Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.


Vidéo transcription
Réjean Thomas, médecin et activiste VIH/sida
Né à Tracadie en NB, « dans la dernière maison du rang du Tile Road », le Dr Réjean Thomas est fondateur et président-directeur général de la clinique médicale l’Actuel, à Montréal. Spécialisé dans le traitement du sida, le Dr Réjean Thomas a vécu le désespoir de ses premiers patients ainsi que le « miracle » de la trithérapie.
Réalisateurs: Francis Lussier, Marie Léveillé
Année de production: 2012
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GISÈLE QUENNEVILLE rencontre des personnalités francophones et francophiles: des politiciens, des artistes, des entrepreneurs ou des scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Début générique d'ouverture
[Début information à l'écran]
Carte de visite
[Fin information à l'écran]
Fin générique ouverture
GISÈLE QUENNEVILLE
Bienvenue à l'émission. Ça
fait plus de 30 ans depuis qu'on
a entendu parler du sida pour la
première fois. Au début des
années 80, y avait une maladie
qui compromettait le système
immunitaire de ceux qui étaient
atteints.
Surtout des hommes et en très
grande majorité des homosexuels.
à l'époque, il n'y avait rien à
faire. On contractait le sida et
on en mourrait peu de temps
après.
Les choses ont bien changé en 30
ans. Aujourd'hui, on ne peut
toujours pas guérir le sida,
mais ceux qui sont porteurs du
virus peuvent vivre avec, grâce
à la trithérapie. Réjean Thomas
a été au centre de cette maladie
au cours des trois dernières
décennies. En 1984, ce médecin
de famille, originaire de
Tracadie, au Nouveau-Brunswick,
a ouvert une clinique à Montréal
pour venir en aide aux personnes
atteintes de maladies transmises
sexuellement. En peu de temps,
sa clientèle comprenait de
nombreux sidéens. Depuis ce
temps-là, Réjean Thomas a été
aux premières loges de
l'évolution de la maladie, de
ses traitements et du travail
qu'il reste encore à faire pour
sensibiliser les jeunes,
surtout, au sida.
(GISÈLE QUENNEVILLE et RÉJEAN THOMAS sont assis l'un face à l'autre, dans la salle d'attente de sa clinique.)
(À quelques reprises pendant l'entrevue, des coupures de journaux et des photos de la clinique à ses débuts ou portant sur des événements marquants sur le sujet sont présentées à l'écran.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Réjean Thomas, bonjour.
RÉJEAN THOMAS
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ramenez-nous tout d'abord au
début des années 80. C'est
l'arrivée d'une maladie qui
s'appelle le sida. Une maladie
qui touche surtout les hommes
homosexuels. Une maladie qui
tue. On l'appelle la peste gaie.
Vous étiez là à ce moment-là.
Vous travailliez dans ce
domaine-là. Comment ça se
passait? Comment est-ce qu'on a
appris sur cette maladie?
RÉJEAN THOMAS
Bien, c'est-à-dire que moi,
j'étais pas là tout de suite.
Je suis sorti de l'université de
médecine en 79. Donc, on n’avait
jamais évidemment étudié le
sida. On n’en avait jamais entendu
parler. Je pratiquais la
médecine familiale à Verdun.
Dans une clinique de médecine
générale. Et on entendait parler
un petit peu vers les années
81-82, mais c'était un peu... on
savait pas grand-chose. Sauf
qu'il y a un patient qui est
arrivé dans mon bureau, en fait.
Il était rempli de ganglions,
fatigue. Un danseur de ballet
d'à peu près 30 ans, homosexuel,
qui vivait à New York et qui m'a
dit: « Je crois avoir la maladie
des Américains. » Alors, ça,
c'était en 82. Je savais pas du
tout de quoi il parlait.
J'avais...
entendu parler un petit peu du
sida. Alors, c'est un petit peu
comme ça que c'est rentré.
Mais c'est plus en 84, quand on
a ouvert la clinique, au coin
d'Amherst et Ste-Catherine, là,
on commençait à voir des gens
apparaître avec du sarcome de
Kaposi, cette espèce de cancer
qu'on appelait le cancer gai.
Euh... des malades qui allaient
mourir dans les mois qui
suivaient.
Et des gens qui venaient
chercher de l'information.
Alors, c'était particulier parce
qu'on connaissait rien. On
savait rien. On n’avait pas de
tests. On a commencé à avoir les
tests pour dépister le VIH en
85.
GISÈLE QUENNEVILLE
Au départ, vous faisiez de la
médecine familiale. Comment vous
vous êtes intéressé aux MTS et
par la suite au sida?
RÉJEAN THOMAS
Ouais, c'est assez
intéressant, parce que quand
t'es jeune médecin, ta clientèle
est jeune parce que, eux autres,
ils ont pas de médecin souvent.
Donc, tu ramasses une clientèle
jeune.
Et les questions qui les
préoccupent, c'est soit, chez
les garçons, des questions
orthopédiques, des fractures,
des blessures. Chez les filles,
contraception, et aussi les
maladies transmises
sexuellement. Alors, on était
trois médecins. Y avait Dr
Campbell, qui était gynécologue,
qui s'intéressait beaucoup aux
questions de chlamydia et
d'infertilité.
Sa femme, Dr Ratelle, et un
autre médecin, Dr Marchand,
qu'eux connaissaient, qui
travaillaient à la clinique à une
clinique, La Cité, ici.
Et eux sont venus me voir en me
disant: « Ça nous tente d'ouvrir
une clinique pour les maladies
transmises sexuellement. » Je
trouvais ça intéressant, en même
temps, c'était particulier. On
se demandait: est-ce que ça va
marcher? Est-ce que les gens
vont venir? Y avait... c'était
un peu la première clinique au
Canada en dehors de milieux
hospitaliers. Tout le monde nous
disait que ça marcherait pas.
Ça, c'était... Et je me souviens
la première journée, en novembre
ou septembre 84, la salle
d'attente était remplie et on
n’avait pas eu nos chaises.
Alors, ça a été un succès
immédiat. Donc, on répondait à
un besoin dans une grande ville
comme Montréal sur la question
des maladies transmises
sexuellement, en 84. Et là, de
84 à 87, ça va bouleverser.
Rapidement, ce qu'on entend du
sida, ici et là, devient une
réalité dans notre clinique, et
fait partie de la pratique. Et
ça va continuer de même à
devenir dans le fond, avec le
temps, un centre d'excellence
pour les personnes atteintes du
VIH. C'était pas dans nos plans
du tout. Nous autres, on pensait
qu'on allait avoir une belle
petite pratique de médecine le
fun. Nos destins ont été
complètement bouleversés. Les
gens venaient nous voir pour
deux raisons.
D'abord, c'était pas comme
aujourd'hui pour le test.
Mais beaucoup d'information, de
questionnement, mais y avait
aussi les gens très malades.
GISÈLE QUENNEVILLE
(acquiesçant)
Hum hum.
RÉJEAN THOMAS
On voyait des pneumonies, des
complications. Et y avait toute
cette panique dans la société
sur la transmission qui
existait. Donc, les médias en
parlaient beaucoup, beaucoup.
Le mode de transmission causait
des inquiétudes. Les symptômes
étaient non spécifiques. Et il y
avait tellement de
stigmatisation qu'on n’était même
pas sûrs si on encourageait,
honnêtement, à passer le test.
Je me souviens, j'étais pas si
en faveur du test que ça à
l'époque, parce qu'on n’avait pas
de traitement à offrir, rien à
offrir. Tout ce qu'on avait à
offrir, c'était comme
stigmatiser une personne: « Toi,
t'as le sida maintenant.
Arrange-toi avec tes troubles. »
C'était un petit peu ça, la
réalité. On a oublié, mais le
sida est la première cause de
mortalité chez les hommes au
centre-ville de Montréal de 90 à
96.
GISÈLE QUENNEVILLE
(acquiesçant)
Hum hum.
RÉJEAN THOMAS
Donc, c'est y a pas 20 ans.
On a complètement oublié ça. Les
jeunes ont oublié ça. Alors,
c'est la réalité de tous les
jours. Notre salle d'attente en
90 est remplie de jeunes. La
moyenne d'âge est 30 ans.
Ils sont parfois devenus
aveugles à cause du virus. Ils
ont parfois des atteintes
neurologiques, ils ont l'air de
personnes de 90 ans. C'est ça,
notre salle d'attente, notre
quotidien. Là, ça devient lourd.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et comment, justement, comme
médecin, est-ce que vous vivez
ça? Vous devez vous sentir
complètement démuni par rapport
à cette maladie-là, parce qu'une
fois que c'est diagnostiqué,
c'est un arrêt de mort à cette
époque-là.
RÉJEAN THOMAS
Oui, c'est un arrêt de mort.
Je me souviens, on s'implique.
Avec mon collègue, le Dr
Olivier, on va faire des soins à
domicile. On fait à peu près de
tout. De la vraie médecine
familiale...
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais de la grosse
médecine familiale.
RÉJEAN THOMAS
Oui, puis des soins
palliatifs. Puis on fait
beaucoup du psychologue, du
travailleur social. C'est très
pénible. Les années 90 à 96,
c'est très, très lourd. On perd
beaucoup de nos patients.
On perd aussi des amis, des
collègues, des employés.
Moi, j'ai perdu au moins quatre
médecins avec qui j'ai
travaillé, qui sont morts du
sida. Donc, ça, c'est l'autre
réalité que les gens connaissent
un petit peu moins autour de
notre vie. Le soir, à la maison,
le téléphone sonne, c'est à peu
près tout le temps ça. C'est une
période très, très difficile. Ce
qui nous a sauvés avant
l'arrivée de la trithérapie,
parce que ça, ça va complètement
changer notre vie, c'est
beaucoup la solidarité qu'il y
avait dans l'équipe soignante.
On va chercher des médecins.
C'est difficile de recruter des
médecins, mais on va chercher
des médecins, qui sont encore
ici aujourd'hui. Je dirais que
c'est ma plus grande fierté, qui
sont aujourd'hui, après 20-25
ans encore à l'Actuel, et qui
ont vécu cette période-là. Et on
a une solidarité entre nous, le
personnel, les médecins, le
personnel clérical, tout ça, y a
quelque chose qui nous lie. Ça,
ça va être notre bouée de
sauvetage. On pleure souvent.
GISÈLE QUENNEVILLE
Je comprends.
Y a eu l'arrivée de la
trithérapie, qui a vraiment
changé les choses, qui fait en
sorte qu'aujourd'hui, la maladie
est traitable.
RÉJEAN THOMAS
Ouais.
GISÈLE QUENNEVILLE
On peut pas la guérir, mais
elle est traitable.
Expliquez-nous d'abord qu'est-ce
que c'est la trithérapie. On
entend souvent ça, mais qu'est-
ce que c'est?
RÉJEAN THOMAS
Puis je pense qu'il faut
revenir à la base, le sida, le
VIH, etc. Alors, le sida, c'est
le syndrome d'immunodéficience
acquise.
Ça veut dire qu'on savait pas à
l'époque que c'était causé par
un virus.
Et on s'est aperçus qu'il y a
des gens dont le système
immunitaire s'effondrait et
faisaient des infections rares
et cancers rares. Alors, le
sarcome de Kaposi dont on
parlait tantôt, c'était de
quelque chose qu'on avait jamais
vu à peu près en Amérique du
Nord, en Occident. Donc, ça,
c'était le sida. En 1981,
premier cas de défini.
GISÈLE QUENNEVILLE
(acquiesçant)
Hum hum.
RÉJEAN THOMAS
Après ça, en 1983, on découvre
que c'est causé par un virus,
qu'on va appeler le VIH.
Donc, le virus détruit le
système immunitaire après 10-15-
20 ans. Alors, tous les premiers
malades du sida, c'est des
malades qui sont donc infectés
depuis longtemps.
Et là, en 1996, en fait, on
commence à traiter avec des
antiviraux, un petit peu au
début des années 90, l'AZT,
apparaît le 3TC. Et en 96, la
première étude démontre qu'avec
trois médicaments, donc une
trithérapie, qui attaquent le
virus à différents endroits, on
est capable de contrôler le
virus. Et donc, d'empêcher cet
effondrement du système
immunitaire. Alors, c'est
vraiment ça, la trithérapie.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais là, la trithérapie a
complètement changé la vie des
personnes qui étaient atteintes
de la maladie.
RÉJEAN THOMAS
Totalement. Et des soignants.
Alors, nous, du jour au
lendemain, on voyait des
miracles à tous les jours.
Non, non, on voyait des
miracles. Moi, je me souviens,
un de mes patients, qui venait
d'Ontario, qui était venu mourir
au Québec. Il pesait 80 livres.
Il avait 30-40 diarrhées par
jour. Il était en chaise
roulante. La trithérapie est
arrivée, on a commencé et, du
jour au lendemain, il s'est
remis prendre du poids, plus de
diarrhée. Donc, lui, il était
convaincu que c'était moi qui...
GISÈLE QUENNEVILLE
C'était un miraculé.
RÉJEAN THOMAS
Oui, il était parti de Toronto
et c'était moi qui faisais des
miracles. Mais...
alors là, on voyait ça comme...
c'était incroyable.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais là, avec l'arrivée de la
trithérapie, y a également eu un
effet pervers, dans un certain
sens, parce que maintenant, on
se dit: maintenant, on peut
traiter cette maladie-là. Donc,
on s'y inquiète moins.
RÉJEAN THOMAS
Alors, ce que ça fait, c'est
différentes choses. D'abord, on
n'en parle plus dans les médias.
Ou très rarement lors du Congrès
mondial du sida, qui a lieu aux
deux ans. Là, on va en parler un
petit peu, puis on va faire une
espèce de mise à jour. Donc, les
jeunes connaissent moins la
maladie, ont l'impression que
c'est une maladie de vieux. Et
ce que ça a fait, ça a eu
l'effet complètement paradoxal
de dire chute de la baisse...
baisse des comportements sexuels
sécuritaires, et réapparition
donc des épidémies de maladies
transmises sexuellement, comme
la gonorrhée, la chlamydia, la
syphilis. Un exemple, la
syphilis qui avait presque
disparu de la carte.
Au Québec, en 98, y a eu trois
cas de syphilis. C'est une
maladie qu'on était en train
d'éliminer. Aujourd'hui, y a à
peu près 500 cas de syphilis par
an.
GISÈLE QUENNEVILLE
(acquiesçant)
Hum...
RÉJEAN THOMAS
Au Québec. Puis c'est la même
chose dans les autres grandes
villes. Moi, c'est ça que je
trouve qui est la déception de
ne pas investir.
Parce qu'on pourrait prévenir.
Y a des pays qui réussissent,
parfois avec moins d'argent puis
plus de créativité. Nous autres,
on investit. Accès aux
traitements, on a un bon accès.
Accès aux soins, on a un bon
accès. Mais prévention, on
est...
GISÈLE QUENNEVILLE
Parlons de prévention. Parlons
de ces jeunes qui comprennent
pas ou qui ne se rendent pas
compte de la gravité de cette
maladie.
RÉJEAN THOMAS
Aussi.
GISÈLE QUENNEVILLE
Comment changer ça? Est-ce que
ça commence très jeune?
Dans les écoles?
RÉJEAN THOMAS
Bien, c'est clair que le
problème... Au Québec, je
connais pas en Ontario ou dans
les autres provinces, au Québec,
le cours d'éducation sexuelle a
disparu en 2003 dans les écoles.
Et nous, on voyait en clinique.
On disait: « Il se passe de
quoi. » On voit du VIH chez les
jeunes, la syphilis, on n'en
voyait plus. On voyait en
clinique qu'il se passait
quelque chose, que les
comportements... La norme qui
était, avant, d'utiliser le
condom: les gens étaient gênés,
avant, de nous dire qu'ils
avaient des relations sans
condom. Depuis 5 ans, 10 ans, on
voyait que les gens n'étaient
plus gênés, puis que la norme
n'était plus le condom. Donc, on
savait que sur le terrain, comme
un bon clinicien de terrain,
qu'il se passait de quoi. Puis
la Santé publique aussi voyait
bien apparaître des gonorrhées
résistantes à la pénicilline,
toutes sortes de choses.
Mais là, on n’a pas réagi. La
prévention, c'est simple et
compliqué à la fois. D'abord, y
a pas une recette miracle.
Les gens me disent toujours: « Si
vous aviez les moyens, quelle
campagne publicitaire vous
feriez? » Y en a pas une.
Donc, y aurait fallu continuer
de faire toutes sortes de
campagnes. Peu importe la
campagne.
De faire comprendre peut-être
les réalités: oui, y a des
traitements aujourd'hui, mais si
j'ai 18 ans, je le vois à la
clinique. J'ai 18 ans,
j'apprends que je suis
séropositif. Le jeune, je lui
dis quoi? Il me demande: « Est-ce
que je continue d'aller à
l'école?
Est-ce que je peux devenir
médecin? » Une fille: « Est-ce que
je peux devenir infirmière? Est-
ce que je vais pouvoir avoir des
enfants?
Comment je vais me faire une vie
amoureuse? » Donc, toute sa vie
sociale, elle est pas détruite,
parce que je pense qu'il faut...
mais c'est très, très grave.
Donc, différentes campagnes, de
l'éducation sexuelle, le plus
tôt on commence, le mieux c'est.
Les pays suédois, nordiques nous
l'ont démontré. Eux autres, ils
font vraiment l'éducation
sexuelle très, très, très tôt.
Et ils ont moins de problèmes
d'infections transmises
sexuellement, moins de VIH,
moins de grossesses non
désirées. Alors, y a pas de
recette miracle. Mais pour ça,
il faut de l'argent.
GISÈLE QUENNEVILLE
Bien voilà. On y arrive.
RÉJEAN THOMAS
C'est pas gratuit.
GISÈLE QUENNEVILLE
Revenons justement au
financement. Bon, vous avez
parlé tantôt du financement qui
provient des gouvernements, qui
a pas augmenté puis qui stagne.
RÉJEAN THOMAS
Qui est stable depuis 30 ans à
peu près.
GISÈLE QUENNEVILLE
Je me souviens, à l'époque,
années 90, le secteur privé
était très impliqué avec des
galas, des campagnes
financement, etc. Est-ce que ça,
ça a été complètement effacé?
RÉJEAN THOMAS
Pas complètement, mais tous
les organismes communautaires
vous le diront... regardez la
Marche Farha, qui avait à
Montréal, la Fondation Farha
quand même très impliquée dans
la lutte au sida depuis
probablement bientôt 20 ans, y
avait 20 000, 25 000 personnes
qui marchaient à l'époque.
L'an passé, je sais pas s'ils
ont eu 3000, 4000, 5000.
Bon, puis ça, c'est des gens qui
marchent, mais aller chercher
des fonds? Parce que là, on
tombe dans une autre phase. Le
sida, ce n'est plus une maladie
importante. Ça reste une maladie
très liée à la sexualité. Ça
reste une maladie que vous avez
peut-être couru après. Parce que
là, les malades du sida, dans
les années 80, on leur a
pardonné. C'était une maladie
qui existait pas. Donc, le sida,
ce n'est plus une maladie qui
est populaire. Y a très peu de
compagnies qui s'associent
aujourd'hui au sida. Parce que
je pense qu'on la voit comme une
maladie encore reliée à la
sexualité.
Donc, liée aux drogues, et pour
laquelle, en plus, y a des
traitements et que les
gouvernements paient. Très
difficile de recueillir des
fonds aujourd'hui pour la lutte
au sida.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais y a quand même eu des
bonnes nouvelles. Y a cet homme
qui a été guéri du sida, ce
miraculé.
RÉJEAN THOMAS
Ouais.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce qu'on se dirige vers
une guérison de la maladie ou
est-ce qu'on est encore trop
loin?
RÉJEAN THOMAS
Bon, je pense qu'il est
important de dire qu'il y a eu
de très bonnes nouvelles. Ça
reste une maladie complexe,
grave. Je trouve qu'en 30 ans,
on a fait des avancées
incroyables. Normalement, il n'y
a plus d'enfants qui naissent,
dans les pays riches, avec le
VIH. Donc, on a réussi à
contrôler ça. Aujourd'hui, les
patients sous traitement, on l'a
dit, vivent une vie normale
presque. Les patients sous
traitement ne peuvent plus
transmettre le VIH, en plus.
Presque sûr, sauf exception.
On a fait des grandes percées
dans ça, mais le VIH est
toujours une maladie chronique,
et ça agace bien de nos patients
à cause de la stigmatisation.
C'est pas juste à cause de la
pilule. Ils aimeraient ça
revenir séronégatif et ne plus
avoir à vivre cette
stigmatisation.
C'est parce que c'est là où on a
fait le moins d'avancées. On a
fait beaucoup d'avancées
scientifiques et très peu au
niveau stigmatisation. Et là,
tout d'un coup, on ne parlait
plus de la guérison. Tout d'un
coup, depuis quelques années,
arrive ce cas très intéressant.
Donc, un homme qui fait une
espèce de cancer. On sait qu'il
y a une partie de la population,
à peu près 1 %, qui ne peut pas
contracter le VIH. Une mutation
génétique, peu importe, reliée à
un gène.
Et là, ces médecins allemands
ont une idée brillante: de lui
faire une greffe de la moelle
osseuse pour guérir son cancer.
Et, en même temps, de prendre
pour cette moelle osseuse, un
donneur qui a cette mutation
génétique. Et là, oups!
Le patient guérit.
GISÈLE QUENNEVILLE
(acquiesçant)
Hum hum.
RÉJEAN THOMAS
Guérit de son cancer, du sida.
Depuis 5 ans, il n'a plus aucun
traitement. Son système
immunitaire se rétablit et il
est devenu séronégatif. Donc,
c'est le seul cas dans
l'histoire. Mais y a d'autres
cas, au dernier Congrès mondial,
qui commencent aussi à
apparaître. Mais ce qui est
intéressant pour nos malades, et
l'espoir que ça donne à nos
malades, c'est qu'on revient à
cette notion-là de dire: « Est-ce
qu'on peut essayer de trouver
des guérisons? » Et dans les
derniers congrès, y a même deux
ou trois jours précédant le
congrès où les plus grands
experts du monde se réunissent
pour réfléchir à une cure, une
guérison. Donc, pas juste le
traitement. Et donc, c'est
beaucoup d'espoir, je pense,
pour nos malades.
GISÈLE QUENNEVILLE
J'aimerais qu'on parle un peu
de vous maintenant. Vous, vous
êtes identifié comme un médecin,
un Montréalais.
RÉJEAN THOMAS
Ouais.
GISÈLE QUENNEVILLE
Pourtant, vous êtes né, vous
avez grandi au Nouveau-
Brunswick, à Tracadie.
RÉJEAN THOMAS
à Tilley Road.
GISÈLE QUENNEVILLE
En plus.
RÉJEAN THOMAS
(riant)
La dernière maison du rang.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce qu'il y avait quelque
chose dans votre jeunesse qui
présageait une carrière en
médecine, spécialisation en MTS,
sida, etc.?
RÉJEAN THOMAS
Bien, d'abord, en médecine,
j'ai toujours voulu devenir
médecin. Mais y avait pas de...
J'étais pas sûr que ça allait
être possible.
Parce que je venais d'un milieu
ouvrier, mon père est
charpentier, ma mère travaillait
pas ou un petit peu quand
j'étais jeune, dans les shops à
poisson, à Shippagan. Je venais
d'un milieu quand même
relativement pauvre, où on se
vante pas qu'on veut devenir
médecin ou avocat, sinon, on a
l'air très vantard. Mais, en
même temps, j'aimais l'école de
façon incroyable, et j'étais bon
à l'école. Tout de suite, on
devient un petit peu les
chouchous des profs. Et les
profs savent reconnaître un peu
ces enfants, qui ont...
ailleurs, partout dans le monde,
peu importe le milieu qui ont...
peut-être un intérêt, en tout
cas, ou vont bien évoluer. Alors
moi, et je sais pas pourquoi,
c'est la médecine qui
m'intéressait. Y avait de la
maladie dans ma famille.
De la maladie chronique.
Est-ce que ça serait un rêve
d'enfant de guérir ses parents?
Si on psychanalyse, je pense
qu'on pourrait dire qu'il y
avait un peu de ça,
probablement.
GISÈLE QUENNEVILLE
(acquiesçant)
Han-han.
RÉJEAN THOMAS
Quant à la sexualité, dans le
fond, ce qu'il y avait derrière
ça, puis que j'en parlais pas,
puis qui faisait partie de ma
vie, c'est que j'étais gai.
GISÈLE QUENNEVILLE
Puis je peux juste essayer de
m'imaginer à quoi ressemblait
votre adolescence dans ce petit
village de pêcheurs, au Nouveau-
Brunswick.
RÉJEAN THOMAS
C'est un peu l'enfer, quoique
je regarde aujourd'hui, c'est
incroyable comment les gens sont
ouverts dans ce petit village,
la ville de Tracadie.
Je suis impressionné par
l'ouverture des gens face à
l'homosexualité. Mais à
l'époque, c'était autre chose.
Y avait toute la religion aussi.
Moi, je viens d'un milieu très
religieux. Mon père était très
croyant. Toute la question de la
religion face à l'homosexualité
ou à la sexualité en général.
J'ai eu la chance d'avoir une
mère pas trop religieuse, fait
qu'elle, elle nous poussait de
l'autre bord. Mais on était dans
un milieu très politisé aussi.
Donc, toute la question de la
stigmatisation, je pense, qui va
s'associer, je suis gai, en
plus. Mais j'ai des années avant
de le dire. Parce que je voulais
pas être reconnu comme un
médecin qui s'occupe du sida
parce que j'étais gai. Je
voulais être reconnu pour mon
expertise. Parce que j'étais
bon, que c'était important pour
moi, pas parce que c'est gai,
c'est normal. La plupart des
médecins gais que je connais
s'occupent pas du sida, hein,
soit dit en passant. Mais il y
avait de ça dans mon
cheminement. Donc, par rapport à
ça, je pense que la question de
la maladie, de la pauvreté, va
venir me rejoindre dans la lutte
au sida. C'est comme ça que je
vais aussi m'impliquer avec
Médecins du monde Canada.
Je viens d'un milieu ouvrier,
j'aurais... Tu sais, moi, je
suis chanceux d'être médecin,
content d'être médecin. Pour
d'autres jeunes qui viennent
d'un milieu plus... c'est normal
pour eux d'être devenus
médecins. Moi, c'était comme
wow! Un privilège. Et j'avais
une mère spéciale, qui avait
très peur que je m'embourgeoise
et qui disait toujours:
« J'espère que t'oublieras jamais
tes origines, d'où tu viens. »
Donc, j'ai toujours eu ce
sentiment relié à la question
aussi, dans le fond, de...
médecine et de santé
communautaire ou
populationnelle. Le lien entre
la pauvreté et la maladie.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et par la suite, vous êtes
devenu également fondateur de
Médecins du monde Canada.
Je vois le rapprochement entre
le sida et le travail
humanitaire, communautaire.
Qu'est-ce que ça vous apporte à
vous, ce travail?
RÉJEAN THOMAS
En fait, c'est en 1996, c'est
un parcours un peu particulier.
J'étais candidat aux élections,
on sort d'une campagne, j'ai été
candidat aux élections, j'ai
perdu mes élections, et je me
fais nommer conseiller à
l'action humanitaire. Et moi,
j'avais pris deux-trois mois de
congé de clinique, et là, je me
retrouve, du jour au lendemain,
un peu sans travail. Bon, je
peux revenir à la clinique, la
clinique est là. Et là, on
m'offre ce poste-là. J'ai fait
ça pendant un an un peu, mais
c'était trop bureaucratique.
Mais c'est là que j'ai connu
Médecins du monde.
Je suis allé à une conférence à
Jérusalem, où médecins juifs et
palestiniens essayaient de
travailler ensemble.
Dans le contexte qu'on connaît,
qui a pas beaucoup changé,
malheureusement. Et ça, ça m'a
fait comme wow! J'avais trouvé
ça... c'était génial. Donc, j'ai
quitté l'action humanitaire, mon
poste bureaucratique, je suis
revenu travailler à l'Actuel, et
j'ai fondé une petite
organisation à l'époque, qui
était Médecins du monde Québec,
pendant trois ans.
Et qui va devenir Médecins du
monde Canada. Et là, ça a été
une expérience... j'ai fait ça
pendant 10 ans. J'ai été
président pendant 10 ans.
J'ai fait beaucoup de levées de
fonds, aller appeler les amis,
mais aussi aller en Haïti. J'ai
beaucoup travaillé en Haïti.
Faire un projet de prévention du
sida chez les femmes enceintes à
Cité Soleil.
Et là, de partir de zéro, parce
que tu sais pas, d'apprendre
avec les autres cultures.
Je suis allé au Zimbabwe, un
projet sur les orphelins du
sida. Je suis allé en Iran, en
Afghanistan. Donc, ça a été
extraordinaire vraiment comme
découvertes avec la médecine. Je
suis sorti un peu du sida aussi,
quoique j'avais pris un peu en
charge le dossier du sida dans
l'organisation Médecins du monde
international.
Mais aussi d'autres choses, et
ça a été extraordinaire. J'ai
fait ça pendant 10 ans.
GISÈLE QUENNEVILLE
Je vous entends parler, puis
je me dis: Voilà quelqu'un qui
veut faire une différence dans
le monde. Et vous l'avez fait
par l'entremise du sida, de
Médecins du monde.
Et jusqu'à un certain point,
votre tentative en politique,
c'était sans doute un peu ça.
Vous y avez fait allusion
tantôt: vous avez été candidat
pour le PQ, et après ça, y a
l'ADQ de Mario Dumont...
RÉJEAN THOMAS
Oui,
mais j'y suis pas allé.
Il m'a approché.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est ça.
RÉJEAN THOMAS
Tout le monde m'a approché.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que vous avez mis une
croix sur une carrière politique
éventuelle?
RÉJEAN THOMAS
Ouais... c'est sûr que j'aime
beaucoup la politique. J'ai
écouté de façon passionnée...
Y a fallu que je débarque de
Facebook aussi, parce que je me
chicanais. La politique, c'est
quelque chose que je trouve
important. Mais là, honnêtement,
c'est pas de quoi qui
m'intéresse. Je trouve que
Françoise David, dans le débat
des chefs, entre autres, a donné
une bonne vision de la lutte
dans la santé. La santé, c'est-
à-dire que c'est la lutte à la
pauvreté. Ça commence là, on l'a
dit tantôt, avec les enfants.
Les enfants malades, ils ont
besoin de parents en santé
aussi. Donc, tous ces liens-là
m'intéressent. Mais j'ai pas
l'impression que...
mais on peut jamais dire.
Mais j'ai pas l'impression que
je vais en faire.
GISÈLE QUENNEVILLE
Eh bien, Réjean Thomas, merci
beaucoup pour cette entrevue.
Merci aussi pour tout votre
travail.
RÉJEAN THOMAS
Merci à vous.
(Générique de fermeture)
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