

Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Vidéo transcription
Daniel Lavoie, auteur-compositeur-interprète
Daniel Lavoie, auteur, compositeur, interprète et comédien parle de ses 36 ans de carrière avec beaucoup de réalisme et d’humour.
Réalisateurs: Francis Lussier, Marie Léveillé
Année de production: 2012
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Début générique d'ouverture
[Début information à l'écran]
Carte de visite
[Fin information à l'écran]
Fin générique d'ouverture
L'ANIMATRICE GISÈLE QUENNEVILLE fait une courte présentation biographique de DANIEL LAVOIE.
GISÈLE QUENNEVILLE
Bienvenue à l'émission.
Daniel Lavoie, vous le connaissez,
grand chanteur, comédien et
écrivain par moments. Il a grandi
au Manitoba, mais s'est installé
au Québec pour lancer
sa carrière musicale.
Et du succès, il en a eu.
Vingt-deux albums en 36 ans.
De nombreux prix, autant ici
qu'en Europe. Il est connu au Canada,
en France, en Belgique et
ailleurs dans le monde
francophone, mais aussi au Brésil,
au Portugal et en Russie.
Il a fait carrière sur scène,
dans Notre-Dame-de-Paris
et dans Le Petit Prince, et il a
eu également un succès au grand
et au petit écran.
Difficile de résumer la carrière
et la vie de Daniel Lavoie en
une demi-heure, mais on va
essayer ce soir, à Carte de
visite.
(GISÈLE QUENNEVILLE rencontre DANIEL LAVOIE chez lui, à l'extérieur d'une petite maison de campagne. Au cours de l'entrevue, quelques photos d'archives viennent appuyer le propos.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Daniel Lavoie, bonjour.
[DANIEL LAVOIE:] Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
En novembre 2011, vous avez
lancé, je crois, votre 22e album.
DANIEL LAVOIE
Était-ce bien le 22e?
Ça se peut.
GISÈLE QUENNEVILLE
En 36 ans de carrière, 22 albums,
c'est pas peu dire.
Comment le 22e se compare-t-il
au premier?
DANIEL LAVOIE
Il y avait quelques chansons
qui étaient pareilles, en fait une.
Et... C'est à peu près la seule chose,
vraiment, parce que... c'était
d'abord un... c'était quasiment
un retour sur ma vie, alors que
l'autre, c'était le départ.
Euh... quoi dire de plus?
GISÈLE QUENNEVILLE
La démarche était la même?
DANIEL LAVOIE
Non, la démarche était
certainement pas la même.
La première fois qu'on fait un
album, on y arrive avec une âme
pure et des grands espoirs et...
la certitude qu'on va réussir du
premier coup et que ça va être
beau, et que la vie est belle,
et que le métier est merveilleux.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est pas comme ça?
DANIEL LAVOIE
Et puis quand on fait un
21e... vous avez bien dit 21e?
GISÈLE QUENNEVILLE
Vingt-deuxième.
DANIEL LAVOIE
Vingt-deuxième, on sait que...
y a certaines choses de ce que
je viens de vous dire qui sont
vraies et d'autres qui sont fausses,
et que d'autres sont peut-être,
et que, finalement, on a pris
beaucoup de recul, avec les années,
sur ce métier-là. Et puis euh...
c'est un petit peu d'ailleurs ce
que je voulais faire avec cet
album-là, un petit recul.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez commencé votre
carrière dans les années 70.
Votre premier album... pas un
grand succès, le deuxième non
plus. En 1979, par exemple,
« Nirvana bleu » a connu un grand
succès. Et par la suite, en 83,
c'était « Tension Attention »,
qui a connu succès fulgurant.
Qu'est-ce qu'il y avait dans cet
album-là qui était différent des
autres?
DANIEL LAVOIE
Beaucoup de choses, je crois.
Y avait pas juste... Y avait,
d'abord et avant tout, deux-
trois chansons qui ont été des
gros hits. C'est ça que ça prend,
on s'en sort pas; la seule façon
de réussir dans ce métier-là,
c'est d'avoir une toune ou
deux tounes qui marchent,
que toutes les radios jouent
et dont tout le monde parle,
et qui font que les gens
se précipitent au magasin pour
acheter le disque. C'est le
secret du succès et ça marche
depuis toujours, et je pense que
ça va continuer à marcher. Ce
qu'il y avait peut-être de
particulier ou ce qui a fait que
cet album a eu plus de succès
que les autres, c'est que je
m'étais donné la peine de...
de faire une réelle démarche
différente de ce qui se faisait
à l'époque. C'est-à-dire que
j'étais parti avec mon gérant,
en Angleterre, on avait été
rencontrer un réalisateur
de disques anglais, qui
venait de se taper un gros,
gros hit sur le monde international,
à l'époque. On avait osé
lui demander combien
il nous chargerait pour faire un
album, et puis après ça,
on avait hypothéqué tout ce qu'on
avait pour le payer et se payer
cet album-là, parce que... pour
nous... très conscients du fait
que la compétition était pas
tellement du Québec, mais de
l'extérieur du Québec. Parce que
tout le monde, à l'époque,
jouait quand même de plus en plus
de la musique qui venait d'ailleurs...
on se voyait confrontés à
des disques qui coûtaient
des fortunes et qui sonnaient
vraiment très, très bien,
avec nos petits budgets
québécois, avec lesquels on
pouvait pas faire grand-chose.
Et donc, on avait pensé que la
solution était dans la réalisation.
Et ça s'est avéré vrai,
parce que le disque a marché
autant partout. Parce que,
vraiment, ç'a été un succès
peut-être pas international,
mais presque. Parce que,
« Ils s'aiment » a été un
gros hit dans beaucoup de pays
d'Europe, en Russie, en Pologne,
dans tous les pays de l'Est.
Au Liban, en France, en Belgique
évidemment, au Québec aussi.
Et donc ça m'a comme ouvert le
monde.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'était un bon investissement
en bout de ligne.
DANIEL LAVOIE
En bout de ligne, ça s'est
avéré un très bon investissement,
ça a certainement changé ma vie,
et ça m'a permis de voir le métier
différemment, c'est clair.
GISÈLE QUENNEVILLE
Où est-ce que vous puisez
votre inspiration pour votre art?
Et est-ce que ça a changé
au fil des ans?
DANIEL LAVOIE
Je la puise dans moi, en
quelque part, dans... l'émotion
que j'ai à regarder le monde vivre,
dans la façon dont les autres
me font vibrer puis dans la façon
dont je réagis au monde.
Et ça donne parfois des
très bons résultats, et ça donne
parfois des résultats plus mitigés.
C'est certain qu'on n'écrit pas
souvent des grandes chansons...
malheureusement.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce qu'on sait quand on
écrit une grande chanson?
Est-ce qu'on le sait à l'avance?
DANIEL LAVOIE
Non. J'ai jamais vraiment su
quand j'avais fait une chanson
qui plairait à tout le monde.
Parce que je suppose que
c'est ça qu'on appelle une
grande chanson. Parce qu'il y a
certaines de mes chansons qui
n'ont jamais eu aucun succès et
que je considère des très bonnes
chansons, mais qui n'ont jamais
marché, qui n'ont jamais joué à
la radio puis que personne
connaît. Et il y en a d'autres...
que je trouve des chansons
minables et qui ont marché
énormément. Et quand je
vais chercher un trophée pour
des chansons comme celles-là, je
suis presque gêné. Mais, en même
temps, j'ai pas le droit d'être
gêné parce que c'est les gens
qui l'ont choisie. Donc c'est
difficile de faire... la part
des choses. Y a pas de secret
pour faire un hit, et s'il y en
avait un, bien évidemment, tout
le monde le ferait parce que le
secret serait sorti depuis longtemps.
Avec l'internet, maintenant,
tout se sait.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous faites de la musique,
mais vous avez également
fait du cinéma. Vous avez fait
de la télévision il y a pas
si longtemps en incarnant
le rôle de Félix Leclerc.
Est-ce que c'est quelque chose
auquel vous aspiriez quand vous
étiez jeune, de devenir comédien?
DANIEL LAVOIE
Absolument pas. à chaque fois
qu'on m'a proposé de faire du
cinéma, j'ai dit : « Ouais?
Pourquoi? Pourquoi moi? »
Je me suis jamais vu acteur,
j'ai jamais pensé que j'avais
ce qu'il fallait, mais j'ai dit:
« S'ils sont assez fous pour
m'engager, je suis assez fou
pour dire oui. » Et c'est un petit
peu ce qui s'est passé à chaque
fois, finalement.
Et je me suis ramassé dans des
tournages parfois...
fascinants, intéressants.
Comme celui que j'ai fait
avec Claire Bloom,
« The book of Eve », qui pour
moi, a été probablement le
tournage le plus intéressant
que j'ai fait.
Parce que je travaillais avec
une grande comédienne anglaise,
qui avait une expérience immense,
qui connaissait tout le monde
et qui... m'a un petit peu pris
sous son aile, qui a eu un peu
pitié de moi, finalement, et
qui... et qui m'a beaucoup aidé,
et avec qui j'ai eu un fun fou,
vraiment. J'ai vraiment eu
beaucoup de plaisir à tourner ce
film. C'est peut-être le seul
film dans lequel j'ai eu du
plaisir à tourner. Les autres,
j'ai trouvé ça fastidieux,
long... J'ai jamais... je
comprends pas trop les acteurs
de cinéma qui aiment ça parce
que... c'est long, c'est plate,
t'attends...
J'ai déjà raconté cette
histoire-là. J'aime beaucoup...
je préfère de loin la chanson où
je suis toujours actif, je
travaille toujours à quelque
chose. Il y a une matière dans
tes mains puis tu y travailles,
puis t'essaies d'avoir quelque
chose. Au cinéma, t'es pris puis
t'es... t'es pogné pour faire ce
que dit tout le monde de faire,
puis d'avoir l'air ce que le
cameraman décide que t'as l'air.
Et puis finalement, en bout de
ligne, c'est jamais tout à fait
ce qu'on voulait.
C'est pas quelque chose qui
m'attire particulièrement.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais il y a eu les comédies
musicales.
DANIEL LAVOIE
Ça, c'est autre chose.
GISÈLE QUENNEVILLE
Entre autres, Notre-Dame-de-Paris.
Et ça, j'imagine, en quelque part,
ça marie la scène, la musique
et le petit côté comédien également.
Notre-Dame- de-Paris a connu
un succès fou, autant au Québec
qu'en France et à Londres également.
Comment vous avez vécu ça?
DANIEL LAVOIE
Écoute, un grand succès,
c'est toujours le fun.
Gérer le succès, c'est beaucoup
plus facile à gérer que... le bide.
GISÈLE QUENNEVILLE
Tout à fait.
DANIEL LAVOIE
Ça, c'est certain. Euh...
on a tous vécu ça de façon...
très intense. Heureusement,
on était sept, on le vivait tous
ensemble. Donc on le vivait un
peu en gang, comme une équipe
de football, si tu veux. Donc on
avait des gens avec qui parler
puis avec qui partager ça.
Et donc, ça rendait la chose
beaucoup plus facile à vivre que
quand j'ai connu le succès avec
« Ils s'aiment », par exemple,
où j'étais... je me sentais seul
au monde.
J'étais... même mon gérant,
j'arrivais pas à... lui faire
confiance parce que j'avais
l'impression que tout le monde
était après moi. Mais dans une
comédie musicale, étant
plusieurs personnes ensemble,
comme ça, ça se vit autrement,
complètement.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez fait des tentatives
en anglais, et finalement,
ça a jamais vraiment marché.
Comment est-ce qu'on explique ça?
Pourtant, vous êtes bilingue.
DANIEL LAVOIE
Probablement parce qu'il y
avait pas le gros hit. Et puis,
au moment où j'ai eu une chanson
qui semblait vouloir se démarquer,
comme ça, j'ai eu des énormes
problèmes de gérance et
d'administration qui ont fait
que ça a un petit peu mis des
bâtons dans les roues.
En même temps, j'y ai jamais
vraiment mis tout mon coeur,
à savoir que... je faisais ça
entre-temps. Parce que la
carrière française marchait
beaucoup puis je travaillais
tout le temps là, j'étais
toujours en tournée, j'étais
en France, j'étais au Québec...
Donc la partie... anglophone,
qui est quand même un autre
volet complètement différent
et auquel il faut quand même
s'attarder pour que ça marche...
Et puis voyons, peut-être que je
plaisais pas aux Anglais,
tu sais, c'est peut-être aussi
niaiseux que ça. Tu sais, je me
suis jamais posé la question
trop, trop. C'est juste que,
à un certain moment, j'ai...
j'avais été travailler à Los Angeles,
je travaillais sur un album anglais
à l'époque, et puis j'avais une chanson
qui était passée par hasard,
par miracle, sur une émission qui
s'appelait « General Hospital »,
qui était un soap...
GISÈLE QUENNEVILLE
Un téléroman...
DANIEL LAVOIE
Un soap américain, carrément
un soap. Et ça avait eu un succès fou.
Du jour au lendemain, les téléphones
ne dérougissaient pas, une maison
de disques voulait me signer,
c'était parti! Puis j'ai commencé
à voir comment ça marchait
le business là-bas, puis je
me suis dit: « Hum... je pense
que je vais laisser ça à
René Angelil. »
Parce que je me suis senti
vraiment... mal à l'aise dans
cette faction de fonctionner.
Et j'ai décidé... d'ailleurs,
à ce moment, d'ailleurs, j'ai tout
laissé tomber d'anglophone
et j'ai décidé de revenir
complètement en français.
J'ai arrêté de faire des disques
anglais et... c'était pas
vraiment de l'amertume
ou du rire jaune, c'était vraiment
parce que j'avais envie de faire
une chose comme il faut plutôt
que d'essayer de faire plusieurs
choses mal.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous êtes né, vous avez grandi
au Manitoba, dans un petit
village de Dunrae, qui est au
sud de Brandon...
DANIEL LAVOIE
Sud-ouest de Brandon, oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Décrivez-nous Dunrae.
DANIEL LAVOIE
Dunrae, c'est... sept, huit rues,
avec une grande rue principale
qui part de la route,
puis qui s'en va vers la campagne.
C'est un petit village de...
Mon Dieu. Maintenant, de peut-
être 50 personnes. Mais quand je
grandissais, c'était un village
encore vivant, y avait encore
des familles, beaucoup de familles,
des enfants, donc une école...
une église, un presbytère...
un couvent, puis quelques
garages, donc tous les services
d'un petit village, même s'il y
avait peut-être 250 habitants.
Et c'était un petit village,
à moitié francophone, en plus,
à moitié anglophone.
Moitié-moitié. C'était vraiment
divisé: des Écossais puis des
Irlandais, puis des Canayens-
Français qui cohabitaient...
en paix et sans trop de friction.
Y en avait quand même un peu.
On a beau se cacher, mais mon père,
souvent, il revenait des comités
d'école en traitant certaines
personnes d'orangistes puis de
têtes carrées.
GISÈLE QUENNEVILLE
Tout le monde était dans la
même école?
DANIEL LAVOIE
Tout le monde était dans la
même école, oui. Même qu'on
avait droit, nous, à l'époque,
on avait droit à 45 minutes de
français par jour, dans une
classe de quatre grades. Donc
c'était à peu près dix minutes
de français chacun. Puis avec
ça, on était supposé de rentrer
dans les collèges classiques et
connaître notre grammaire,
notre orthographe puis notre
littérature française. Mais y en
a quelques-uns d'entre nous
qui l'avons fait.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous venez d'une famille musicale?
DANIEL LAVOIE
Non, je suis pas d'une famille
très musicale, je suis d'une
famille qui adore la musique,
plus des amateurs de musique,
que des musiciens.
Euh... autant du côté de ma mère
que de mon père, mais tout le
monde, y en avait pas vraiment
qui avaient jamais, je crois...
à part ma mère qui rêvait d'être
chanteuse, mais qui n'avait
jamais eu la chance d'étudier...
De devenir musicien dans la
famille, j'étais le premier.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez été obligé de
quitter Dunrae pour le
pensionnat, finalement?
DANIEL LAVOIE
Je suis parti au collège des
Jésuites quand j'avais 14 ans ou
13 ans, étudier à St-Boniface,
qui était quand même
à 250 kilomètres de Dunrae.
Et puis, bon, j'ai découvert
la grande ville, puis j'ai découvert
le grand monde.
Et puis, à travers les Jésuites,
j'ai découvert la vie puis...
tout ce qui se passait dans la
littérature puis dans...
dans l'histoire et dans le monde.
Et je ne suis plus souvent
retourné à Dunrae après ça.
J'ai un petit peu décroché.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez formé un groupe
musical à l'époque qui
s'appelait, je crois,
« Dieu de l'amour vous aime »?
C'est pour vrai, ce nom-là?
DANIEL LAVOIE
En fait, c'est vrai, oui.
C'est fou, hein, je suis encore
un petit peu gêné quand les gens
m'en parlent.
GISÈLE QUENNEVILLE
Moi, j'ai relu deux fois pour
m'assurer que j'avais bien compris.
DANIEL LAVOIE
Quand les gens m'en parlent,
45 ans plus tard. En fait, c'est
une histoire un peu cocasse.
Il y a un manager, un gérant
québécois, qui était venu à la
recherche d'un groupe manitobain
pour remplir un contrat
d'un groupe qui s'appelait
« Dieu de l'amour vous aime »,
qui avait « disbandé »,
qui n'existait plus.
Mais il y avait toute une série
de contrats, apparemment,
si on voulait bien prendre...
accepter de porter ce nom.
Et nous, gang de Manitobains qui
avions envie d'aventure puis qui
terminions tous notre collège
cette année-là, nous avons
accepté de porter ce nom
absolument... loufoque, mais
amusant. Mais pour l'époque,
bon, c'était pas étonnant,
malgré le fait que tout le monde
nous appelait :
« Les dieux de l'amour »,
ce qui était un petit peu plus
difficile à porter, j'avoue. Mais...
Oui, j'ai... commencé ma vie
au Québec avec un nom,
« Dieu de l'amour vous aime ».
GISÈLE QUENNEVILLE
Comment ça a passé, ça, dans
les années... 70?
DANIEL LAVOIE
On faisait parler de nous.
On faisait parler de nous,
mais bon, on tournait vraiment
dans la grande, lointaine périphérie,
hein. On arrivait de Winnipeg,
puis on a commencé à Dolbeau,
puis après ça, on a joué à
Jonquière, à Sept-Iles.
On était loin, loin de Montréal.
Donc ça passait très bien.
Les gens... étaient curieux.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous étiez quand même assez
jeune quand vous avez fait le
saut du Manitoba au Québec.
DANIEL LAVOIE
J'avais 21 ans.
GISÈLE QUENNEVILLE
Comment ça s'est passé, ça?
Comment est-ce qu'on a réagi
à Dunrae et comment est-ce qu'on
vous a accueilli au Québec?
DANIEL LAVOIE
Je pense que mes parents
étaient bien tristes de me voir
partir. Ils étaient bien tristes
aussi de me voir vouloir devenir
musicien parce que mon père s'était
quand même un petit peu saigné
à blanc pour m'envoyer au collège.
à l'époque, c'était pas peu,
parce que mon père avait
un magasin général. C'était pas
facile, le travail de magasin
général, envoyer son fils au
collège. Il aurait bien aimé que
je choisisse une profession
libérale. Je pense qu'il aurait
préféré que je devienne avocat
ou médecin que musicien.
Mais... bon, ma mère qui
avait toujours eu un faible
pour la musique, elle a dit:
« Laisse-le faire, on
va voir ce qui va se passer. »
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que ça s'entendait, que
vous veniez du Manitoba?
Vous aviez l'accent?
DANIEL LAVOIE
Bien mon accent puis mon
vocabulaire. Mais, remarque
qu'après huit années chez les
Jésuites, quand même,
je commençais à parler un français
adéquat. Même si... y avait
encore des lacunes. Parce que...
les Franco-Manitobains qui
étudient chez les Jésuites, même
si c'est un collège francophone,
où on étudie en français;
tous les cours sont en français,
etc... se parlent en anglais,
la seconde qu'ils quittent la classe.
Donc on se parlait toujours en anglais.
Donc la conversation en français
était... pas mon fort.
Donc, j'ai dû apprendre à parler
français, tous les jours, comme ça.
Et d'ailleurs, c'est une des choses
qui m'a fascinée en arrivant
au Québec, c'est d'entendre le monde
parler français spontanément,
dans la rue. Les enfants, surtout,
les enfants. Parce que chez nous,
les enfants, dans la rue,
ça ne parle... à mon époque,
ça ne parlait pas français
dans la rue, ça parlait anglais.
On voulait pas se faire remarquer.
On voulait pas se faire mettre
une étiquette de « frenchy »,
ou je sais pas trop comment
on nous appelait à l'époque.
Donc on parlait l'anglais,
pour ne pas se faire remarquer.
Parce que ça faisait plus cool,
sans doute. Par paresse,
pour toutes sortes de raisons.
Et donc, quand on est arrivés
au Québec... Remarque, si vous
venez de Toronto, vous devez savoir
un peu de quoi je parle parce que
ça se passe pareil, je crois,
toujours, et ça continue à se
passer comme ça.
Et donc quand je suis arrivé
au Québec et que j'ai entendu
parler les enfants en français
dans la rue, j'ai eu un choc.
J'en revenais juste pas.
Et quand j'ai vu l'attitude
des Québécois... beaucoup plus...
ouverte, beaucoup plus libre,
beaucoup plus extrovertie,
j'ai compris que je ratais
quelque chose. Parce qu'au Manitoba,
on était beaucoup plus fermés,
beaucoup plus timides, beaucoup
plus... peur de se faire remarquer,
comme je dis.
Et... si vous rencontrez des
Manitobains, vous allez voir,
ils sont toujours très gentils
et ils font pas beaucoup de bruit.
Comme je l'étais quand je suis arrivé
du Manitoba, j'étais très timide.
Et je l'ai été longtemps, d'ailleurs.
On m'a montré, je me souviens,
dans un gala de...
du Premier de l'an...
Comment ça s'appelle donc?
Un Bye Bye, au piano,
avec un sac en papier brun
sur la tête. Donc c'était...
c'était un petit peu... assez...
représentatif d'où je venais.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et comment on vous a accueilli
ici, à cette époque-là?
DANIEL LAVOIE
Bien, on nous a accueillis bien.
On ne faisait pas beaucoup
de différence avec le fait qu'on
vienne du Manitoba ou pas.
Ce qui était beaucoup plus
difficile, en fait, pour essayer
de me faire un chemin ici,
c'était le fait que je connaissais
personne. Parce que, au Manitoba,
moi, avec toutes les années,
je m'étais fait un groupe,
une... Tu sais, on commence
dans les petites salles,
puis on joue ici, puis on se fait
du monde qui nous connaisse,
puis quand on commence,
on a déjà un moyen... un bassin
de fans ou de gens qui
nous connaissent. Ici, j'avais
pas ça du tout. Donc il a fallu
vraiment commencer à zéro.
Et ç'a été... ça a pris du temps,
ça a pris un peu plus de temps.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que... Aujourd'hui,
vous avez fait votre carrière
au Québec, vous avez... épousé
une Québécoise, vos enfants
ont été élevés ici. Est-ce que vous
vous voyez ou est-ce qu'on vous
voit comme un chanteur québécois
ou un chanteur franco-manitobain?
Vous, comment est-ce que vous
vous voyez?
DANIEL LAVOIE
Bien moi, je me vois comme un
chanteur franco-manitobain
qui est devenu naturalisé québécois.
J'ai encore des racines profondes
au Manitoba; mes parents
vivent toujours, mes frères,
mes soeurs habitent là-bas.
Mes oncles, mes tantes,
mes cousins, mes amis sont
tous là-bas. Et donc, la partie
formatrice de ma vie est encore
au Manitoba, que je le veuille
ou que je le veuille pas.
Les années les plus importantes
de ma vie, c'est-à-dire les années
où on grandit, où on découvre
le monde sont là. Et donc,
je suis resté très profondément
franco-manitobain, c'est certain.
Mais bon, après 45 ans au Québec,
j'ai quand même...
je me suis adapté à... à la
population locale.
Et je sais un peu comment agir
quand il y a des Québécois autour.
Mais... je reste un peu...
je pense que je suis un mélange
des deux.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et est-ce que vos parents sont
satisfaits de votre choix de
carrière, toutes ces années plus
tard?
DANIEL LAVOIE
Je pense que oui. Je pense
qu'ils ont accepté. Quand ils se
sont rendu compte, un jour,
que j'arrivais à en vivre,
que je pouvais ne pas être...
sous le seuil de la pauvreté
toute ma vie. Parce que
ça les inquiétait beaucoup,
ils savaient que c'était pas facile,
gagner sa vie comme musicien.
Et pendant dix ans...
ce qui m'arrivait avait tendance
à prouver qu'ils avaient raison.
C'est quand un jour, enfin,
ça s'est mis à marcher un petit peu,
mon affaire, que mon père,
surtout mon père, a commencé
à respirer, je crois.
Il a dit: « Ah, il va quand même
gagner sa vie. J'aurais pas à
m'inquiéter de celui-là. »
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez connu tellement de
succès dans votre carrière.
Quel est, selon vous, votre plus
grand succès?
DANIEL LAVOIE
Ah mon Dieu...
GISÈLE QUENNEVILLE
Ou ce que vous pouvez résumer
à un grand succès?
DANIEL LAVOIE
Je sais pas. Plus grand succès...
Je suppose, le plus grand succès,
pour moi, c'est d'être encore là,
45 ans plus tard. Parce que
j'adore mon métier, j'aime beaucoup,
beaucoup ma job. Et puis, je me
vois difficilement avoir été obligé,
en cours de route, de lâcher ça
parce que ça ne marchait plus.
Donc... je pense que...
c'est probablement ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et de toutes les chansons de
votre répertoire...
[DANIEL LAVOIE:] Eh mon Dieu.
GISÈLE QUENNEVILLE
Quelle est votre préférée?
DANIEL LAVOIE
Ça dépend des jours.
Ça dépend des jours. J'en ai...
quelques-unes. D'ailleurs, la
plupart des chansons qui sont
sur mon dernier album,
« J'écoute la radio »,
sont mes préférées.
C'est-à-dire que ce sont les
chansons que je considère
les mieux réussies, qui sont
cohérentes avec ce que je suis,
qui sont pertinentes, encore, en
2012, même s'il y en a qui ont
été écrites il y a 20 ans, il y
a 30 ans, 40 ans, et qui...
peut-être, me survivront.
Je le sais pas. Et je m'en fous,
dans le fond. Mais je pense que
c'est... ça se situe à peu près
dans ces 12 chansons qui sont
là. En fait 11, parce qu'il y en
a une inédite qui... qui n'est
pas avec les autres.
GISÈLE QUENNEVILLE
J'aimerais qu'on parle de
votre autre passion, une passion...
je sais pas si elle est plus récente,
mais moi, j'en avais pas
entendu parler jusqu'à
assez récemment.
C'est le jardinage.
DANIEL LAVOIE
Je sais pas si j'appellerais
ça une passion. J'ai pas une
passion pour le jardinage autant
qu'une habitude. Une habitude
profonde ou un besoin profond
de rencontre avec la terre
que je connais depuis
que je suis grand comme ça.
Mon père avait un jardin,
mon grand-père avait un jardin,
ma grand-mère avait un jardin.
Je passais beaucoup de temps
avec eux dans les jardins...
dans les champs, avec mon oncle.
J'ai toujours eu un contact
très proche de la terre et
j'aimais ça, j'aimais beaucoup ça.
Et... une fois rendu à Montréal,
je me suis rendu compte
que ça me manquait profondément.
J'ai commencé à me faire
des jardins sur les toits,
sur le Plateau Mont-Royal,
à l'époque...
[GISÈLE QUENNEVILLE:] C'était très avant-gardiste,
hein.
DANIEL LAVOIE
On pouvait louer un appartement
sur le Plateau Mont-Royal,
à l'époque, pour 80, 75$ par mois.
Euh... et oui, c'est peut-être
avant-gardiste.
Et j'ai toujours eu, peu importe
où j'étais, un jardin sur le toit
ou un petit potager dans la cour
ou, peu importe. Et puis quand
je suis arrivé à la campagne,
bien, c'est certain que j'ai donné
un peu d'expansion à mes ambitions.
Et j'ai commencé à planter des
arbres, puis des fleurs, puis...
Et... C'est un passe-temps
merveilleux. C'est une forme de
méditation active qui me permet
de penser à tout ce que j'ai
à penser tout en faisant
quelque chose que j'aime.
GISÈLE QUENNEVILLE
Qu'est-ce que vous plantez
dans votre potager?
[DANIEL LAVOIE:] Ah mon Dieu... tout.
Tout ce qui pousse.
Tout ce qui pousse au Québec.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et ailleurs?
DANIEL LAVOIE
Et ailleurs, souvent. Euh...
J'ai plusieurs variétés de
plusieurs légumes. Je pense
que... à peu près tout ce qui
pousse. Puis des arbres fruitiers,
aussi. J'ai... j'ai des mirabelliers,
des poiriers, des pommiers,
des cerisiers, des... gadelliers,
des groseillers, des... J'ai toutes
sortes de choses. Toutes sortes
de choses.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez même un plant de
café, y paraît.
[DANIEL LAVOIE:] J'ai même un plant de café.
Quelqu'un m'a donné un plant de
café brésilien, il y a quelques
années, qui s'est mis à donner
des fleurs, l'an dernier, et qui
m'a donné des grains de café. Et
donc, cette année, je l'ai mis
dehors pour qu'il prenne plein
soleil, et puis j'ai, je pense,
avec un peu de chance, une livre
de café, cette année. Je
pense... je partirai pas une
plantation, mais...
avis aux intéressés:
avec une bonne serre,
on peut produire du café
au Québec.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et qu'est-ce que vous faites
de vos récoltes?
DANIEL LAVOIE
Bien... je les mange.
Qu'est-ce qu'on fait avec des
récoltes de bons légumes frais
qui poussent au soleil, qui ont
été engraissés avec de l'amour
et du compost? On les mange.
On invite les amis, on les donne
à nos enfants, on partage, on...
Ça sert à ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
Daniel Lavoie, merci beaucoup.
[DANIEL LAVOIE:] Déjà fini?
GISÈLE QUENNEVILLE
Déjà.
DANIEL LAVOIE
J'aurais pu vous parler de
quelques tomates que j'ai
connues dans ma carrière de
jardinier, mais bon. Allez.
(Générique de fermeture)
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