Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.


Vidéo transcription
Louise Charron, ancienne juge, Cour suprême du Canada
Louise Charon est la première Franco-Ontarienne à avoir siégé à la Cour suprême du Canada. Pionnière sur plusieurs points, elle relate les événements qui ont jalonnés sa vie professionnelle et personnelle.
Réalisateur: Mark Rosario
Année de production: 2012
video_transcript_title-fr
GISÈLE QUENNEVILLE rencontre des personnalités francophones et francophiles: des politiciens, des artistes, des entrepreneurs ou des scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Générique d'ouverture
[Début information à l'écran]
Carte de visite
[Fin information à l'écran]
GISÈLE QUENNEVILLE s'adresse au public de l'émission.
GISÈLE QUENNEVILLE
Bienvenue à l'émission. Son
nom n'est peut-être pas connu
dans tous les foyers de
l'Ontario français, pourtant,
il devrait l'être. Louise
Charron est la première et la
seule Franco-Ontarienne à avoir
siégé à la Cour suprême
du Canada.
Elle y était de 2004 jusqu'en
2011 lorsqu'elle a décidé de
prendre sa retraite à l'âge de
60 ans seulement. Louise Charron
est native de Stergeon Falls,
dans le nord. Mais c'est dans
l'est, à Ottawa, qu'elle a fait
sa marque en tant que juriste,
professeure à l'Université
d'Ottawa et comme juge.
(GISÈLE QUENNEVILLE est assise à une table face à son invitée, LOUISE CHARRON.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Madame Charron, bonjour.
LOUISE CHARRON
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous êtes la première
Franco-Ontarienne à siéger à la
Cour suprême du Canada. Est-ce
que c'est quelque chose à
laquelle on pense quand on
arrive à ces échelons-là dans
sa carrière?
LOUISE CHARRON
Je dois vous avouer que non
parce que ce sont les médias
qui m'ont appris que j'étais
la première francophone à être
nommée à la Cour suprême
du Canada.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et je pense qu'au départ,
vous étiez québécoise.
LOUISE CHARRON
Non, pas du tout.
GISÈLE QUENNEVILLE
Dans les médias?
LOUISE CHARRON
Dans les médias.
Oui.
Dans les médias souvent.
C'est vrai que j'ai appris cette
nouvelle-là parce qu’entre
autres, la première qui me
viendrait à l'esprit, c'était
Louise Harbour qui, elle,
est québécoise.
Mais toute sa carrière, elle
était en Ontario. Alors j'ai
connu Louise comme enseignante
à l'université, à Osgoode,
ensuite juge de la Cour
supérieure. Je me disais: ils
font erreur, ils ont oublié
Louise Harbour. Mais vous avez
parfaitement raison, j'étais la
première Franco-Ontarienne.
Alors c'est une chose que... ah
bon, je l'apprenais quand je
suis arrivée ici.
GISÈLE QUENNEVILLE
Pour une avocate, une juge,
est-ce que ça fait une
différence d'où on vient?
LOUISE CHARRON
C'est sûr. C'est sûr parce que
la justice, c'est quelque chose
d'humain. Et puis on la veut
comme ça aussi. Alors, prenons le
juge de procès pour commencer,
qui est celui ou celle qui doit
entendre les témoins puis
trancher des questions de
crédibilité, déterminer des
questions de fait, on peut
constater un peu plus encore qui
on est comme figure dans tout
ça. On peut pas faire autrement
qu'entendre les témoignages de
nos propres oreilles,
d'assimiler le tout selon nos
expériences, nos capacités. Et
c'est sûr, c'est sûr que ça
figure dans le grand portrait.
En somme, au long des années,
j'ai souvent parlé à des juges,
une fois que j'avais plus
d'expérience. Je disais ça aux
juges de première instance
souvent - c'est pas moi qui ai
pondu l'idée -, mais je leur
rappelais qu'il faut se
souvenir de nos limites
quand on entend du témoignage.
Il faut constater. C'est pas
juste la petite
Franco-Ontarienne qui vient du
Sturgeon Falls qui entend ça. La
question est plus grande. Alors
y a des témoins qui vont...
faut pas en arriver trop vite
à une conclusion. Il faut aller
au-delà de nos expériences.
Surtout dans notre culture, dans
notre pays où il y a de plus en
plus de cultures diverses.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous l'avez dit, vous êtes une
petite fille de Sturgeon Falls.
LOUISE CHARRON
Bien oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Comment c'était grandir à
Sturgeon Falls dans les années
50, les années 60?
LOUISE CHARRON
Moi, j'ai toujours pensé que
c'était une très belle place
pour être née. Puis... pour
avoir passé ma jeunesse. C'était
un milieu très francophone comme
vous le savez sans doute. J'ai
souvent fait la remarque
qu'avant d'être à l'université,
je n'ai jamais eu besoin de
parler anglais sur une base
quotidienne. Ça me manquait
pas, c'était juste un fait de la
vie. Je parlais français à la
maison, avec mes amis, dans
tout le contexte social. Et
puis c'était une petite ville
qui était assez quand même
prospère. La population, c'était
6400. Y avait beaucoup de
commerces, beaucoup de
tourisme. Alors moi, j'ai bien
aimé ma vie à Sturgeon Falls
jusqu'à l'âge de 18 ans.
Je n'y suis jamais retournée.
GISÈLE QUENNEVILLE
Oh!
LOUISE CHARRON
Non, non, j'y suis retournée
en visite, mais je ne suis pas
retournée y vivre.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce qu'il y a des avocats
dans votre famille?
LOUISE CHARRON
Y en a plusieurs maintenant.
Mais quand j'ai grandi, y en a
pas... j'ai pas de parents,
d'oncles, de tantes qui sont
avocats. Ma soeur Charlotte a
épousé Guy Goulard, qui était
avocat. Alors c'était le
premier dans la famille. C'est
sa faute à Guy si je suis
devenue avocate. Dans notre
famille, non, on vient pas
d'une famille d'avocats.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que votre beau-frère a
eu une influence sur votre
décision d'étudier en droit?
LOUISE CHARRON
Je suis sûre que dans le sens
que... bien des fois, on choisit
quelque chose qu'on connaît.
Puis quand j'étais adolescente,
j'ai travaillé à temps partiel
dans son étude, je faisais des
petites « jobbines », là. Parce que
je savais dactylographier.
C'est le cours le
plus important.
GISÈLE QUENNEVILLE
Je suis d'accord avec vous.
LOUISE CHARRON
Ça m'a donné mes « jobs d'été ».
Alors j'ai travaillé pour Guy
jusqu'à ce qu'il soit nommé
juge. Ensuite, pour un autre
avocat à Sturgeon Falls. Alors,
j'avais rencontré des avocats
puis quand est venu le temps de
choisir une carrière, c'est...
c'est pour ça que je dis qu'il
m'a influencée dans ce sens-là.
De dire qu'il m'a poussée, pas
du tout. Je pense que ma
décision l'a surpris. Y a une
certaine évolution... Il n'était
plus du tout surpris quand ses
filles ont voulu être avocates.
Mais on retourne en arrière.
Je pense que le fait que je
voulais devenir avocate, qui
n'était pas une profession où y
avait beaucoup de femmes, l'a
pris un peu par surprise.
Puis je ne lui ai jamais dit,
mais je vais lui dire maintenant
que ça m'avait un peu déçue.
J'avais pensé qu'il serait tout
excité. Bien, il l'a été bien
vite par après. Guy m'a toujours
donné un gros soutien.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce qu'il y avait un type
de droit qui vous attirait
en particulier?
LOUISE CHARRON
Pas du tout. Faut noter qu'en
ce temps-là - on parle... j'ai
commencé mon droit en 1972 - y
avait pas lieu de se spécialiser
autant qu'aujourd'hui.
Maintenant, on pousse beaucoup,
beaucoup les jeunes étudiants
et les avocats de se spécialiser
très tôt dans leur carrière.
C'était pas le cas. Les cours
étaient pour la plupart
mandatoires, le programme était
beaucoup plus fixe. Alors non,
je ne voulais pas me
spécialiser, mais je dois dire
que je visais plutôt pour une
pratique assez générale. Et je
ne m'imaginais pas que je
voudrais faire du litige.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est ce que vous avez fait.
LOUISE CHARRON
Bien oui, j'ai gâché ma vie,
voyez-vous. J'ai jamais fait ce
que je voulais faire. Non, non.
Je dis ça, farce à part, mais
je dois vraiment dire que
quand j'ai commencé à
pratiquer, quelqu'un m'aurait
dit: Louise, tu vas faire
beaucoup de litiges.
Non, y en était pas question.
Mais y a un de mes collègues qui
m'a demandé: « Louise, qu'est-ce
que tu aimes faire? Tu fais du
travail de procureur de la
Couronne », ce que je faisais
à ce moment-là, à temps
partiel, « tu enseignes à temps
partiel, c'est quoi que tu veux
faire? » Cette question m'a
portée à réfléchir que c'était
peut-être cette partie-là de ma
pratique que je trouvais la
plus excitante, qui répondait
plus à ce que je voulais.
Le « business » du droit,
m'intéressait peut-être pas
assez pour continuer dans cette
direction-là.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous étiez à l'école de
droit, vous avez fait votre
droit durant les années 70,
j'imagine qu'il n'y avait pas
beaucoup de femmes à
cette époque-là.
LOUISE CHARRON
Pas beaucoup. Je me trompe
peut-être quand... j'ai
l'impression... mettons que sur
110-120 étudiants, on était
huit femmes si je me souviens
bien, en première année. Encore
moins rendu à la fin.
Y avait très peu de femmes. Je
pourrais vous parler de mon
admission. J'avais fait une
demande juste à l'Université
d'Ottawa. Encore là, y avait
pas la compétition qu'il y a
maintenant. J'avais quand même
un dossier scolaire très fort.
J'avais pas de doute que je
serais acceptée. J'avais quand
même fait ma demande juste à
l'Université d'Ottawa, l'été
avançait, j'avais pas été
acceptée. J'ai téléphoné, on
m'a dit que mon dossier avait
été mis à part parce qu'on
pensait que j'avais pas mon
bac. J'avais trois ans d'un
programme de quatre. Grande
histoire courte, je me suis
rendue, j'ai dit: « Écoutez, je
veux en discuter. J'accepte pas
ça comme réponse. » Je me rends
à Ottawa et puis toute
l'entrevue, je me suis fait
poser des questions qui
visaient vraiment à questionner
le pourquoi je voudrais être en
droit. Pour me chercher un
mari? L'intervieweur était
pas... c'était pas très subtil.
Jusqu'à me demander: « Ces A,
et ces A+ qu'on voit...
(propos en anglais)
Did you shovel the dean's
driveway? »
GISÈLE QUENNEVILLE
Ah, vraiment?
LOUISE CHARRON
Elle m'avait insultée un peu,
cette question. Alors je me suis
dit: « Écoutez, si vous
m'indiquez, vous pouvez me
prouver que tous ceux que vous
avez acceptés ont un dossier
plus fort que le mien, je pars.
Si vous me prouvez pas ça,
je pars pas. » Il quitte la
salle. Je me suis dit: il s'en
va appeler la police. Je suis
sûre. Je vous conte ça, y avait
un peu de ça. Les femmes, on
disait: mais qu'est-ce qu'elles
veulent faire en droit? C'est
pas vraiment leur place. Alors
il fallait toujours contrer un
peu ce genre de réactions. Alors
c'était beaucoup plus facile,
c'est sûr, quelques années plus
tard, quand il a commencé à y
avoir plus de femmes dans
la profession.
GISÈLE QUENNEVILLE
Cependant, on dit souvent que
c'est pas facile pour une femme
avocate en pratique privée
de monter des échelons, surtout
si elle veut avoir une famille.
Est-ce que vous avez senti ça
durant votre carrière?
LOUISE CHARRON
Non, parce que... en pratique
privée... J'ai pas été en
pratique privée très longtemps.
Je comprends la difficulté,
surtout dans certains gros
cabinets où on s'attend à ce que
les gens travaillent des heures
facturables...
un montant d'heures
qui est pas humain. C'est
difficile, ça se marie pas très
bien avec une femme qui veut
avoir des enfants. Alors y a
plus de difficultés. Moi, j'ai
pas eu de difficulté ou j'étais,
dans un petit cabinet où j'avais
beaucoup plus de liberté de
décider quelles seraient mes
heures de travail. J'ai pas
rencontré cette difficulté-là.
Mais elles étaient réelles
parce qu’y avait pas de congé
de maternité, pour commencer.
Quand j'ai eu mon enfant,
j'étais en pratique privée,
j'ai pris un gros cinq
semaines parce que ç'aurait été
très difficile de prendre plus
de temps que ça.
Les clients attendront pas
éternellement. Le système
était pas organisé pour que
quelqu'un prenne la place des
femmes qui sont en congé. Alors
y a des difficultés qui restent.
Ces problèmes-là sont pour
la plupart résolus maintenant.
Mais dans la pratique privée,
ça peut être très difficile
pour quelqu'un qui veut un
certain équilibre.
GISÈLE QUENNEVILLE
Votre première nomination
comme juge, vous aviez à cette
époque-là seulement 37 ans, et
vous avez dit en quelque part
que cette nomination était plus
importante et mémorable pour
vous que même la nomination à
la Cour suprême du Canada.
Pourquoi?
LOUISE CHARRON
Vous avez raison... puis je
le dis bien honnêtement, surtout
que j'avais 37 ans, c'était un
changement de vie de passer
de la profession d'avocate à la
magistrature. Si on regarde
juste les nombres, y a beaucoup
d'avocats, moins de juges.
Alors c'était une démarcation
qui était importante. Puis je
trouvais, j'étais touchée du
fait qu'on m'avait reconnue
comme étant suffisamment
compétente pour être nommée
juge. À ce moment-là, c'était
la Cour de comté, la Cour de
district. Alors c'était
absolument mémorable, un gros
changement de vie. Je m'en
souviens encore plus. Je dis
que c'est moins mémorable, les
gens vont dire, mais quand même.
Elle niaise.
GISÈLE QUENNEVILLE
La Cour suprême du Canada!
LOUISE CHARRON
Bien, quand on regarde le
cheminement, quand j'ai été
nommée à la Cour suprême du
Canada, oui, c'était surprenant,
c'était une grosse affaire.
Mais j'étais juge à la
Cour d'appel. Alors comme toutes
nominations qui sont faites, on
est un groupe de candidats qui
sont assez évidents. Tout
gouvernement va regarder la
Cour d'appel, où il y a des
juristes qui sont d'expérience
puis qui font du travail... On
peut du moins juger s'ils ont
les compétences pour la Cour
suprême du Canada. Alors c'était
moins surprenant dans ce
sens-là qu'être la jeune de 37
ans qui était nommée à la Cour
de comté.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais la grande nomination de
la Cour suprême du Canada,
c'était sûrement pas une
surprise pour vous parce que,
bon, je pense que votre nom
circulait déjà. Comme vous
l'avez dit, vous siégiez à la
Cour d'appel. Mais comment
est-ce que ça s'est fait
concrètement? Comment est-ce que
vous avez appris la nouvelle,
comment est-ce que vous avez
vécu ça?
LOUISE CHARRON
C'était, disons, juste pour
revenir, peut-être moins
surprenant que la première
nomination, mais c'était quand
même très surprenant. Bien que
mon nom était discuté. Écoutez,
le gouvernement, d'abord,
n'a pas besoin de choisir parmi
les juges de Cour d'appel. Il y
avait beaucoup de bons
candidats. Alors oui, ça m'a
quand même surprise. Et puis,
à part les rumeurs qui
mentionnaient bien d'autres
candidats aussi, c'était un
vendredi soir, vers 9 h 30,
10 h où le ministre de la
Justice, Irwin Cotler,
m'appelle à la maison. Il
m'informe que le gouvernement
m'avait choisie comme une des
candidates, parce qu'il y avait
deux postes à remplir. Et est-ce
que j'accepterais qu'on
présente mon nom le mardi
suivant? C'était la première
fois qu'on allait avoir une
audition devant les
parlementaires. Mais ce que le
gouvernement avait choisi, c'est
que c'était le ministre lui-même
qui allait présenter les
candidats et défendre leur
candidature. Alors il me demande
si j'accepterais. Et puis
deuxièmement, est-ce qu'il
pourrait avoir mon mandat de
répondre aux questions pour
moi? Absolument! Vous
pouvez comparaître pour moi,
monsieur Cotler. Je suis ravie.
C'était pas mal excitant.
J'étais en train de faire mes
valises parce que mon conjoint
et moi, nous avions une
croisière en Alaska. On partait
le dimanche et puis j'étais
heureuse aussi, j'allais être
très loin. Mais là, il fallait
s'assurer que je pouvais être
en communication. C'est comme
ça. Je l'ai appris... j'ai
appris que j'étais candidate
puis ensuite y a eu ça le
mardi puis ensuite le
gouvernement a fait son choix
plus officiellement vers la fin
de cette semaine-là.
GISÈLE QUENNEVILLE
On a l'impression, vu de
l'extérieur, que c'est un poste
qui est lourd de cérémonie, on
voit les toges rouges, la
fourrure et tout ça. Et on a
l'impression que vous êtes un
groupe très sévère. Est-ce que
c'est le cas?
LOUISE CHARRON
Absolument.
Non. D'abord, heureusement que
les toges rouges, c'est juste
les toges de cérémonie. Parce
qu'elles sont diablement
chaudes, je vous assure.
Alors mon ancienne collègue,
Claire L'Heureux-Dubé, avait
expliqué ce qu'on pouvait ne
pas mettre à l'intérieur.
Elle faisait des farces, en tout
cas. Heureusement que c'est pas
ces toges-là.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous êtes pas toute nue
là-dessous?
LOUISE CHARRON
Non, non, non.
C'est... en somme, ça dépend de
la dynamique du groupe en
particulier. Le temps que
j'étais ici, y avait une très
belle dynamique entre les
personnes. J'aime toujours
mesurer un milieu de travail, le
niveau de confort pour moi,
c'est: est-ce qu'on rit? Est-ce
qu'on rit un peu?
Je peux vous assurer ici
qu'on rit beaucoup au deuxième
étage. Alors les juges ne sont
pas toujours sérieux. Ils sont
sérieux dans leur travail,
c'est sûr, mais on sait rire,
on sait s'amuser aussi.
Mais la charge de travail est
lourde. Moi, ce qui m'a
surprise le plus, c'est comment
le travail est différent d'une
Cour d'appel provinciale. Je
savais, comme tout autre, que
c'est sûr qu'on siège
habituellement à neuf, parfois
sept... le nombre minimum c'est
cinq. Je savais que le processus
serait diablement plus
complexe, plutôt qu'une Cour
d'appel où on siège à trois.
Y a aussi le facteur humain où
on siège toujours avec les mêmes
collègues. Ça peut devenir
plus difficile... sur le plan
personnalité, etc. Je savais
que tout ça serait différent.
Mais j'avais pas vraiment
constaté à quel point le
travail lui-même est différent.
Une façon que je peux expliquer
ça, une façon plus simple,
c'est que une Cour d'appel, on
tranche les mêmes questions
jurisprudentielles dont
certaines se retrouvent à la
Cour suprême plus tard, mais on
est beaucoup plus liés par les
précédents de la Cour suprême,
par la jurisprudence
antérieure. On n’a pas le même
mandat de développer la
jurisprudence. Tandis qu'ici,
à la Cour suprême du Canada, la
plupart des questions qui sont
ici... forcément, c'est
parce que la jurisprudence en
question qui s'applique doit
être modifiée.
LOUISE CHARRON
Il peut y avoir
des développements en
technologie, par exemple. Et
puis on parle d'expectative de
vie privée, puis où est-ce
qu'on va. Ça veut dire quoi
l'expectative de vie privée dans
un domaine où à n'importe
quelle minute, on peut être
filmé et être sur YouTube ce
soir? Alors y a toutes sortes
de questions... Forcément, c'est
la jurisprudence qui encadre la
décision de la Cour d'appel.
C'est l'encadrement lui-même
qui est en question bien des
fois à la Cour suprême.
Ce qui rend la tâche énormément
plus complexe. Le fait qu'on
est le dernier tribunal, je me
dis toujours: c'est pas parce
que t'es le dernier que t'es
nécessairement... que t'as
nécessairement raison. Mais
tu es le dernier. Ça, ça pèse
plus. Les jugements d'ici sont
lourds de conséquences. C'est
plus difficile à revoir ces
questions-là. J'ai toujours
pris comme philosophie qu'il
faut penser de façon très, très
large sur chaque question.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous parliez de la charge de
travail et à quel point elle
était lourde. Vous avez pris
votre retraite l'année passée,
à l'âge de 60 ans à peine, alors
que les juges de la Cour
suprême peuvent siéger jusqu'à
l'âge de 75 ans. Je pense que
l'annonce de votre retraite en a
surpris plusieurs. Est-ce que
la retraite est liée à la
charge de travail?
LOUISE CHARRON
Sûrement pour moi. Par contre,
je dirais que l'idée de prendre
une retraite, entendons-nous,
j'ai pris ma retraite du poste
de juge à la Cour suprême. Ça
veut pas dire que j'aurai pas
d'autres activités
professionnelles. On verra, le
temps le dira. Mais tout ça pour
dire... Si je retourne en
arrière, j'ai été nommée jeune,
j'avais 37 ans. Les juges de
nomination fédérale jouissent
de la règle de 80. Pour moi, ça
voulait dire qu'à l'âge de 58
ans, j'étais éligible pour une
pleine pension. Alors, à long
terme, j'avais toujours prévu
qu'à l'âge de 58 ans, que mon
conjoint a 7-8 ans plus vieux
que moi, puis je voudrais
faire... prendre plus de temps
pour d'autres activités, des
activités non professionnelles
ou je sais pas, s'aventurer dans
certaines activités qu'on a pas
eu le temps d'explorer.
Cette option n'est pas
disponible à la Cour suprême du
Canada. Alors c'est un peu ça
qui a motivé ma décision parce
que j'ai eu 58, ensuite 59.
J'allais avoir 60. Et puis je me
suis posé la question: pour
combien de temps est-ce que je
veux travailler à ce rythme?
Où y a pas beaucoup de
temps, on a le temps de se
divertir, de se reposer, c'est
sûr, on peut pas travailler
toujours. Mais j'avais pas,
selon moi, de temps et d'énergie
à dévouer à d'autres choses qui
pourraient m'intéresser. Je
m'étais toujours promis aussi
que je ne voudrais pas
continuer jusqu'à un point
où je n'aime plus ça ou que la
passion n'est plus là. Comme on
dit en anglais: « Leave at the
top of your game. »
Aussi bien de prendre la
décision, mes 60 ans, c'est
une occasion.
GISÈLE QUENNEVILLE
On a beaucoup parlé, ces
derniers temps, du bilinguisme
des juges de la Cour suprême.
Vous y avez siégé à la Cour
suprême du Canada. Quelle est
l'importance, selon vous, qu'un
juge qui siège ici
soit bilingue?
LOUISE CHARRON
C'est important. Mais je ne
voudrais pas voir une politique
où on exige que tout juge,
avant d'être nommé à la Cour
suprême, soit entièrement
bilingue, puisse œuvrer dans
les deux langues sans
assistance, parce qu'on
risquerait peut-être de manquer
les meilleurs juristes.
GISÈLE QUENNEVILLE
On dit depuis plusieurs années
que la Cour suprême est devenue
une Cour interventionniste. On
le dit surtout depuis l'arrivée,
y a 30 ans, de la Charte des
droits et libertés. Est-ce que
selon vous, cet adjectif-là,
interventionniste, est juste
pour décrire la Cour suprême
du Canada?
LOUISE CHARRON
Je pense que vous faites le
point quand vous dites « surtout
depuis la Charte canadienne ».
Parce que c'est un rôle
tout à fait différent.
Les juges n'étaient pas appelés
à déterminer si une loi est
constitutionnelle ou non.
On prenait la loi comme elle
était et c'était question
d'interprétation. Alors le rôle
est tellement différent avec la
Charte. Mais quand on parle
d'interventionnisme, ça me fait
toujours un peu sourire parce
qu’il faut pas oublier que
toute décision ici, y a 50% des
personnes qui sont pas
contents. Alors ceux qui nous
appellent interventionnistes,
c'est parce qu'ils voulaient un
autre résultat, bien des fois.
Les autres trouvent qu'on n’était
pas suffisamment
interventionnistes. Farce à
part, c'est important de
respecter les limites du pouvoir
judiciaire parce qu’on a un
rôle à jouer, en tant que
magistrat, qui n'est pas le même
rôle que le législateur. Mais
je crois, somme toute, que la
Cour, y a un bon dialogue si on
peut appeler ça comme ça, entre
le législateur et la Cour. Je ne
veux pas dire par là qu'on se
parle au téléphone. Je veux dire
que le gouvernement peut
décider d'une loi puis
finalement, ça fait son chemin
devant les tribunaux. Les
tribunaux, si c'est une question
de Charte, par exemple,
peuvent décider que la loi ne
respecte pas les droits
autant qu'elle pourrait le
faire. On retourne ça au
Parlement qui modifie sa loi.
Y a un peu...
GISÈLE QUENNEVILLE
Y a un va-et-vient.
LOUISE CHARRON
Un va-et-vient. Je trouve que,
somme toute, on trouve un
équilibre dont bien des gens à
travers le monde sont jaloux,
sont envieux.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez un fils, Gabriel,
qui lui en bout de ligne a
décidé de suivre sa maman et
devenir avocat. Est-ce que ça a
fait votre bonheur, ça?
LOUISE CHARRON
Bien, je veux dire, j'étais
contente. Mais en somme, j'ai
jamais eu une ambition pour
lui. J'ai toujours voulu qu'il
poursuivre une carrière dans
quelque chose qui l'intéressait,
qui le passionnait. Puis ça m'a
pas surpris, plus tard, parce
qu’on se ressemble beaucoup.
Nos goûts, une façon de
procéder, même la façon de
travailler. Alors quand il
m'avait annoncé qu'il pensait
entrer en droit, j'étais
contente pour lui parce que
je.. j'étais pas mal certaine
qu'il serait content. Son nom
est pas le même. Bien des fois,
c'est pas connu du tout que je
suis sa mère. Peut-être que des
fois, ça facilite les choses.
Ou ça les rend plus difficiles,
je le sais pas.
GISÈLE QUENNEVILLE
Madame Charron, ça fait pas
tout à fait un an, ça fait à
peine quelques mois que vous
êtes à la retraite, si vous
voulez, à temps plein. Est-ce
que ça vous manque d'être ici?
LOUISE CHARRON
Non, non, pas du tout. Parce
que quand j'ai pris ma
décision, comme j'ai semblé
dire: tout à coup, j'ai décidé
ça ce même jour-là, je voulais
vraiment avoir plus d'espace
sur mon calendrier. Je voulais
vraiment vivre une vie qui
serait à un rythme... moins fou.
Alors j'en jouis de ça. Comme
vous dites, c'est vraiment une
expérience nouvelle et j'ai
pris la ferme résolution de tout
refuser. Parce que je veux
constater qu'est-ce qu'on fait
quand on a tout ce temps-là sur
le calendrier. Le temps, y a
une certaine élasticité; plus
qu'on a de choses à faire, plus
qu'on en accomplit. Quand y a
moins de choses sur son
calendrier qui donne le temps
d'explorer certaines avenues...
Bien, tiens, on prend beaucoup
plus de temps pour faire telle
chose. Avec cette exploration
des derniers mois, je trouve ça
fascinant, je trouve ça
reposant. J'observe. Je suis
observatrice de ce que je fais.
C'est sûr que je vais reprendre
certaines activités d'une
nature ou d'une autre.
J'envisage pas pour l'instant
de prendre un emploi à plein
temps. Je ne crois pas. On ne
dit jamais « fontaine, je ne
boirai pas de ton eau », mais dans
le moment, je ne l'envisage
pas. Mais je jouis de mon
temps libre.
GISÈLE QUENNEVILLE
Votre fils, en fait, nous a
dit qu'il souhaite que vous
réussissiez à redécouvrir la
vie en dehors du travail. Est-ce
que vous avez réussi?
LOUISE CHARRON
Ça s'en vient bien. Oui. Comme
vous dites, c'est assez récent,
mais je jouis beaucoup du temps
libre, c'est les petites choses
dans la vie qui comptent pour
beaucoup. Avoir plus de temps
pour passer du temps avec une
amie. C'est pas l'heure du
lunch où j'ai une heure à te
dévouer, à toi, mon amie. C'est
ça dont je jouis beaucoup
présentement. Ou faire des
lectures que je n’ai pas besoin de
faire. Des lectures qui
me tentent.
GISÈLE QUENNEVILLE
Madame Charron,
merci beaucoup.
LOUISE CHARRON
Ça m'a fait plaisir.
(Générique de fermeture)
Épisodes de Carte de visite
>Choisissez une option de filtrage par âge, fiction, ou saison
-
Catégorie Saison
-
Catégorie Documentaire
-
Catégorie Reportage