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Video transcript
Anton Chekhov 1890
Summer 1890. To earn money to feed his family, humble physician Anton Chekhov pens short stories in newspapers under the name of Antosha Chekhonte. Prominent writers and editors begin to notice his talent, and try to convince him to pursue his writing. Eventually, his situation improves, and Anton Chekhov wins the Pushkin Prize.
Réalisateur: René Feret
Acteurs: Nicolas Giraud, Lolita Chammah, Robinson Stevenin
Production year: 2015
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Générique d'ouverture
Titre :
Anton Tchékhov – 1890
Il fait nuit, un carrosse s'arrête sur une rue. Un valet accueille les personnes qui descendent et les guide vers la maison en s'éclairant d'une lampe à l'huile.
Plusieurs personnes sont déjà dans la maison pour faire la fête.
Les nouveaux arrivants, deux hommes dont l'éditeur SOUVORINE, sont accueillis par MACHA.
SOUVORINE, l'éditeur s'adresse au groupe.
SOUVORINE
Nous ne voulons pas
déranger votre fête.
(S'adressant au valet qui prend son manteau)
Ah... Merci.
Donc, nous cherchons l'écrivain
Antocha Tchékhonté.
Quelques petits rires et des regards complices sont échangés dans le groupe.
Un homme, ALEXANDRE TCHEKHOV décroche un masque africain sur un mur. D'autres membres du groupe l'imitent en prenant d'autres masques sur le mur. Tous posent les masquent sur leur visage, en riant.
MACHA
Ces Africains sont
mes cinq frères.
SOUVORINE
Ah...
ALEXANDRE
Et c'est à vous de trouver
lequel est Antocha parmi nous.
GRIGOROVITCH
C'est vous.
ALEXANDRE
Moi, je suis l'aîné.
Le plus intelligent et...
le plus conséquent.
Un des hommes masqués lève le doigt.
MASQUÉ 1
Moi, j'écris.
Mais mes écrits
sont médiocres et ampoulés.
MASQUÉ 2
Antocha, c'est à devenir fou
de jalousie.
C'est un génie.
Il a une plume en or!
ALEXANDRE
(Se démasquant)
Ah, c'est bon!
C'est moi, Antocha.
GRIGOROVITCH
Alors, c'est vous?
Nous sommes venus
de Pétersbourg pour
vous voir en chair et en os.
SOUVORINE
Est-ce que nous pourrions
aller dans un endroit calme?
GRIGOROVITCH
Ce que nous avons à nous dire
est de la plus haute importance.
ALEXANDRE
Ah... Eh bien, alors...
passons dans mon bureau.
ALEXANDRE guide les deux hommes dans une autre pièce.
ALEXANDRE
Asseyez-vous!
GRIGOROVITCH
Je suis tombé, par hasard,
sur une de vos nouvelles
dans une gazette littéraire.
J'ai été stupéfait de la
parfaite originalité
de vos descriptions.
J'ai lu depuis tout
ce qui portait votre signature.
J'ai alerté Souvorine,
un grand éditeur de Russie,
directeur de la revue
Les Temps nouveaux.
Je suis animé d'un tel amour
pour la littérature que...
je me dois...
de vous tendre les mains.
Je m'appelle Grigorovitch.
GRIGOROVITCH et SOUVORINE se lèvent pour serrer la main d'ALEXANDRE.
SOUVORINE
Monsieur, vous avez
un talent réel.
Un talent qui vous place
au premier rang de la
jeune génération.
ALEXANDRE
Attendez...
Excusez-moi, vous êtes
Dimitri Grigorovitch?
Celui qui a écrit
Le Village?
GRIGOROVITCH
Oui.
ALEXANDRE
Et vous, vous êtes le fameux
Souvorine.
Oh! C'est... C'est...
C'est mon frère
que vous venez voir.
C'est de lui dont vous parlez.
Antocha!
(Appelant dans le couloir)
Antocha, viens.
Ça devient trop sérieux.
Messieurs, excusez
cette mauvaise plaisanterie.
Je vous présente mon frère :
Antocha Tchékhonté.
ANTON
Je ne me souviens pas d'avoir
travaillé plus d'une journée
sur un seul de mes contes.
Quand on parle de mes écrits,
tout le monde ici
me conseille gentiment
de ne pas abandonner
la médecine.
GRIGOROVITCH
Vous commettrez
une faute grave
si vous ne répondez pas
à votre talent.
ANTON
J'écris pour me faire
un peu d'argent.
Cela fait des années
que j'entretiens ma famille.
Je suis médecin aussi.
C'est difficile de courir
deux lièvres à la fois.
SOUVORINE
Et qu'est-ce que vous écrivez
en ce moment?
ANTON
Un garçon et une fille
jouent dans la neige.
Ils font du traîneau,
serrés l'un contre l'autre.
À chaque descente,
quand la fille est effrayée, le
garçon lui chuchote à l'oreille.
"Je vous aime, Nadienka."
Quand la course s'achève,
la fille ne sait plus
si elle a rêvé
ou si le garçon
lui a vraiment dit.
J'écris mes textes
comme on mange une crêpe.
Je pose la plume sur le papier.
Quand je la relève,
l'histoire est terminée.
GRIGOROVITCH
Il va falloir vous relire,
cette fois-ci, mon garçon,
et vous souvenir
de mes recommandations.
Les deux visiteurs sont sur leur départ.
SOUVORINE
Je peux vous offrir
d'éditer les nouvelles
que vous me confierez
en payant 15 kopecks la ligne.
ANTON
Quinze?
SOUVORINE
Et la longueur de nouvelle
que vous voudrez.
ANTON
Les journaux m'imposent
120 lignes maximum.
GRIGOROVITCH
1000 lignes, 2000 lignes,
pourquoi pas un roman bientôt!
Et... parlez de la pauvreté.
Évoquez le suicide
d'un jeune paysan, par exemple.
Ou alors, votre jeunesse.
ANTON
Je vous en prie...
Vraiment,
prenez votre temps, hein?
Vous atteindrez des sommets.
GRIGOROVITCH
Pourquoi "Tchékhonté"?
Signez de votre nom, que diable!
Anton Tchékhov,
c'est un beau nom!
ANTON
Entendu.
GRIGOROVITCH
Envoyez vos écrits
à Pétersbourg, Souvorine.
Dans l'appartement, le PÈRE TCHEKHOV chante des cantiques.
PÈRE TCHEKHOV
♪ Que votre nom ♪
ALEXANDRE ouvre la porte de la chambre du PÈRE.
ALEXANDRE
Papa?
PÈRE TCHEKHOV
♪ Soit sanctifié ♪
ALEXANDRE
Papa! Vous aviez promis
de ne plus hurler vos prières!
PÈRE TCHEKHOV
Si je ne chante pas fort,
je n'y arrive pas.
ANTON
(Rejoignant son frère)
Alexandre, je t'en prie,
un peu de respect pour ton père.
ALEXANDRE
Il m'en veut parce que je vis avec
une femme mariée.
ANTON
Il est contre le tabac
et l'union libre.
Tu voudrais le changer?
À la fin de la soirée, ALEXANDRE et ANTON retirent leurs habits de soirée.
ALEXANDRE
Souvorine, il t'a proposé combien?
ANTON
15 kopecks la ligne.
Et un nombre illimité de pages.
ALEXANDRE
Mon petit frangin...
ANTON
Il faut bien donner
à manger à papa et maman.
ALEXANDRE
Tu as un talent immense,
Antocha. Phénoménal.
J'ai pas attendu Grigorovitch
pour le savoir.
ANTON
Ne sois pas vénal.
ALEXANDRE
Sauve-toi d'ici.
Papa, il te mange le coeur comme
un rat qui bouffe une chandelle.
Maman, elle croit t'aimer.
Mais elle te détruit.
Tu deviens inquiet...
méchant!
ANTON
Tu te moques de moi?
ALEXANDRE
Je me moque pas.
Les deux hommes se serrent l'un contre l'autre.
Un groupe se presse dans la pièce.
MACHA
Antocha?
Moi, je vais me coucher.
Allez, Ivan et Misha, au lit.
ANTON
Isaac?
Où dors-tu?
ISAAC
Ah, je dors dans le couloir.
ALEXANDRE et ANTON sont étendus dans leurs lits.
ALEXANDRE
Quand est-ce que tu fais
une dissection, docteur?
J'adore quand tu découpes
les macchabées.
ANTON
Les morts ne connaissent pas
la honte. Mais ils puent
horriblement.
ALEXANDRE
Comment tu peux
t'intéresser à la science,
alors que c'est
si enivrant d'écrire?
ANTON
C'est le siècle
de la médecine.
On sait maintenant que la
tuberculose se transmet
d'homme à homme.
Un jour, on pourra guérir
cette maladie.
ALEXANDRE
C'est vrai, petit frère?
ANTON
Oui. Je te le promets.
Le lendemain ALEXANDRE, KOLIA et ISAAC montent dans un carrosse.
KOLIA
Quand viendras-tu
à Pétersbourg?
MACHA
Laissez-le écrire d'abord.
ALEXANDRE
Au revoir, Macha.
ISAAC
Macha?
MACHA
Oui?
ISAAC
Je n'ai pas eu mon baiser.
MACHA
Venez.
ISAAC
Non, vous.
MACHA monte dans le carrosse et embrasse ISAAC.
ISAAC
Vous me promettez de peindre
jusqu'à ma prochaine visite?
Prenez du temps pour ça.
Ne vous laissez pas envahir
par les travaux de votre frère.
C'est un égoïste. Talentueux,
certes, mais dangereux.
ANTON
À bientôt, les grands frères!
Salut, Isaac!
ALEXANDRE
Au revoir, Antocha.
Dans la maison des TCHEKHOV, ANTON écrit seul dans une pièce. Quelqu'un se tient derrière la porte entrouverte.
ANTON
C'est toi, maman?
MÈRE TCHEKHOV
Oui.
ANTON
Entre.
MÈRE TCHEKHOV
Excuse-moi
de te déranger, Antocha.
Le repas est prêt.
ANTON
Qu'est-ce que tu nous as préparé
de bon?
MÈRE TCHEKHOV
Pas grand-chose.
Une soupe.
MACHA fait la lecture à un groupe dans une pièce de l'appartement.
On frappe à la porte.
LIKA
Bonjour.
Je m'appelle Lika.
Je suis passionnée
de littérature.
MACHA
Bienvenue dans mon cours.
LIKA
Merci!
MACHA donne un cahier à LIKA.
LIKA
Merci.
MACHA
(Offrant une chaise)
Asseyez-vous.
Dans une autre pièce, ANTON reçoit des malades.
HOMME 1
Bonjour, docteur.
ANTON
Bonjour.
Un homme tient une jeune enfant dans ses bras dans l'escalier.
Ma fille est très malade.
ANTON
Je la vois au plus vite.
L'HOMME descend quelques marches pour céder le passage à ANTON.
ANTON
(S'adressant à quelqu'un en haut de l'escalier)
Bonjour.
HOMME 2
Bonjour, docteur.
Dans son cabinet, ANTON reçoit les malades et les ausculte.
ANTON
(L'oreille appuyée sur le dos nu d'un homme.)
Respirez.
Le soir venu,la maison est pleine de monde. LIKA est parmi les invités. Le salon fourmille de gens de lettres. Un piano joue.
LIKA passe par le couloir pour changer de pièce et passe devant ANTON qui écrit sur le coin d'une table.
LIKA s'arrête et s'assoit de l'autre côté de la petite table.
Bonsoir.
LIKA
Je me suis rapprochée
de votre soeur par intérêt.
Pour vous.
J'ai lu quelques-unes de
vos nouvelles dans les journaux.
J'adore. J'étais amoureuse
de vous avant de vous rencontrer.
ANTON
L'amour ne m'intéresse pas.
Il vous enferme
dans une idée fixe
et brûle votre énergie;
c'est un piège.
LIKA
Hum! C'est faux.
L'amour vous donne des ailes.
L'amour vous donne du talent.
Il vous empêche de vieillir,
de rouiller.
Il vous rend immortel.
ANTON
Dans les mauvais romans,
peut-être; pas dans la vie.
Je peux philosopher sur l'amour,
mais je suis incapable d'aimer.
LIKA se lève et ANTON aussi par politesse.
LIKA
Je viendrais vous voir bientôt.
ANTON
Je vous l'interdis.
LIKA
Vous sentez le camphre.
C'est pas désagréable.
Les jours passent, ANTON écrit dans sa petite pièce, MACHA copie.
MACHA
J'ai recopié
les deux petites nouvelles.
ANTON
Ça nous fera un peu d'argent.
Écrit d'une seule traite.
Elles te plaisent?
MACHA
Amusant,
ce paysan qui insulte
son amoureuse.
ANTON
Oui, et l'autre?
MACHA
L'Envie de dormir?
Terrifiant!
Elle tue le bébé qu'elle garde!
Tu es cruel.
ANTON
Sa vie est cruelle et injuste.
Attention, ça, c'est du Tchékhov,
pas du Tchékhonté.
MACHA
Merci.
ANTON
Je voulais écrire un roman;
c'est encore une nouvelle.
Plus longue que d'habitude.
MACHA
Tu as soigné le style?
ANTON
À 15 kopecks la ligne...
Il faut le poster à Souvorine.
MACHA
Le titre?
ANTON
La Steppe.
Souvenirs de jeunesse
autour de la nature.
Tragédies de l'enfance,
la solitude.
L'immensité de l'avenir.
MACHA
On va voir ça.
MACHA sort de la pièce en emportant le manuscrit.
Un homme conduit une charrette dans la nuit sur un chemin de forêt.
CHARRETIER
Wô! Wô!
Le CHARRETIER descend pour retirer un tronc de la seule voie carrossable.
ANTON descend aussi pour donner un coup de main.
On y arrivera pas.
Arrêtez.
CHARRETIER
On n'a qu'à y aller à pied.
C'est pas très loin, docteur.
ANTON suit le CHARRETIER dans la nuit.
Dans la maison, une femme attend en tenant une fillette dans ses bras.
ANTON prend la fillette et garde le silence.
De retour chez lui, ANTON est dévasté.
ANTON
(S'adressant à MACHA)
Si j'étais arrivé une heure
plus tôt, je sauvais cette enfant.
C'est effrayant, être médecin.
Un autre jour, c'est une babouchka qui quitte le cabinet.
ELENA
Au revoir, docteur. Merci.
ANTON
Au revoir, Éléna.
ELENA sort et LIKA entre au même moment.
LIKA s'assoit devant le petit bureau du cabinet. ANTON reprend son siège.
ANTON
Que voulez-vous de moi?
Pourquoi venir me traquer?
LIKA
Je vous traque, c'est le mot.
ANTON
Pourquoi moi, alors qu'il y a
tant d'hommes autour de vous?
LIKA
Il n'y a aucun homme que
je puisse aimer autant que vous.
ANTON
Lika...
Admettons que je sois...
LIKA embrasse ANTON.
LIKA
J'ai les clés
d'un endroit secret.
ANTON
Ton mari...
LIKA
En voyage.
Viens, j'ai trop envie de toi.
ANTON
Où?
LIKA
À deux pas d'ici.
L'appartement d'une amie.
ANTON
Tu es folle! Tu ne sais pas
ce que tu fais.
LIKA
Si tu aimes
les femmes immorales,
tu ne seras pas déçu.
LIKA et ANTON font l'amour dans l'appartement de l'amie de LIKA.
ANTON et sa famille sont réunis pour le déjeûner.
PÈRE TCHEKHOV
Maître du ciel et des saisons,
bénis ce pain que nous mangeons.
À tous ceux qui ont froid et faim,
donne la maison et le pain.
Notre père...
ANTON
Ça suffit, papa.
Le bénédicité
n'est pas une messe.
Je vais loger quelques jours
chez mon nouvel éditeur.
MÈRE TCHEKHOV
Tu resteras longtemps
à Pétersbourg, Antocha?
MISHA
Tu iras voir Kolia?
ANTON
Naturellement.
Et Alexandre aussi.
IVAN
Tu leur feras la morale?
MÈRE TCHEKHOV
Je leur dirai de changer
de vie, de femme,
de ne plus boire autant,
de travailler mieux.
PÈRE TCHEKHOV
Si on pouvait déménager...
ANTON
Pour déménager,
il faut avoir beaucoup d'argent.
Et nous n'en sommes pas là.
IVAN
Bientôt, j'aurai
un poste et un salaire.
ANTON
Tu pourras partir
et te marier.
MACHA
Anton, tu perds ton humour.
ANTON
C'est vrai, pardon.
Merci, Macha.
Tu ne te marieras jamais et tu
resteras toujours avec ta maman.
ANTON est reçu chez SOUVORINE. Sa femme et sa fille son présentes.
SOUVORINE
Vous aurez un appartement
à votre disposition
avec un domestique,
ainsi qu'une voiture.
ANTON
Excusez-moi, je...
Je ne veux pas de domestique.
Le luxe me terrifie.
SOUVORINE
Je vous ferai une proposition
pour vos droits d'auteur.
Vous risquez bien
de vous enrichir.
MME SOUVORINE
Mon mari n'ose pas
vous le dire: il a acheté
un théâtre.
Son rêve est de l'ouvrir
avec une grande pièce
d'Anton Tchékhov.
SOUVORINE
Vous écririez cette pièce si je vous
la commande?
Un drame réaliste
qui peindrait notre société.
J'ai quelques idées.
MME SOUVORINE
Mon mari a l'ambition
d'écrire avec vous!
Voilà son idée!
ANTON
Il y a très longtemps, j'ai
écrit une pièce interminable.
J'avais 18 ans.
Je ne sais pas
si je l'ai conservée.
SOUVORINE
Ah!
KOLIA montre un portrait qu'il vient de terminer quand ANTON le visite à son atelier.
KOLIA
Antocha.
Tu te reconnais?
ANTON
Comment tu as fait?
Je n'ai jamais posé pour toi.
KOLIA
Si, une fois.
Il y a longtemps, souviens-toi.
J'ai eu le temps de crayonner.
Le reste est de mémoire.
Ça te ressemble, non?
Il me plaît.
Le tableau, pas le bonhomme.
ANTON
Ah, un beau garçon comme toi!
KOLIA cherche une bouteille d'alcool et deux verres.
KOLIA
Tu en veux?
ANTON
Oui.
(Prenant un verre)
Merci.
KOLIA
Moi non plus, je n'aime pas.
ANTON
À la santé d'un bon à rien.
KOLIA tousse.
ANTON
Souvorine envisage de faire
éditer toutes mes nouvelles.
C'est une affaire qui peut
rapporter au moins
10 000 roubles.
KOLIA
Le beau, le grand Tchékhov.
Le génie.
Tu parles, il s'intéresse
qu'à l'argent, oui!
Quand je pense à quel point
les gens t'admirent.
S'ils savaient!
ANTON
Je veux que tu reviennes
avec moi. À la maison.
J'aimerais que tu fasses toutes
les illustrations des contes.
C'est un travail colossal.
Nous pourrons aller plus vite.
Et je pourrai te soigner.
KOLIA
Et ma femme?
ANTON
Sophie n'est pas ta femme.
C'est une prostituée.
Elle n'est pas digne de toi.
Demain, nous irons voir Isaac.
Nous le ramènerons à la maison,
lui aussi, pour t'aider.
Un carrosse ouvert ramène les garçons à la maison TCHEKHOV. MACHA accueille ses frères avec joie.
ANTON reprend ses activités de médecine.
Dans son cabinet, il rencontre un jeune garçon.
ANTON
Il est en pleine santé,
ce grand garçon.
PÈRE
Je ne suis pas content de lui.
Pas du tout.
Non seulement tu as fumé,
mais tu as menti
en prétendant n'avoir fumé
qu'une seule fois,
alors que ta maman
t'a surpris deux fois.
Avant, tu étais
un bon petit garçon.
Aujourd'hui, je vois,
et le docteur aussi,
que tu es perverti.
Que puis-je lui dire encore
pour qu'il comprenne?
ANTON
Il était une fois un tsar
avec une longue barbe grise.
Il vivait dans un palais de verre
qui scintillait et brillait au soleil
comme un énorme
morceau de glace.
Et ce palais, mon vieux,
se dressait dans un immense
jardin où poussaient...
des oranges, des bergamotes,
des cerises.
Le tsar avait un fils unique,
l'héritier du royaume.
C'était un petit garçon
aussi petit que toi.
C'était un bon garçon.
Il n'avait qu'un défaut.
Il fumait.
Et à force de fumer,
le garçon tomba malade de
tuberculose à l'âge de 20 ans.
Son père, crépi et maladif,
resta sans secours.
Il n'y avait plus personne
pour défendre le pays.
Alors, des ennemis sont arrivés.
Ils ont tué le tsar.
Ils ont détruit le palais.
Et maintenant, dans le jardin...
il n'y a plus ni orange...
... ni cerise, ni clochette.
GARÇON
Je ne fumerai plus, papa.
ANTON descend de l'étage où il tient ses visites et croise sa sœur MACHA, tenant un agneau.
MACHA
Tiens! Cadeau.
ANTON
C'est qui?
MACHA
La petite fille que tu as guérie.
L'HOMME qui portait un enfant dans l'escalier est revenu avec sa fillette guérie qui embrasse ANTON.
ANTON
Merci, Nina!
MACHA
Tu vas partir pour tes visites.
ANTON
Combien, ce matin?
MACHA
Trois dans le même secteur.
(Saluant ISAAC ET KOLIA dans l'atelier)
Messieurs.
Ma journée est morte.
ISAAC
Il te reste la nuit.
KOLIA
Tu te souviens, Antocha,
cette toile que tu aimais?
Je te l'avais apportée
pour t'en faire cadeau.
ISAAC
Regarde ce que vient
de faire Kolia.
ANTON
Mon Dieu, tu as rajouté
cette femme!
KOLIA
Oui, ça égaye.
Tu vois Isaac,
tes tableaux manquent de vie!
ISAAC
Ouais...
KOLIA
Belle femme, non?
Elle ressemble à Sophie.
ANTON rentre après ses visites en tant que médecin. Il arrête sa carriole près de l'entrée ou un employé l'attend.
ANTON
Allez!
Ah!
Bonjour.
Merci.
DANS l'appartement ISAAC lit un cahier d'ANTON.
ANTON approche de l'escalier quand KOLIA l'interpelle.
ISAAC
Comment as-tu pu
écrire ces âneries?
Oui, monsieur...
Je viens de lire
ta Cigale, bravo.
Un bel exemple de filouterie.
Tu nages dans la vilenie,
maintenant?
ANTON
Cette histoire n'a rien
à voir avec toi, voyons.
ISAAC
Rien?
Tu te moques de moi?
C'est Anna Petrovna exactement.
Comme par hasard,
elle a une fille.
Tu n'as rien changé.
C'est moi. Tout à fait moi.
Il est peintre.
Il me ressemble.
C'est un fin, un salaud,
une ordure!
ANTON
Mon personnage a 20 ans,
alors qu'Anna Petrovna en a 40.
ISAAC
Tu n'as qu'inversé les prénoms
de la mère et de la fille.
Tu crois que ça va suffire
pour brouiller les pistes?
Je t'interdis, tu entends?
Elle t'interdira, elle aussi.
KOLIA
(Voix au loin)
Qu'est-ce qui se passe?
ISAAC
(Rejoignant KOLIA)
Demande à ton frère.
ANTON
(Revenant dans le corridor de l'escalier)
C'est un malentendu.
ISAAC
Il s'est servi de moi pour
décrire un peintre imbécile.
ANTON
Quand tu peins la
nature, tu demandes à l'arbre
la permission de le reproduire?
ISAAC
Tu veux te battre?
KOLIA
Allez...
Venez boire un verre
de réconciliation.
ISAAC
(Prenant ses affaires)
Je prendrai un avocat!
On se battra en duel,
tu entends?
Le PÈRE D'ANTON vient voir ce qui se passe, pendant qu'ISAAC et KOLIA quittent la maison.
ANTON ausculte son frère KOLIA.
KOLIA
Cette maladie me rend beau.
Regarde, je suis pâle,
mince... Le regard brillant.
Mon air fragile, mes yeux
fiévreux, les femmes...
adorent ça.
Anton?
ANTON
Oui?
KOLIA
Tu as déjà entendu parler
de Sakhaline?
ANTON
Sakhaline?
Oui, bien sûr.
C'est une île.
On y parque nos prisonniers.
KOLIA
Dans des conditions
épouvantables.
Ils sont battus, fusillés,
pendus à la moindre faute.
Les femmes, les enfants,
se prostituent.
Je voudrais bien guérir
pour y aller.
ANTON
C'est au bout du monde.
KOLIA
Pour témoigner de leur vie,
qu'on en prenne conscience
et qu'on améliore
leur condition.
On irait tous les deux.
À Sakhaline,
tu viendrais avec moi?
Je voudrais me rendre
vraiment utile à quelque chose.
ANTON pointe des localités sur une carte pour montrer le trajet jusqu'à Sakhaline.
ANTON
Nijni, Perm, Tioumen,
Tomsk, Irkoutsk,
le fleuve Amour
jusqu'à Nikolaïevsk...
Sakhaline.
MACHA
(Voix au loin)
Vous êtes là, les garçons?
J'apporte du thé.
Dans la cuisine, la MÈRE D'ANTON coupe des légumes. Le bruit d'une porte attire son attention. Elle se lève pour accueillir LIKA.
MÈRE TCHEKHOV
Chut!
Ne faites pas de bruit.
Antocha est en train d'écrire.
LIKA
Je viens voir Macha.
MÈRE TCHEKHOV
Je sais.
Bonjour!
MACHA
(Venant à la rencontre de LIKA)
Mon frère écrit.
Il ne faut pas parler.
IVAN descend l'escalier.
MÈRE TCHEKHOV
Ah, chut!
ANTON écrit dans sa chambre.
Tous restent sans bouger et sans parler dans le corridor.
ANTON sort de sa chambre.
ANTON
Vous pouvez parler normalement.
J'ai fini de travailler.
LIKA apporte un verre à ANTON. Elle est nue.
ANTON
Merci.
LIKA lève son verre.
ANTON
Lika, ce n'est pas toi
que j'aime.
Ce sont mes souffrances passées
et ma jeunesse perdue.
LIKA retire soudainement le drap qui couvre ANTON dans le lit et sort de la chambre en emportant le drap. ANTON la poursuit.
De retour à la maison TCHEKHOV, ANTON montre des piles de documents à MACHA.
MACHA
(Prenant un cahier sur la table de chevet)
C'est à copier aussi?
ANTON
Non, laisse.
MACHA
C'est quoi?
ANTON
C'est mon carnet de notes.
J'écris des idées, des observations.
C'est sans importance.
MACHA
Je peux lire?
ANTON
Je te dis que c'est sans intérêt.
MACHA
(Ouvrant le cahier pour lire)
"La soi-disant joie infantile
pure et vitale n'est
que la joie animale."
Bravo.
ANTON
C'est pour moi. Ça n'a pas
besoin d'être intelligent.
Donne.
MACHA s'éloigne avec le cahier pour fouiner encore dans le cahier.
MACHA
(Continuant de lire)
"Un chien affamé
ne croit qu'en la viande."
ANTON
Macha!
MACHA s'éloigne et ANTON court derrière elle. Ils passent d'une pièce à l'autre.
MACHA
Pardon, papa!
MACHA s'enferme dans une chambre.
ANTON
Macha! Ouvre cette porte!
(À travers la porte)
Ouvre cette porte.
MACHA
(Riant en lisant)
"Un homme sans moustache,
c'est comme une femme
avec une moustache."
"Une jeune fille
disant toujours: 'C'est divin!'"
ANTON
(À travers la porte)
Donne-moi ce carnet!
MACHA
Attends, attends...
(Lisant)
"Elle n'avait pas suffisamment
de peau sur le visage
"pour ouvrir les yeux,
elle fermait la bouche
et inversement."
"Dans une lettre d'amour:
'Ci-joint un timbre pour
la réponse.'"
ANTON
(À travers la porte)
Bon, allez, ça suffit!
MACHA
Attends.
(Lisant)
"Chez les insectes,
la chenille devient papillon.
Chez les humains, c'est
l'inverse, le papillon
devient chenille."
ANTON
(À travers la porte)
Ouvre cette porte.
Je t'ordonne de m'ouvrir
cette porte, Macha!
MACHA ouvre la porte et rend le cahier à ANTON.
MACHA
Tiens.
Tu peux me le laisser? Comme
ça, je l'aurai dans mon lit
rien que pour rigoler!
ANTON
Tu me le rends demain.
MACHA
Promis.
Tu as écrit à Isaac?
ANTON
Isaac? Pourquoi?
MACHA
Pour le rassurer
et pour t'excuser.
ANTON
Je le ferai.
ANTON s'éloigne.
SOUVORINE écrit dans son bureau. ANTON écrit aussi face à SOUVORINE.
SOUVORINE
Un suicide?
ANTON
Oui. Au moment
où on s'y attend le moins.
À la fin du troisième acte.
SOUVORINE
Mais si vous supprimez
le rôle principal...
.. comment mener
le quatrième acte?
ANTON
Il n'y a pas de personnage
principal. Tout le monde
est important.
L'amour d'Éléna Andréevna
et de Sonia pour l'homme des bois
n'est pas plus important que
le désir de Ioulia pour Fedia.
SOUVORINE
Mais il se suicide comment?
Sur la scène?
ANTON
Il se tire une balle...
en coulisse.
Sonia le découvre,
elle hurle, elle revient sur scène...
"Oncle George s'est tué!"
Remue-ménage.
Tout le monde fonce
en coulisse en criant.
Éléna gémit:
"Pourquoi? Pourquoi?"
Un autre apparait.
Diadine, par exemple.
"Que se passe-t-il?"
Éléna, en pleine hystérie.
SOUVORINE
Oui...
ANTON
(Disant les répliques qu'il imagine)
"Emmenez-moi!
Jetez-moi dans
un gouffre profond."
SOUVORINE
Oui...
ANTON
(Disant les répliques qu'il imagine)
"Tuez-moi vite,
je vous en supplie.
Je ne peux pas rester ici."
SOUVORINE
Vous êtes fou, Anton.
ANTON
Ça ne vous plaît pas?
SOUVORINE
J'adore.
ANTON
Et si l'oncle George essayait
d'assassiner le professeur?
SOUVORINE
Oh, non!
Oh, non, je vous en supplie,
laissez-moi en vie
jusqu'à la fin!
Ne faites pas l'étonné.
Sérébriakov, c'est moi.
Ah oui, je vous signale que...
Il est plein de rhumatismes,
il a une jolie femme
bien plus jeune que lui.
C'est un sale égoïste.
Pédant, inconséquent...
Ah oui, ça vous a échappé,
Antocha?
Vous êtes charmant, hein!
Quelle prétention j'ai eue
de vouloir écrire
cette pièce avec vous!
Vous êtes vraiment trop génial.
Je ne suis qu'une nullité.
Je voulais vous garder
la surprise, mais j'ai trop envie
de vous le dire.
J'ai pensé que vous seriez content
d'acheter une propriété
pour vous et votre famille.
Un ami qui libère
un domaine, Melikhovo.
Je vous aiderai
financièrement, bien entendu.
Il est temps de vous installer.
ANTON
(Se levant)
Alexeï Souvorine,
vous êtes un magicien!
SOUVORINE
Ah...
SOUVORINE se lève à son tour et serre ANTON dans ses bras.
ANTON et SON PÈRE font le tour de la maison en regardant par les fenêtres.
KOLIA est dans son lit et regarde son cahier d'esquisses.
Dehors dans le jardin, ANTON pêche dans l'étang sur une petite île.
MACHA regarde à la fenêtre du salon et voit ANTON embrasser ISAAC qui vient d'arriver.
ISAAC entre dans la chambre de KOLIA.
Ensuite, au souper, ISAAC fait la joie de la famille en racontant des histoires.
ISAAC s'installe au jardin pour peindre, assisté de MACHA.
Dans son bureau, ANTON s'assoit pour écrire.
Pendant la nuit, KOLIA est très fiévreux et tousse abondamment. ANTON prend soin de lui.
ANTON retourne à sa chambre et croise sa mère.
ANTON
Tu m'as fait peur.
MÈRE TCHEKHOV
Tu vas le guérir,
hein, Antocha?
ANTON
Oui, maman.
Je vous promets de faire
tout mon possible.
MACHA regarde une toile de KOLIA à la lueur d'une chandelle.
Le lendemain, ANTON écrit dans son bureau. MACHA lui apporte une lettre. ANTON lit la lettre.
LIKA (Narratrice)
"Antocha, mon amour,
"Des gens ont jasé.
"Mon mari l'a su.
"Il m'a emmenée en voyage.
"Cet homme m'aime, alors que je
n'éprouve plus rien pour lui.
"J'ai cherché à te joindre.
"Je n'ose pas venir te voir.
"J'ai très envie de toi.
"Ne m'oublie pas,
je reviendrai.
Tu es si proche
dans mon coeur."
"Tu es un écrivain célèbre,
désormais.
"Écris ton oeuvre, mon amour.
"Écris et pense à moi.
Lika."
ANTON jette la lettre au feu et retourne à sa table de travail.
Dehors, ISAAC et MACHA sont dans le jardin. Un courrier arrive encore.
ANTON aperçoit MACHA par la fenêtre. Elle court vers lui.
MACHA
Antocha!
ISAAC
Antocha!
ANTON se lève et ouvre la porte-fenêtre.
MACHA
Tolstoï veut te rencontrer.
ISAAC
Il est question de te remettre
le prix Pouchkine.
ANTON
Un prix Pouchkine? Tolstoï?
ANTON, abasourdi se dirige dans la salle à manger.
MACHA
Qu'est-ce que tu fais?
ANTON
Je ne sais pas, je...
Je marche sans but,
comme un amoureux.
ANTON annonce à KOLIA la nouvelle, dans sa chambre.
KOLIA
Tolstoï...
Le seul auteur au monde
qui arrive à me faire peur.
Quand Anna Karénine voit
ses propres yeux briller
dans la nuit...
C'est... c'est effrayant!
ANTON
Je reviendrai au plus vite.
KOLIA
Prends ton temps.
Profite de lui!
Antocha...
ANTON
Oui?
KOLIA
Tu plaisantais quand
tu parlais de Sakhaline?
ANTON
Moi?
KOLIA
Quand tu disais
que tu viendrais avec moi.
ANTON
Non, je ne plaisantais pas.
ANTON embrasse son frère avant de partir.
ANTON
(À voix basse)
Repose-toi.
ANTON monte sur sa carriole et part.
Dans un champ, TOLSTOÏ roule à bicyclette. Ses filles sont assises devant sur une planche.
TOLSTOÏ
(Arrêtant la bicyclette)
Attendez, les filles!
Vous allez me faire tomber.
Ah... Mes puces...
ANTON attend patiemment dans le jardin, près de la maison.
ANTON
Bonjour.
Je suis Anton Tchékhov.
TOLSTOÏ et ANTON sont assis dans le salon de TOLSTOÏ.
TOLSTOÏ
Éloignez-vous, les filles,
je dis des choses intimes
à M. Tchékhov.
Les filles de TOLSTOÏ qui jouent au billard s'éloignent.
TOLSTOÏ
Vous voyez, ça,
c'est mon journal intime.
Je le porte sur moi,
jour et nuit.
Ma femme fait pareil
avec le sien.
TOLSTOÏ remet son journal sous sa chemise.
TOLSTOÏ
Elle n'assistera même pas
à ma propre mort.
Je l'en empêche par écrit.
Les dernières volontés
d'un homme sont sacrées,
surtout les miennes.
J'ai renoncé à mes droits d'auteur.
Autre sujet de brouille avec Sophia.
Les femmes ne supportent pas
la vérité.
Tenez, avant notre mariage,
j'avais 34 ans.
J'ai proposé à ma femme
de lire mon journal intime.
Pauvre petite, à 18 ans,
elle découvre mes turpitudes.
Le jeu, l'alcool, les femmes.
Et surtout mon incroyable ambition.
J'avais tous les vices.
Quelqu'un entre dans la pièce.
TOLSTOÏ
Ah non, pas toi, Emma! Je veux
pas te voir! T'es trop belle.
Va chercher Martha.
Tu vois bien que nous n'irons
pas nous baigner, il pleut.
Allez! File!
MARTHA, une servante, entre dans la pièce avec une bouteille d'alcool et deux verres.
TOLSTOÏ
Merci, Martha.
TOLSTOÏ sert un verre à ANTON.
ANTON
Merci.
TOLSTOÏ
Écrivez vos nouvelles
et oubliez le reste.
Faites comme moi.
Arrêtez le sexe, la viande.
Expiez vos péchés et priez Dieu.
Et fouettez-vous le dos chaque
fois que le désir vous étrangle.
La pureté est au fond de vous.
Dieu l'y a déposé
tel un diamant.
Diamant qui lui reviendra
à votre mort.
UN EMPLOYÉ entre en tenant une lettre.
ALEXANDRE arrive à la hâte à la maison TCHEKHOV pleine de monde.
ALEXANDRE
Il est où?
(S'adressant à sa femme)
Viens.
Dans le salon, toute la famille est réunie autour de la dépouille de KOLIA.
ALEXANDRE entre dans la pièce et prend son père et sa mère dans ses bras en pleurant.
ALEXANDRE s'assoit avec MACHA. Derrière eux, ANTON écrit sur une petite table.
Plus tard, à table, toute la famille prie avant le dîner.
MACHA entre dans le bureau d'ANTON qui fait brûler des documents.
MACHA
Mais qu'est-ce que tu fais?
ANTON
Tu ne le vois pas?
ANTON jette ses manuscrits au feu.
MACHA
Mais arrête, c'est un suicide!
ANTON
J'abandonne la littérature.
Définitivement.
Pourquoi ce diable
de Grigorovitch est-il
venu me tourner la tête?
J'étais bien.
J'écrivais mes nouvelles
médiocres. Je gagnais
quelques sous.
Suffisamment pour vous nourrir.
Et maintenant...
MACHA tente de reprendre quelques feuillets.
ANTON
Je suis médecin;
je retourne à mon devoir.
Plus tard, ANTON arrive à son cabinet où une dizaine de personnes l'attendent déjà.
ANTON
Je vais vous recevoir tous,
un par un.
Mais après, il ne faudra plus
revenir pendant plusieurs mois.
Peut-être même une année.
PATIENTS
Oh...
ANTON
Allez, qui est arrivé le premier?
JEUNE HOMME
Moi.
ANTON
Laissez votre place
à madame et le bébé.
Je vous recevrai après.
On entre.
GRIGOROVITCH et SOUVORINE rendent visite à ANTON.
ANTON
Je vous rappelle
que je suis médecin.
GRIGOROVITCH
Nombre de bons médecins
courent les rues et
c'est tant mieux!
Mais le génie créateur
d'un siècle entier
se compte sur les doigts
de la main!
Je vous ordonne
de reprendre votre plume.
Récit, fable, nouvelle, théâtre.
Tout ce que vous voudrez.
Mais recommencez à écrire!
C'est un ordre!
ANTON est debout sur une table. Il porte de nouvelles bottes et enfile un manteau de cuir en se regardant dans le miroir au-dessus du foyer.
Toute la famille l'observe.
On sonne à la porte. MACHA va ouvrir.
IVAN donne un pistolet à ANTON.
MACHA
Antocha?
ANTON
Oui?
MACHA
C'est Lika.
ANTON
Dans mon bureau.
ANTON retrouve LIKA dans son bureau, toujours vêtu de sa redingote de cuir et d'une casquette.
LIKA est costumée et porte un masque.
LIKA
Il y a une fête déguisée
au château.
Je me suis échappée.
Tu aimes mon masque?
ANTON
Je pars demain pour Sakhaline.
LIKA embrasse ANTON.
ANTON et LIKA sont assis dans le bureau. LIKA a retiré son masque.
LIKA
Si tu m'envoies
ta demande par écrit,
je divorce pendant ton absence
et à ton retour, tu m'épouseras.
Tu acceptes, chéri?
ANTON
Imagine supporter
un homme comme moi.
LIKA
Je te comprends dans ma chair
et dans mon cerveau.
Tu as besoin de moi.
ANTON
Ton amour est effrayant.
LIKA
Tu as peur d'être heureux?
ANTON
J'ai une famille.
Une mère, une soeur,
deux jeunes frères à l'étude,
un frère aîné à surveiller.
LIKA
Tu les abandonnes.
ANTON
Je reviendrai...
... guéri.
LIKA
Tu m'écriras?
Dis, tu m'écriras?
Des images de la Russie profonde défilent.
ANTON (Narrateur)
"Et voilà ma chevauchée terminée.
"Elle a duré deux mois.
"Si l'on ne tient pas compte
du temps que j'ai passé
"en chemin de fer et en bateau,
et des journées perdues
"à attendre des barques,
au moment des crues,
"on a une idée de la rapidité
avec laquelle je suis allé.
"Je n'ai pas été malade
une seule fois.
"Et parmi la masse de choses
que je transporte,
"je n'ai perdu qu'un canif,
une courroie de valise et
un flacon de phénol.
"J'ai tout mon argent.
"Chez vous, le temps
est pluvieux et froid,
tandis qu'à Sakhaline,
"il fait un temps clair
et doux.
"Ma soeur chérie, sans toi,
je ne serais jamais parti.
"Je sais que tu veilles sur
toute la famille comme
si j'étais là.
Mieux encore, car tu n'as pas
à supporter mes plaintes et
mes sautes d'humeur."
Au loin sur l'île des prisonniers enchaînés marchent. ANTON les regarde, assis sur un rocher.
ANTON (Narrateur)
"Pour l'argent qui
va te manquer,
"j'ai obtenu un accord
avec Souvorine.
"Je lui envoie
des récits de mes voyages,
et il va te faire parvenir
1000 roubles directement."
Dans une maison de campagne, à Sakhaline, ANTON dine à la maison du gouverneur de l'île.
KORFF
Cette île n'est pas
seulement un bagne.
Les prisonniers ne sont pas
voués à repartir.
ANTON
Je veux livrer une
étude sérieuse sur cette île.
Faire une enquête.
Par exemple, j'aimerais
interroger chaque prisonnier.
KORFF
Je vous autorise
à aller où vous voudrez
et avec qui vous voudrez,
à l'exception
des prisonniers politiques.
Nous n'avons rien à cacher.
MÉDECIN DE LA PRISON
Je dois vous dire que ma fille
est forte heureuse que vous
vous installiez chez nous.
Elle rêvait de rencontrer
un grand écrivain.
ANTON
Vous êtes étudiante?
ANNA
Je suis institutrice.
MÉDECIN DE LA PRISON
Elle connaît parfaitement
votre oeuvre. Non, Anna?
MÈRE D'ANNA
C'est un honneur
de vous avoir chez nous.
ANTON
Je vous remercie, mais
je ne veux pas vous déranger.
Je peux m'installer
dans un hôtel.
KORFF
Vous ne serez pas mieux que
chez le médecin de la prison.
Pendant la nuit, quelqu'un vient dans la chambre d'ANTON qui se réveille en sursaut.
ANTON
Qu'est-ce que vous voulez?
UN EMPLOYÉ
Nettoyer vos bottes, monsieur.
Le jour, ANTON visite les bagnards en compagnie d'un gardien.
ANTON
N'ayez pas peur de moi.
Je ne viens pas pour vous punir,
mais pour vous écouter.
Je vais vous interroger,
comprendre pourquoi
vous êtes ici.
Je mettrai vos noms sur des
petites fiches que
j'ai préparées. J'inscrirai
ce que vous me direz.
Comme cela, il restera
une trace de votre misère
pour qu'on puisse
alerter les autorités
et améliorer votre condition.
Quelqu'un apporte une chaise et une table.
ANTON
Merci de faire le silence.
VASSILI
Ici, je m'appelle
Ignatieff Vassili, monsieur.
Mais on me surnomme La Beauté.
Un rire général éclate.
VASSILI
Il y a longtemps que je n'ai
plus reçu un coup de verge
ou passé une nuit au cachot.
Maintenant, quand on me dit:
"va scier du bois", j'y vais.
Ou "va allumer les poêles
dans les bureaux",
je les allume.
J'ai appris à obéir.
Avant, c'était beaucoup
plus dur.
On habitait dans des huttes.
Ici, il appelle ça des yourtes.
C'était des cabanes en rondins
enterrées à deux mètres
dans le sol avec des toits
en terre battue.
Les fenêtres étaient
toutes petites.
Les murs étaient bouffés
par l'humidité.
On nous battait pour un rien.
Et on mourait encore
plus facilement que maintenant.
Un gardien mène ANTON aux quartiers des femmes.
UNE FEMME
Au début, je suis arrivée
à Sakhaline avec mon père.
J'étais toute petite.
Il avait pris dix ans
de travaux forcés
puis il est devenu relégué.
Le relégué n'a pas encore
le droit de rentrer chez lui,
mais la peine est plus douce.
ANTON circule parmi les prisonniers sur l'île.
ANNA attend ANTON dans un champ.
Plus tard, ANTON écrit dans la maison du MÉDECIN.
ANNA
Je vous dérange?
ANTON
Non, Anna.
ANNA retire son foulard qu'elle porte toujours. Elle découvre sa courte chevelure et retourne auprès d'ANTON.
ANTON
Je ne veux pas continuer
à me dissimuler.
Les enfants de ma classe
avaient tellement de poux
qu'il a fallu employer
les grands moyens.
J'ai dû montrer l'exemple.
ANTON
J'ai toujours pensé
que les femmes masculines
gagnaient en séduction.
ANNA
Merci.
Vous écrivez sur Sakhaline?
ANTON
Mon problème, Anna,
n'est pas de trouver
un sujet d'inspiration
pour mes écrits.
Je veux étudier
le fonctionnement de Sakhaline,
car cette étude n'a jamais été faite.
ANNA
Vous venez?
Le dîner est servi.
ANTON
Volontiers.
(S'adressant à un bagnard qui attend)
Merci, Iégor.
Nous n'avons besoin de rien.
ANTON retourne sur l'île pour continuer ses recherches.
ANTON entre dans une maison où deux petites filles jouent dans l'escalier.
ANTON
Bonjour.
(S'avançant dans l'escalier)
Je suis Anton Tchékhov.
J'ai l'autorisation
de faire une enquête
sur les habitants de l'île.
Je peux vous interroger?
FEMME
Oui, entrez.
Les fillettes prennent la main d'ANTON et le guide à l'intérieur.
LA FEMME se glisse derrière un paravent et commence à se dévêtir.
FEMME
Tu viens?
ANTON
Pas question.
(S'adressant à une fillette)
Lydia, dis-moi
le nom de ton père.
LIDYA
Je ne sais pas.
ANTON
Quoi, tu vis avec ton père
et tu ne connais pas son nom?
FEMME
C'est pas notre père. C'est un
homme qui vit avec notre mère.
ANTON
Votre mère est veuve?
FILLETTE 1
Elle est ici
à cause de son mari.
FILLETTE 2
C'est pas son mari.
ANTON
Comment ça?
FEMME
Elle l'a tué.
ANTON
Elle a tué votre père?
LIDYA
Non, quand je suis née, ma
mère avait 15 ans. C'était
une putain déjà.
Après le repas, ANTON fait la lecture au MÉDECIN, sa FEMME et ANNA.
ANTON
(Lisant)
"Le voiturier jure
d'impuissance et repart
droit dans le fossé."
"On entend un craquement
dans les roues arrière,
"un autre dans les roues
avant. Les chevaux fument,
les limons cassent.
"'Hue, la mère!' crie le
conducteur agitant son knout
de toutes ses forces.
"'Que le diable
te bouffe l'âme!'
"Les chevaux tirent le chariot
puis ils s'immobilisent.
"On aura beau les fouetter,
les insulter,
ils n'iront pas plus loin."
MÉDECIN DE LA PRISON
Ah...
ANTON
Cette route est très difficile.
C'est pourtant la seule artère
qui rejoint l'Europe à la Sibérie.
MÈRE D'ANNA
Quelle belle idée de tenir
ce journal de voyage!
ANTON
Quand je vois quelque chose,
il faut que je l'écrive.
ANNA
Vous permettez
que je le lise, Anton?
ANTON
Bien sûr.
Les bagnards travaillent dans les bois. Ensuite, on se retrouve dans une des baraques où un bagnard est enchaîné, les bras écartelés.
Le gardien prend un fouet.
LE GARDIEN
Quelle cervelle de bois, hein!
En voulant s'évader hier...
... il a provoqué le pire.
Le GARDIEN fouette le bagnard enchaîné. ANTON assiste à la scène.
LES BAGNARDS
Deux... Trois... Quatre...
Cinq... Six...
ANTON retourne vers la maison du médecin à travers champs.
Assis au salon, ANTON s'adresse à IÉGOR, un bagnard au service de la maison du MÉDECIN.
ANTON
Iégor, pourquoi t'a-t-on
expédié sur Sakhaline?
IÉGOR
Qu'est-ce que tu dis,
Votre Grâce?
ANTON
Pourquoi es-tu là?
IÉGOR
Pour meurtre.
ANTON
Raconte-moi
comment ça s'est passé.
IÉGOR
J'ai pas le temps de causer
avec toi, Votre Noblesse.
Il faut que j'aille
chercher de l'eau.
ANTON
Tu vas bientôt passer colon?
IÉGOR
Dans cinq ans à peu près.
ANTON
Pourquoi tu n'as pas fait
venir ta famille?
IÉGOR
Parce qu'ils sont mieux
à la maison.
IÉGOR s'incline devant ANTON et quitte la pièce.
À la lueur d'une lampe, ANNA lit le journal de voyage d'ANTON. Dehors, l'orage gronde.
Une toux attire l'attention d'ANNA.
ANNA se lève et va voir dans la chambre d'ANTON.
ANNA
Anton?
Anton Pavlovitch...
ANTON
Pardonne-moi,
je t'ai réveillée.
ANTON peine à respirer.
ANTON
Tiens, j'ai écrit ça pour toi.
(Haletant)
Ça va aller.
ANTON est pris de vomissements.
ANTON marche avec ANNA le long des brise-lames.
ANTON
Un jour, le médecin
Tchékhov écrira un livre
sur Sakhaline.
Et ce livre changera le monde.
ANNA
Pourquoi ne pas faire le
portrait d'une simple
institutrice?
Vous pourriez raconter
une histoire banale.
ANNA est assise devant la table d'ANTON qui écoute son histoire.
ANNA
À l'âge de 17 ans, elle reçoit
une récompense et une médaille.
Que peut-elle faire, alors?
ANTON
On ne l'accepte
quasi nulle part.
Elle ne trouve pas de travail.
ANNA
Grâce au gouverneur de l'île,
son père lui obtient
une place d'institutrice,
à quelques kilomètres
de chez elle.
Elle vit là-bas, dans un coin sombre.
Une simple paroi la sépare
d'une classe humide.
Il n'y a qu'un lit,
une table et une chaise.
Le foyer fonctionne mal.
Un froid glacial pénètre
par la porte. Dans la classe,
le chauffage est insuffisant.
Le directeur est souvent absent.
Elle et ses élèves sont gelés.
ANTON
De tout l'hiver, les élèves
de sa classe ne se lavent pas.
Lorsqu'ils ouvrent leur sac...
... elle voit des cahiers
maculés de graisse,
des quignons, des pommes...
des cornichons salés
et des filets de harengs.
Elle se demande pourquoi,
lorsque les enfants viennent
autour d'elle, pourquoi
elle a des vertiges.
Pourquoi n'a-t-elle
pas suffisamment d'amour
pour ces pauvres créatures?
ANNA
Elle connaît bien quelques familles
auxquelles elle rend parfois visite.
On la respecte en tant qu'institutrice,
mais on est sans affection
pour elle.
ANTON
Il faudrait se marier.
Elle n'a pas le courage d'épouser
un être qu'elle n'aime pas.
ANNA
Elle s'éprend alors d'un
homme sensible et intéressant.
Cet amour est tellement idéalisé
qu'elle n'ose même pas se
demander quels sont ses
sentiments à lui.
Elle se sent si insignifiante.
ANNA se lève alors en tournant le dos à ANTON.
ANNA
Anton....
avez-vous déjà aimé?
ANTON
Oui, je crois.
ANNA
Elle existe toujours
dans votre coeur?
ANTON
Mon coeur est froid.
Petit garçon, je gardais
l'épicerie familiale jusque
tard dans la nuit,
le froid et la crainte
de mon père.
Il passait ses colères
en maniant le fouet
avant d'aller s'agenouiller
devant des icônes.
Brutalité et bigoterie,
voilà le cadre où j'ai grandi.
Misère aussi.
Fils d'un serf libéré,
mon père faisait du commerce.
Un jour, il a fait faillite,
et toute la famille
a dû fuir à Moscou.
J'avais 16 ans. On m'a chargé
de liquider l'affaire
et d'envoyer le peu d'argent
qu'il restait. Nous étions
six enfants.
Quand je les ai rejoints,
je me suis inscrit à la
faculté de médecine.
On vivait dans une cave.
Mes deux frères aînés
se sont mis à boire.
J'ai commencé à publier
des récits humoristiques,
des bêtises, des sornettes,
que j'écrivais machinalement,
deux à trois heures par jour,
sur le coin de la table,
au milieu des rires de
mes frères et de mes camarades.
Notre situation s'est peu à peu
améliorée. Jusqu'au jour...
où des personnages importants
sont venus changer ma vie.
ANTON écrit. Derrière lui, IÉGOR brosse le tapis à quatre pattes.
Pendant qu'on entend les mots d'ANTON, on voit les enfants de Sakhaline dans leur environnement.
ANTON
(Voix de l'écrivain)
"Les enfants de Sakhaline
sont vêtus de guenilles
et toujours affamés.
Ils meurent principalement
de maladies du tube digestif."
"Chaque nouvelle naissance
est fort mal accueillie
dans la famille.
"Nulle chanson ne monte
au-dessus des berceaux.
"On y entend que des
complaintes de mauvais augure.
"Père et mère disent qu'ils
n'ont rien à donner à manger
à leurs enfants, mais...
"quoi qu'on dise, et quelles
que soient les complaintes
qu'on égraine,
"les êtres les plus utiles
"et les plus agréables
de Sakhaline
"sont bel et bien les enfants.
"Dans leurs foyers endurcis,
"moralement usés,
"ils apportent
un élément de tendresse,
"de pureté, de modestie,
"de joie.
"Malgré leur dureté,
"ceux qu'ils aiment
le plus au monde
sont leur corrompue de mère
et leur brigand de père."
MACHA est assise au bureau d'ANTON et range ses affaires.
ANTON (Narrateur)
"Macha, ma soeur chérie,
"ma mission est
bientôt terminée.
"Je vais enfin
rentrer à la maison.
"J'espère que cette lettre
arrivera avant mon retour.
"Quand je prends conscience
de la distance qui nous sépare,
"il me semble que je ne
reviendrai que dans 100 ans.
"Je t'embrasse.
Ton Antocha."
ANTON montre quoi dire aux quatre sœurs de l'île.
ANTON
Comment pouvez-vous
sous-entendre...
FEMME
Comment pouvez-vous
sous-entendre
qu'il y a de la prostitution,
ici, à Sakhaline?
Cette pratique est bannie
depuis des années.
Et quiconque en aurait l'idée
recevrait 90 coups de fouet.
LYDIA
(Lisant un texte)
"Nous prions humblement
votre Honneur
"de nous permettre
d'avoir une vache à lait
"et une personne
de sexe féminin,
pour s'occuper
des choses domestiques."
Les fillettes applaudissent leur sœur.
FILLETTE 1
Moi aussi, je veux un rôle.
ANTON
Je vous promets de vous écrire
une pièce avant de partir
que vous jouerez
en mémoire de moi.
J'y vais.
ENSEMBLE
Non, ne pars pas!
ANTON embrasse les sœurs.
ANNA est assise au salon avec ANTON.
ANTON
Demain, vous embarquez
sur le navire Pétersbourg
pour un long retour.
Vous traverserez
la mer de Chine.
ANTON
Je ferai escale à Colombo.
On dit que l'endroit
est merveilleux.
Je me remplirai
les yeux de palmiers
et de femmes à la peau de bronze.
ANNA
Le voyage sera interminable.
ANTON
Je m'ennuierai de vous, Anna.
Vous restez sur cette île comme
une perle au milieu de l'enfer.
Je ne vous oublierai pas.
ANNA accompagne ANTON au port.
IVAN marche dans le jardin de la maison TCHEKHOV.
IVAN
Les voilà! Ils arrivent!
La MÈRE d'Anton est assise sur la terrasse. Elle se lève pour appeler les autres.
MÈRE TCHEKHOV
Macha!
Macha! Les voilà.
IVAN
Antocha!
Antocha!
ALEXANDRE et MACHA sortent dans le jardin pour accueillir leur frère.
ALEXANDRE
Antocha! Bravo!
Papa, viens!
Antocha est là!
Papa! Viens!
Le PÈRE TCHEKHOV sort et toute la famille accourt pour serrer ANTON dans ses bras.
ANTON
Macha!
Papa!
La famille et les amis de la famille sont réunis pour écouter le récit de voyage d'ANTON.
ANTON
J'ai rencontré là-bas les
souffrances les plus
Insupportables
que puisse endurer un homme.
Des choses misérables
et indignes de nous.
Dès à présent,
il nous faut agir.
L'absence totale de matériel de
culture n'est pas le moindre
des problèmes.
C'est pour cela qu'il nous faut
envoyer des livres de classe,
des cahiers, pour que les enfants de
Sakhaline puissent se cultiver.
Merci de vos dons.
C'est notre honneur
d'intellectuels
que de contribuer
à réparer cette injustice.
Merci, mes amis.
L'assemblée applaudit.
ANTON
Merci.
MACHA et sa mère servent des rafraîchissements à l'assemblée.
MACHA reçoit les gens qui attendent à la porte de la maison. Ce sont les patients d'ANTON qui viennent le consulter.
MACHA
Bonjour!
PATIENTS
Bonjour.
MACHA
Entrez, je vous en prie.
ANTON
Bonjour, tout le monde.
MACHA et ANTON marchent dans le jardin.
ANTON
Il faut que je me marie
avec une jeune fille sérieuse.
Il faut qu'elle m'aide à
me retrouver dans les milliers
de fiches que j'ai rapportées.
MACHA
Mais je vais t'aider, moi.
ANTON
Tu es suffisamment
occupée comme ça.
Si je n'avais pas
fait mon voyage
et vu ce que j'ai vu,
je serais toujours dans
la certitude de mon inutilité.
De retour dans la maison, MACHA verse du thé.
ANTON regarde dehors. MACHA joue du piano. ANTON se dirige dans son bureau et écrit.
ANTON (Narrateur)
(Écrivant)
"Le matin, il faisait froid.
"Personne pour allumer
le poêle.
"Les écoliers arrivaient
avant le jour
"faisant du tapage.
"Tout était si incommode,
"si inconfortable.
"À vivre cette vie,
elle était devenue...
"anguleuse, gauche,
"comme si on lui avait infusé
du plomb.
On revoit des images de Sakhaline : les enfants dans une école et ANNA.
ANTON (Narrateur)
(Écrivant)
"Elle avait peur de tout.
"Sa vie s'écoulait
dans l'ennui,
"sans tendresse,
"sans amitié,
"sans relation intéressante.
"Dans sa situation,
"c'était affreux
d'être tombée amoureuse.
"Elle fondit en larmes
sans savoir pourquoi.
"Elle imagina tout à coup
un bonheur qu'elle avait perdu.
Dans la salle de classe, ANNA lit les écrits d'ANTON.
ANTON (Narrateur)
(Écrivant)
"Elle entendit soudain
les accords de piano
de son enfance.
"Elle revit avec une netteté
stupéfiante sa mère et son père.
Leur appartement, tout,
jusqu'au moindre détail."
"Elle se sentit comme alors,
"jeune, belle,
"élégante,
"dans une chambre claire,
"chaude, au milieu du cercle
de famille.
"Jamais elle n'avait été
institutrice.
"Ce n'était qu'un rêve,
"pénible, étrange,
et maintenant,
elle venait de se réveiller."
À la maison des TCHEKHOV, SOUVORINE et d'autres intellectuels sont réunis sur la terrasse.
SOUVORINE
(S'adressant à une jeune femme)
Donnez-moi des nouvelles
de cette adorable Sophia.
Comment va-t-elle?
JEUNE FEMME
Elle va bien.
SOUVORINE
(Apercevant ANTON)
Oh, excusez-moi.
Notre écrivain s'accorde
un moment de détente.
ANTON
J'écris mon Sakhaline
et je m'ennuie.
Je m'ennuie.
(Acceptant un verre)
Merci, maman.
(S'adressant à SOUVORINE)
Il y a des jours où je décide de
rester dessus trois à cinq ans,
et d'autres, comme aujourd'hui,
où je suis pris par le doute
et l'envie de l'abandonner.
Je suis complètement abruti.
Quelle heure est-il?
Vous avez mangé?
SOUVORINE
Ils ne font que boire.
Rire et boire.
Et séduire les jeunes filles.
ALEXANDRE arrive et embrasse ANTON.
SOUVORINE
Dites-moi, votre soeur m'a fait
lire votre nouvelle, Goussiov.
C'est effrayant.
Un vrai tableau de Brueghel.
Vous n'avez jamais écrit
avec ce talent, cette maturité,
cette liberté profonde.
ANTON
Figurez-vous que pour
me détendre de Sakhaline,
j'ai écrit une comédie-roman et
j'en ai déjà rédigé d'une traite
deux actes et demi.
Après une nouvelle,
une comédie s'écrit facilement.
J'ai travaillé avec plaisir.
Avec délectation même.
SOUVORINE
Finissez-la vite
et confiez-la-moi.
J'ouvrirais bien la saison
théâtrale avec une pièce
d'Anton Tchékhov.
Quel est le titre?
ANTON
Je ne sais pas encore.
J'hésite.
Il y a trois rôles de femmes,
six de moujiks,
beaucoup de discours
sur la littérature,
pas du tout d'action
et des tonnes d'amour.
Oui.
D'amour et de regrets.
J'y retourne. À tout à l'heure.
ANTON retourne vers la maison, mais il est pris d'un malaise et s'assoit dans les marches menant au balcon.
SOUVORINE
(Soulevant ANTON)
Anton!
ANTON
Ah... Ça va passer.
(Haletant)
Ma soeur n'a rien vu?
SOUVORINE
Non, je crois pas.
ANTON
Aidez-moi à regagner
mon bureau.
SOUVORINE
Appuyez-vous sur moi.
ANTON
On va croire que
nous sommes deux amoureux.
SOUVORINE
C'est pas le moment
de plaisanter.
ANTON
C'est très gênant de mourir
ainsi devant tout le monde.
SOUVORINE
Mais... vous saignez, mon ami.
ANTON
Rien de grave.
(Haletant)
J'ai l'habitude.
ANTON s'assoit une fois à l'intérieur.
SOUVORINE
Respirez. Respirez fort.
Il faut appeler un médecin.
ANTON
Non, non, non.
Je ne veux pas qu'on me soigne.
Je prendrai de l'eau,
de la quinine,
mais je ne permettrai pas
qu'on me sonde.
Il ne me reste
que quelques années à vivre.
Ce n'est pas mauvais
comme situation.
Cela me force à apprécier chaque
chose comme si c'était
la dernière fois.
ANTON écrit tard à la lueur d'une chandelle.
Un bruit provenant de l'extérieur attire l'attention d'ANTON qui voit une ombre à la fenêtre.
ANTON
Lika?
Viens.
LIKA
Il y a quelqu'un avec toi?
ANTON
Non, personne. Je suis seul.
LIKA entre et sanglote sur l'épaule d'ANTON.
ANTON
Lika...
LIKA
C'est rien, ça me soulage.
Depuis que tu es parti,
j'ai attendu ta lettre.
Un mois, deux mois,
neuf mois. J'ai compris
que tu voulais m'oublier.
J'ai fini par tomber amoureuse.
Un écrivain aussi, un Français.
Il est moins doué que toi.
(Pleurant)
Je l'ai suivi, mais il s'est
conduit comme une canaille.
Finalement, il a fui
avec sa femme pour l'Italie.
Je suis retournée chez mon mari.
Il m'a pardonné.
Il voudrait des enfants.
Mais je ne l'aime pas.
(Reniflant)
Demain matin, je pars de très
bonne heure pour Pétersbourg.
Je vais jouer un petit rôle
dans un nouveau théâtre.
(Soupirant)
J'aurais aimé être à tes côtés
pour t'aider à accomplir
ton oeuvre.
Tu ne l'as pas voulu.
Je t'aime de toutes mes forces.
Comme la femme de ta vie.
ANTON
Lika...
Je vois ton beau visage
et ton si joli sourire
qui m'a tant illuminé.
LIKA éclate en sanglots.
LIKA
Pourquoi tu n'as pas écrit?
(Reprenant ses esprits)
Les chevaux m'attendent
au fond du jardin.
Ne m'accompagne pas.
(Avant de partir)
Quels beaux moments nous avons
vécus, tu te rappelles?
Des moments doux,
clairs, joyeux.
Des souvenirs, des désirs.
Pareils à des fleurs
délicates et exquises.
LIKA sort sans fermer la porte.
ANTON a repris sa place à son bureau.
On présente La Mouette dans un théâtre, l'action se passe entre KONSTANTIN et NINA.
KONSTANTIN
Ne plus vous aimer est
au-dessus de mes forces, Nina.
NINA
Les chevaux sont
arrêtés près de la petite porte.
Ne m'accompagnez pas,
je trouverai le chemin.
Je suis une mouette.
Vous vous rappelez qu'un jour,
vous avez tué une mouette?
Un homme passait par là.
Il l'a vue et lui a pris la vie,
par hasard, par désoeuvrement.
Sujet pour une petite nouvelle.
Vous vous souvenez comment
on était bien, autrefois?
Comme la vie était
claire, chaude, joyeuse, pure,
comme les sentiments
ressemblaient à des fleurs
tendres et gracieuses.
Vous vous souvenez?
ANTON assis seul dans la salle approche de la scène et monte rejoindre les comédiens qui sont rassemblés sur la scène.
ANTON s'assoit. Tous l'imitent.
ANTON
Je ne reconnais pas
mes personnages.
Je vois des acteurs qui jouent.
Je ne suis pas d'accord
avec les costumes.
Vous ne suivez pas
mes indications.
Par exemple...
sous prétexte que votre
personnage est malheureux,
vous adoptez un jeu larmoyant.
Un jeu qui nous dit
à tout moment:
"Ah, comme cette femme
n'est pas heureuse."
Excusez-moi, mais...
J'ai remarqué que les
gens malheureux pouvaient
chantonner ou siffloter...
et rester pensifs tout à coup.
C'est d'ailleurs ce que
j'ai indiqué dans mon texte.
Mais vous n'en tenez pas compte.
Vous voulez prouver à quel point
vous êtes de bons comédiens.
Mais, du coup, vous tuez
les personnages. Il faut rendre
les souffrances comme
elles s'expriment dans la vie :
avec une intonation simple,
un regard.
Pas de geste, mais de la grâce.
Pour exprimer votre angoisse,
vous faites le tour de la maison
et cherchez des voleurs
sous les meubles avant
d'éteindre la lumière.
C'est purement anecdotique
et sans intérêt. C'est ridicule.
Il serait préférable de tout
simplement traverser la scène,
en ligne droite,
sans regarder rien ni personne,
une bougie à la main.
Ce serait plus bref
et plus effrayant.
Soyez plus simples.
N'ayez pas peur de l'ennui
et suivez mes indications.
Mes personnages sont
dans l'ennui de leur vie
et la conscience de leur échec.
Emmenez le spectateur
dans cet ennui.
Sans aucun souci d'esthétisme.
Et tout à coup...
un coup de feu en plein
dans la gueule du spectateur.
(Tirant un coup de feu)
Sur la terrasse de la résidence TCHEKHOV, ANTON marche seul, une canne à la main. À l'intérieur, MACHA peint un autoportrait.
Un facteur apporte du courrier.
ANTON ouvre le courrier et se dirige à l'intérieur pour lire.
TOLSTOÏ (Narrateur)
"Cher ami,
"j'étais dans la salle, l'autre
soir, pour voir votre Mouette.
"Je voulais vous faire la
surprise à la fin du spectacle,
"mais vous n'étiez plus là.
"J'ai croisé votre éditeur
qui m'a dit à quel point
il était heureux de serrer
la main de Tolstoï."
"Mais il m'a informé
sur votre santé.
"Anton, je ne veux pas
vous savoir malade.
Un homme comme vous
doit guérir."
"J'ai lu, par hasard,
l'autre jour, l'une de
vos petites nouvelles.
"C'est un bijou!
"Je l'ai lue quatre fois,
à voix haute, à mes filles.
"Ce vieil homme qui essaie
de sermonner son fils de 8 ans
"parce qu'il a fumé, comme
c'est joli, comme c'est tendre!
"Comme soudain
il trouve les mots
"à travers un petit conte
qu'il invente pour lui.
"Quelle finesse!
"On dirait de la dentelle
cousue par une vierge.
"Mais votre pièce de théâtre,
je vous avoue que je
ne l'aime pas.
"Elle ne vaut rien.
"Vous savez que je n'aime pas
Shakespeare.
"Mais vos pièces, mon cher
Anton, je les trouve pires
que les siennes.
"Anton, vous ne pouvez pas
mourir. Vous avez trop
d'importance.
Votre ami, Léon Tolstoï."
ANTON se verse une flûte de champagne et la boit, assis près de la fenêtre. Puis ANTON s'allume un cigare et fume. Au loin, le piano joue.
Épilogue
(Anton Tchékhov est mort quelques années plus tard, à 44 ans, vaincu par la tuberculose. Il laisse une œuvre qui comporte des centaines de contes et de nouvelles, des pièces de théâtre et son livre-témoignage : « L'Île de Sakhaline ».)
Générique de fermeture
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