité
législatif; ensuite, on a eu un
gros party dans la cour avec un
feu de camp et des chanteurs.
En tout cas, c'était vraiment,
vraiment plaisant.
Dans un autre segment, on nous montre des images su village d'Aubigny, au MANITOBA.
LÉO ROBERT (Narrateur)
Mon village natal, c'est
Aubigny, situé du long de la
rivière Rouge. à peu près 30,
40 minutes au sud de la ville
de Winnipeg. Vraiment, le centre
d'activité au petit village
d'Aubigny, c'était l'agriculture
et la rivière, qui était un
obstacle des fois, mais qui
était aussi un bénéfice à
d'autres fois. J'ai passé
toute ma jeunesse là jusqu'à
l'âge de 23 ans. Je pense
que j'ai quitté le village
à 23 ans. J'ai été élevé sur
le bord de la rivière, sur la
rivière, en patins ou en bateau,
et dans la rivière,
l'été surtout.
Alors, le village d'Aubigny,
dans ma jeunesse, c'était un
village francophone, tout le
monde parlait français au
village. On avait, je me
souviens, dans la petite
école, on avait deux familles
anglophones, des Macdonald et
des Blata. Mais on les avait
assimilées. Ils parlent
français, ils parlaient français
aussi bien que nous autres.
Je garde de très beaux souvenirs
d'Aubigny parce qu'on s'est
bien amusés. Étant proches de la
rivière, on manquait jamais rien
à faire. Je veux dire, on avait
toujours quelque chose à faire,
soit la pêche l'été ou le hockey
l'hiver sur la glace de la
rivière. La chasse autour de
la rivière pour du petit gibier,
comme des lièvres ou des
écureuils. Et de baseball.
On a tout fait. En tout cas,
ce village-là, c'était
vraiment plaisant.
On retourne à l'entrevue avec LÉO ROBERT.
GISÈLE QUENNEVILLE
M. Robert, vous avez vécu des
moments très difficiles en 1982,
1984, vous, personnellement,
la communauté également. Mais en
bout de ligne, est-ce que
ça a donné quelque chose?
LÉO ROBERT
Mais finalement, le cas
Bilodeau, Roger Bilodeau,
le jeune avocat qui avait eu
une contravention unilingue
anglaise, s'est présenté en Cour
suprême à son tour en 1985.
Et la Cour suprême a confirmé
sa décision prise dans le cas
Forest que la province était
obligée de traduire ses lois et
d'adopter toutes ses lois dans
les deux langues officielles
à partir de 1890 jusqu'à
maintenant. Et dorénavant,
la province doit respecter
la constitution: adoption et
traduction des lois,
et le système juridique
fonctionne dans les deux
langues. Et depuis ce temps-là,
les lois sont adoptées dans
les deux langues. On peut
même parler en français,
puis se faire comprendre
dans l'Assemblée législative,
ce qu'on pouvait pas
faire auparavant.
GISÈLE QUENNEVILLE
Diriez-vous qu'avant
cet événement-là, les
Franco-Manitobains
étaient revendicateurs?
LÉO ROBERT
On commence à l'être de plus
en plus depuis les années...
Début des années 70, je pense
que c'est vraiment là où on a
commencé être revendicateurs.
Et c'est là où on a travaillé
pour changer... éliminer
l'Association de l'éducation
parce qu'on commençait à avoir
droit à enseigner en français et
on commençait à avoir le droit
à avoir... pas des écoles
françaises, mais au moins
être respecté dans une école
qui enseignait en français.
Et on avait plus nécessairement
besoin juste d'un organisme qui
s'occuperait de l'éducation
uniquement. On avait besoin
d'un organisme qui s'occuperait
de toutes les facettes du
développement d'une communauté.
Alors, c'est là, en 1979, que
l'Association de l'éducation,
à une assemblée annuelle, a plié
bagage et on a mis sur pied la
Société franco-manitobaine comme
porte-parole responsable de tous
les besoins de la communauté
francophone. Alors, on avait
besoin, surtout au niveau
développement économique, pour
être Franco-Manitobains au même
titre que les Anglo-Manitobains.
Alors, il fallait s'impliquer
beaucoup plus, puis s'ouvrir
beaucoup plus que qu'est-ce
qu'on était auparavant.
Auparavant, on était pas mal
renfermés dans nos petites
communautés pour essayer de se
protéger contre les méchants
Anglais. Eux autres, l'autre
bord de la rivière, c'était des
anglophones, puis nous autres
de ce bord ici, c'est des
francophones. Puis comme je dis
souvent, à l'époque, tu pouvais
pitcher une roche l'autre bord
de la rivière, puis tu frappais
pas un francophone. Maintenant,
c'est dangereux, il est possible
que tu frappes un francophone
l'autre bord. Alors, on est pas
mal plus ouverts qu'on l'était,
puis c'est heureusement à
partir de ce qu'on appelle
la révolution tranquille
manitobaine, pas pour faire
comparaison avec celle du
Québec, mais c'est un petit
peu à partir du début des années
70 qu'on a commencé à changer,
puis à s'ouvrir beaucoup plus.
GISÈLE QUENNEVILLE
Quelles ont été les séquelles
de cette crise linguistique
entre les francophones
et les anglophones, et les
relations anglofrancophones?
LÉO ROBERT
Je vais commencer par te
parler de mon impression de ce
qui s'est passé au niveau de
la communauté anglophone. La
communauté anglophone est
devenue beaucoup plus ouverte
à la question francophone
qu'elle l'était auparavant.
GISÈLE QUENNEVILLE
À cause de cet événement-là?
LÉO ROBERT
À cause de la crise
linguistique. Je pense qu'il y a
beaucoup d'anglophones qui ont
trouvé que c'est allé trop loin,
qui ont trouvé qu'il y a des
gens qui ont exagéré beaucoup,
et que se lever debout en
réunion publique, puis dire:
"Je suis raciste et fier
de l'être", on voit plus ça de
nos jours. On voyait ça souvent
là, puis c'était encouragé
par l'opposition officielle, par
Sterling Lyon et ses acolytes.
Alors, on voit plus ça
maintenant. Durant la crise
linguistique, quand je suis allé
à Brandon faire une présentation
pour les audiences publiques,
la GRC nous a rencontrés aux
limites du village, nous ont
rentrés au village au Legion,
où on a fait notre présentation,
ils nous ont accompagnés pour
sortir du village parce qu'ils
étaient pas certains de notre
sécurité dans le coin
sud-ouest de notre province.
Aujourd'hui, peux aller à
Brandon parler français dans
n'importe quel restaurant, puis
personne me dit rien. Alors,
je pense que suite à la crise
linguistique, il y a une plus
grande ouverture, puis une
plus grande sensibilité de
la présence francophone
dans notre province.
Pour la communauté, ce que ça a
fait, c'est que ça a créé...
On était timides au début parce
qu'on était maganés, mais ça a
créé une fierté beaucoup plus
importante, puis beaucoup
plus visible, je trouve, qu'elle
l'était auparavant. Avant ça,
on était des francophones, on
l'annonçait dans nos villages,
mais ailleurs, on en parlait pas
trop, trop. On restait pas
mal dans nos petites
places tranquilles.
GISÈLE QUENNEVILLE
La population
franco-manitobaine,
je pense qu'elle est en
décroissance en ce moment.
LÉO ROBERT
Oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que ça vous inquiète,
ça, vous qui avez vécu ces
grands moments de l'histoire
franco-manitobaine?
LÉO ROBERT
Je vais te dire franchement,
Gisèle, ça m'inquiétait beaucoup
plus il y a cinq ans, six ans
que ça m'inquiète maintenant.
Avec le système d'immersion
qui prend de l'envergure tout
le temps, avec l'ouverture de
la communauté vis-à-vis ces
francophiles-là, ceux qui ont
appris le français comme langue
seconde, on était pas trop, trop
ouverts à eux autres avant comme
communauté. On l'est beaucoup
plus maintenant. Et avec les
nouveaux arrivants des pays
francophones qui viennent
s'installer chez nous, on vient
à bout de maintenir notre
population francophone pas
mal au même niveau. On prend
beaucoup moins de recul à chaque
recensement qu'on prenait
auparavant. Auparavant, il y
avait au moins 10 à 11% de notre
communauté qu'on perdait à
chaque recensement, à chaque
quatre, cinq ans. Maintenant,
c'est rendu quasiment 1, 1,5%.
Alors, ça a beaucoup ralenti.
Notre population est plus ou
moins stable, et on commence à
être plus nombreux qu'on l'était
auparavant. Je suis beaucoup
plus optimiste maintenant que je
l'étais. Alors, je pense que non
seulement au niveau du pays,
mais au niveau international,
on prend notre place davantage.
Et on est maintenant au point
où, comme Franco-Manitobains pur
sang, là, de race... Comme moi
qui ai été élevé dans un petit
village et qui avais peur de
tout le monde, on est beaucoup,
beaucoup plus... on se
considère beaucoup plus comme
Franco-Manitobains à plein
titre, pareil comme un
Anglo-Manitobain. Puis on a
les mêmes choses à apporter,
les mêmes choses à contribuer,
mais nous autres, on peut le
faire dans les deux langues
officielles. Eux autres
peuvent pas le faire.
Dans un autre segment, GISÈLE QUENNEVILLE et LÉO ROBERT sont à St-Boniface, devant un pont.
GISÈLE QUENNEVILLE
M. Robert, on est au bord de
la rivière. Ici, derrière nous,
le pont qui relie Saint-Boniface
à Winnipeg. Un pont que vous
aimez particulièrement,
je pense. Pourquoi?
LÉO ROBERT
Oui, bien, pour trois rai...
Bien, essentiellement trois,
quatre raisons. La première,
c'est certainement son
architecture. Je trouve ça
unique et très spécial.
C'est utilisé... La photo du
pont est utilisée dans beaucoup
de publicités pour la ville
de Winnipeg, au niveau
du tourisme et d'autres.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et l'architecte, c'est
pas n'importe qui.
LÉO ROBERT
C'est pas n'importe qui, c'est
un des nôtres, Étienne Gaboury,
qui a fait les dessins du pont
liés à sa construction. Et la
troisième, c'est symbolique
un petit peu. Avant ça, la
rivière divisait la communauté
francophone de la communauté
anglophone. Maintenant, la
rivière a tendance à nous unir
à cause du pont Esplanade Riel.
Et ça, je trouve ça très
intéressant pour notre
communauté et la communauté
manitobaine en entier, parce
qu'on est uni avec quelqu'un
d'autre, on est pas uni à
soi-même. Alors, ça nous
rapproche comme deux peuples
fondateurs. Que je trouve
que c'est un symbole intéressant
comme avoir ça sur notre rivière
Rouge, surtout que c'est
construit par... dessiné par un
des francophones de chez nous.
On retourne à l'entrevue entre GISÈLE QUENNEVILLE et LÉO ROBERT.
GISÈLE QUENNEVILLE
M. Robert, je peux pas vous
parler sans parler d'éducation,
n'est-ce pas. Parce que vous
avez été enseignant, vous avez
été directeur d'école, vous avez
été surintendant. Pourquoi
cette profession-là?
LÉO ROBERT
Depuis que je suis bien jeune,
il y avait deux choix que
j'avais quand j'étais très
jeune: soit un prêtre
ou un éducateur.
Et à un moment donné, j'ai
réalisé, quand j'avais l'âge
de 13, 14 ans, que les filles
m'intéressaient beaucoup plus
que la prêtrise. Alors, je pense
que j'ai perdu la vocation.
C'est pas à cause des filles,
c'est à cause de moi. Et j'ai
décidé, depuis ce temps-là,
d'être enseignant et j'ai jamais
regretté mon choix, mon option.
Ce qui fait que j'ai gagné...
J'ai fait une bonne vie, j'ai
gagné un bon salaire. Aller à
l'ouvrage à tous les jours,
c'était pas une job, c'était
pas... J'aimais ça. C'était
vraiment ce qui me
plaisait beaucoup.
GISÈLE QUENNEVILLE
Qu'est-ce qui a changé dans
ce milieu-là au fil des ans?
LÉO ROBERT
Je pense que la diversité de
la clientèle qu'on a est un gros
défi. Avant ça, être enseignant
dans une école, par exemple
à Sainte-Agathe ou ici, au
Précieux-Sang ou au Collège
Louis-Riel, ta communauté
était pas mal uniforme, c'était
pas mal des francophones qui
venaient d'ici et qui étaient
installés ici depuis longtemps.
Aujourd'hui, c'est plus le
cas. C'est des communautés
qui viennent d'ailleurs,
de l'extérieur du pays même,
des pays étrangers. Et ils
s'intègrent, on essaie de les
intégrer autant que possible
dans notre système, mais il y
a des défis importants à les
intégrer, surtout quand on
veut les intégrer pour qu'ils
puissent continuer à parler le
français, mais en sachant qu'il
faut qu'ils apprennent l'anglais
aussi s'ils veulent survivre
économiquement dans notre
province. C'est pas tout le
monde qui peut gagner sa vie
à 100% en français dans
notre province. Moi, j'ai été
chanceux, j'ai pu le faire toute
ma vie en éducation. Mais c'est
pas tout le monde qui ont cette
chance-là. Alors, c'est ça un
des gros défis, la clientèle a
beaucoup changé. Les attentes
des parents aussi ont beaucoup
changé comparé à quand
j'étais là, moi.
GISÈLE QUENNEVILLE
Dans quel sens?
LÉO ROBERT
Dans le sens qu'il y a des
parents qui sont beaucoup... Je
vais peut-être sonner un petit
peu radical, mais ils poussent
leurs droits beaucoup plus
que les frontières du système
scolaire. Moi, je dis toujours
qu'avant 1994, on a passé 20 ans
à dire à nos parents: "Vous
allez avoir la gestion scolaire,
vous allez avoir votre système
scolaire, vous allez gérer votre
propre système scolaire." Quand
on a mis sur pied la division
scolaire, les parents ont géré.
Les parents voulaient gérer.
Mais ils voulaient gérer à des
places où ça leur appartenait
pas de gérer: l'évaluation des
profs. "Ce prof-là, sors-le de
mon village parce qu'il est pas
bon." Ou "cette enseignante-là a
fait ça, sors-la." T'avais tous
ces défis-là. Alors, ça a
pris un petit peu de temps
avant d'arriver à une certaine
maturité et une certaine
sensibilisation aussi de la
communauté parentale de nos
écoles, qu'il y a certaines
choses qui te reviennent comme
parent, bien certain: les
intérêts de ton enfant, ce qui
est le mieux pour ton enfant
et tout ça. Mais il y a d'autres
qui te reviennent pas
nécessairement. C'est pour ça
que vous avez embauché du monde.
C'est pour ça que vous avez
besoin du monde comme moi, par
exemple, et comme d'autres
enseignants ou comme d'autres
administrateurs pour gérer tout
cet élément-là. Vous êtes pas
capables de le faire, pas
parce que vous avez pas les
connaissances et les capacités
pour le meilleur intérêt
de vos enfants, mais parce que
vous avez pas la formation, puis
vous avez pas le
big picture.
Vous avez pas le portrait global
d'un système scolaire,
puis qu'est-ce que ça peut
représenter pour les individus.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce qu'on a atteint cette
maturité-là aujourd'hui?
LÉO ROBERT
On s'en vient. On s'en vient
tranquillement, c'est beaucoup
mieux que ça l'était. Je pense
que les parents comprennent
davantage qu'avoir le meilleur
intérêt de ton enfant veut
pas nécessairement dire avoir
la possibilité de déterminer
qui va lui enseigner ou comment
il ou elle va lui enseigner,
et ainsi de suite.
Alors, on s'en vient.
GISÈLE QUENNEVILLE
Il y a eu l'éducation, mais je
pense qu'on peut dire que votre
vie communautaire a toujours
été pas mal intense.
LÉO ROBERT
Ah, elle est intense, oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
L'Association des directions
d'école, que ce soit
au Manitoba, de l'Ouest, à
l'échelle du pays, impliqué dans
les Caisses populaires, coach
de fastball, je pense, aussi.
Où est-ce que vous trouviez
le temps de faire tout ça?
LÉO ROBERT
Heureusement, j'avais une
bonne épouse qui m'a toujours
appuyé dans n'importe quoi que
je voulais entreprendre et sans
jamais se plaindre, sans jamais
dire un mot. Alors, si ça avait
pas été de l'appui de mon
épouse, je pense pas que
j'aurais pu faire... être
impliqué autant que je l'ai été.
C'est grâce à elle en
grande, grande partie.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez beaucoup donné,
vous avez sans doute beaucoup
sacrifié. Qu'est-ce que
vous avez eu en échange?
LÉO ROBERT
Hum... Une validation de
soi-même, une validation que
t'es important, puis t'as
une place et t'appartiens...
... dans la communauté
manitobaine.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez pris votre retraite,
mais j'ai l'impression que vous
êtes pas un monsieur à rester
chez vous à rien faire, là.
Comment vous meublez vos
jours de ce temps-ci?
LÉO ROBERT
Bien, jusqu'en juin 2015,
j'étais président du Bureau des
gouverneurs de l'Université de
Saint-Boniface. J'ai été là
pendant sept ou huit ans de
temps. Depuis quelques années,
je suis aussi membre d'un
comité de la Société
franco-manitobaine. Alors,
c'est un comité qui a des
représentants de la communauté
francophone qui se rencontrent
avec des sous-ministres
du gouvernement provincial
pour parler de développement
des services en français et
d'avancement des services en
français de la province dans
les communautés francophones.
Et je m'implique... J'étais
président du comité de mise en
candidature pour l'assemblée
annuelle de la SFM.
Je m'implique ici et là.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et vous êtes grand-papa.
LÉO ROBERT
Et je suis grand-papa et fier
de l'être. Et je gâte autant
que possible mes petits-enfants
avec mon épouse. On passe tout
le temps qu'on peut avec nos
petits-enfants. On court des
games de hockey, on court
du volleyball, du basketball.
Ils sont dans tous les sports,
les petits. Alors, ça te tient
aller. Je veux dire, tu fais
du millage sur le vieux car.
GISÈLE QUENNEVILLE
M. Robert, merci beaucoup.
LÉO ROBERT
Un plaisir, merci.
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