Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.


Vidéo transcription
Gabriel Nadeau-Dubois, activiste étudiant
Il a été le visage du mouvement étudiant qui manifestait contre une hausse des frais de scolarité au Québec. Gabriel Nadeau-Dubois retrace son parcours et parle de son expérience et d’avenir.
Réalisateur: Francis Lussier
Année de production: 2012
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GISÈLE QUENNEVILLE rencontre des personnalités francophones et francophiles: des politiciens, des artistes, des entrepreneurs ou des scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
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Carte de visite
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Fin générique d'ouverture
GISÈLE QUENNEVILLE
Bienvenue à Carte de visite.
Il a fait la une des journaux et
magazines à travers le pays, il
a été interviewé à toutes les
chaînes québécoises
et canadiennes. On
a même parlé de lui dans les
médias étrangers.
Tout au long du printemps
dernier, Gabriel Nadeau-Dubois
était le visage du mouvement
étudiant au Québec, le Printemps
érable qui a vu des milliers de
jeunes manifester dans les rues
contre une hausse des frais de
scolarité. Autant Gabriel
Nadeau-Dubois a rallié des gens,
autant il a été contesté par
d'autres. Gabriel Nadeau-Dubois
en a surpris plusieurs en août
dernier en annonçant qu'il
démissionnait comme un des
porte-parole de la CLASSE,
un des syndicats étudiants.
Une campagne électorale
s'annonçait au Québec et pour
lui, c'était le moment de
passer à autre chose. J'ai
rencontré celui qui a incarné
la contestation étudiante,
à Toronto.
(GISÈLE QUENNEVILLE et GABRIEL NADEAU-DUBOIS sont assis l'un face à l'autre, dans un studio.)
(À quelques reprises pendant l'entrevue, des photos des événements marquants et de certains acteurs du « Printemps érable » sont présentées.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Gabriel Nadeau-Dubois, bonjour.
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Je pense qu'on peut dire que
2012 a été une année très
mouvementée pour vous jusqu'à
maintenant en tout cas.
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Oui, oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Dites-moi, est-ce qu'il y a
une vie après le mouvement
étudiant, après la CLASSE?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Oui, y a une vie, y a surtout,
je dirais, le fait de
retrouver... bien, d'essayer de
retrouver la vie qu'on avait
avant. C'est sûr que ç'a été
des émotions très fortes.
Pour moi, personnellement aussi,
ç'a été beaucoup de
changements, ç'a été d'apprendre
à devenir une personnalité
publique, ce qui était
absolument pas prévu dans mes
plans y a de cela quelques
mois. Mais oui, y a une vie et
puis, on se rend compte que ça
continue, y a encore plein de
beaux projets, y a la tournée
canadienne de conférences que
je fais présentement, mais y a,
dans les prochains mois, les
prochaines années, je pense,
encore des gros défis à relever
au Québec en terme de
mobilisation sociale. Puis je
compte bien en faire partie
encore.
GISÈLE QUENNEVILLE
Retournons au début de
l'année 2012. Comment est-ce que
vous vous êtes retrouvé
porte-parole de la CLASSE, de
ce mouvement étudiant?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Je m'implique dans le
mouvement étudiant depuis six
ans maintenant. J'ai commencé
autour de 2006-2007 et puis...
j'ai commencé à m'impliquer dans
mon association étudiante dans
mon cégep au Québec et par la
suite, je suis devenu
responsable du journal
national étudiant, le journal
de LASSE en fait qui est
l'organisation à la source de
la CLASSE et puis je
coordonnais un peu la production
de ce journal et puis par la
suite, j'ai été élu sur
l'exécutif de LASSE comme
secrétaire aux communications
et porte-parole. Ça, c'était en
avril 2010. Lorsque la CLASSE
a été formée, en décembre 2011,
j'ai été confirmé dans mes
fonctions comme porte-parole de
la CLASSE.
Deuxième semaine de février, à
peu près, la grève a commencé
et c'est vraiment avec le début
de la grève que tout ça a pris
de l'ampleur et la CLASSE et
moi, en particulier, nous
sommes mis à recevoir beaucoup
d'attention médiatique et de
fil en aiguille, on en est où
on est aujourd'hui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Qu'est-ce qui vous a attiré y
a quelques années au mouvement
étudiant? Au niveau de
l'idéologie, qu'est-ce qui vous
attire là-dedans?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Moi, je suis... un produit du
mouvement étudiant, mes parents
se sont rencontrés lorsqu'ils
militaient dans le mouvement
étudiant, mon père est un
militant syndical de très
longue date. J'ai été élevé dans
des valeurs de justice sociale,
dans des valeurs de démocratie
participative, dans des valeurs
progressistes. Ç'a jamais été
pour moi une question, je me
suis toujours impliqué partout
où je suis passé. Au Québec,
il faut comprendre que les
associations étudiantes,
généralement, sont considérées
par les étudiants et les
étudiantes comme leur voix dans
l'espace public québécois,
comme les personnes qui
parlent en leur nom.
Beaucoup plus qu'un parti
politique ou un syndicat par
exemple. Les associations
étudiantes, vraiment, sont vues
par les étudiants et les
étudiantes comme leur première
et peut-être même leur seule
représentation politique.
C'est assez naturel quand on
est un militant progressiste au
Québec de se retrouver d'une
manière ou d'une autre dans son
association étudiante. Un peu
par la force des choses, je me
suis retrouvé sur l'exécutif
de mon association collégiale
et puis là, par la suite, j'ai
jamais arrêté depuis.
GISÈLE QUENNEVILLE
Février 2012, ça commence, la
grève démarre. Vous l'avez dit,
beaucoup d'attention
médiatique. Est-ce que, à ce
moment-là, on s'attendait à ce
que ça devienne aussi gros que
c'est devenu?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Absolument pas. Absolument
pas. Ç'a été une grève
surprenante à plusieurs points
de vue. Notamment sur le fait
qu'elle ait été aussi longue et
aussi massive. Y a déjà eu des
grèves dans le mouvement
étudiant, y a déjà eu de très
grandes grèves, mais quelque
chose de cette ampleur-là,
c'était absolument
imprévisible. De l'extérieur, ça
a peut-être eu l'air très solide
et très fort, mais faut se
rappeler que tout ça repose sur
peu. Je me rappelle le premier
vote du premier cégep au Québec,
à Valleyfield, j'étais dans la
salle et puis le premier vote
de grève, on l'a gagné avec 12
voix de majorité. Douze voix de
majorité sur une assemblée d'au
moins 1000-1500 personnes.
Si, évidemment, le premier vote
est perdu, ça crée un effet
boule de neige qui peut faire
en sorte que les autres votes
par la suite vont être également
négatifs. Le premier vote, c'est
le vote le plus important. C'est
comme ça pour les syndicats,
c'est comme ça pour les
associations étudiantes. Et le
premier vote, on l'a gagné par
12 voix. Oui, c'était très
gros, mais c'est quelque chose
qui s'est construit vraiment
étape par étape puis à plusieurs
reprises, ça aurait bien pu ne
pas fonctionner ou fonctionner
pas mal moins bien que
finalement ça a fonctionné.
Non, ç'a été imprévisible et
même au début du mouvement, on
savait pas que ça atteindrait
cette grosseur-là. à plusieurs
moments dans la grève, on a
cru que c'était terminé.
Lorsqu'il y a eu la première
offre faite par le gouvernement
Charest, plusieurs ont pensé
que peut-être les gens
rentreraient en classe
sur la base de cette offre-là.
Lorsque la loi spéciale a été
déposée, plusieurs croyaient
que son adoption aurait l'effet
d'un... vraiment d'un éteignoir
sur la mobilisation. Même nous,
on le pensait. Mais à chaque
fois, à chaque fois, on a été
surpris par le niveau de
mobilisation des gens. à chaque
fois, on a été surpris par
la... la résilience, vraiment,
de ces centaines de milliers
d'étudiants et d'étudiantes
qui... qui bravaient la
brutalité policière, qui
bravaient le mépris des grands
médias, qui bravaient souvent
leur propre famille, les
intempéries, pour être dans la
rue jour après jour pendant six
mois puis ça, ça nous a...
beaucoup impressionnés. Ça m'a
surpris de ma propre génération
en fait.
GISÈLE QUENNEVILLE
Y a eu cependant pendant
cette grève des moments
difficiles. Y a eu de la
violence, y a eu des blessés,
est-ce que vous vous attendiez
à ça? Est-ce que vous étiez
prêts pour ça?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Quand on parle de violence,
tout ça, y a jamais une vitre
d'hôpital qui a été brisée.
Y a jamais une vitre d'école
primaire qui a été brisée.
Ce qui a été pris pour cible,
c'était des symboles très, très
forts du système économique
actuel. C'était les banques,
c'était... c'était les postes
de police, c'était des...
vraiment des emblèmes du
capitalisme, du système
économique dans lequel on vit.
Ça, c'est pas un hasard.
Moi, ce que j'essaie toujours
de faire quand ces
situations-là arrivent, c'est
essayer de comprendre à quel
niveau d'exaspération et de rage
on doit être rendu pour poser
des gestes comme ça.
Parce que faut le rappeler, au
début de la grève, c'était très
calme, les manifestations. On
était même surpris, nous, que
ça soit aussi calme. Le 22
mars, par exemple, y a pas eu
un incident. La grande majorité
des manifestations était
totalement, totalement
pacifique. Et y a un moment
donné où après... après avoir
manifesté pendant dix, 15
semaines sans se faire écouter,
sans même... ça a pris neuf
semaines au Québec à avoir une
table de négociations.
Pendant neuf semaines, y avait
aucun dialogue, aucune écoute.
Le gouvernement faisait comme si
ça n'existait tout simplement
pas. Évidemment après,
au bout de tout ça,
les gens deviennent évidemment
exaspérés. Je me rappelle même
un chroniqueur d'un des grands
journaux au Québec qui avait
écrit un éditorial après le 22
mars pour dire que justement,
là, ils ont fait une
manifestation magnifique, ils
étaient 200 000 dans la bonne
humeur la plus totale et là, y
a pas de table de négociations.
Je me rappelle qu'il finit son
article en disant: « Ne nous
étonnons pas si, dans quelques
semaines, ça commence à brasser
puis qu'il y a des roches qui
commencent à voler dans les
airs. » Pas que ce soit correct,
pas que ce soit quelque chose
avec lequel on est d'accord,
mais peut-on vraiment
s'en étonner?
Quand on méprise les gens, quand
on ne les écoute pas, quand la
seule réponse qu'on a pour notre
jeunesse, c'est de la frapper
puis de la gazer, et après, on
s'étonne que ces gens-là
répliquent. Faut comprendre
d'où ça vient aussi.
Sinon, on... on pense que c'est
des gens fâchés qui font des
gestes irréfléchis alors que je
pense que c'est des gestes qui
sont politiques.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais est-ce qu'il est
difficile de défendre cette
violence? En quelque part, c'est
ça que vous avez été obligé
de faire.
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Mon organisation, la CLASSE
m'a jamais demandé de défendre
la violence, et je l'ai jamais
défendue. Ce que j'ai essayé de
faire, c'est premièrement
de faire la part des choses
entre ce qui était des actions
posées et revendiquées par la
CLASSE et ce qui était des
actions, disons, autonomes,
d'étudiants et d'étudiantes qui
font ça à titre individuel.
C'était toujours ça ma priorité.
Nous, notre manière de lutter,
notre manière de faire, c'est
celle-là. Y a aussi ces
gestes-là qui sont posés par
d'autres gens qui sont pas des
gestes qui font partie de notre
stratégie, c'est pas la manière
dont nous, généralement, on
fait les choses, mais on essaie
de comprendre pourquoi ces
gens-là font ces gestes-là.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous-même, vous avez été...
l'objet de critiques
virulentes, l'objet de menaces
même. La réalité, c'est que
vous n'avez qu'une vingtaine
d'années à ce moment-là. Comment
est-ce que vous vivez ça?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
C'est sûr que... avec
l'attention médiatique, comme
vous l'avez dit, viennent aussi
toutes sortes de critiques dans
les médias évidemment. Et ç'a
été une stratégie des Libéraux
que de me démoniser et de faire
vraiment de moi littéralement
un suppôt de Satan, un
porte-étendard de l'anarchie et
du chaos, ce qui est évidemment
loin d'être le cas.
Mais c'est vraiment ça l'image
qu'on a faite de moi dans les
médias. Ce qui fait que ça a
suscité, en effet, une vague
d'attaques personnelles, de
menaces directes, répétées,
menaces de mort très graves. Je
dirais qu'au départ, ça m'a
plutôt angoissé, mais ça va
avoir l'air drôle de dire ça,
mais il est arrivé un moment
où il y en avait tellement,
tellement tout le temps que,
à un moment donné, j'ai juste
réalisé qu'au fond, c'était un
peu n'importe quoi, que c'est
pas des gens qui étaient
sérieux. C'est des gens qui
parlaient derrière un écran,
mais qui avaient pas le courage
de même pas de venir m'adresser
la parole. Fait que, finalement,
au bout du compte, j'ai plutôt
arrêté d'y penser et je m'en
suis pas trop fait avec ça.
Évidemment, j'ai pris des
mesures de sécurité. Durant la
grève, je ne me promenais
jamais seul, j'avais toujours
des gens avec moi. Je faisais
attention aux endroits publics,
tout ça, évidemment. Sinon, y a
un moment où vraiment j'ai mis
ça derrière moi.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vos proches, vos parents,
votre famille, comment eux, ils
ont réagi durant toute
cette période-là?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Ç'a été probablement beaucoup
plus difficile pour ma famille
que pour moi. Au sens où moi,
j'étais dans l'action, je
faisais les médias, je faisais
des rencontres, je veux dire,
de 5 h le matin à minuit le soir
tous les jours pendant six
mois. Je veux dire, j'avais pas
vraiment... je lisais évidemment
ce qui se passait,
mais j'avais pas conscience des
discussions, de l'ambiance qui
était créée autour de moi.
Je voyais les articles, je
faisais des entrevues, mais pas
plus que ça.
Donc, c'est vraiment pour mes
parents que ç'a été plus
difficile. Ma famille... est en
quasi-totalité derrière les
étudiants et les étudiantes.
Ils portaient tous le carré
rouge. Pas parce qu'ils me
connaissaient, c'est des
valeurs qui sont dans ma famille
très, très profondément ancrée.
C'était pas ça, le problème. Le
plus, c'est qu'eux pouvaient
avoir, par exemple, des amis,
des connaissances qui étaient
pas mal moins sympathiques et
qui allaient intervenir des fois
très rudement. Je peux donner
un exemple. La semaine dernière,
ça fait pas très longtemps,
quelqu'un a appelé chez ma
grand-mère pour dire: « Est-ce
que c'est vrai que vous êtes
la grand-mère de Gabriel
Nadeau-Dubois? » Ma grand-mère
a dit... oui. Et là, le
monsieur se met à l'engueuler,
à la traiter de tous les noms.
Ma grand-mère a jamais voulu
répéter ce que le monsieur lui
a dit. Même pas à son mari, même
pas à mon grand-père. Tout ce
qu'on sait, c'est qu'après,
elle s'est mise à pleurer puis
qu'elle a appelé une de mes
tantes pour lui demander de
venir parce qu'elle avait peur.
Ça, c'est un exemple. Mais y en
a beaucoup des exemples comme
ça. C'est vraiment pour ma
famille que ç'a été plus
difficile.
GISÈLE QUENNEVILLE
Au cœur de la contestation
étudiante au Québec au début de
l'année, c'est une augmentation
des frais de scolarité.
Pourquoi les étudiants
québécois, on pourrait dire,
sont parmi les plus choyés au
pays, si c'est pas les plus
choyés au pays, pourquoi ne
peuvent-ils pas accepter au
début de l'année une
augmentation des frais
de scolarité?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
La première question qu'il
faut poser, je pense pour
répondre à cette question-là,
c'est pourquoi est-ce que les
étudiants et les étudiantes du
Québec sont les plus choyés?
Pourquoi est-ce que les frais
de scolarité au Québec sont si
bas? La raison est simple,
c'est parce qu'à chaque fois que
les gouvernements tentent
d'augmenter les frais de
scolarité, y a une
mobilisation. Pas seulement une
mobilisation étudiante, mais
une mobilisation populaire, une
mobilisation citoyenne pour
dire justement, nous, on croit
que l'éducation doit être
accessible à tous et à toutes,
peu importe le revenu. Et ça,
je pense que c'est quelque
chose, c'est une préoccupation
qui fait profondément partie de
la culture québécoise. C'est
une de nos fiertés comme peuple
d'avoir un système d'éducation
qui, premièrement, est unique
au monde, qui est probablement
une des principales clés de
notre... survivance culturelle
et qui est très accessible. Avec
des cégeps qui sont gratuits, le
cégep est une institution
typiquement québécoise, unique
à travers le monde, dont le
mouvement étudiant est
extrêmement fier, une
institution qui, d'ailleurs, a
été créée dans la foulée d'une
grève étudiante en 1968.
Vraiment, les cégeps qui sont
gratuits et un système
universitaire public sur tout
le territoire québécois avec
des frais de scolarité fixés
par l'État qui sont
volontairement plus bas
qu'ailleurs pour que si vous
êtes un étudiant au Québec, peu
importe le métier de vos
parents, vous avez accès
facilement, facilement à
l'université. Vous avez pas
besoin de vous arracher le dos
à travailler, vous avez pas
besoin de vous endetter
d'une manière incroyable,
l'éducation, de la maternelle
au doctorat, c'est un droit
puis vous pouvez y aller.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais la hausse qui a été
annoncée au début de l'année,
elle est une hausse... elle est
pas faramineuse, cette
hausse-là, c'est une hausse
assez timide, pourquoi on ne
peut pas accepter ça?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Je sais pas si c'est une
hausse timide. C'est quand même
la plus grande, c'est la plus
grosse hausse de l'histoire du
Québec. C'est quand même une
hausse de 75 % des frais de
scolarité. Une hausse de 75 %
répartie sur cinq ans.
On double pratiquement les
frais de scolarité et ça, c'est
pas négligeable, comme
augmentation, c'est 1600 $ de
plus chaque année pour aller
à l'université au Québec.
Évidemment, je pense que c'est
significatif comme montant, et
puis, selon les études que
nous, on a sous la main, une
augmentation de cette
ampleur-là pourrait priver
environ 80 000 personnes
d'aller à l'université. Ce qui
n'est quand même pas rien. C'est
quand même un nombre
significatif de gens. Ce qu'on
a vu, notamment en Ontario,
lorsque les frais de scolarité
ont augmenté, c'est absolument
désastreux. C'est,
premièrement, une diminution
importante du nombre d'étudiants
et d'étudiantes qui viennent de
la classe moyenne.
Deuxièmement, une diminution
importante des étudiants et des
étudiantes qui viennent des
régions, des régions éloignées
parce que c'est des gens pour
qui aller à l'université, ça
coûte plus cher parce que vous
devez vous déraciner de votre
communauté, allez trouver un
appartement, un nouveau
travail, bon, etc. Donc, moins
d'étudiants de la classe
moyenne, moins d'étudiants des
régions et, également, moins
d'étudiants de première
génération. C'est-à-dire
moins d'étudiants qui sont les
premiers de leur famille à aller
à l'université. Ça, c'est les
impacts que ça a eus partout à
travers le monde lorsqu'il y a
eu des hausses de frais de
scolarité, y compris au Québec
en 1990. Au Québec, on a un
taux de fréquentation
postsecondaire 9 % supérieur à
la moyenne canadienne.
C'est-à-dire qu'il y a plus de
gens qui entreprennent des
études après le secondaire que
partout à travers le reste du
Canada parce qu'on a des
cégeps gratuits et des bas
frais de scolarité
universitaires. Le système
québécois est un système qui a
fait ses preuves en terme
d'accessibilité en éducation.
Et vouloir rejoindre la moyenne
canadienne en terme de frais de
scolarité, ça risque aussi de
vouloir dire rejoindre la
moyenne canadienne de la
fréquentation postsecondaire et
ça, c'est vraiment pas une bonne
nouvelle pour les jeunes
au Québec.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que les étudiants ont
une part de responsabilité
envers leurs frais de
scolarité? Est-ce qu'ils
doivent payer une partie de
leurs études?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Moi, je pense que oui. Les
étudiants ont une part à faire
dans le financement de leur
éducation, mais cette part-là,
ils doivent la faire lorsqu'ils
ont les moyens de la faire et le
temps de la faire. Et ça, ça
veut dire pas pendant les
études. Les études, ça devrait
être un temps de notre vie où
on étudie, où on se dédie à
notre sujet de recherche ou à
notre intérêt pour la médecine,
la philosophie, les lettres, les
langues, l'ingénierie, et ça
devrait être ça, notre
occupation, étudier. On devrait
pas aussi avoir à travailler 40
heures semaine pour payer ses
frais de scolarité, ce qui fait
qu'on a moins de temps pour
étudier. Ça devrait être une
occupation et c'est pour ça,
je pense, que l'éducation
devrait être gratuite. Et la
part des étudiants, ils la
feront, oui, mais après les
études, par un mécanisme qui
existe déjà, qui permet à chaque
individu de faire sa part dans
le financement de l'éducation
et de tous les autres services
publics et ça, ça s'appelle
l'impôt. Et ce à quoi on
assiste depuis les dernières
décennies au Québec et au
Canada, c'est à un changement
de système. C'est-à-dire qu'on
va réduire les impôts, pas les
impôts de tout le monde,
surtout les impôts des plus
riches, des grandes
corporations, la classe moyenne,
elle, a eu peu de baisses
d'impôts, mais quand même on
baisse les impôts, l'État, de
cette manière-là, se prive de
revenus et après ça, finance
les programmes publics comme
l'éducation et la santé à
l'utilisation, c'est ce qu'on
appelle le fameux principe
utilisateur-payeur. Je me
rappelle, il y avait un
analyste politique au Québec
qui disait: « L'éducation, c'est
comme une pinte de lait, tu
choisis laquelle tu veux
acheter, tu choisis quelle
marque puis tu y vas. » Mais
nous, c'est à cette vision-là
de l'éducation qu'on s'oppose.
On dit, non, l'éducation, c'est
pas une pinte de lait. C'est
pas une marchandise, c'est pas
quelque chose que tu achètes,
c'est même pas un service que
tu contractes. L'éducation,
c'est un devoir qu'une société
a envers sa relève. C'est ce
que la société doit, c'est une
dette de la société aux jeunes,
de dire, notre responsabilité
comme société, c'est de vous
donner les outils pour
comprendre la société et pour
agir à l'intérieur de la société
et ça, ça passe par l'éducation,
et pas juste la maternelle. Ça
veut aussi dire donner les
clés de l'université à tout
le monde.
GISÈLE QUENNEVILLE
On entend souvent dire que la
jeune génération est
désintéressée par la politique.
Qu’elle est apolitique. Est-ce
que le mouvement étudiant qu'on
a vu au début de l'année au
Québec, est-ce que c'est là
pour rester ou ce n'était qu'un
feu de paille?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Moi, je pense que toute cette
histoire-là de jeunesse
apolitique, je pense
sincèrement que c'était le rôle
qu'on voulait nous faire jouer.
C'était le programme que l'élite
avait pour nous. Je pense que
ce qu'on a démontré, c'est que
c'était pas la réalité. Bien
avant les manifestations, ce
qui m'a impressionné ce
printemps, c'est les assemblées
générales.
J'ai vu des milliers de
personnes se rassembler
chaque semaine, vraiment par
dizaines de milliers, en fait,
débattre avec une maturité,
une profondeur incroyable.
Prendre une décision et la
respecter. Et quand je compare
la profondeur de ces débats-là
aux débats qu'on a entendus
durant la campagne électorale,
ça me frappe. Je me rends compte
que nos politiciens qui sont
toujours en train de dire que
les jeunes ne participent pas,
puis que c'est donc un problème,
au fond, ils sont la source de
ça par leurs discours vides,
par leurs promesses sans aucun
sens. Alors que moi, ce que
j'ai vu de ma génération, c'est
l'inverse, c'est des gens qui
ont des valeurs, des débats
incroyables.
GISÈLE QUENNEVILLE
Gabriel Nadeau-Dubois, vous
avez été le visage de cette
contestation étudiante pendant
des mois. Est-ce qu'aujourd'hui,
vous pouvez dire que ça vous a
ouvert des portes jusqu'à un
certain point?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Je pense que ça serait
malhonnête de ma part de dire
que ma vie est la même,
que j'ai pas plus
d'opportunités, j'ai pas plus
d'attention. C'est sûr que c'est
un conflit qui m'a, malgré moi,
malgré mon organisation, malgré
le mouvement lui-même, qui m'a
projeté à l'avant de la scène.
Puis évidemment, toute cette
attention médiatique, ça m'a
fait rencontrer beaucoup de
gens, ça m'a ouvert des
horizons, ouvert des portes. Et
ça, je pense pas que ce soit
nécessairement mal. L'enjeu, la
question, c'est plutôt,
qu'est-ce que je fais avec ça?
Moi, c'est la même chose que
l'attention médiatique où je
pense que j'ai été surmédiatisé.
Après ça, qu'est-ce que je fais
avec cette attention-là?
Comment je l'utilise? Pour
promouvoir quelles idées?
Pour servir quels intérêts?
Pour servir mes intérêts
personnels? Pour servir des gens
autour de moi ou pour servir
les intérêts de la
collectivité québécoise?
Moi, oui, ça m'a ouvert des
portes, oui, ça m'a fait
rencontrer des gens, puis ce
que j'essaie de faire
maintenant, c'est de prendre ça
comme une opportunité de
changer les choses.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que vous êtes
retourné aux études?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Oui, je suis retourné aux
études. Bien, j'y retourne en
fait, on est le 1er octobre
aujourd'hui, en théorie, je
commence les cours aujourd'hui.
Je viens de rater ma première
journée de cours à cause de la
tournée canadienne, mais dès la
semaine prochaine, je suis de
retour en classe comme un
étudiant, c'est comme ça que je
me considère.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez vécu beaucoup de
choses au cours des derniers
mois, est-ce qu'il y a une
chose, une leçon que vous tirez
des derniers mois, qui va
rester avec vous pour toujours?
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Le... probablement, la grande
leçon, le grand enseignement de
cette grève-là pour moi, en
fait, ce que cette grève m'a
légué, c'est une confiance en
ma génération. Vous savez, à
force d'entendre dans les
médias qu'on est une génération
apolitique, puis cynique, à
force de l'entendre, on finit
par le croire. Puis on regarde
autour de nous, et c'est tout
ce qu'on voit. On regarde nos
collègues, on regarde nos amis,
et on voit ça, on dit: bien
oui, c'est vrai. Et après ce
que j'ai vu dans les six
derniers mois au Québec,
ce dont j'ai été un des
témoins privilégiés, j'ai
vraiment une confiance,
j'ai vraiment confiance en mes
collègues de classe. J'ai
confiance en ma génération. Je
sais maintenant, je les
connais. C'est des gens qui
vont continuer à se mobiliser
pour la justice sociale,
pour l'égalité, pour la liberté
collective. Je sais que ces
gens-là vont être là. Je les ai
vus dans des assemblées accepter
de faire des sacrifices
incroyables pour une cause dans
laquelle il croyait. Souvent
alors qu'ils pouvaient payer
l'augmentation des frais de
scolarité. Il ne s'agissait plus
de ça après un certain moment.
Il s'agissait juste de se tenir
debout. Et ça, et c'est très
rare que je le suis, ça me rend
extrêmement optimiste
pour la suite.
GISÈLE QUENNEVILLE
Gabriel Nadeau-Dubois,
merci beaucoup.
GABRIEL NADEAU-DUBOIS
Merci beaucoup.
(Générique de fermeture)
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