Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin and Daniel Lessard meet exceptional francophones from throughout Canada and beyond. Discover politicians, artists, entrepreneurs and scientists whose extraordinary stories are worth telling.


Video transcript
Kim Juniper: Marine Biologist, Ocean Networks Canada
When Kim Juniper was in school, his professor had him choose between studying worms in the ditches around the Victoria, BC, airport and taking a small submarine to survey the depths of the ocean. The choice was of course a no-brainer, and so began Juniper´s science career. To this day, he explores the deep sea as a chief scientist at Ocean Networks Canada, a company that manages underwater observatories along the Canadian coast. With a network of 850 kilometres of cables equipped with cameras and microphones installed in the depths of the ocean, Juniper and his team of researchers gather data on the impact that climate change and human activity have on deep water.
Réalisateur: Joanne Belluco
Production year: 2016
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Titre :
Carte de visite
Pendant que des images de l'édifice de l'université Victoria et des sites intéressants de la ville défilent, KIM JUNIPER se présente.
KIM JUNIPER (Narrateur)
Kim Juniper, je suis professeur
à l'Université de Victoria
en biologie marine
et en même temps, je suis chef
scientifique d'un grand projet
d'observatoire sous-marin qu'on
appelle Ocean Networks Canada.
On maintient des observatoires
au fond de la mer, au large
de la côte, qui sont connectés
à la terre par des câbles
à fibre optique. On suit la mer
en direct, on étend un internet
sous la mer, en fait.
Des images du port et des péniches qui y sont amarrées défilent.
KIM JUNIPER (Narrateur)
Je suis né en Saskatchewan,
loin de la mer, et j'étais
très influencé d'abord par mes
parents qui aimaient la nature.
C'était aussi l'époque où
Jacques Cousteau commençait
à faire ses films sur la
vie sous-marine et j'étais
complètement passionné par ça.
Je voulais absolument faire
comme lui, aller en mer,
découvrir la vie marine.
J'ai participé à la première
expédition qui a découvert
les sources thermales et
la vie autour ici, en 1983.
La mer arrive à toujours
me surprendre et ce qui me
surprend, c'est le peu qu'on
connaît. Donc chaque fois que
je sors en mer ou que je regarde
les données de la mer,
je suis toujours étonné par
les connexions entre le monde
vivant dans la mer et comment
ce vivant répond à la physique.
Je suis ma passion.
GISÈLE QUENNEVILLE
Kim Juniper, bonjour.
KIM JUNIPER
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE discute avec KIM JUNIPER, biologiste marin pour Ocean networks Canada, sur une passerelle devant la marina.
GISÈLE QUENNEVILLE
M. Juniper, les océans
recouvrent la majorité de la
surface de la Terre: qu'est-ce
qu'on sait des océans et
qu'est-ce qu'on ne connaît
toujours pas des océans?
KIM JUNIPER
Ce qu'on sait de l'océan
surtout maintenant, c'est qu'on
s'inquiète. L'océan commence
à sentir de plus en plus
des effets de l'activité
industrielle humaine, d'abord
par l'effet de serre, le
réchauffement du climat, qui
réchauffe les océans. Le CO2 de
l'atmosphère va maintenant faire
de l'acide dans les océans, qui
met en danger les coquillages.
De plus en plus, on extrait les
ressources vivantes de la mer.
Avant, c'était près de la côte.
Maintenant qu'on a épuisé ces
stocks-là, on va de plus en plus
vers le large. On commence aussi
à descendre dans les abysses
pour l'extraction du pétrole
et même pour l'exploitation
minière, on commence dans un an
à extraire des minéraux à 2000
mètres de profondeur. Des mines,
quoi, à ciel ouvert, mais bon,
recouvertes par l'eau. Donc,
c'est ça qu'on sait maintenant
des océans. On sait aussi que
les océans contiennent un vaste
réservoir de biodiversité
qu'on a à peine documentée.
Pour l'instant, on estime qu'il y a
environ 250 000 espèces vivantes
dans la mer, mais ça, c'est
juste après quelques années
de recherche. Il y a beaucoup
qui reste à découvrir,
probablement un million
d'espèces. Il y a un grand
intérêt, pas juste
pour conserver les espèces,
pour protéger la nature:
il y a un grand intérêt
des biotechnologies pour
l'exploitation des gènes,
des enzymes qui viennent des
organismes marins parce que ces
deux organismes-là sont dotés
de conditions qu'on n'a pas
sur terre. Donc il y a un grand
intérêt pour les procédés
industriels, des enzymes, pour
les traitements de maladies,
les douleurs, les cancers, etc.
On commence juste à trouver
des médicaments extraits
des organismes marins.
GISÈLE QUENNEVILLE
Maintenant, vous, vous êtes
scientifique en chef d'un groupe
qui s'appelle Ocean Networks,
et là, ce qui est intéressant,
c'est que Ocean Networks gère
des observatoires sous-marins.
Qu'est-ce que vous arrivez
à observer dans les fonds de la mer?
KIM JUNIPER
Ce projet date d'il y a environ 15 ans.
On a eu l'idée de câbler, en fait, de mettre
l'internet sous la mer, de
pouvoir suivre ce qui se passe
en direct au fond de l'océan
avec des caméras, des sondes
de température et même des
appareils pour mesurer les
tremblements de terre. On
voit tout. Et ce qui est
surtout intéressant, c'est les
connexions entre les différentes
choses dans la mer. Par exemple,
on a découvert que quand
il y a une tempête en surface,
les effets de cette tempête
se font sentir jusqu'au fond,
à 3000 mètres de profondeur.
Des fois, c'est des turbulences
dans l'eau qui obligent les
espèces à descendre vers le fond
pour éviter justement d'être
bousculées par les turbulences.
Des fois, c'est des changements
de pression dus au passage
d'une dépression en surface
de la mer qui change
ce qui se passe au fond.
GISÈLE QUENNEVILLE
Donc c'est très profond.
Vous parliez de 3000 mètres de
profondeur à peu près. Il fait
froid, c'est noir, j'imagine?
KIM JUNIPER
C'est noir à partir d'environ 200 mètres
de profondeur. Après, il n'y a plus
de soleil, il n'y a plus
de photosynthèse. Donc
tout organisme qui vit par ces
profondeurs-là doit vivre des
déchets qui viennent de la
surface dans la plupart des cas.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et c'est froid.
KIM JUNIPER
Et c'est froid. Dans l'abysse,
la température ambiante
est entre 1 et 2 degrés C.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et qu'est-ce que
vous appelez l'abysse?
KIM JUNIPER
L'abysse... Ça dépend
à qui on parle, mais l'abysse,
c'est normalement à partir
de 2 kilomètres et ça couvre
quand même... Plus de 50%
de la surface de la planète
est couverte par plus de
2 kilomètres d'eau, hein.
Donc c'est important. C'est la
plus grande région écologique
du monde et la moins
bien connue, évidemment.
GISÈLE QUENNEVILLE
Comment vous avez fait
pour installer ces câbles
à 3000 mètres sous la surface?
KIM JUNIPER
Pour installer notre réseau,
on a fait appel à différentes
technologies. On se sert de gros
bateaux câbliers qui posent
des câbles transocéaniques
qui connectent les continents
pour l'internet. Donc cette
technologie-là, c'est notre
technologie de base. Et pour
poser les capteurs, les sondes
sur le fond, là, on utilise les
sous-marins robotiques qui sont
sur un autre navire de support.
Et donc chaque été, on fait
environ six à huit semaines
d'entretien du réseau. On
sort en mer avec un navire
de recherche qui a un sous-marin
robotique à bord et on descend
avec le sous-marin.
Le sous-marin descend. Nous,
on reste secs et au chaud sur
le navire. Et ce sous-marin est
téléguidé par les pilotes à bord
du navire et puis on descend des
appareils, on les branche sur
le réseau dans le fond, on monte
ce qui a besoin d'entretien. Des
fois, on prend des échantillons
aussi autour pour calibrer
les capteurs. Et c'est beaucoup
de mécanique, mais en même
temps, on n'aurait pas pu faire
ça il y a 20 ans, parce que les
technologies n'étaient pas là.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et justement, depuis que les
câbles, depuis que l'internet
est installé sous le sol de la
mer, qu'est-ce que vous avez pu
observer? Qu'est-ce que
vous avez pu découvrir?
KIM JUNIPER
Ce qui est le plus étonnant,
comme je vous ai expliqué tout
à l'heure, c'est les connexions
entre le vivant et le non-vivant
dans la mer. Quand il y a une
tempête qui passe... Un jour,
on a écouté des baleines qui
chantaient, qui communiquaient
entre elles et puis, il y avait
eu tremblement de terre
à ce moment-là qui fait
des sons dans l'eau et...
... tout à coup, les baleines
ont arrêté de communiquer. Donc
elles étaient dérangées par le
tremblement de terre sous l'eau,
parce que ça fait des ondes
de sonar dans l'eau. Pour elles,
c'est le quotidien. "Oh, c'est
quoi ça?" Et pour nous,
c'était tout à fait surprenant
d'apprendre que les baleines
peuvent être affectées
par la géophysique.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que vous avez découvert
une faune marine ou une vie
marine à laquelle vous
vous attendiez pas?
KIM JUNIPER
Ce qu'on peut observer avec
le réseau, c'est le comportement
des espèces, comment elles
agissent autour de la journée,
le rythme d'activité, les saisons,
les va-et-vient des espèces,
surtout pour les
espèces qui sont exploitées pour
la pêche, par exemple. Là, on
commence à comprendre qui est
où et pour quelles raisons
et comment ils répondent. Donc
ça aide beaucoup à comprendre
la réponse des espèces et nous,
on est dans une région où, avec
les changements climatiques,
il y a des eaux très pauvres en
oxygène qui commencent à grimper
vers le continent. Et on est
très inquiets, en fait, du
devenir des écosystèmes sur
ce qu'on appelle le talus
continental ou le plateau
continental descend dans les
abysses. Donc c'est une pente
assez raide. Et il y a des
masses d'eau pauvres en oxygène
qui commencent à monter.
Donc d'un coup, les habitats des
espèces qui vivent dans le fond
sont appauvris en oxygène,
ils quittent. Il y a des espèces
qui restent et d'autres espèces
qui sont forcées de leur habitat
pour aller envahir l'habitat
d'autres espèces. Donc tout ça,
ça se fait assez rapidement,
et puis, avec l'observatoire,
on peut commencer à accumuler
des observations qui vont nous
permettre de prédire l'effet sur
nos pêches dans dix ou vingt ans
de ce processus environnemental.
GISÈLE QUENNEVILLE
On parle de quelles régions?
Juste pas loin d'ici, hein?
KIM JUNIPER
Oui. Donc on a en fait,
plusieurs réseaux câblés. Le
premier, c'est le réseau VENUS
qui est dans un fjord près de
Victoria, juste au nord ici,
environ à une vingtaine de
kilomètres. C'est là où on a
posé le premier câble. Ensuite,
on a posé un câble au large
de Vancouver, de la ville
de Vancouver, qui va dans
le détroit de Georgia qui
sépare l'île du continent. Et le
troisième, le plus ambitieux, ça
a été ce qu'on appelle le projet
NEPTUNE. C'est un câble qui fait
840 kilomètres de long, qui part
d'un fjord au milieu de l'île
de Vancouver, qui va au large
pour 300 kilomètres, qui fait
une boucle et qui revient vers
le continent. Donc ça, c'était
le plus grand et le plus
difficile et le plus cher aussi,
poser ce système-là. Donc
ce câble-là, ce grand réseau
NEPTUNE, a des noeuds
d'observation dans différents
types d'habitats, hein, près
de la côte sur le talus, dans
un canyon sous-marin, un autre
dans l'abysse. Et finalement,
le plus avancé, c'est à
300 kilomètres au large, là où
il y a une dorsale volcanique,
des volcans sous-marins, où il
y a des sources d'eau chaude qui
débouchent dans la mer et il y a
un écosystème qui se construit
autour. Et c'est là où il y
a plus d'action, en fait.
Des images captées dans l'abysse défilent.
KIM JUNIPER (Narrateur)
Quand on ouvre les caméras, les
projecteurs dans le fond, il y a
toujours une surprise, mais
en même temps, c'est tranquille,
c'est calme, il y a pas de
mouvements d'eau dans la plupart
des cas. Donc on a l'impression
que c'est vraiment
un monde de silence.
Sauf quand on arrive près
des sources d'eau chaude,
des sources hydrothermales. Là,
il y a de l'action.
Des cheminées jaillissent du fond marin.
KIM JUNIPER
Donc on voit du mouvement.
Il y a de l'eau chaude qui débouche,
qui sort des cheminées,
des fumeurs dans le fond
de la mer, et la vie
autour est beaucoup plus
concentrée qu'on voit ailleurs
sur le fond de l'abysse.
L'eau ambiante autour des
sources d'eau chaude est comme
l'eau dans l'abysse, elle est
à 2 degrés C environ. Mais l'eau chaude
qui sort des fumeurs noirs a une
température de plus de 300 degrés C.
D'autres images de la vie marine des abysses défilent.
KIM JUNIPER (Narrateur)
La vie marine autour de ce
qu'on appelle les sources
hydrothermales consiste de vers,
de plusieurs espèces, certaines
qui font plus d'un mètre
de long, et beaucoup de poissons
qui sont des prédateurs. Et des
fois, il y a des raies qui font
2 mètres d'envergure d'un
bout à l'autre des ailes.
Surtout, une faune qui est
attachée à des roches au fond
pour rester près de la source
d'eau chaude parce que la faune,
dans cette région-là, dépend
absolument de la chimie, des
produits chimiques, donc, dans
l'eau chaude qui sort. Donc
la faune doit rester sur place
plutôt que de se promener et
on a l'impression qu'il y a
une mousse de faune qui couvre
complètement, des fois,
des cheminées, des rochers,
tellement c'est épais,
c'est entremêlé les espèces.
De nouveau sur la passerelle surplombant une marina, GISÈLE QUENNEVILLE poursuit son entretien avec KIM JUNIPER.
GISÈLE QUENNEVILLE
M. Juniper, vous venez
de la Saskatchewan. Alors
pour vous, le Pacifique était
à 2000 kilomètres, l'Atlantique
à peu près à 4000 kilomètres.
Alors, comment un petit gars
de la Saskatchewan arrive
à s'intéresser aux océans?
KIM JUNIPER
Ce qui m'a vraiment,
en Saskatchewan, intéressé
à la mer, c'était découvrir les
émissions de Jacques Cousteau.
Et ensuite, ma famille, comme
on était amateurs de nature, on
faisait toujours des vacances de
camping l'été. Et petit à petit,
on s'en allait vers l'ouest
du Canada et puis, à un moment
donné, on a commencé à faire des
vacances ici sur la Côte-Ouest.
Donc, ça a été mon premier
contact avec la mer, ça a été
de camper ici sur l'île de
Vancouver avec mes parents
qui avaient des amis là-bas.
Les enfants, on s'amusait sur la
plage, on découvrait les espèces
marines dans des flaques d'eau,
etc. Puis, c'est comme ça que
j'ai découvert l'océan. J'ai pas
vu l'océan Atlantique avant
que je déménage au Québec
il y a très longtemps.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez fait vos études,
votre bac, à Edmonton. Alors là,
vous vous rapprochez de la mer,
mais vous étiez quand même
pas mal loin.
KIM JUNIPER
Oui, j'ai fini l'école secondaire
à Edmonton et puis,
je me suis inscrit en biologie
au bac à l'Université de l'Alberta,
avec un intérêt
éventuellement de faire de la
biologie marine. Mais j'ai
commencé près de la maison et
par la suite, quand j'avais fini
mon bac, je voulais m'éloigner
de la maison, être...
GISÈLE QUENNEVILLE
Comme tout jeune rebelle.
KIM JUNIPER
Comme tout jeune. Et puis,
j'avais un professeur qui
revenait d'un congé sabbatique
en Nouvelle-Zélande, puis il
a donné une conférence à tout
le monde au département et j'ai
dit: "Oui, c'est ça pour moi!"
Et donc, je suis allé travailler
à Tuktoyuktuk dans la mer de
Beaufort pour les plates-formes
pétrolières pour faire de
l'argent pour aller faire des
études en Nouvelle-Zélande. Donc
j'ai travaillé à peu près un
an avant d'y aller et ensuite,
je suis allé à Christchurch
pour m'inscrire d'abord à une
maîtrise et ensuite, ça s'est
transformé en doctorat. J'ai
fait, en fait, toutes mes études
de doctorat dans un estuaire,
en fait, deux estuaires en
Nouvelle-Zélande. Et après,
j'ai eu une bourse, une bourse
doctorale pour revenir au Canada
ici, à Victoria, au Ministère
des Pêches et Océans. Gâté,
j'avais un gros navire de
recherche à moi tout seul
pour une semaine par mois
pendant une année avec le
sous-marin. Donc vous voyez,
c'était facile de dire: "Je vais
faire une carrière de ça.
Il y a rien de mieux que ça."
GISÈLE QUENNEVILLE
Quelle a été votre
plus belle découverte?
KIM JUNIPER
En fait, pas forcément
quelque chose qui m'a frappé
personnellement, mais c'était
un moment très inspiré. Je
travaillais sur un projet dans
la fosse du Japon à 6000 mètres,
et puis, c'était la première
fois qu'on avait un sous-marin
capable de descendre dans
ces profondeurs. Les Japonais
étaient très intéressés
parce que c'est là, la zone où
naissent les gros tremblements
de terre du Japon. Et là,
on a découvert dans ces fosses
qu'à cause du mouvement
tectonique de plaques du fond
de l'océan qui se forcent,
il y a de l'eau qui sort du fond
à cause de la pression. Et cette
eau qui sort du fond alimente
les petits écosystèmes qui font
3-4 mètres carrés et c'est comme
avoir le doigt sur le pouls
des mouvements tectoniques.
On visite Fleming Beach pendant le commentaire de KIM JUNIPER.
KIM JUNIPER (Narrateur)
Mon lieu de ressourcement local
s'appelle Fleming Beach. C'est
un petit bout de plage, de côte,
qui est à peu près à 800 mètres
de la maison, et je descends
tous les week-ends au moins,
souvent très tôt le matin. Donc,
c'est un bord de mer où il y a
un petit port où les pêcheurs
qui pêchent le saumon mettent
leur bateau à l'eau. Et aussi,
il y a une promenade sur
les côtes, sur les rochers où on
peut marcher près de la ville,
mais c'est très sauvage.
On est sur le bord du détroit de
Juan de Fuca qui sépare l'île de
Vancouver des États-Unis. Donc
en face, on voit les montagnes
olympiques de l'État de
Washington, et entre nous et les
montagnes, c'est le détroit, qui
est très froid et l'eau est à 8
ou 9 degrés. Ça bouge tout le temps et
il y a une vie marine exubérante
là-dedans. Je vois des phoques,
des fois des loutres de rivière
et des loutres de mer qui se
promènent dedans. Moi souvent,
ce que je fais pour commencer
un week-end: je descends
sur le rocher, je mets
mon dos à la terre et
puis moi et la mer devant.
L'entrevue se poursuit sur la plate-forme surplombant une marina.
GISÈLE QUENNEVILLE
M. Juniper, quand on parle
de la Terre, on parle souvent
de la pollution, de la pollution
de l'air, des espèces en voie
de disparition: est-ce que
les mêmes thèmes s'appliquent
aux océans?
KIM JUNIPER
Absolument. Ces mêmes thèmes
de pollution s'appliquent
aux océans. Évidemment,
l'océan est plus vaste
et a plus de capacité
d'absorber nos déchets qu'un
petit lac ou un ruisseau
ou une rivière. Mais ça
commence à se sentir.
Bon, évidemment, tout de suite,
on voit même dans un port
comme ici, on voit des traces
de pétrole qui fuit, etc., même
si tout est très bien contrôlé,
réglementé. C'est inévitable.
Avec la présence humaine,
il y a toujours quelque chose
qui coule, même si c'est un
accident. Dans les régions où il
y a des grandes villes au bord
de la mer, il y a beaucoup de
pression, de "on envoie nos eaux
usées à la mer", qui ont
surtout l'effet d'ajouter
des nutriments à l'écosystème
marin. Et ça peut provoquer des
grosses poussées de plancton,
comme on en a par exemple dans
le golfe du Mexique au large du
fleuve Mississippi. Il y a une
région qui fait des dizaines de
milliers de kilomètres carrés où
l'eau devient anoxique pendant
tout l'été à cause de tous les
nutriments, les fertilisants
qu'on utilise sur les champs de
maïs dans le bassin versant du
Mississippi et ça descend dans
la mer. Comme ça fait pousser
le maïs sur la terre, ça fait
pousser des algues dans la mer
parce que ça reste pas dans
les champs. C'est soluble dans
l'eau. Et il y a de vastes zones
de pêche, de crevettes surtout,
qu'on ne peut plus exploiter
parce qu'il n'y a plus d'oxygène
dans l'eau. Les crevettes
supportent pas ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ça, c'est la pollution.
Les changements climatiques
doivent avoir un impact
sur les océans également.
KIM JUNIPER
Les changements climatiques
ont également deux impacts
sur l'océan. Tout d'abord, bon,
ça chauffe. Donc, ça affecte où
les espèces peuvent trouver leur
habitat. Ensuite, le CO2 qu'on
envoie dans l'atmosphère avec
les carburants fossiles, ça se
dissout dans l'océan. En fait,
l'océan absorbe environ 30 à 40%
du CO2 qu'on envoie dans
l'atmosphère et ça crée ce qu'on
appelle l'acide carbonique dans
la mer, qui change doucement
l'acidité de la mer, le pH
de l'eau de mer. Pour l'instant,
on n'est pas à un point
critique, mais on n'est pas loin.
On prédit que dans dix à vingt ans,
il y a certaines régions de l'océan,
où des coraux qui font des squelettes
en carbonate ou des coquillages
auront de la difficulté
à faire des coquillages
parce qu'aussitôt qu'ils
forment le calcaire,
il se dissout dans l'eau.
GISÈLE QUENNEVILLE
Hum hum.
KIM JUNIPER
Donc on sait pas qu'est-ce
qui nous attend. C'est pas la
première fois que ça arrive.
On regarde dans les carottes
de sédiments dans l'histoire
de la Terre, on sait qu'il y a
eu d'autres épisodes
d'acidification des océans
qui ont complètement changé
la biodiversité des océans. Mais
ce qui est le plus inquiétant
quand on fait l'analyse de ces
carottes, c'est le temps que
ça prend pour se remettre à
un pH neutre: c'est des siècles.
GISÈLE QUENNEVILLE
Sur la surface de la Terre, on
a longtemps exploité les arbres,
le minerai, le pétrole, par
exemple, on va chercher ce qu'on
veut de la Terre. On commence à
faire la même chose dans le fond
des océans. On est rendu où
dans ces exploitations-là?
KIM JUNIPER
Surtout pour le pétrole, qui
est le plus payant des minéraux
à exploiter. Là, au large du
Brésil maintenant, on extrait
le pétrole à 3000 mètres de
profondeur. Et la même chose
dans le golfe du Mexique.
Vous vous souvenez de Deepwater
Horizon, c'était deepwater.
Donc c'est justement où ils
commençaient à descendre la
pente continentale dans le golfe
du Mexique pour aller chercher
des réservoirs plus profonds.
Et pour l'exploitation minière,
on est tout au début. On a
identifié des ressources. Au
large de l'Afrique du Sud, par
exemple, et la Namibie, il y a
l'exploitation des diamants à
des profondeurs de 100 à 200
mètres. Ça, c'est les diamants
qui arrivent par les rivières
du continent, qui finissent dans
les graviers du fond de l'océan.
Donc, on a des bateaux qui
exploitent ça, ce qui fait qu'on
prend le fond de la mer, on
remonte, on fait un tri et puis,
on rejette ce qui est pas
diamants dans la mer. Donc
évidemment, pour les espèces qui
vivent sur le fond, c'est fini.
Et bon, ça, c'est petit et assez
ponctuel. Où c'est le plus
inquiétant, c'est qu'il y a
des territoires, dans l'océan
Pacifique surtout, et un petit
peu dans l'océan Indien, où il y
a ce qu'on appelle des nodules
de manganèse. C'est comme des
boules de canon qui se forment
sur le fond de la mer, qui
sont très riches en manganèse,
cobalt, des métaux stratégiques,
des terres rares aussi, qu'on
utilise dans l'électronique.
On est très intéressé à les
exploiter, en effet, jusqu'au
point où il y a une organisation
de l'ONU qui accorde des
territoires d'exploration
à différents pays. Ce qui est le
plus inquiétant, c'est l'échelle
de cette exploitation. Pour
que ce soit rentable, il faut
balayer entre 10 000 et 100 000
kilomètres du fond de la mer,
kilomètres carrés, je veux dire.
Donc, c'est gigantesque.
C'est des régions de la taille
de l'île de Vancouver.
GISÈLE QUENNEVILLE
Les fonds marins vont devenir
des réelles industries de
la planète. Où est-ce que...
Si vous vous projetez dans
une trentaine d'années,
une cinquantaine d'années,
à quoi vont ressembler
les fonds marins?
KIM JUNIPER
Pour les gens, c'est toujours
difficile d'accepter le fait
que la mer va être un peu
comme la terre. Ici, sur terre,
on accepte qu'on a des villes,
qu'on a des zones agricoles, on
a des zones où il y a des mines
et qu'on a des réserves
écologiques. Mais la plupart des
gens, ils veulent toujours que
la mer reste vierge et propre
et magnifique comme on l'aime,
mais avec bientôt 9 milliards
de personnes sur le Terre.
C'est impossible. Donc on va
être obligé d'exploiter les
ressources sous-marines de plus
en plus. Est-ce qu'on va être
capable de mieux faire, comparé
à l'histoire de mauvaise
exploitation, de mauvaises
leçons sur terre? Moi, je suis
toujours optimiste.
Malheureusement, c'est
pathologique chez moi, je peux
pas l'éviter. Mais je pense que
le public est assez sensibilisé
à la biodiversité marine,
à protéger la mer, même si
la plupart des gens n'y vont
jamais, parce que l'accès est
difficile, que j'espère qu'on
va mieux faire. Mais pour
commencer, il faut quand même
qu'on accepte du zonage dans
la mer, qu'il y a des zones protégées.
Pour l'instant, le Canada, il y a six mois,
on a annoncé qu'on a signé la
Convention sur la biodiversité
qui nous oblige à protéger 10%
de notre territoire marin d'ici
2020. Donc 10%, c'est important.
Pour l'instant, on est à moins de 1%.
GISÈLE QUENNEVILLE
On a du travail à faire.
KIM JUNIPER
On a du travail à faire, donc,
je participe justement à une
mission en mer le mois prochain,
où moi et des chercheurs du
ministère des Pêches et Océans,
on veut aller explorer des
territoires au large de l'île
de Vancouver qui sont des sites
candidats pour faire de
nouvelles réserves écologiques.
GISÈLE QUENNEVILLE
Fascinant, tout ça. Kim
Juniper, merci beaucoup.
KIM JUNIPER
Merci.
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