Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.


Vidéo transcription
Roméo Dallaire : Ex-général canadien
En 1994, le lieutenant-général Roméo Dallaire tente en vain d’attirer l’attention sur le génocide au Rwanda. Après un retour au Canada difficile, il oeuvre pour différentes causes, et notamment celle des enfants-soldats. En 2005, il est nommé sénateur. Depuis, il continue son combat pour les jeunes et pour l’Afrique.
Réalisateurs: Stéphane Bédard, Francis Lussier
Année de production: 2012
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GISÈLE QUENNEVILLE rencontre des personnalités francophones et francophiles: des politiciens, des artistes, des entrepreneurs ou des scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
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Carte de visite
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Fin générique d'ouverture
GISÈLE QUENNEVILLE est en studio.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Bienvenue à l'émission.
Le soldat le plus connu au
Canada est sans doute le
lieutenant-général Roméo
Dallaire. Il est connu pour
avoir été au centre des
atrocités durant le génocide au
Rwanda.
En 1994, le général Dallaire se
retrouve à la tête des forces
des Nations Unies au Rwanda.
Mais il a les mains liées. Alors
que le génocide bat son plein,
le général Dallaire a comme
ordre de ne pas utiliser de
force. Et malgré tous ses
efforts, la communauté
internationale reste aveugle
face à la situation. La suite,
on la connaît: 800 000 morts en
100 jours. Le retour au pays
pour Roméo Dallaire a été des
plus difficiles. Les souvenirs
du Rwanda n'étaient jamais loin,
ce qui l'a entraîné dans une
profonde dépression.
Mais le général Dallaire a
réussi à s'en sortir tant bien
que mal en mettant son énergie
dans différentes causes,
notamment celle des enfants
soldats. En 2005, le premier
ministre Paul Martin l'a nommé
sénateur, un rôle qui le
passionne. Le général Dallaire
sera sans doute toujours hanté
par les démons du Rwanda, mais
il a espoir que son travail pour
mettre fin à l'utilisation des
enfants soldats en zone de
guerre fera une différence pour
ces jeunes et pour l'Afrique
qu'il affectionne tant.
(Transition)
(GISÈLE QUENNEVILLE et ROMÉO DALLAIRE sont assis l'un en face de l'autre à la Chambre de communes.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Lieutenant-général Dallaire,
bonjour!
ROMÉO DALLAIRE
- Madame.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Depuis un certain temps,
maintenant, vous militez pour la
fin de l'utilisation des enfants
soldats dans les zones de
guerre. Comment vous vous êtes
retrouvé sur cette voie-là?
ROMÉO DALLAIRE
- L'expérience au Rwanda où la
majorité de la destruction
humaine a été faite par des
jeunes qui ont été endoctrinés
dans une milice à partir d'une
jeunesse politique, donc les
expériences réelles sur le
terrain.
Qui ont été augmentées par le
fait que je... j'oeuvrais à
revoir ce que je voulais faire
dans mes écrits.
Et je revenais souvent à
l'expérience des enfants.
Et donc, une opportunité s'est
présentée à Winnipeg, en 2000,
où il y a eu une conférence
internationale, et j'ai pu
présenter un mémoire, et la
ministre de l'ACDI à ce moment-
là m'a embauché comme son
aviseur à temps partiel des
enfants affectés par la guerre.
Donc, après ça, le Sierra Leone,
et après ça à Harvard, j'ai fait
tout mon fellowship d'un an sur
l'étude de l'impact de
l'utilisation des enfants comme
arme de guerre.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Parlons de l'expérience de ces
enfants-là; on dit qu'il y en a
à peu près 250 000 dans le monde
à l'heure actuelle.
Comment est-ce qu'ils se
retrouvent, justement, à être
des soldats?
ROMÉO DALLAIRE
- L'objectif de ma recherche,
c'est pas l'objectif de
réhabilitation ou réintégration
de ces enfants-là après les
avoir démobilisés, mais c'est
beaucoup plus d'éviter de les
faire recruter; et comment on
les utilise afin de les
neutraliser comme outil de
guerre sans nécessairement les
tuer, ce qui est présentement
les doctrines qui sont écrites.
Alors ces enfants-là sont
souvent recrutés de force par
les rebelles ou même par les
forces gouvernementales, ils
sont enlevés de leur famille, de
leur école, ainsi de suite, et
amenés dans la brousse ou dans
des camps très isolés, et ils
sont abusés, tués, les filles en
particulier qui font 40% de ces
enfants soldats-là, elles sont
abusées au point d'être
utilisées même comme femmes de
brousse et esclaves sexuelles,
en plus de faire beaucoup de la
gestion logistique de la
nourriture, de l'eau, ainsi de
suite.
Alors ils sont soit enlevés de
force, soit qu'ils ont perdu
leur famille, ils ont perdu leur
village, ils ont été égarés, et
les seuls endroits où ils
peuvent se ramasser pour
atteindre une certaine sécurité,
une perspective de sécurité,
c'est avec un groupe organisé
comme une force rebelle. Alors
il y a une multitude de volets,
et il y a des gens qui disent:
"Ah oui, mais ils sont
volontaires, il y en a plusieurs
qui sont volontaires..." Quand
je commandais ma mission au
Rwanda, qui était dans un pays
en guerre, je disais qu'il
devait pas y avoir de
fraternisation entre les
militaires qui viennent
d'outremer ou d'en dehors, et
les locaux. Parce que c'est pas
vrai qu'une femme va tomber en
amour avec un soldat dans des
conditions de guerre. Elle va se
"disponibiliser" parce qu'elle a
besoin d'argent pour sa famille,
elle a besoin de protection, de
nourriture, et donc, elle est
pas vraiment volontairement
disponible.
Et c'est la même chose avec des
enfants qui se retrouvent dans
l'engrenage de ça. Ils sont pas
vraiment volontaires. La
situation qui les entoure, cet
état de guerre et de conflit les
pousse vers cette option-là.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Et pourquoi on les accepte
dans les différentes milices?
Qu'est-ce qu'ils ont à offrir
aux armées, aux rebelles?
ROMÉO DALLAIRE
- Ah, c'est l'arme la plus
sophistiquée de basse intensité
et de technologie qui existe
maintenant. Parce que, à neuf
ans, ils sont capables de
transporter des armes, des armes
légères, des mitrailleuses qui
ont été produites à la fin de la
Guerre Froide et distribuées et
vendues par millions. Alors ils
sont capables d'utiliser ces
armes-là et de s'en servir
raisonnablement. Ils ne
répondent vraiment pas à des
critiques parce qu'ils sont
souvent tenus par la peur, la
crainte et par les drogues.
Donc, c'est pas un problème de
les encourager à s'immerger dans
le scénario que les adultes
veulent créer. Ils sont non
seulement faciles à endoctriner,
mais ils sont faciles à
discipliner parce qu'ils n'ont
rien à en tuer deux, trois, et
immédiatement, les autres
apprennent la leçon très
rapidement. Et une fois pris
dans l'engrenage, ils peuvent
être beaucoup plus... euh,
quasiment aussi sauvages que des
adultes. Ils sont tellement
imprévisibles. Alors une fois
qu'ils sont immergés dans ça,
ils sont drogués et endoctrinés,
c'est dur pour eux de même
d'établir des bornes de limites
d'abus sur d'autres êtres
humains. Et puis quand ils sont
blessés ou malades, tu t'en
débarrasses, tu le garroches
dans le bois. Et la
prolifération des armes légères
fait que tout ça les rend un
instrument de guerre idéal pour
ces conflits de basse intensité.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Maintenant, vous, vous voulez
mettre fin à tout ça, à ce
phénomène qui existe dans
certains pays. Comment y
arriver?
ROMÉO DALLAIRE
- Premièrement, c'est un projet
à long terme.
Et ça, en soi, ça prend une
certaine éducation des gens qui
nous entourent.
Tant ceux qui nous supportent
que ceux qui sont impliqués.
Alors il y a ce volet culturel à
changer.
Et deuxièmement, c'est le volet
de comment influencer des
adultes qui les utilisent, à
utiliser d'autres instruments...
de guerre, s'ils veulent faire
la guerre.
Comme: pourquoi les adultes le
font pas? Pourquoi utiliser ces
enfants-là? Et leur faire
comprendre des contraintes
internationales qui ont été
établies par les chartes des
enfants, le Tribunal
international. Mais une fois que
ce volet stratégique est établi,
là, il faut aller dans le coeur
du problème, c'est-à-dire
comment est-ce qu'on arrête le
recrutement...
Est-ce qu'on protège les
villages mieux? Est-ce qu'on
informe les parents? Est-ce
qu'on informe les enfants,
précisément ceux qui ont 15-16-
17 ans, de l'impact qui va leur
arriver s'ils sont recrutés?
Comment les sensibiliser au
point où ils vont réagir contre
ceux qui voudraient les
recruter, au lieu de se plier,
justement, à cette influence?
L'autre volet, c'est les
onusiens, les militaires, les
polices, les ONG, les
humanitaires qui sont impliqués
à faire face à ces enfants-là.
Est-ce qu'on utilise la doctrine
fondamentale du droit de
protection de l'individu? Donc,
si l'enfant se promène avec une
arme et s'il tire sur nous
autres, il nous empêche d'en
protéger d'autres, eh bien, on
utilise la force, minimum, mais
la force veut dire
essentiellement les tuer, les
blesser. Alors nous sommes à
regarder à éduquer les
militaires, éduquer les polices
et même intégrer les
humanitaires pour échanger de
l'information afin qu'ils
utilisent d'autres doctrines,
d'autres tactiques, d'autres
armes qui ne sont pas des armes
meurtrières mais des armes qui
vont incapaciter les jeunes à
les rendre inaptes à être
utilisées.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Vous êtes justement retourné
en Afrique récemment pour faire
de la recherche sur les enfants
soldats, pour participer au
tournage d'un documentaire à ce
sujet-là. Comment ç'a été pour
vous de retourner en Afrique 18
ans après avoir été au centre
des atrocités au Rwanda?
ROMÉO DALLAIRE
- J'y suis retourné à d'autres
occasions, mais tout de même,
dans ce scénario-ci, ç'a été
différent parce que j'y allais
directement pour trouver les
enfants qui sont impliqués dans
les combats.
Moi, j'ai ressenti un retour aux
sources, mais une source
d'énorme complexité morale,
d'ambiguïté et même de dilemme.
Dans laquelle je revoyais ce qui
a été fait, tout le déséquilibre
qui a eu lieu...
Et est-ce que j'ai rempli mon
rôle suffisamment? Est-ce que ce
que j'ai vu peut être réconcilié
avec la justice et avec les
sociétés qui existent
maintenant? Ça, ça a dominé
énormément, certainement mes
nuits si c'est pas mes journées.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Où se situe le blâme par
rapport à ce qui s'est passé au
Rwanda? Est-ce qu'il est
possible de situer ce blâme-là?
Quel est le constat que vous en
faites toutes ces années plus
tard?
ROMÉO DALLAIRE
- Le blâme est scandaleusement
facile à identifier. Et le blâme
ne réside pas en majeure partie
avec les Nations Unies tant sur
le terrain où on a fait des
erreurs, tant au Secrétariat des
Nations Unies qui dépend des
pays et où les erreurs ont eu
lieu, ni au Conseil de sécurité
comme tel, mais le blâme dans
chaque pays État qui avait la
capacité de réagir, qui a refusé
par... ne prenant pas de
décision, ne s'impliquant pas,
ou refusé catégoriquement comme
les Américains ont fait, les
Britanniques et d'autres, refusé
catégoriquement de donner le
pouvoir politique de changer les
mandats et de fournir les
ressources dont les Nations
Unies avaient besoin pour
l'arrêter. Parce qu'elle a pas
d'armée et donc elle est
totalement dépendante des pays à
vouloir lui fournir les
ressources. Et tous les pays ont
refusé de s'immiscer dans un
problème aussi compliqué, et par
ce fait, c'est tous les pays qui
sont coupables d'avoir abandonné
les centaines de milliers de
Rwandais.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Ceci étant dit, pensez-vous
qu'on a appris des leçons?
Pensez-vous qu'il est possible
de revivre un Rwanda, en Afrique
ou ailleurs dans le monde,
aujourd'hui, compte tenu de ce
qu'on a vécu en 1994? Est-ce
qu'on a appris par la suite?
ROMÉO DALLAIRE
- Moi, je pense que oui, c'est
possible parce que nous sommes
au début de cette ère complexe
dans laquelle on a trébuché.
Ce ne sont plus de grandes
guerres d'armées, sophistiquées,
où il y a des lignes claires sur
le terrain de qu'est-ce qu'on
veut gagner, qui va perdre,
ainsi de suite.
Nous sommes dans une ère où on a
des pays en implosion, on a des
démocraties qui essaient de
naître, on a des dictatures qui
créent des pays en décrépitude
et en faillite.
Et tout ça nous amène à des
guerres civiles. Et on en a vu
qui continuent encore. Y a la
guerre civile en Syrie
présentement, mais le Darfour
est encore là, le Congo est
encore là, et d'autres. Alors
dans cette période d'énorme
complexité, ce dont on a besoin,
c'est d'être capable d'aller au
devant des coups et anticiper
justement les facteurs qui vont
mener à des frictions qui
ultimement, vont se détériorer
dans des conflits ethniques,
religieux, de tribus, ou même
simplement de distribution de
pouvoirs et de ressources. Parce
qu'on dit que si un pays ou si
un gouvernement abuse
massivement des droits des
personnes de son peuple, vous
êtes pas capable de l'arrêter,
on a nous, les autres pays, par
l'entremise des Nations Unies,
la responsabilité d'intervenir
pour les protéger.
Alors les petits pays où il y a
déjà des dictateurs en place,
eux autres trouvaient que peut-
être, c'est la carte blanche
dont les grands pays ont besoin
pour venir régler des comptes.
Mais ce qui nous a plus surpris,
c'est que des grands pays ont
démontré une réticence parce que
ça les amène peut-être à
s'impliquer dans des missions
qui ne sont pas dans leur
intérêt personnel, l'intérêt de
leur stratégie. Et donc, ils
s'immiscent dans des choses qui
sont peut-être pas à leur
perception d'avantages. Et tant
et aussi longtemps que l'être
humain va être le dénominateur
commun minimum auquel on se rend
pas, on pourra pas influencer
des pays à être proactifs sinon
même à être réactifs à ces abus-
là.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Donc, est-ce qu'on fait la
bonne chose?
ROMÉO DALLAIRE
- C'est-à-dire que nous sommes
sur la voie. Et moi, je crois
que ça va prendre des décennies,
et jusqu'à tant que le désir de
reconnaître l'humanité comme
étant tous des égaux, on va
continuer à être dominés par des
politiciens qui veulent gérer le
problème, fait qu'on peut lui
garrocher de l'argent, peut-
être, des gens qui vont vouloir
utiliser des solutions ou des
explications faciles comme:
"Tu sais, il y a de l'huile là puis
si on n'y va pas, ça va nous
coûter plus cher d'huile, donc
il faut y aller..." ou des
arguments d'alliance: parce
qu'on a une base militaire là,
tu sais, il faut la protéger,
donc on va s'impliquer...
GISÈLE QUENNEVILLE
- Revenons au Rwanda.
Vous avez vécu--
ROMÉO DALLAIRE
- On en est
jamais parti...
GISÈLE QUENNEVILLE
- On est jamais parti du Rwanda,
vous, vous avez vécu des choses
absolument atroces au Rwanda.
Vous y avez peut-être pas laissé
votre peau, mais je pense qu'en
quelque part, on peut dire que
vous y avez laissé votre âme
jusqu'à un certain point.
ROMÉO DALLAIRE
- Ah, c'est certain.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Quel a été l'impact du Rwanda
sur votre être...
sur qui vous êtes, sur le plan
personnel, professionnel?
ROMÉO DALLAIRE
- Moi, tout comme mes collègues,
qui vivent pas seulement les
extrêmes comme le Rwanda, mais
qui ont vécu dans cette ère de
conflits civils, où la
population civile est souvent la
cible et l'outil de manoeuvres
des gens qui sont au pouvoir, la
plus grosse difficulté à
accepter, c'est le fait qu'on
revient chez nous, mais on n'est
plus la même personne. Et ça
aussi, ça devient le problème
pour ceux qui sont restés chez
nous parce que, eux autres
aussi, ils perçoivent une
personne qui a changé, qui a des
valeurs qui ont été modifiées
peut-être d'une façon beaucoup
plus aiguë... De l'autre côté,
les familles aussi sont pour moi
pareilles. Parce que
aujourd'hui, les familles vivent
les missions avec nous à cause
des médias, l'Internet, ainsi de
suite. Donc, ils sont affectés
eux autres par les stress, par
ce qu'ils voient et qu'est-ce
qui va arriver...
Et donc, quand on revient, eux
autres aussi ont un niveau de
stress et de changement qui les
a affectés. Alors, comment
réconcilier ça et amener ça dans
une atmosphère où ils peuvent
établir une normalité, ça prend
de l'aide extérieure et de la
patience. Et les blessés
physiques, déjà là, c'est dur de
leur permettre la
réhabilitation, mais il y a
énormément de travail qui se
fait. Mais la réhabilitation
psychologique, par exemple, ça,
on a encore beaucoup de chemin à
faire, et c'est là où la
majorité de nos blessures
existe, et c'est là où souvent,
la situation devient...
catastrophique.
GISÈLE QUENNEVILLE
- C'est très large comme
situation, comme problématique.
Vous, vous tentez de
sensibiliser les autorités par
rapport à ces troubles
psychologiques qui surgissent
après un passage dans une zone
de conflit. Est-ce que les
autorités vous écoutent, est-ce
qu'elles vous entendent? Est-ce
qu'elles sont prêtes à agir?
ROMÉO DALLAIRE
- Ça fait tout de même depuis
1991, c'est-à-dire la Guerre du
Golfe, où pendant les premiers
dix ans, même avec le Rwanda, la
Bosnie, Somalie, ainsi de suite,
on n'a pas été particulièrement
habile à prendre soin de ces
blessés-là.
Et quand en 1997, j'ai parlé
publiquement de ma propre
blessure et on a commencé à
amener des réformes d'envergure,
on a des blessés des premiers
dix ans qui ont vraiment pas eu
les soins dont ils avaient
besoin.
C'est un peu un scandale de
notre part parce que ce qu'on
connaissait même après la
Deuxième Guerre mondiale, on a
oublié... parce que ça faisait
quasiment 30 ans qu'on était en
paix.
Donc, beaucoup d'entre nous
travaillons avec acharnement
pour s'assurer qu'on n'arrête
pas de penser à ça, mais au
contraire, qu'on continue à
faire de la recherche pour
réduire l'impact de ces dilemmes
éthiques, moraux...
physiques auxquels on fait face
dans ces missions-là. Donc, pour
mieux préparer les soldats du
futur et leurs familles, ainsi
qu'être prêt à les récupérer
d'une façon beaucoup plus
efficace. Donc, on ne veut pas
faire cette même erreur-là, mais
on voit avec les coupures du
budget qui arrivent maintenant,
que c'est facile de commencer à
réduire...
"Ah bien, on a peut-être un peu
moins de besoins, d'urgences."
Donc on voit une petite coupure
ici, une petite coupure là. Et
en fin de compte, on commence à
miner une structure qui au
contraire, maintenant que les
missions sont terminées puis que
les soldats reviennent ou
tentent de revenir à une
normalité, les vraies bibittes
vont commencer à sortir. Alors à
un moment où on devrait être sur
le qui-vive de faire ça, on
commence à voir des coupures, et
ça, ça prouve que la haute
hiérarchie, hypersensible
pendant les opérations, tant sur
le côté familles que des
membres, est passée à autre
chose.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Vous êtes militaire, mais vous
êtes aussi aujourd'hui
sénateur... en 2005.
ROMÉO DALLAIRE
- Ma badge...
GISÈLE QUENNEVILLE
- Voilà, voilà. En 2005, c'est
le premier ministre de l'époque
Paul Martin qui vous a nommé
sénateur. Comment vous avez
réagi à cette nomination-là?
ROMÉO DALLAIRE
- Absolument enchanté.
Ça faisait déjà presque cinq ans
que j'avais été licencié des
Forces armées médicalement, ça
faisait quatre ans que
j'oeuvrais avec une ministre de
l'ACDI sur les enfants affectés
par la guerre.
Je venais de finir d'écrire mon
premier livre, et j'étais aux
études et à la recherche à
Harvard. Donc, j'avais beaucoup
de choses qui oeuvraient, et je
continuais à travailler sur les
dossiers des vétérans en avisant
les ministres, mais aussi sur
l'éducation des officiers, ainsi
de suite où on m'avait demandé
d'intervenir.
Donc, j'avais la main dans
nombre de ces enjeux dans
lesquels le gouvernement était
impliqué, mais j'avais
absolument aucun pouvoir.
Et donc, j'étais de l'extérieur,
tentant d'influencer
l'intérieur. Et lorsqu'il m'a
offert de devenir sénateur,
j'étais encore à Harvard à ce
moment-là, c'est quasiment comme
une inspiration du Saint-
Esprit, tu sais la langue de
feu, bang! J'ai dit: "Maudit,
voici la façon de rentrer dans
le système... et tenter de
l'influencer à partir de
l'intérieur." Donc, d'emblée,
j'ai accepté de devenir
sénateur. Parce que quand
j'étais dans les Forces armées,
j'avais assez souvent l'occasion
de venir sur la colline pour
témoigner devant les comités de
la Chambre des communes ou les
comités du Sénat. Et je trouvais
que devant la Chambre des
communes, on n'approfondissait
pas beaucoup le sujet parce
qu'il y avait tellement de
tiraillements politiques, là,
puis tout le monde essayait de
manoeuvrer, ici et là... Puis
c'est compréhensible, ils ont
une responsabilité pour leur
parti et de se faire réélire
ultimement, pour le pouvoir.
Mais quand on allait devant le
Sénat, c'était une atmosphère
complètement différente.
Il y avait beaucoup plus de
collégialité et on voulait aller
aux sources de l'étude...
Donc, ils nous passaient
beaucoup plus au cash quand on
allait au Sénat, et donc, je me
suis dit: Bien, ça, j'haïrais
pas participer à ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Lieutenant-général Dallaire,
vous êtes connu auprès des
Canadiens et dans le monde
entier, comme cet homme qui a
commandé les forces de l'ONU au
Rwanda durant le génocide en
1994. Si vous pouviez retourner
en arrière en 93, 94, est-ce que
vous feriez les choses
différemment?
ROMÉO DALLAIRE
- Ça, c'est toujours... une
personne qui dit non, c'est une
personne qui soit vit dans les
limbes, ou bien qui est
tellement entêtée qu'elle perd
toute objectivité.
Certainement, étant "the Monday
Morning Quarterback", on peut
voir toute une gamme de choses
qu'on peut faire différemment.
Je pense que par exemple, dans
le cas de ma mission, avoir été
beaucoup plus agressif comme
commandant militaire à aller
chercher les ressources dont
j'avais besoin et forcer des
pays à fournir, en allant vers
ces pays-là pour demander plus
d'implication, ça, je pense que
j'aurais dû faire ça au lieu de
rester sur le terrain puis me
battre à partir
d'intermédiaires. Je pense que
l'autre volet, c'est le volet
que pendant le génocide, là
aussi, au lieu de tout
simplement laisser le débat
évoluer à New York pendant que
nous autres, on était pris dans
le carcan du terrain, j'aurais
peut-être dû prendre quelque
temps et aller avec ma présence,
pour ce qu'elle vaut, tenter
d'influencer par tous les
moyens. Donc, ce que j'ai fait,
essentiellement, c'est que j'ai
pris les médias sur le terrain,
et j'ai tenté de gêner les pays
à participer par l'entreprise
des médias. Mais il y a eu
tellement, pas de censure, mais
de jeux d'information... ou on
trouvait que l'information,
c'était trop cru, c'était
trop... Alors toute
l'information a vraiment pas été
présentée par les médias.
Pas parce qu'ils n'avaient pas
l'information, c'est parce que à
New York, Atlanta, Toronto, ils
ont décidé de pas le montrer.
Fait que ça, c'est le volet...
ce qui reste dans une personne
qui est en commandement, c'est
que la mission tout de même a
failli...
Et quand on a la responsabilité
d'une mission, on a la
responsabilité de l'accomplir.
Et quand on faillit, ça, c'est
une responsabilité que l'on
porte ad vitam aeternam.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Roméo Dallaire, merci beaucoup
de cet entretien.
ROMÉO DALLAIRE
- Madame.
(Générique de fermeture)
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