Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin and Daniel Lessard meet exceptional francophones from throughout Canada and beyond. Discover politicians, artists, entrepreneurs and scientists whose extraordinary stories are worth telling.


Video transcript
Sylvain Baruchel: Pediatric Oncologist
Pediatric oncologist Sylvain Baruchel is part of a team of specialists at Toronto´s SickKids hospital.
Children and their families come to SickKids from all parts to receive care from some of the world´s best doctors, nurses and researchers. Caring for children with cancer every day might seem morbid and depressing, but for Dr. Baruchel, it is an experience rich with challenges and joy.
Inside the hospital walls, there is hope and worry, anguish and glee.
Réalisateur: Charles Pepin
Production year: 2015
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Titre :
Carte de visite
On visite les installations de l'hôpital SickKids de Toronto pendant que GISÈLE QUENNEVILLE fait une brève présentation biographique du Dr SYLVAIN BARUCHEL, oncologue pédiatrique que l'on suit dans ses visites dans l'hôpital.
GISÈLE QUENNEVILLE (Narratrice)
À l'intérieur de ces murs, il y a
de l'espoir et de l'inquiétude,
de la tristesse et du bonheur.
Des enfants et leur famille
viennent de partout pour
se faire soigner ici.
On y retrouve des médecins, des
infirmières et des chercheurs
qui sont parmi les meilleurs au
monde. Dr Sylvain Baruchel est
un des nombreux spécialistes de
l'hôpital SickKids de Toronto.
Tous les jours, cet oncologue
pédiatrique soigne des enfants
atteints de cancer.
C'est un monde qui peut paraître
morbide et déprimant, mais
pour Dr Baruchel, c'est un monde
rempli de défis et de joies.
Le Dr SYLVAIN BARUCHEL est dans une salle de repos à l'hôpital.
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Chaque enfant est différent.
Chaque cancer est différent.
Je pense que dans 10-15 ans,
on ne donnera plus une recette qui est
la même pour tout le monde.
Titre :
Carte de visite
GISÈLE QUENNEVILLE
Dr Sylvain Baruchel, bonjour.
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Dr Baruchel, il y a rien de
plus triste qu'un enfant malade.
Pourtant, vous, vous côtoyez
tous les jours des enfants
qui sont atteints du cancer.
Comment est-ce que vous faites?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Les enfants atteints de cancer
sont des enfants. Avec leur vie,
avec leur sourire,
avec leurs éclats de rire,
avec leurs pleurs.
Et c'est eux qui nous
permettent, justement, de
continuer et qui nous montrent
que la vie continue même avec un
cancer, même avec des chimios,
même avec de la douleur,
parce que ce sont des enfants.
GISÈLE QUENNEVILLE
Quand je pense au mot
"cancer", c'est un mot qui est
chargé de sens; traitement,
désespoir, mort parfois.
Comment vous faites comprendre
À l'enfant et à la famille,
aux parents de cet enfant-là,
qu'il y a peut-être de l'espoir?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Alors, d'abord, l'enfant,
il va de un mois à 18 ans.
Donc, évidemment, un adolescent
atteint de cancer, on n'aura pas
la même approche si c'est un
enfant de 6 mois. Donc, la
dynamique est différente en
fonction de l'âge, en fonction
du type de cancer. Mais
toujours, il y a un continuum,
que ce soit avec la famille
ou avec l'enfant. C'est d'être
transparent, d'être vrai,
de dire la vérité avec des mots
différents en fonction des âges.
De ne pas mentir. De donner
de l'espoir évidemment. Parce
qu'on guérit quand même 80%
des enfants atteints de cancer.
GISÈLE QUENNEVILLE
80%.
Dr SYLVAIN BARUCHEL
80%. Alors, il reste 20%
qui ne guérissent pas au jour
d'aujourd'hui, mais on essaie
de grignoter chaque cinq ans,
chaque décennie, quelques
pourcentages. Et donc,
c'est ce qui nous permet
de continuer. C'est la recherche,
c'est l'espoir, c'est
les nouvelles technologies,
c'est les nouvelles drogues.
Donc, c'est un perpétuel espoir.
C'est pas: "On peut rien faire."
GISÈLE QUENNEVILLE
Comment est-ce qu'on arrive
À traiter, à guérir 80% des
enfants atteints du cancer?
Je ne sais pas, mais est-ce
que le chiffre est aussi élevé
chez les adultes?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Non! Ils nous
envient énormément.
GISÈLE QUENNEVILLE
D'abord parce que je crois
qu'on a, quand on traite des
enfants, on traite des individus
qui sont, je dirais, plus sains.
Leur corps n'a pas été abîmé
par d'autres maladies comme
le diabète, l'hypertension,
l'infarctus du myocarde,
les infarctus cérébraux. Donc,
c'est des enfants qui tolèrent
beaucoup mieux les traitements.
Deuxièmement, les cancers de
l'enfant sont différents des
cancers de l'adulte. Ce sont
souvent des cancers qui
sont, qu'on appelle de type
embryonnaire, qui sont pas
induits par certaines habitudes
alimentaires ou toxicomanie.
Bien que ces jours-ci, le
contexte "On a le cancer que
l'on mérite" est un petit peu
mis en cause. Et il y a beaucoup
de gens, à juste titre,
qui disent: "Le cancer,
c'est finalement bad luck."
Par malchance, un gène va muter,
la cellule va se transformer.
Elle va se multiplier et...
Bon, c'est sûr que les facteurs
génétiques peuvent intervenir
dans la genèse du cancer.
Des facteurs environnementaux.
Mais globalement,
c'est aussi un petit peu...
C'est pas de chance.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous, vous avez fait beaucoup
de recherches sur un cancer en
particulier, le neuroblastome.
Qu'est-ce que c'est au juste?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Le neuroblastome est l'une
des tumeurs de l'enfant les plus
fréquentes, elle touche surtout
les enfants en bas âge,
au-dessous de l'âge de 5 ans.
Il y a plusieurs formes
de neuroblastomes. Il y a
des formes qui sont de bons
pronostics qui vont guérir
très facilement avec traitement
ou même juste observation,
ce qui est quand même un gain
très intéressant et très rare
en cancérologie. Un bébé de
3 mois qui naît avec un cancer
et qui n'est pas malade, on va
l'observer et le cancer va
régresser de façon spontanée.
Donc ça, c'est une question
scientifique extrêmement
intéressante. Si on arrive à
trouver pourquoi, c'est vraiment
le « one million dollar answer ».
Le neuroblastome, par ailleurs,
peut être une tumeur très,
très agressive pour laquelle,
malheureusement, nous avons
encore uniquement 60%
de chance de guérison.
Ce qui est beaucoup plus bas que
les 80% du nombre de cancers.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais vous avez établi une
thérapie qui me semble assez
prometteuse, n'est-ce pas,
pour les enfants?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Alors, on a effectivement
beaucoup de traitements. Le
traitement du neuroblastome est
un traitement multidisciplinaire
qui associe la chimiothérapie,
la chirurgie, la greffe de
moelle, et ce qu'on appelle
aussi l'immunothérapie,
qui nous permet maintenant, on
peut dire, d'assurer une chance
de guérison au-delà de 55%, par
rapport à il y a cinq-dix ans,
qui était à 40%. Donc, c'est
un vrai progrès. Par ailleurs,
aujourd'hui, nous travaillons
énormément sur ce qu'on appelle
la médecine personnalisée.
Ce qui veut dire que oui,
on vous donne un diagnostic
avec une étiquette, mais chaque
cancer et chaque individu
est différent. Si on arrive
à comprendre la génétique
du cancer de cet enfant,
on peut trouver des médicaments
qui vont être ciblés,
qui vont cibler ce cancer
en particulier et qui vont
permettre d'obtenir de meilleurs
résultats que lui donner
de la chimiothérapie qui est,
en fait, une recette un peu
globale pour aller tuer
des cellules cancéreuses.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et on est comment loin?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
On n'est pas loin. On y
est. On est sur tous les
cas, aujourd'hui, qui sont
difficiles, qui sont en rechute.
On est capable de faire ce qu'on
appelle du séquençage de la
tumeur pour aller décrypter les
éléments génétiques anormaux au
niveau de la tumeur, et essayer
de voir s'il n'y a pas dans
toute la batterie de médicaments
que nous avons à notre
disposition, un médicament
en particulier qui peut être
efficace. J'ai un exemple récent
d'un adolescent atteint d'un
neuroblastome pour lequel on a
donné le traitement standard.
La chimiothérapie n'a pas
fonctionné. La radiothérapie
ciblée, ce qu'on appelle
MIBG therapy, pour laquelle
on a une suite aussi qui est
ultramoderne. Ça n'a pas
fonctionné. Jusqu'au moment
où on a pu déterminer que
son cancer était porteur
d'une anomalie d'un gène pour
lequel on avait un médicament
disponible. On a commencé...
Alors qu'on avait donné
des régimes multidrogues, la
radiothérapie, la chirurgie, on
a commencé cet adolescent sur ce
médicament et pour la première
fois, au bout de neuf mois,
il a démontré une réponse
au traitement. Ce qui veut dire
que lorsque l'on cherche
et qu'on trouve, on peut améliorer.
C'est vraiment la recherche,
mais c'est trouver aussi.
Sur une mezzanine, GISÈLE QUENNEVILLE ouvre un autre volet de la vie du Dr SYLVAIN BARUCHEL.
GISÈLE QUENNEVILLE
Dr Baruchel, vous êtes
oncologue. Vous êtes médecin
bien sûr, mais vous êtes
également artiste à vos heures.
Comment vous vous dévoilez
comme artiste?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Il y a deux choses
que j'aime particulièrement.
C'est la photo depuis toujours.
Faire des photos. À l'époque,
les développer. Maintenant, avec
le digital, on travaille quand
même des photos évidemment.
Mais la création, ça passe par le
moment où on saisit l'instant.
J'aime ce côté, aller chercher
la forme géométrique. Et Toronto
est bien positionnée pour l'art.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous photographiez
la ville, c'est ça?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
J'aime bien photographier des
points géométriques de la ville.
J'aime bien ce qu'on appelle le
still life, c'est-à-dire un
objet qui ne bouge pas, mais
qui représente quelque chose
d'artistique. Par exemple, je
vais faire un gros plan d'un
papier déchiré sur un mur, et
puis, quand on voit l'image
sortir, c'est complètement
différent de ce qu'on avait
sur le mur. J'aime beaucoup
le noir et blanc. Je fais
essentiellement du noir et
blanc. Et j'aime beaucoup
travailler les balances de gris.
Dr SYLVAIN BARUCHEL
À quel point il est important
pour vous d'avoir ce côté-là,
artistique, dans votre vie?
Est-ce que c'est une façon
de gérer le stress?
GISÈLE QUENNEVILLE
Oui, mais je pense que la
recherche, c'est une forme d'art
aussi. Quand on regarde, quand
on fait... On écrit un
grant, un projet de recherche,
il faut de la créativité. Il faut avoir
été curieux, aller lire,
aller chercher, et mettre
des morceaux les uns à côté
des autres pour créer quelque
chose. Pour moi, la recherche,
c'est de la création.
On revient à l'entrevue principale dans l'aire de repos.
GISÈLE QUENNEVILLE
Dr Baruchel, à quel moment
est-ce que vous avez décidé
que vous vouliez être médecin?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Très jeune. J'ai eu une
chirurgie à l'âge de 6 ans, qui
était pas une chirurgie majeure.
Et puis, je me souviens,
très petit, de dire que
je voulais être médecin.
Il s'est avéré, comme toujours,
les parents, ils accrochent
ça. Ils ont dû pas mal...
Mais bon, c'est vrai que j'étais
toujours intéressé par la
science, par les expériences.
Et donc, j'ai commencé la
médecine comme tout le monde.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous, vous avez grandi
en France, n'est-ce pas?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Tout à fait, à Paris. J'ai
fait ma médecine et mon post...
études médicales à Paris.
Mais j'ai quand même failli
arrêter en troisième année
de médecine. Le premier stage
à l'hôpital s'est pas bien passé
du tout. Parce que c'était
un stage de chirurgie
avec des patients âgés, avec
des conditions qui étaient
pas idéales. Je me suis dit
que c'était pas ce que
j'avais envie de faire.
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors, à quel moment
est-ce que vous avez su
que vous vouliez travailler
avec les enfants?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Quand j'ai vu que je pouvais
pas travailler avec les adultes,
je me suis dit que
la seule chose...
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous pouviez pas travailler
avec les adultes! Vraiment?
Mais qu'est-ce qu'ils avaient,
ces adultes?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Je sais pas. Je pense que la
façon dont on leur demandait
de se comporter, c'était pas
acceptable dans mon esprit
à moi. Donc, j'ai eu la chance
de travailler avec des enfants
très malades, très vite.
Des enfants, à l'époque, dans
les années 1970, toujours
atteints de poliomyélite. Et à
l'époque, ces enfants étaient
soit sous respirateur, soit
avec des gros problèmes de
déambulation. Et j'ai découvert
un monde qui était magnifique,
de sourires et j'ai dit:
"Bien voilà! C'est ça
qu'il faut que je fasse."
GISÈLE QUENNEVILLE
Quel a été votre premier
contact avec un enfant
atteint de cancer?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
(En expirant)
Alors, ça, c'est un contact
très particulier. C'était à
l'Institut Curie. Je venais
rencontrer mon futur patron.
Donc, je n'avais jamais vu
d'enfants atteints de cancer.
Et je suis rentré dans le
service, par la porte d'entrée,
mais c'était une porte qui était
faite en sorte que la poignée
était très haute pour que les
enfants ne puissent pas sortir.
Mais j'ai quand même senti
quelqu'un qui essayait d'ouvrir
la porte de l'autre côté. Donc,
j'ai poussé la porte et j'ai vu
un enfant qui m'a fait un
grand sourire. Il avait une
particularité; il était atteint
d'un cancer de la rétine
bilatéral, et on lui avait
enlevé les deux yeux.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ouf...
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Vous imaginez que le premier
contact, c'était un sourire.
Et je n'ai pas vu...
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous n'avez pas vu les yeux?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Je n'ai pas vu les yeux.
Je n'ai vu que le sourire.
Donc, ça, c'est une image que
j'oublierai jamais. Ça a été mon
premier contact avec un enfant
atteint de cancer, mais
qui avait un aspect physique
qui, pour moi, n'était pas
différent des autres.
GISÈLE QUENNEVILLE
Hum, hum. Je pense, quand
vous êtes arrivé ici, vous avez
travaillé avec des personnes
atteintes du sida.
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Tout à fait.
GISÈLE QUENNEVILLE
Des enfants atteints du sida
également. On est au début
des années 1980. Donc, c'est
encore une période de grande
incompréhension face à cette
maladie-là. Comment c'était de
travailler dans ce domaine-là,
à cette époque-là?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
C'était... On savait pas.
1981, 1982, il y avait des
enfants qui venaient d'Afrique
et d'Haïti, dans un quartier
de Paris. On les voyait arriver
à l'hôpital avec des maladies
infectieuses qu'on comprenait
pas très bien, qu'on connaissait
pas. Avec des ganglions.
On pensait que c'était
une leucémie ou un lymphome.
Et très vite, je me suis
intéressé à cette maladie
sans savoir que c'était le VIH.
Et j'ai commencé à travailler
avec Luc Montagnier
à l'Institut Pasteur. Et puis,
j'ai développé, par goût et par
chance aussi, une expertise dans
cette maladie que personne ne
connaissait, où les infirmiers
étaient terrorisés.
On rentrait dans la chambre
avec un scaphandre pratiquement.
Parce qu'on savait pas ce que
c'était. Donc, on a découvert
le virus. Moi, j'ai développé
une clinique de sida à
l'hôpital Trousseau à Paris,
qui était la première clinique
pour enfants atteints du sida.
L'autre était à l'hôpital Necker.
Et puis, quand McGill m'a
demandé de venir postuler pour
un poste. Ils cherchaient
un cancérologue qui parlait
français, et ils avaient
un gros problème de sida
chez les hémophiles à Montréal,
sans avoir de médecin qui avait
une expertise particulière.
Donc, en recoupant tout ça,
ça a fait une bonne chimie.
On s'est établi au Québec,
à Montréal, avec les enfants.
Et puis, huit ans après, le SickKids
m'a demandé de venir ouvrir
le programme de thérapie
expérimentale du cancer
au SickKids.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et pourquoi SickKids
vous a attiré?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Parce que c'est une institution
où tout est possible. En terme
de volume de patients,
en terme d'accès à des
infrastructures de recherche.
Regardez où est-ce qu'on est
situés là. C'est le plus
grand centre de recherche
pédiatrique au monde, en
termes de nombre de chercheurs,
en termes de qualité aussi, un
des plus grands. Donc, quand on
prend le côté professionnel,
la qualité de vie, le Canada,
tout ce que ça représente,
il n'y avait pas de raison
de ne pas venir.
GISÈLE QUENNEVILLE
Il y a quelques années, vous
avez développé un traitement
pour justement des enfants
atteints de neuroblastomes,
et il s'agit de les enfermer
dans une pièce en plomb.
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Oui, on les enferme pas,
c'est-à-dire qu'on les protège.
GISÈLE QUENNEVILLE
Comment ça marche?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
On appelle ça "le château".
GISÈLE QUENNEVILLE
Le château!
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Le château fort. Alors,
le neuroblastome, c'est un cancer
qui a une certaine particularité,
c'est qu'on est capable
de le voir en radiologie.
Ce qu'on appelle la scintigraphie.
On utilise une substance
qu'on appelle un radio-isotope.
C'est quelque chose de radioactif.
Et donc, pour pouvoir voir le
cancer dans les os ou partout où
il peut se trouver, on injecte
une substance radioactive qui
va aller chercher la cellule
cancéreuse, en gros, allumer là
où elle se trouve, et on va le
visualiser sur un écran. Puisque
c'est de la radioactivité,
on a décidé de donner des doses
beaucoup plus importantes,
mais toujours avec cet esprit
de médecine ciblée pour aller
essayer d'aller trouver la
cellule cancéreuse, et la tuer
grâce à une radioactivité
beaucoup plus importante
que celle qu'on utilise
pour un diagnostic, un scan.
Cette radioactivité, elle est
éliminée dans les urines en
grande partie. Donc, pendant un
certain nombre de jours, qui
varie de quatre jours à sept
jours, en fonction des enfants,
il va y avoir une certaine
radioactivité qui va être émise
par la peau, par les urines,
et donc, il faut protéger le
personnel soignant, les parents
qui restent dans la chambre
plombée, comme vous le dites.
GISÈLE QUENNEVILLE
Le château fort.
On montre des images de la chambre plombée telle que décrite par le Dr SYLVAIN BARUCHEL.
Dr SYLVAIN BARUCHEL
De telle sorte que tout
le monde soit en sécurité,
et l'enfant, et le personnel
qui s'occupe de l'enfant,
et le parent qui reste dans
la chambre. Et on a réussi
à construire une des plus belles
chambres, je pense, de MIBG
en Amérique du Nord.
Parce qu'elle est grande,
parce que les parents peuvent
rester, parce qu'il y a toute
la sécurité. C'est approuvé
par la Commission "nationale"
de sécurité "radio-nucléaire"
au Canada. Donc,
c'est vraiment quelque
chose de très positif,
et qui nous permet de délivrer
ce traitement de façon...
en toute sécurité.
On montre des images de la ville de Toronto pour accompagner les propos du Dr BARUCHEL.
Dr SYLVAIN BARUCHEL (Narrateur)
Moi, ce que j'adore de Toronto,
c'est que c'est une ville
multiculturelle et multiethnique.
C'est une des rares villes
au monde où l'on peut se promener
dans différents quartiers, avoir accès
à des cultures différentes,
des nourritures différentes,
sans avoir à prendre un avion.
Quand même, ça, il y en a pas
beaucoup dans le monde, où les
gens arrivent à vivre ensemble,
à se respecter, à échanger.
Si vous allez dans le quartier
indien, vous avez un endroit
qui s'appelle Lahore Tikka qui
est un restaurant pakistanais
où c'est de la nourriture comme
celle que vous pouvez avoir
au Pakistan. Et c'est vrai
pour d'autres endroits dans
le quartier grec. C'est vrai
pour des restaurants espagnols.
Et ça change tout le temps.
Toronto, vous partez deux mois,
vous revenez, il y a des choses
nouvelles. Paris, vous partez
20 ans, ça a pas beaucoup bougé.
C'est ce que j'adore de Toronto.
GISÈLE QUENNEVILLE reprend son entretien dans une salle de repos de l'hôpital.
GISÈLE QUENNEVILLE
Dr Baruchel, je sais que vous
arrivez à sauver beaucoup de
patients, mais veux, veux pas,
on peut pas tous les sauver.
Qu'est-ce que vous ressentez
quand vous perdez un patient?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
(En soupirant)
Beaucoup de douleur, beaucoup
de tristesse, beaucoup d'échecs.
Comme on a dit, on en guérit
80%, on n'en sauve pas 20%.
Et malheureusement, dans mon
domaine de surspécialisation,
je... Ma mission, c'est de
traiter les 20% dont on sait
qu'on risque de ne pas les
sauver. Donc, c'est un grand
défi. On sait au départ à quoi
on s'attend. On essaie de se
protéger. Ça veut pas dire qu'on
arrête la recherche. Ça veut pas
dire qu'on n'essaie pas de pousser
les limites. Mais quand
on perd un enfant, on perd...
C'est pas nous qui perdons
l'enfant, c'est la famille. Mais
comme vous voyez, je dis "on".
Ça veut dire qu'on se sent...
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous faites partie
de la famille.
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Et les familles nous le
rendent bien. Donc, moi, je dis
souvent: "C'est un morceau
de nous qui part à chaque
fois qu'on perd un enfant."
Il est pas rare qu'on ait besoin
de prendre du recul, qu'on ait
besoin de dire: "Je ne peux plus."
Il y a aucun mal à dire:
"Je ne peux plus." Et ça
veut dire qu'on doit prendre
des blocs de temps pour soi.
Essayer de rentrer chez soi
sans cette souffrance.
GISÈLE QUENNEVILLE
Hum, hum.
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Ne pas amener ce stress auprès
de son épouse et ses enfants.
Ce qui est très difficile parce
qu'ils sentent tout. J'ai des
enfants qui ont grandi
avec le cancer des autres.
Donc, c'est difficile. Oui, je
peux pas nier, c'est difficile.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous parlez des familles, et
c'est sûr qu'il y a le patient,
il y a l'enfant, mais il y a
également la famille. Qu'est-ce
que ça apporte comme autre
dimension à votre travail, ça?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
C'est un dialogue à trois,
quatre. Il y a souvent
maintenant des familles
recomposées. Donc, c'est
un dialogue permanent.
Et en plus, ce que je trouve
extraordinaire au Canada et
À Toronto, c'est que chaque
famille n'est pas la même.
On est une société multiculturelle
et multiethnique. L'approche de la
douleur, de la maladie et de la
mort n'est pas la même quand on
vient du Moyen-Orient, ou de
l'Italie, ou d'un pays de l'Est
de l'Europe. La souffrance
est la même, mais la façon
d'exprimer cette souffrance
est différente.
GISÈLE QUENNEVILLE
Il y a plusieurs années, vous
avez mis sur pied une fondation,
un groupe, pour venir en aide,
pour donner le goût de vivre
à ces ados atteints du cancer.
Sur la pointe des pieds que
ça s'appelle. Qu'est-ce
que c'est ça, au juste? Parce
que ça continue aujourd'hui.
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Sur la pointe des pieds a 20
ans, aujourd'hui. Donc, ça a
commencé avec une idée très,
très simple, de permettre à
ces adolescents, justement, pour
lesquels la vie s'arrête, de
retrouver l'espoir, de retrouver
l'estime d'eux-mêmes, de se
prouver à eux-mêmes qu'ils sont
capables de faire autant, si ce
n'est pas plus que les autres.
L'idée, c'était de les emmener
dans des milieux naturels et
sauvages pour leur permettre de
se ressourcer, de se retrouver.
Pour nous, les soignants aussi,
qui les accompagnions, de voir
qu'ils étaient capables. Et
ça, ça changeait également notre
dynamique, la relation entre
patient et soignant, aussi bien
les médecins que les infirmières
que les parents. Les parents se
rendent donc compte que leur
enfant pouvait faire beaucoup
plus que ce qu'ils pensaient.
Donc, ils arrêtaient de les
surprotéger, leur permettaient
de faire plus de choses.
Et j'ai vraiment des témoignages
20 ans après. J'ai reçu, il y a
très peu de temps, un e-mail
du premier patient qui avait
participé à la première
expédition en 1996,
Jonathan, qui m'a dit:
"Je suis professeur
de littérature à l'Université
Laval. Vous m'avez guéri
de mon cancer. Merci. Mais
vous m'avez sauvé la vie grâce
à l'expédition. J'ai retrouvé
le goût de vivre. J'oublierai
jamais." Et c'est en permanence
qu'on a ces témoignages.
GISÈLE QUENNEVILLE
Quelle est la leçon principale
que vous avez apprise
de vos patients?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Ne jamais céder. Ne jamais
dire que ce n'est pas possible.
Parce qu'eux, ils se battent.
Alors, il faut se battre avec
eux. Ça, c'est ce qu'on apprend
au quotidien. Et l'autre chose
que j'ai apprise, c'est des
parents. Et des mères en
particulier. J'ai toujours dit:
"Un jour, il faut que j'écrive
un livre sur les mères."
Mais les pères, on s'améliore
quand même, hein!
Mais c'est surtout
ce don de soi. Et après
la disparition d'un enfant.
Parce qu'on le sait, on
perd certains des enfants.
Comment certaines familles
peuvent arriver à transformer
une tragédie en quelque chose
de positif. Quand elles prennent
en charge une fondation pour lever
des fonds pour nous aider à faire
avancer la recherche. Ça, c'est
ce que j'ai appris. C'est-à-dire
qu'il y a quelque chose après le
cancer. Il y a quelque chose
après la perte d'un enfant.
GISÈLE QUENNEVILLE
Il vous reste des choses à faire?
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Oui. Continuer à développer de
l'expertise, à aider d'autres,
ici, à SickKids, peut-être
d'autres aussi à développer
certains réseaux pour améliorer
le traitement du cancer chez
l'enfant. SickKids, on a
beaucoup de chance, on a
beaucoup d'infrastructures, mais
aussi, on peut aider les autres.
La médecine personnalisée, oui,
ça reste. C'est très important.
Chaque enfant est différent.
Chaque cancer est différent.
Je pense que dans 10-15 ans, on
traitera un patient en fonction
de la génétique de son cancer,
en fonction de la façon dont le
corps est capable d'absorber le
médicament et le métaboliser, et
on ne donnera plus une recette
qui est la même pour tout
le monde. C'est vers ça
qu'on va arriver. Parce
qu'on est tous différents.
GISÈLE QUENNEVILLE
Dr Sylvain Baruchel,
merci beaucoup.
Dr SYLVAIN BARUCHEL
Ça fait plaisir.
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