Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.


Vidéo transcription
Daniel Poliquin : Auteur
L’auteur franco-ontarien, Daniel Poliquin, vient de signer son dernier roman : L’historien de rien. Il nous parle de son nouveau livre, de littérature franco-ontarienne, de politique et de la vie après la retraite.
Réalisateurs: Stéphane Bédard, Francis Lussier
Année de production: 2012
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Début Générique d'ouverture
[Début information à l'écran]
CARTE DE VISITE
[Fin information à l'écran]
Fin générique d'ouverture
L'ANIMATRICE GISÈLE QUENNEVILLE nous présente le dernier roman de l'auteur DANIEL POLIQUIN, en faisant un court résumé de l'histoire.
GISÈLE QUENNEVILLE
Bienvenue à Carte de visite.
Il est un des plus importants
auteurs d'ici. Il a été un des
premiers à écrire sur l'Ontario
français. Aujourd'hui, Daniel
Poliquin signe son 12e ouvrage.
L'Historien de rien raconte
les histoires de trois personnages
de différentes époques qui
vivent leur vie du mieux
qu'ils peuvent. On retrouve
dans ces pages cette jeune
Franco-Albertaine qui rêve
d'aller vivre à Vienne, mais qui
ne se rend pas plus loin que la gare
et finit par tomber enceinte.
Son petit-fils Tom vit à Ottawa,
un jeune délinquant qui fait
le « bum » avec des copains
à l'Exposition du Canada central,
et Rocky, cet avocat manqué,
qui travaille aujourd'hui
dans une quincaillerie de la capitale.
Les personnages sont uniques,
l'humour est acerbe, bref,
comme toujours, on passe un bon moment
à lire du Poliquin. Pour ma part,
j'ai passé un bon moment en compagnie
de Daniel Poliquin que j'ai rencontré
à Ottawa.
Daniel Poliquin, bonjour.
(Dans une grande salle de bibliothèque, GISÈLE QUENNEVILLE accueille l'auteur DANIEL POLIQUIN. Au cours de l'entrevue, un encart montrera la pochette du livre : « L'historien de rien ».)
DANIEL POLIQUIN
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Votre tout récent roman,
c'est L'Historien de rien,
ça raconte l'histoire de trois
personnages à trois époques
différentes, mais qui ont un
lien quand même et
c'est la famille finalement.
Parlez-nous, racontez-nous,
décrivez-nous ces personnages-là.
DANIEL POLIQUIN
En quelques mots, c'est mon
autobiographie imaginaire.
Je ne suis pas ce personnage-là,
mais il me ressemble beaucoup.
C'est ce que je voulais faire,
c'était faire de la fiction pure.
À la suite du défi que m'avait
lancé une amie qui disait:
« Fais-nous donc un livre
d'imagination, tu nous fais
toujours des romans
historiques très fouillés,
très chargés. Fais-nous donc quelque
chose qui sort de toi. »
J'ai dit: « OK. »
Dix ans plus tard, arrive le résultat.
Parce que c'est très long de faire
des nouvelles. Au début, c'était
des « novellas » que j'avais faites.
C'est-à-dire, de longues nouvelles.
Et puis finalement, ça s'est uni de soi
en un roman. Avec une seule
voix narrative. Un homme qu'on
voit à trois temps de sa vie.
Il imagine sa grand-mère.
Ensuite, il se voit vers l'âge
de 12 ans et ensuite, il a 55
ans ou à peu près, et puis là,
bien, il fait le bilan.
Et je vous dis tout de suite la fin:
c'est un homme heureux.
GISÈLE QUENNEVILLE
En lisant le livre, je me suis
dit: « Daniel Poliquin a eu du
plaisir à écrire ce roman-là. »
Est-ce que j'ai raison?
DANIEL POLIQUIN
Il a eu du plaisir et de la misère
parce que quand on fait une nouvelle,
il faut que tout le récit
soit écrit d'un trait.
Et c'est de trouver... la
difficulté, c'est de trouver
l'émotion et l'idée qui vont
vous conduire tout le long
de la nouvelle. Et c'est la même
chose pour un roman.
Sauf qu'on a une plage d'action qui
est beaucoup plus limitée.
C'est venu plus lentement que
d'habitude. Parce que c'est
plus court. Et ça me rappelle
le fameux mot de Pascal:
« Excusez cette lettre qui est
fort longue, je n'ai pas eu le
temps d'en faire une plus
courte. » Eh bien, voilà, c'est
pour ça que j'ai mis autant
de temps. Et c'est pas parce que
je suis paresseux, ça, c'est pas vrai.
[GISÈLE QUENNEVILLE:] Le titre. « L'Historien de
rien », ça donne l'impression que
ça parle de rien, mais ça parle
de plein de choses quand même.
[DANIEL POLIQUIN:] C'est plein de choses en effet,
mais ça, c'est la traduction
d'un complexe. Le monsieur,
dans sa cinquantaine avancée,
se retrouve dans une maison qu'il
a fréquentée jeune homme, et là,
il est entouré de gens nouveaux,
de gens nouveaux de
la Côte-de-Sable. Des ambassadeurs
qui ont acheté des taudis d'autrefois,
qui les ont gentrifiés. Et lui se retrouve
dans cette maison-là et
l'ambassadeur de Lituanie
dont le père est mort au combat,
qui a fait de la prison;
le monsieur de la Serbie qui a
connu des moments héroïques;
une cantatrice autrichienne, il
se dit: « moi, j'étais là qui me
souviens de madame Maranda,
qui faisait son spaghetti et moi,
j'étais là, l'historien de
rien. » C'est pas vrai. Parce
qu'on peut dire ça de nous tous.
On a tous l'air d'avoir une vie
banale, elle ne l'est jamais.
Il faut la raconter cependant
et c'est ici que l'art d'écrire
intervient et lui, il possède
l'art de raconter.
GISÈLE QUENNEVILLE
Une grande partie de l'histoire,
en fait, la deuxième et la troisième
partie se situent à Ottawa :
la Côte-de-Sable, en particulier.
Et c'est pas la première fois
que vous situez un roman
à Ottawa, la plupart,
je pense, sont situés à Ottawa.
L'importance de situer vos
romans dans votre ville?
[DANIEL POLIQUIN:] On y peut rien.
Un écrivain américain,
spécialiste du cinéma, qui
disait ça: « You write what you
know. » On peut pas faire
autrement que de retourner
à ce qu'on sait, à ce qu'on connaît.
Et très souvent, on va se dire:
« J'ai tout écrit là-dessus. J'ai
fini, maintenant, j'en parlerai
plus jamais. » C'est pas vrai.
Tout à coup, ça revient vous
hanter et j'ai été le premier
surpris de voir que ça
m'intéressait de nouveau et
puis qu'il y avait encore
de quoi à dire. Et puis, sans doute
que le baril est pas vidé parce
que d'autres pourront y
retourner. Mais c'est vrai que
les paysages que je raconte ou
que je décris ne sont plus. Ils
subsistent dans la mémoire et
la mémoire, nécessairement, est
orfèvre. On réinvente des
choses, on les enjolive, on les
enlaidit, on fait des tas de
choses avec ça. Ça devient une
matière extrêmement malléable et
c'est ça, ma petite patrie de
la Côte-de-Sable qui,
finalement, va vivre plus
longtemps que les pierres de la
Côte-de-Sable dans un sens.
GISÈLE QUENNEVILLE
En lisant le livre. Moi, je
pense que j'ai lu à peu près
tout ce que vous avez écrit au
fil des années, et en lisant le
livre, je savais que je lisais
du Daniel Poliquin.
C'est une bonne chose, ça?
DANIEL POLIQUIN
Oui, parce que ça veut dire
qu'on a un style. Ça veut dire
que tout à coup, on a une
griffe qui n'appartient qu'à
nous. Dernièrement, j'ai envoyé
un extrait d'un livre auquel je
travaille à une amie qui m'a
dit: « Je savais que c'était toi,
bien sûr, mais sans voir
la signature, j'aurais su que
c'était toi. » Ça, ça veut dire
à peu près 35 ans de travail
dans mon cas. Y en a qui le
trouvent plus vite. Moi, j'étais
pas doué. Il a fallu que je m'y
mette plus longtemps qu'un
autre peut-être, mais c'est
maintenant un fait d'acquis
pour moi. Sans même le chercher,
j'arrive à écrire comme Daniel Poliquin.
Ça m'appartient maintenant puis
je cherche pas à changer de style.
Seulement à faire mieux
d'une fois à l'autre. Mais y a
des procédés qui restent les
mêmes, je pense.
GISÈLE QUENNEVILLE
Revenons en arrière,
à ces premiers romans, on est dans
les années 80, 90. Vous avez
été le premier à écrire sur, et
situer vos romans en Ontario français.
Qu'est-ce qui se passait à l'époque?
Et qu'est-ce qui vous a poussé à écrire?
DANIEL POLIQUIN
En fait, on était...
GISÈLE QUENNEVILLE
Une petite gang.
[DANIEL POLIQUIN:] Quelques-uns que je peux
nommer : Hélène Brodeur qui a
écrit sur le nouvel Ontario.
Il y avait Jean-Marc Dalpé qui
commençait lui aussi en même
temps que moi et puis quelques
autres aussi. Les premiers
écrivains de l'Ontario français
étaient surtout de la région de
Sudbury, ceux de cette
génération-là : Desbiens et
autres. Tous contemporains, mais
on a jamais formé une clique.
On s'est jamais beaucoup vus.
Je pense que j'ai vu Jean-Marc Dalpé
deux fois dans ma vie.
Puis y en a que j'aimerais bien
connaître comme Nicole Champeau
ou d'autres qui font de très
belles choses, mais y a jamais
eu d'école littéraire de
l'Ontario français. Sauf
peut-être pour le groupe autour
de « Prise de parole ». Mais ç'a
été une bonne chose parce que
ça a donné une littérature qui
est éclatée, qui va dans toutes
sortes de directions et qui
est très plurielle. Maintenant,
on le voit avec les nouveaux...
les Néo-Canadiens qui écrivent.
Ça donne une littérature qui est
tout à fait originale et puis
qui est multiple. Et j'espère
que ça va rester encore comme
ça longtemps.
GISÈLE QUENNEVILLE
Qu'est-ce qui vous a poussé
à écrire ce premier roman?
DANIEL POLIQUIN
Ça, je... je me suis défendu
longtemps d'être écrivain.
C'était une responsabilité que
j'avais du mal à assumer, mais
je pouvais pas faire autrement.
Et puis j'ai été entouré d'autres...
j'ai failli dire le mot « artiste ».
J'ai été entouré d'autres gens
qui voulaient. Puis on découvre
finalement que l'étymologie du
mot « artiste », ça vient du latin
qui veut dire « travail ».
Finalement, y a des esthètes
autour de nous.
Y a des amateurs aussi, bien
intentionnés. Les vrais artistes
sont ceux qui travaillent, qui
se donnent toute leur vie. Puis
y en a qui ne se donnent pas
justement. Ça fait des écrivains
d'un livre et je craignais
d'être un écrivain d'un seul
livre. Et puis je me suis dit:
« Non, je... je vais y aller un
livre à la fois. » Et finalement,
d'une pulsion à l'autre comme
ça, ça s'est installé. Mais
chaque fois, c'est ça qui était
curieux, je disais, c'est mon
dernier livre. J'ai fini et
finalement, j'ai mis du temps
à comprendre que c'était une
posture pour moi, pour me
donner entièrement à chaque
livre. Puis un jour, je me suis
dit : « non, c'est pas vrai, je
suis un écrivain pour la vie.
Je vais le rester, même si je
ne devais pas écrire autant. »
GISÈLE QUENNEVILLE
Je faisais un peu de recherche
l'autre jour puis je suis
tombée sur les livres de Daniel
Poliquin sous la rubrique
« Roman québécois ». Ça vous fait rire
ou ça vous fait pleurer, ça?
DANIEL POLIQUIN
Pas du tout. C'est la langue
qui nous unit. On écrit en
français canadien ou québécois,
peu importe. Franz Kafka est
un écrivain allemand. Pourtant,
il a grandi en Tchécoslovaquie,
il est né en Pologne. On va
chercher toutes sortes de façons
de vous intégrer parfois.
Ça dépend, si vous pensez comme
les autres, on vous intègre plus
facilement, si vous pensez pas
comme les autres,
et ça m'arrive, à ce moment-là,
vous redevenez Franco-Ontarien
très vite.
GISÈLE QUENNEVILLE
On y reviendra, ça, un peu
plus tard.
DANIEL POLIQUIN
C'est normal, ça ne me gêne
pas du tout. Je me mets à la
place d'un étranger qui met le
pied au Canada, où va-t-il me
situer? Sans doute qu'il va
dire que c'est un écrivain
canadien et moi, je lui dirais:
« Arrêtez-vous donc à écrivain »,
ça me suffit. Ma vraie nationalité,
c'est la littérature.
C'est ça, ma patrie.
C'est pas les étiquettes, Québécois,
Franco-Ontarien, on s'en fout.
GISÈLE QUENNEVILLE
Je vais vous en donner
une autre étiquette parce que
j'étais en train de lire un
texte biographique sur vous qui
disait que Daniel Poliquin est
un grand défendeur
de la minorité francophone
en Ontario. Est-ce que vous vous
voyez comme ça?
DANIEL POLIQUIN
Bien, j'ai participé à la défense
des droits franco-ontariens, c'est vrai,
c'est là que j'ai fait
l'apprentissage de l'Ontario,
c'est là que je me suis baladé
en Ontario. La première fois
que j'ai débarqué à Sturgeon Falls,
que je voyais le lac Nipissing.
Quand je suis allé à Windsor,
la première fois, ça me fascinait.
J'ai acquis énormément dans
cette lutte-là. Puis c'est là,
sans doute, que j'ai décidé que
je serais écrivain un jour, que
moi, je raconterais ces
paysages-là, ces gens-là que
j'avais vus. C'est ça qui m'a
éloigné du militantisme,
à proprement parler comme tel,
même si j'ai toujours eu la
plus grande admiration pour ces
gens-là qui défendaient nos
couleurs partout dans tous
les domaines. Je me rappelais ce
que Gérard Lévesque, par
exemple, a fait avec le droit
en français en Ontario. Ça,
chapeau bas, moi, je n'avais
pas cette compétence si vous
voulez. J'étais pas non plus
assez politicien pour faire
ce genre de chose-là. Puis j'ai,
croyez-le ou non, j'ai songé
longtemps à me présenter
en politique.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vraiment?
DANIEL POLIQUIN
Un jour, ma compagne de l'époque
m'a dit: « Non, non.
Pour faire de la politique, il
faut avoir l'échine souple et
la peau dure. Tu as les
attributs contraires.
La peau, l'épiderme très sensible et
l'échine raide comme tout.
Tu vas te faire battre à la
première occasion. On a besoin
d'écrivains, va écrire. »
C'est ce que j'ai fait.
GISÈLE QUENNEVILLE
Daniel Poliquin, vous êtes
écrivain, mais vous êtes
également traducteur littéraire.
Vous avez traduit Mordecai Richler,
Jack Kerouac; vous avez traduit
Matt Cohen. Est-ce qu'il est plus
difficile d'écrire ou de traduire?
DANIEL POLIQUIN
Il est plus difficile de traduire.
Je sais qu'on attend la réponse
contraire. C'est pas vrai.
Ces dernières années,
j'ai fait surtout beaucoup d'essais.
Par exemple, j'ai eu l'immense privilège
de traduire : « Le rêve de Champlain »,
de l'américain David Hackett Fischer.
Ça, ç'a été une oeuvre de patience
qui a duré dix mois. Et j'ai toujours
aimé traduire parce que ça me
permet d'écrire avec la main
d'un autre. D'écrire des livres
que j'aurais aimé écrire.
Par exemple, dans le cas de
Douglas Glover,
qui est un grand écrivain
canadien-anglais, le traduire,
pour moi, était une école.
C'est un gars qui m'a libéré
d'un tas de complexes
littéraires que j'avais.
Et dans le cas de l'essai,
c'est une autre discipline,
c'est beaucoup plus rigoureux,
il faut vraiment tout vérifier.
Faut vraiment devenir,
non seulement l'auteur, mais aussi,
il faut penser au public, penser
français. Et c'est très ardu, si
je compare ça à la littérature
où on est son propre maître,
on ne doit de comptes à personne.
Là, c'est beaucoup plus difficile.
Y a aussi les traducteurs qui
vous lisent et je connais pas
de public plus chiant que les
traducteurs parce qu'ils voient
tout. Ce sont des gens qui
rentrent dans le détail et qui
vous jugent aussi forcément.
Mais c'est un défi que j'aime
bien parce qu'on se mesure entre
nous finalement. On se force
les uns les autres à être
meilleurs chaque fois.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et quand vous traduisez,
est-ce que vous développez,
est-ce que vous avez aucune
relation avec l'auteur?
DANIEL POLIQUIN
C'est rare qu'on a un rapport
avec l'auteur. Je traduisais,
vous l'avez nommé, Matt Cohen,
qui est un « chum » de longue date,
décédé malheureusement. Et on
collaborait, les deux. Il
pouvait me dire, ça, ça va, ça,
ça va pas. Dans certains cas,
l'auteur, vous ne le voyez
jamais. Il ne vous téléphone pas,
il sait pas qui vous êtes,
il s'en fout complètement.
Et puis des fois, c'est aussi
bien comme ça. On est pas
obligé d'avoir de rapports comme
tels. Mais des fois, ça facilite
les choses.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous, vos romans ont été
traduits en anglais et dans
d'autres langues,
on y reviendra dans quelques
instants. Est-ce que vous,
vous aimez avoir une relation,
un rapport avec celui qui
vous traduit?
DANIEL POLIQUIN
Oui, j'aime ça parce que je me
trompe parfois quand je traduis,
j'aime bien être corrigé par
l'autre comme ça, j'ai l'air moins fou.
Donc, je peux le réchapper
ou alors lui faire des suggestions.
Échanger tout simplement et ça fait
évoluer la réflexion.
Et ça donne, au bout du compte,
un meilleur livre. Quand j'ai été
traduit en, croyez-le ou non,
en slovène.
GISÈLE QUENNEVILLE
Oui, « La Kermesse », je pense.
DANIEL POLIQUIN
« La Kermesse », exactement.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous parlez couramment...
DANIEL POLIQUIN
J'ai pas du tout aidé la traductrice
qui me posait, par contre,
des questions, je me disais:
« Mon Dieu, qu'est-ce
qu'elle a compris du livre? »
Jene suis pas allé plus loin.
Je l'ai chez moi dans ma bibliothèque,
j'en suis extrêmement fier,
mais je ne peux pas me relire,
je suis désolé. Non.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez été traduit
en langue slovène. Comment est-ce
qu'on décide ou qui décide si
on est traduit?
DANIEL POLIQUIN
Cette traduction en slovène
montre la puissance du
« Prix Giller ».
C'était en 2007 que j'étais finaliste.
GISÈLE QUENNEVILLE
En nomination, oui.
DANIEL POLIQUIN
Et là, vous êtes entouré de prévenance
jusqu'au moment où on annonce
le gagnant. C'est pas vous,
on passe à quelqu'un d'autre.
Mais quand même,
c'est le bruit fait autour
du « Giller », qui a fait qu'une
traductrice slovène m'a écrit
et elle m'a dit: « J'aimerais vous
traduire. » Bon, la Slovénie,
c'est deux millions d'habitants.
Combien de gens ont lu là-bas?
Certainement pas 100 000. En
tout cas, d'après les droits d'auteur,
c'est pas le cas, mais quand même,
ça fait plaisir de voir
qu'on rejoint des gens
qu'on pouvait pas même espérer
rejoindre auparavant.
Et puis, c'est fait.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous... avez été interprète.
En anglais et en français, ici
à la Chambre des communes,
au Parlement. Mais vous avez
étudié, vous êtes germaniste.
Votre spécialité, c'est l'allemand.
Pourquoi l'allemand?
DANIEL POLIQUIN
Ça, c'est une vieille histoire
avec mon père
que l'on croyait polyglotte.
GISÈLE QUENNEVILLE
On le croyait polyglotte?
DANIEL POLIQUIN
Parce que il s'enseignait des
langues à titre d'autodidacte.
Les écoles de langue...
GISÈLE QUENNEVILLE
Y avait pas Rosetta Stone à l'époque.
DANIEL POLIQUIN
Y avait rien comme ça.
Alors, mais c'est un homme qui
avait fait beaucoup de latin et de grec.
Alors... il avait une bonne base
étymologique pour apprendre
des langues étrangères
et la volonté aussi.
Il lisait Dante en italien,
Goethe en allemand, Cervantes
en espagnol. Ça impressionnait
toute la paroisse qui était sûre
qu'il parlait très bien.
Puis un jour, déception de ma vie,
mon père me rend visite en Allemagne.
Je suis très heureux de le voir
et il se met à causer avec ma logeuse
et je m'aperçois qu'il ne sait pas
l'allemand. Qu'il le parle
extrêmement mal.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et vous pensiez qu'il parlait
allemand.
DANIEL POLIQUIN
J'étais sûr qu'il parlait très bien.
Finalement, j'ai dû lui servir d'interprète.
J'ai eu des débuts assez précoces
dans ce métier-là.
Mais je me rappelle que ça m'avait...
pas choqué, ça m'avait peiné.
C'est papa, ça, il est pas meilleur
que ça? Et j'avais bien vu le fossé
qu'il y a entre la pratique et
puis la connaissance livresque
d'une langue. Il faut avoir vécu
dans le pays pour dire
qu'on parle la langue.
Moi, j'ai eu cette chance-là
avec l'Allemagne et c'est resté
dans ma vie et ça l'est encore.
C'est une langue que je lis encore
presque tous les jours.
J'ai fait des études jusqu'à la
Maîtrise, des études.
Et puis je vais sûrement y
retourner un jour, parce que
c'est trop important pour tourner
le dos à cette culture-là.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez écrit beaucoup sur
le Québec. D'ailleurs, y a la
biographie de René Lévesque,
qui a été écrite en français et
traduite en anglais. On dit de
vous que vous êtes le seul
auteur canadien qui peut faire
le pont entre les deux solitudes.
Est-ce que vous sentez
une grande responsabilité
de ce côté-là?
DANIEL POLIQUIN
Je ne suis pas d'accord avec ça.
Y a d'excellents auteurs
canadiens-anglais qui,
sans connaître le français,
ont traversé le Québec et vu
des choses extraordinaires, les ont
très bien dites aussi.
Et des gens qui parlaient d'autres
langues aussi.
Donc, c'est pas... on n’est pas
obligé de connaître la langue
pour pénétrer l'esprit des gens.
On peut très bien juste avoir
certains signes, l'architecture
par exemple, entrer dans l'âme
des gens et bien la décrire.
Y a des gens aussi qui, du côté
français, sont allés dans les
Prairies ou ailleurs et, encore là,
ont fait des observations
extrêmement pertinentes même
s'ils ne connaissaient pas la langue.
Lorsqu'il s'agit d'interpréter l'humeur
d'un peuple ou ses choix ou
je ne sais pas quoi, on n'est pas
obligé de posséder sa langue.
Quand on la possède, cependant,
et c'est mon cas, et qu'on a
un point de vue,
on a d'autres avantages.
Mais tout se vaut. J'ai peur
de vous décevoir en vous disant
ça, mais c'est ce que je pense
vraiment. Je ne me sens pas
plus privilégié qu'un autre.
La différence cependant par
rapport aux Québécois, c'est que
eux, très souvent, ne veulent
pas connaître l'autre et...
je me fais un point d'honneur
de leur rappeler ce que l'autre
dit, ce que l'autre pense, c'est
comme ça. À ce moment-là, on
peut faire un pont, mais souvent
ils n'écoutent pas plus de toute
façon. Au moins, c'est dit.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez signé un article
dans le magazine « Walrus »
justement tout récemment.
Un magazine, un article qui a pour
titre : « Le Québec, la province
narcissique ». Est-ce qu'un
auteur ou un écrivain québécois
aurait pu se permettre d'écrire
de cette façon-là sur le Québec?
Ou est-ce que le fait que vous
ayez un autre point de vue
de l'extérieur vous donne
un avantage de ce côté-là?
DANIEL POLIQUIN
Je vais encore vous décevoir
parce que ce qu'on fait, au Québec,
dans le milieu nationaliste,
c'est qu'on va dire: « Ah lui, c'est un
Franco-Ontarien, évidemment,
c'est un vendu » ou je ne sais
pas quoi. Tout de suite, vous
êtes déclassé, vous êtes
disqualifié, vous n'avez pas
droit au chapitre, ce que vous
dites n'a aucune importance.
C'est de bonne guerre dans un sens,
je les comprends de faire ça.
Mais ça ne me gêne pas parce
que c'est vrai que j'ai un point
de vue qui est bien à moi et
qui est coloré du fait que, oui,
je viens de l'Ontario français.
Mais j'incline à croire que
cette mentalité-là va en
disparaissant. Et puis qu'un jour,
on aura un discours
beaucoup plus libre.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que cet article-là
qui a été écrit en anglais,
est-ce qu'il aurait pu être publié
en français?
[DANIEL POLIQUIN:] Je ne pense pas.
Non, c'est vrai que le milieu
québécois est plus fermé.
Mais il est pas fermé à double tour.
Il y a encore des espaces où on peut
s'exprimer. Et TFO en est un,
de ces espaces-là où on peut dire
absolument tout ce qu'on veut et
c'est pourquoi j'accepte vos
invitations avec plaisir.
Mais c'est sûr qu'au Québec,
y a un filtre qui est là et
on a de la misère à accepter
la dissidence.
Et c'est ce qui fait
que la pensée nationaliste,
à mon avis, est tellement atrophiée,
c'est qu'elle ne respire pas.
Il faut tout le monde danser
en rond et puis ne pas déranger.
Tout le monde rame dans le même
sens, le bateau tourne en rond.
Si on ramait gauche droite, je
pense qu'on irait quelque part.
Mais ce n'est malheureusement
pas le cas. Moi, je pensais que
depuis le « Roman colonial »,
que j'ai écrit y a dix ans, je
pensais que ça avait changé.
Non, ça ne change pas vite.
GISÈLE QUENNEVILLE
Dans l'article, vous dites
que le Canada, c'est une police
d'assurance pour le Québec.
Qu'est-ce que ça veut dire, ça?
DANIEL POLIQUIN
C'est que les Québécois ont
toujours été très habiles,
très stratèges et ils ont toujours
fait ce qu'ils voulaient.
Je me rappelle qu'à l'époque où
j'écrivais ma thèse, je prenais
connaissance de fait comme
celui-ci; vous aviez, par exemple,
Montréal, où il y avait des églises
partout. Le Québec était complètement
quadrillé par l'Église catholique.
Mark Twain disait, après un séjour à
Montréal: « On peut pas lancer
une brique sans casser un
carreau d'église. C'est partout. »
Mais au même moment, le journal
qui se vendait le mieux à Montréal,
c'était « La Patrie » qui appartenait
à un franc-maçon, qui s'appelait
Honoré Beaugrand. C'était un
journal libéral, qui défendait
des idées très libérales.
Et les gens se jetaient dessus
après la messe. Comme quoi,
les gens ont un comportement
pluriel. En apparence, on
jurerait qu'il n'y a que la
pensée nationaliste au Québec
maintenant, eh bien, c'est pas
le cas. Les gens sont aussi
canadiens, mais ils le disent
pas, on en parle pas. Ils sont
comme les contemporains de
Beaugrand; dans l'âme, ils sont
ailleurs aussi. Et ils sont
habiles au sens où ils vont
écouter les uns les autres, mais
réserver leur jugement. On l'a
vu aux élections de 2011. On
pensait que le Bloc était là
pour la vie, eh bien non, ils
ont tous... presque tous sauté.
Ça montre une démocratie qui
est extrêmement saine.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez pris votre retraite
du Parlement,
de la Chambre des communes,
et vous passez maintenant une partie,
une bonne partie de l'année,
pas à Ottawa; si à Ottawa,
mais une bonne
partie de l'année également en
Nouvelle-Écosse. Qu'est-ce que
vous allez faire là-bas?
DANIEL POLIQUIN
En Nouvelle-Écosse, j'écris
et je traduis des livres.
Ce sont mes livres ou ceux
des autres. Je me suis acheté
une maison sur la baie de Fundy.
Je suis à cinq minutes de la mer,
à pied. Alors, c'est un cadre idéal.
J'adore le climat là-bas.
Il fait jamais chaud comme ici
à Ottawa, climat que je déteste,
et puis l'automne est long.
Vous avez trois semaines d'automne
de plus alors c'est vraiment très bien.
Je suis là, oui, cinq, six mois,
ça dépend des années.
Cette année, c'était plus court,
mais bon. Et puis j'ai la paix.
GISÈLE QUENNEVILLE
À Ottawa, vous avez pas la paix?
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est-à-dire qu'à Ottawa,
on est tenté par autre chose.
Tandis que là-bas, par exemple,
cet été, je me disais:
« Bon, j'ai un roman que j'aimerais
travailler, mais là, j'ai pas de
traduction, j'ai pas d'interprétation,
j'ai pas de cinéma, j'ai rien, je suis
obligé de l'écrire. »
Je ne peux plus éviter le travail,
comme ça m'arrive parfois,
de nettoyer le garage ou
je ne sais pas quoi.
Non, je n'avais plus d'excuses
et j'ai donc fini un livre comme ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez d'autres projets?
L'Historien de rien sort
ces jours-ci.
DANIEL POLIQUIN
Oui, dans deux ans, vous
allez me réinviter, j'espère.
[GISÈLE QUENNEVILLE:] Très bien. Avec plaisir.
DANIEL POLIQUIN
Je vous parlerai d'un roman
qui s'intitule « Année année »,
qui est l'histoire d'un homme
qui a vécu les encans humains.
Chose qu'on a oubliée.
GISÈLE QUENNEVILLE
Qu'on ne connaît pas.
DANIEL POLIQUIN
Qu'on ne connaissait pas.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ici, même au Canada?
DANIEL POLIQUIN
Ici même au Canada, on mettait
les orphelins et les personnes âgées
à l'encan. Et c'était un encan à rebours.
Alors 30$, 28, 26 pour untel.
Et puis, c'était un système,
curieusement, qui était humain
parce que l'alternative,
c'était l'orphelinat pour les enfants
ou l'hospice pour les vieux.
Et dans une famille, au moins,
vous aviez une chance. Et c'est
l'histoire d'un monsieur qui,
d'un jour à l'autre,
va être vendu à l'encan
et puis qui a été vendu enfant
aussi et qui raconte un peu
ce qui s'est passé entre les deux.
GISÈLE QUENNEVILLE
Daniel Poliquin,
j'ai hâte de vous relire.
DANIEL POLIQUIN
Bien aimable.
GISÈLE QUENNEVILLE
Merci beaucoup pour cet entretien.
DANIEL POLIQUIN
Au plaisir.
(Générique de fermeture)
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