Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.


Vidéo transcription
Marc Mayer, Musée des beaux-arts du Canada
Carte de visite rencontre Marc Mayer, directeur du Musée des beaux-arts du Canada.
Année de production: 2012
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GISÈLE QUENNEVILLE rencontre des personnalités francophones et francophiles: des politiciens, des artistes, des entrepreneurs ou des scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Générique d'ouverture
[Début information à l'écran]
Carte de visite
[Fin information à l'écran]
Fin générique d'ouverture
GISÈLE QUENNEVILLE s'adresse au public de l'émission.
GISÈLE QUENNEVILLE
Bonsoir et bienvenue à une
toute nouvelle émission de TFO:
Carte de visite. Chaque semaine,
j'aurai le privilège de
rencontrer une personne
exceptionnelle qui se distingue
dans son domaine, que ce soit en
arts, en politique, en éducation
ou en affaires. Pendant 30
minutes, nous allons discuter
ensemble de leur vie, leur
travail et leur façon de voir le
monde.
On commence cette nouvelle série
avec un Franco-Ontarien qui se
distingue au Canada et ailleurs
dans le monde des arts visuels.
Le parcours de Marc Mayer
commence à Sudbury, mais il fait
des escales dans des grandes
villes du monde avant d'atterrir
à Ottawa.
Aujourd'hui, Marc Mayer est le
directeur du Musée des beaux
arts du Canada, le plus
important musée de son genre au
pays. Mais avant d'y arriver, il
a fait ses classes dans des
établissements très réputés,
comme le Power Plant de Toronto,
le Brooklyn Museum de New York
et le Musée d'art contemporain
de Montréal. Marc Mayer est un
passionné d'art contemporain.
Il veut donner une chance aux
jeunes artistes d'ici d'exposer
dans leur musée national.
(GISÈLE QUENNEVILLE et MARC MAYER sont assis l'un face à l'autre dans une salle du Musée des beaux-arts du Canada.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Marc Mayer, bonjour.
MARC MAYER
Bonjour, Gisèle.
GISÈLE QUENNEVILLE
Qu'est-ce qu'on ressent quand
on franchit les portes de ce
magnifique édifice tous les
jours pour venir travailler?
MARC MAYER
Ça dépend dans la journée.
Ça dépend qu'est-ce que j'ai
dans ma journée.
Mais moi, j'essaye de me garder
un petit moment.
Comme ce matin, j'étais dans ces
galeries ici. Euh...
une fierté. L'inspiration.
Le plaisir. Surtout le plaisir.
Les artistes nous communiquent
des choses et on apprend des
choses. Et on apprend des choses
de tableaux qu'on a vus depuis
notre enfance et on réalise tout
d'un coup: ah! C'est ça qu'il
veut dire par ça! Ça m'a pris 30
ans à piger, mais j'ai fini par
comprendre.
C'est une grande chance.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais est-ce qu'on finit par
comprendre?
MARC MAYER
Non. Les grandes œuvres d'art
vont rester mystérieuses pour
toujours. Pour vous. Les gens
qui me disent: « Ah! J'aime pas
ça, l'art, je comprends rien. »
Mais moi, quand je comprends
pas, c'est mon bonheur.
Je cherche à ne pas comprendre.
Je veux comprendre, je travaille
à essayer de réfléchir puis
essayer de voir: mais qu'est-ce
qu'il avait dans la tête?
Qu'est-ce qu'il essaye de me
dire, cet artiste, ou elle?
Hum... Et je me fais des idées,
j'ai des opinions.
Tout d'un coup, je le vois d'un
autre angle et c'était pas du
tout ça. Je suis heureux quand
je comprends pas, puis ça
m'arrive rarement.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous êtes arrivé ici en tant
que directeur en 2009, je pense.
Quel était le plus gros défi que
vous aviez à ce moment-là, et
est-ce que vous avez réussi à le
surmonter?
MARC MAYER
Le plus gros défi... J'en
avais plusieurs. Je dois dire
que je les ai pas tous
surmontés. Il faut dire que...
c'est un musée, c'est une
responsabilité à une échelle que
je connaissais pas directement.
J'étais directeur adjoint d'un
musée légèrement plus grand que
celui-ci quand j'étais à
Brooklyn.
Mais j'étais pas le
directeur, j'étais pas la
personne avec la responsabilité
finale de cette institution.
Alors il y a le défi personnel:
Est-ce que je suis à la hauteur
d'une institution qui pour moi
est très importante? C'est pas
quelqu'un de Sudbury qui s'en va
travailler aux États-Unis, un
grand musée et puis on fait son
travail et puis les gens nous
apprécient, etc. C'est pas aussi
important.
MARC MAYER
C'est important pour
moi. C'est un musée...
J'ai grandi ici. Je me souviens
quand j'étais enfant, pas dans
cet immeuble, mais avec cette
collection. Cette collection, je
la connaissais bien avant, et ça
donne un peu des frissons. Je
suis canadien et ça veut dire
quelque chose, ça.
C'est pas la même chose que de
travailler à l'étranger quand on
travaille chez soi.
Et surtout avec la
responsabilité qu'on a. C'est
pas n'importe quoi. Alors il y
avait ce défi personnel là. Il y
avait d'autres défis. La
perception. J'ai pensé que
c'était important que ce musée
vraiment serve tout le pays et
non pas seulement la région
d'Ottawa.
GISÈLE QUENNEVILLE
Justement. C'est un musée qui
est ici à Ottawa, mais... c'est
le Musée canadien, donc il
appartient autant aux gens
d'Halifax qu'aux gens de
Vancouver. Alors comment,
qu'est-ce que vous faites,
justement, pour que... il y ait
ce sentiment d'appartenance d'un
bout à l'autre du pays envers ce
musée-là?
MARC MAYER
C'était un des défis que je me
suis donnés: Comment
décentraliser un musée qui est
dans un endroit, dans une ville?
Et on peut pas vraiment le
déplacer. Ça n’a aucun sens.
D'abord, il fallait transformer
notre site web. Parce qu'on
s'est dit: de plus en plus, les
gens se fient à l'internet pour
leur information. Alors on a
investi là-dedans, on n'a pas
fini. Et la décentralisation de
la collection, c'est quelque
chose qu'on fait depuis 1917.
On est les champions, on gère le
programme d'expositions d'art
itinérant le plus important du
monde, le plus grand. On a
circulé 39 expositions l'année
passée, puis c'était pas une
bonne année.
Alors qu'est-ce qu'on peut faire
pour rendre ça encore plus
visible et servir encore mieux?
Alors maintenant, on a des
partenariats avec des musées.
C'est le Musée des beaux-arts du
Canada au Musée des beaux-arts
de l'Alberta, par exemple.
Le Musée des beaux-arts du
Canada au Musée d'art
contemporain canadien à Toronto.
On va en annoncer un troisième
et probablement un quatrième. Je
pense qu'on pourra pas vraiment
fournir pour un cinquième, parce
que c'est beaucoup de travail.
Mais ça nous donne une présence
plus importante dans ces villes-
là.
Et ça me fait plaisir. Edmonton
par exemple: la première fois
qu'on avait envoyé une
exposition à Edmonton, du Musée
des beaux-arts du Canada, était
en 1927.
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors un petit conseil. Si on
arrive ici ou à n'importe quel
grand musée... et on est face à
tous ces choix, à toutes ces
galeries, à toutes ces pièces,
par où commencer?
MARC MAYER
Moi, ce que je vous conseille,
c'est d'être à jeun et d'être
vraiment en forme et d'être
lucide et clair.
Dans un grand musée, on commence
au début, on marche très vite.
On reste pas trop longtemps dans
chaque salle.
GISÈLE QUENNEVILLE
Parce qu'on veut tout voir!
MARC MAYER
Mais vous pouvez tout voir.
Ça, c'est une expérience unique
qu'on a dans les musées. C'est
comme si on peut voir cinq
siècles de notre civilisation
en... 15 minutes. Courez pas,
mais marchez... restez pas trop
longtemps. Regardez pas chaque
chose. Allez rapidement d'une
galerie à l'autre et arrivez au
présent. Vous allez expérimenter
quelque chose de vraiment
unique, qui est unique aux
musées d'art: ça vous transporte
dans le temps. Pour moi, ce qui
m'a emballé quand j'étais
étudiant en histoire de l'art,
c'était l'architecture baroque
romaine. Et jamais j'aurais
pensé ça. Maintenant, je suis
devenu un peu expert en art
contemporain, mais quand j'étais
étudiant... je suis pas allé à
l'école pour apprendre la vie et
les œuvres des grands
architectes romains du XVIIe
siècle, pas du tout. Mais c'est
ce qui m'a emballé quand j'ai eu
le choix et l'embarras du choix
qu'on a en histoire de l'art,
qui est un domaine
extraordinaire, c'est du pur
plaisir. Vous pouvez avoir la
même expérience dans un grand
musée d'art, et on en a un ici.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous, vous avez des
expériences au Canada - à
Toronto, à Montréal et ici
maintenant à Ottawa -, mais
également à l'étranger, à New
York et à Paris également.
Est-ce que les Canadiens ont une
façon différente de voir l'art
que les New-Yorkais ou les
Parisiens ou les Français?
MARC MAYER
En France, la classe politique
se sert des musées, se sert de
la culture. On s'en sert pas au
Canada, et les Américains s'en
servent pas de l'art non plus
pour faire de la politique.
Pour faire de la business, oui,
mais la politique moins.
On se sert pas assez de nos
musées ici, à mon avis. Un de
mes héros professionnels, c'est
le directeur des musées Tate,
qui s'appelle Nic Serota.
C'est vraiment quelqu'un de
vraiment extraordinaire qui est
arrivé... Bon, arrivé, il est né
là, à Londres, mais qui s'est vu
devant une situation où l'art
actuel, l'art de nos jours,
n'était non seulement pas
populaire, mais hué. Hué par la
presse, la classe politique,
l'élite, le public, tout le
monde, y a personne qui aimait
ça. Vraiment, il faut le dire,
c'était une petite élite.
Aujourd'hui, c'est le contraire.
GISÈLE QUENNEVILLE
Parlons un peu de votre
enfance, votre jeunesse.
à Sudbury. Est-ce que vous venez
d'une famille artistique, une
famille d'artistes?
MARC MAYER
Une famille artistique... oui.
Mon père était comédien.
Mais d'artistes... pas dans le
sens d'artistes plasticiens.
Je crois et je sais très bien
que ma famille va regarder cette
émission... que je peux dire:
dans ma famille immédiate,
j'étais le seul qui était
vraiment emballé par les arts
visuels. On allait au musée
parce que mes parents savaient
que c'est ce qu'on fait avec les
enfants. Et puis avec le temps,
j'insistais toujours - « Je veux
voir le musée» - quand on
voyageait. J'avais un oncle, mon
oncle Rhéau, qui était un
peintre amateur et qui tenait
une petite galerie...
au sous-sol de son magasin.
C'était pas son commerce...
GISÈLE QUENNEVILLE
Et il vendait?
MARC MAYER
Il vendait des tableaux.
C'était pas du tout son commerce
principal. Et lui a vu en moi
une âme semblable, un confrère,
et il m'a toujours encouragé. Je
faisais de l'art... il
m'achetait des couleurs, des
pinceaux, etc.
Et c'était... le seul membre de
ma parenté vraiment qui était
amateur d'art, mon oncle, qui
est décédé il y a quelques
années. Il me manque
terriblement parce que...
il a jamais eu la chance de
venir me visiter ici. Mais non.
Je devrais dire que, pour les
arts visuels, il y avait mon
oncle Rhéau, y avait moi et on
n'était pas plusieurs.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que le fait d'être
amateur d'art professionnel,
administrateur des arts, veut
dire que vous êtes artiste?
Est-ce que vous êtes artiste à
vos... à vos moments?
MARC MAYER
C'est une question
intéressante. Et c'est une
question que, je sais pas
pourquoi, je suis toujours
étonné de l'entendre. Et c'est
une question qu'on pose à mes
collègues. J'ai beaucoup de
collègues qui ne sont pas
artistes et qui sont vraiment
des conservateurs... chevronnés
dans leur domaine. Et pour l'art
contemporain... des fois...
peut-être même souvent, les
conservateurs, directeurs de
musée qui ont une expertise en
art contemporain ont commencé
comme artistes.
Moi, j'ai toujours fait de
l'art. J'ai arrêté dans les
années 90 un peu parce que je
n'avais plus le temps. Mais j'ai
abandonné bien avant ça mes
ambitions de devenir artiste
professionnel. Mais ç'a été
important, ça, cette... de
passer par cette étape, parce
que je comprends un peu le
processus. Peut-être un peu plus
que quelqu'un qui l'a pas fait.
Et je suis très heureux, et
j'étais très content que quand
j'étais étudiant à McGill, en
histoire de l'art, c'était
obligatoire, les historiens
d'art étaient obligés de prendre
des cours d'art.
Pour savoir comment on fait un
tableau abstrait, comment on
fait un tableau cubiste, par
exemple, comment dessiner
directement du modèle, etc.
Alors ça, c'était une bonne
expérience pour moi. C'est
vraiment ma seule éducation en
arts plastiques. Mais oui, j'ai
fait de l'art. Je l'avoue.
GISÈLE QUENNEVILLE
Revenons à Sudbury. C'était un
foyer francophone, chez vous?
MARC MAYER
Un foyer bilingue.
Nous étions, et nous sommes tous
francophones, mais mes parents
ont divisé la tâche de
l'apprentissage linguistique.
Ma mère me parle toujours en
français, m'a toujours parlé en
français et mon père m'a
toujours parlé en anglais, et à
ma soeur et à mon frère aussi.
Mais c'est curieux, parce que ma
mère parlait à mon père en
anglais et mon père lui
répondait en français. Ça fait
qu'ils avaient une relation
directement opposée.
Quand ma mère parlait l'anglais,
on savait qu'elle nous parlait
pas.
GISÈLE QUENNEVILLE
Parce que c'était la
francophone?
MARC MAYER
Les deux étaient francophones.
Mais mon père a grandi aux
États-Unis, alors c'était plus
facile pour lui de parler
l'anglais. Je lui ai demandé
récemment à ma mère, j'ai dit:
« Est-ce que c'est une
conversation que vous avez eue?
Comment vous avez décidé que...
que toi, t'allais toujours me
parler en français et que papa
allait toujours »... On l'appelait
pas « papa », en plus, parce qu'on
lui parlait en anglais - « que
"dad" allait toujours nous parler
en anglais? » Elle dit: « C'est
arrivé naturellement comme ça.
On n’en a jamais parlé. On n’en a
jamais discuté de ça. »
GISÈLE QUENNEVILLE
Donc l'école secondaire en français.
Mais si je comprends bien,
l'école, c'était pas vraiment
votre truc.
MARC MAYER
Non. J'ai coulé. Euh... J'ai
coulé toutes les maths, les
sciences. Faut dire que c'était
assez expérimental, merci.
C'était la deuxième année de
l'École secondaire
McDonald-Cartier. Parce que c'était la
première école secondaire
publique en Ontario de langue
française. Alors les textes
étaient en anglais et le cours
était donné en français par des
professeurs québécois qui
avaient des accents qu'on
comprenait pas.
GISÈLE QUENNEVILLE
Pas évident, ça.
MARC MAYER
C'était pas évident. Alors
systématiquement, j'ai tout
coulé les maths. Écoute, on
rentrait chez nous, on regardait
le texte puis ça avait aucun
rapport avec ce qu'on avait
appris la journée, on pouvait
pas faire le système...
pavlovien, là, de confirmation,
etc., ça marche pas quand le
cours est donné en français et
les textes sont en anglais. Ça
marche pas, ça.
Et ceux qui n'ont pas coulé,
chapeau pour eux, c'est des
vrais brillants parce que moi,
j'ai trouvé ça impossible.
GISÈLE QUENNEVILLE
Donc vous parliez de McGill.
Ça, c'est arrivé par la suite,
par exemple, en tant qu'adulte?
MARC MAYER
McGill, c'est après.
Je suis un gars ambitieux
intellectuellement. Je veux
connaître des choses, je veux
savoir. Il y a la connaissance
qui me manque. Et j'ai fait un
peu une petite enquête, et ça se
passe pas à l'université comme
ça se passait à l'école
secondaire. On est le client,
c'est nous qui choisissons ce
qu'on veut... savoir, ce qu'on
veut connaître.
Et l'apprentissage est très
différent. Et quand j'ai compris
que c'était moi qui menais cette
situation-là, ça m'a
complètement changé ma relation
avec l'institution éducative.
Et puis j'ai connu un succès à
l'université. Mais je suis pas
resté longtemps. J'ai pas
continué parce que la vie s'est
un peu insérée là-dedans et
puis... et la carrière.
GISÈLE QUENNEVILLE
Justement, qu'est-ce que
les... la parenté et les amis de
Sudbury pensent du fait que le
Marc qui a coulé son école
secondaire soit rendu...
MARC MAYER
Un peu
étonnés!
GISÈLE QUENNEVILLE
...directeur du Musée des
beaux-arts du Canada?
MARC MAYER
Un peu étonnés. On me regarde
avec un gros sourire quand on me
voit... Des gens que j'ai pas
vus depuis 30 ans me regardent:
T'étais pas le loser, toi? Oui,
j'étais le loser. J'ai toujours
un petit côté loser des fois...
un petit côté bum... Mais voilà.
Non, un peu étonnés. Y en a qui
le sont pas. Ça me fait plaisir
d'entendre ça: « Ah, je savais
toujours que t'étais choisi pour
mieux que ça, toi. » Hum... Mais
au fait, rien me...
rien de mon adolescence...
vraiment annonçait que j'allais
avoir une belle carrière.
GISÈLE QUENNEVILLE
Parlons un peu de cette
carrière-là. Parlons de vos
goûts au niveau des arts. On en
a parlé un petit peu au début de
l'entrevue, votre passion, je
pense, personnelle, c'est l'art
contemporain. Pourquoi l'art
contemporain? Qu'est-ce qui va
vous chercher là-dedans?
MARC MAYER
Il faut dire que j'aime...
j'aime tout en art. Le phénomène
des arts plastiques, de la
culture matérielle...
les choses que les humains ont
faites, j'aime tout. J'aime les
silos, j'aime l'architecture,
j'aime les paysages conçus par
l'homme... Mais l'art
contemporain, c'est vraiment ma
passion, parce qu'on peut
connaître le créateur de cet
objet, on peut avoir une
relation qui va... qui va avoir
un effet sur cette création, on
peut avoir une relation, en tant
que conservateur, une relation
d'intimité intellectuelle avec
un artiste où on peut...
démontrer des choses à
l'artiste, qui... qu'il n'avait
pas comprises dans le projet
nécessairement et tout d'un
coup, il y a un déclic et on
vous remercie chaleureusement et
on s'embrasse parce qu'on vient
de débloquer, on vient d'aider
cette personne à débloquer pour
le prochain...
pour la prochaine étape de leur
carrière. Et ça, ça m'est arrivé
une ou deux fois. C'est rare,
mais c'est extraordinaire. Mais
on peut connaître. Et ça parle
de nous. C'est nos voisins qui
ajoutent des choses à cette
série qui est, on espère,
infinie, qui va continuer encore
pour des... encore des
millénaires. Mais quand on pense
aux dessins qu'on a vus dans les
grottes - en France, en Espagne...
Et qu'on n'a pas vraiment de
dates... On n'écrivait pas à cette
époque-là, on n'a aucune trace
des humains qui ont fait ces
dessins-là. Et les choses qui se
font aujourd'hui... cette
histoire est extraordinaire.
Mais la responsabilité de
l'artiste actuel à contribuer à
cette histoire, elle aussi est
extraordinaire. C'est tout un
défi. Parce que vous avez un
monde qui en a vu des vertes et
des pas mûres en art... et on a
déjà vu ça, des tableaux
abstraits... Quoi de neuf?
C'est très difficile d'ajouter,
de représenter sa génération et
de dire que ma génération a eu
quand même quelque chose de
nouveau à dire et à ajouter à
cette histoire. C'est tout un
défi. C'est extraordinaire de
voir... le sérieux intellectuel
des artistes de nos jours... et
qui répondent à ce défi et qui
sont là vraiment pour nous
intégrer, nous, dans cette
histoire. Notre culture est
unique au monde. Et non
seulement notre culture grosso
modo, avec ses majuscules, mais
notre culture visuelle aussi.
C'est-à-dire que les artistes
sont très individuels
aujourd'hui, ne fonctionnent pas
en... en groupuscules comme on
fonctionnait dans les années 70:
on se donne un projet - ou les
années 50, 60 - quasiment
scientifique de réinventer la
peinture, etc.
Non. Ça se passe pas comme ça,
c'est très différent et très
unique par région. Les régions
ont leur propre histoire.
Et nous, c'est notre
responsabilité d'être sensibles
à ces différences. Mais y a
toujours des artistes qui
ressortent de ces communautés-là
qui sont vraiment
extraordinaires et qui
devraient... Soit qu'ils le sont
déjà. On a une demi-douzaine
d'artistes canadiens qui sont
très connus sur la scène
internationale.
Voire même une douzaine, je
pense qu'on est rendu à ce
point-là aujourd'hui.
Et ça, c'est quelque chose.
C'était pas le cas il y a 20
ans, 30 ans, 40 ans.
Les artistes canadiens qui ont
connu le plus grand succès de
toute notre histoire ont moins
de 60 ans aujourd'hui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et est-ce que ces artistes-là,
ces artistes de la relève, est-
ce qu'ils ont une place ici au
Musée des beaux-arts du Canada?
MARC MAYER
Oui. Puisque l'art
contemporain est notre priorité
depuis les années 60.
C'est-à-dire l'art qui est fait
aujourd'hui au Canada.
On est là pour les encourager.
Et c'est pour ça qu'on a créé
cette biennale de nos
acquisitions. Elle est unique.
C'est une biennale...
c'est-à-dire à tous les deux
ans, on monte une exposition où
on présente les œuvres qui ont
été acquises par le Musée.
C'est un exercice de
transparence, mais en même
temps, c'est un exercice de
célébration. Il y a des gens qui
seront pas contents, bien sûr.
Y a des régions qui sont pas du
tout représentées. C'est pas
parce qu'on n'y va pas, on est
partout au pays. Mais c'est les
choix qu'on a faits avec notre
budget, on s'est dit: ça, il
faut protéger ça pour la
postérité. Ça vaut la peine.
C'est une œuvre extraordinaire
ou c'est une œuvre qui annonce
quelque chose d'extraordinaire,
une carrière extraordinaire
qu'on veut encourager.
GISÈLE QUENNEVILLE
Je suis curieuse. Vous vous
promenez ici tous les jours,
vous voyez tous ces tableaux;
est-ce que... vous avez un
tableau préféré ici au Musée?
MARC MAYER
Euh... J'ai... pas...
C'est comme un parent.
GISÈLE QUENNEVILLE
On les aime tous!
MARC MAYER
On les aime tous, nos enfants.
Mais c'est un peu ça. Parce que
ça dépend. Un mercredi après-
midi, je pourrais dire...
Y a deux mois, si le Musée...
passait au feu, quel est le
tableau que vous prendriez pour
sortir, avant de sortir, que
vous décrocheriez pour le
sauver? Y en a un là-bas. Pour
des raisons personnelles, pas
pour des raisons de patrimoine,
pour des raisons personnelles.
C'est un tableau qui m'a
beaucoup touché.
GISÈLE QUENNEVILLE
Un Groupe des Sept?
MARC MAYER
Un Groupe des Sept, d'A.Y.
Jackson.
Mais aujourd'hui, ça serait
autre chose. Y a des choses que
je pourrais pas déplacer, sont
trop énormes, trop, trop...
Ça dépend de notre... de comment
on se sent d'un jour à l'autre.
Y a beaucoup, beaucoup de
choses. C'est un lieu de
plaisir extraordinaire.
Quelle chance qu'on a de
travailler ici. Je peux pas vous
dire à quel point je suis
reconnaissant d'avoir la
chance... de pouvoir dire que
j'ai eu la chance de travailler
ici. Parce que c'est le plaisir
à tous les jours.
GISÈLE QUENNEVILLE
On vous donne un budget
illimité.
MARC MAYER
Oui!
GISÈLE QUENNEVILLE
Qu'est-ce que vous achetez
pour le Musée?
MARC MAYER
Euh... Bon. Là, je deviens
professionnel.
GISÈLE QUENNEVILLE
D'accord.
MARC MAYER
Parce que c'est pas mon
argent.
GISÈLE QUENNEVILLE
Non. On va y revenir.
MARC MAYER
Et c'est pas personnel.
Il manque des choses. Il manque
un Manet. Manet est un peintre
qui a influencé les peintres
canadiens et qui les influence
même aujourd'hui. Y a pas un
Manet au Canada.
Un Kandinsky. Quand on raconte
l'histoire du développement de
l'abstraction, on parle toujours
de Mondrian et de Kandinsky, et
aussi de... de Malevitch.
Alors on n'a pas de Kandinsky.
On a un très beau Mondrian, mais
pas de Kandinsky. C'est un peu
comme si on voulait décrire
l'histoire du rock'n'roll et on
a des disques des Beatles, mais
pas des Rolling Stones.
C'est un peu la même chose.
Mais on est en train de remplir
des lacunes dans la collection
aussi. On a fait l'acquisition
récemment d'un... Batoni qui
manquait à la collection.
On vient de découvrir un Titien!
Ici dans nos réserves, qu'on ne
pensait pas. Titien, on
pensait... Ç'a été...
Les experts nous ont dit: « Non,
ça vient de son atelier.
C'est l'école de, mais c'est pas
un vrai Titien. »
Et notre
responsable de la restauration a
dit: « Je pense que si on lui
donne un petit rayon X à ce
tableau-là, on va voir qu'il y a
beaucoup de repentirs, qu'il a
beaucoup pensé à sa composition
avant de faire le tableau.
Et nous n'avons pas la copie,
nous avons l'original. » Il a eu
raison. Alors ça a fait la une
des manchettes, l'autre jour.
Et maintenant, on a un Titien au
Canada, chose qu'on n'avait pas
avant. Un Prudhon. Je suis
extrêmement fier de notre
Prudhon. On prépare une
acquisition de deux sculptures
de Carpeaux. Faut dire que
depuis que je suis ici, je suis
vraiment emballé par la
responsabilité de la collection
des anciens peintres. C'est
quelque chose que je n'ai pas
fait auparavant. Au Brooklyn
Museum, on avait une collection,
mais c'était pas du tout la
priorité, on n'avait pas
d'argent pour faire des
acquisitions dans ce domaine-là.
Et on a des opportunités
aujourd'hui extraordinaires à
cause de la situation économique
en Europe.
Y a des trésors qui se
débloquent tout d'un coup.
Et ça, ça m'emballe beaucoup.
Alors c'est nouveau pour moi et
je m'intéresse beaucoup aux
XVIIIe, XIXe siècles français
notamment.
GISÈLE QUENNEVILLE
On garde le budget illimité.
MARC MAYER
Oui!
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais on se rend dans votre
salon.
MARC MAYER
Mon salon personnel? Ça serait
un Mondrian. Mondrian qui est
mon artiste fétiche depuis mon
adolescence. Et...
Je pense que la plus grande
expérience muséale de ma vie,
c'était la rétrospective à MoMA
de Mondrian, que j'ai vue trois
fois.
Hum... Vous allez le googler,
là, mais moi, j'aime tout, tout,
tout. Y a rien là-dedans que
j'aime plus que d'autres choses.
C'est un grand, grand génie,
Mondrian, c'est un de mes héros.
Et puis l'idée d'avoir un
Mondrian dans mon salon... wow!
Ça, c'est quelque chose.
GISÈLE QUENNEVILLE
On parlait de chance. Vous
parliez de chance tantôt. Vous
avez eu une belle carrière
jusqu'à maintenant. On disait:
Toronto, Montréal... New York,
Paris... Est-ce que c'est de la
chance ou est-ce que vous avez
fait votre chance?
MARC MAYER
C'est un peu des deux. Faut
être la bonne personne au bon
moment. J'ai eu la chance...
de pouvoir voyager facilement.
D'avoir et un passeport canadien
et un passeport américain. Les
gens sont toujours
impressionnés: ah! Les
Américains vous ont embauché!
Oui, mais c'est parce que
j'avais un passeport américain.
S'ils étaient obligés
d'embaucher des avocats et de
faire des demandes... je me
demande si on m'aurait embauché
dans ces musées-là.
Les deux musées américains où
j'ai travaillé. Des fois, je me
pose la question. Mais ça,
c'était des grandes expériences.
Et puis... j'ai bien travaillé
et puis ça m'a donné la chance
de travailler dans un musée plus
grand et des défis plus
importants. Mais il faut être
dispo, hein! Alors je me donne
un peu de crédit pour ça. Mais
j'ai eu vraiment de la grande
chance et j'ai connu que des
gens généreux dans ma vie.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et maintenant? Une fois que
cette expérience-là sera
terminée? Vous en avez quand
même pour quelques années
encore?
MARC MAYER
Oui, oui. Écoute, il me reste
des défis, là.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez d'autres projets?
MARC MAYER
J'aime beaucoup écrire. C'est
un grand plaisir pour moi. J'ai
pas assez de chances à écrire.
Oui, on fait des rapports, oui,
on fait des introductions, des
préfaces et compagnie... Mais
j'ai des choses à dire que les
directeurs de musée ne peuvent
pas dire. On n'a pas le temps,
on nous pose pas la question...
sur l'art surtout, bien sûr.
Je pense que c'est mon projet de
retraite, c'est de devenir enfin
écrivain, chose que je fais
aussi depuis mon enfance et...
J'avais pensé à un moment que je
pourrais être enseignant, mais
je pense que... je pense que
l'écriture m'attend plus
qu'autre chose.
GISÈLE QUENNEVILLE
Marc Mayer, merci beaucoup.
MARC MAYER
Merci à vous, Gisèle.
(Générique de fermeture)
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