Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.


Vidéo transcription
Alain Lacoursière : Policier
Baptisé le « Colombo de l’art », ce policier est connu pour utiliser des méthodes peu conventionnelles dans la résolution d’affaires criminelles. Il s’est spécialisé dans les crimes liés à l’art. Comment ce jeune délinquant est-il devenu policier, puis spécialiste des crimes liés à l’art?
Réalisateurs: Francis Lussier, Marie Léveillé, Mark Rosario
Année de production: 2012
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GISÈLE QUENNEVILLE rencontre des personnalités francophones et francophiles: des politiciens, des artistes, des entrepreneurs ou des scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Début générique d'ouverture
[Début information à l'écran]
Carte de visite
[Fin information à l'écran]
Fin générique d'ouverture
GISÈLE QUENNEVILLE
Bienvenue à l'émission. Il a
été baptisé le Columbo de l'art.
Il a été un policier avec des
méthodes peu conventionnelles
qui a enquêté pendant une
quinzaine d'années sur les
crimes liés à l'art.
Voleurs, faussaires, membres du
crime organisé, Alain
Lacoursière les a tous vus. Il a
même convaincu ses supérieurs à
la Police de Montréal et à la
Sûreté du Québec de créer une
escouade consacrée aux œuvres
d'art; la seule au Canada.
Comment ce jeune délinquant se
retrouve-t-il policier et
ensuite spécialiste des crimes
liés à l'art? Alain Lacoursière
a généreusement répondu à mes
questions.
(GISÈLE QUENNEVILLE et ALAIN LACOURSIÈRE sont assis l'un face à l'autre, dans une pièce parée de boiseries.)
(À quelques reprises pendant l'entrevue, des photos de certaines œuvres sont présentées.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Alain Lacoursière, bonjour.
ALAIN LACOURSIÈRE
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Les crimes liés à l'art, c'est
un monde que peu de gens
connaissent, pourtant, vous avez
pénétré dans ce monde de
voleurs, de crime organisé, de
faussaires. Tout d'abord,
pourquoi est-ce qu'on doit
enquêter sur ces crimes liés à
l'art, des crimes que certains
diraient: c'est des crimes de
riches?
ALAIN LACOURSIÈRE
Oui, la plupart même de mes
anciens patrons considéraient ça
comme des crimes de riches
jusqu'à tant que je leur
démontre que si le crime
organisé est en possession de
tableaux, c'est qu'il y a un
avantage quelque part.
Donc, pourquoi le crime
organisé, pourquoi les motards
ont des tableaux de maîtres, des
Picasso, des Renoir. Pourquoi?
C'est une monnaie d'échange pour
eux. J'ai pu démontrer ça à mes
patrons, j'ai pu démontrer ça à
tous les corps policiers du
Canada et c'est pour ça que
maintenant, la GRC, la Sûreté du
Québec, la Police de Montréal
ont des enquêteurs qui
s'occupent d'œuvres d'art.
On échange les œuvres d'art
contre de la drogue, contre des
dettes de drogue ou de jeu.
Et ces œuvres-là vont servir de
monnaie d'échange contre des
armes aussi. Donc, y a des
crimes qui sont reliés aux
œuvres d'art, autant en monnaie
d'échange, autant qu'en
blanchiment d'argent, ce qui est
super facile de blanchir avec
une œuvre d'art. Quel est le
prix d'une œuvre d'art?
C'est subjectif, c'est laissé à
celui qui va être justement le
marchand ou la galerie.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais est-ce que c'est pas
risqué pour un criminel, ne
sachant pas combien il va
recevoir, ou c'est le cas de
blanchir de l'argent et peu
importe ce qu'il va recevoir, ça
fait son affaire?
ALAIN LACOURSIÈRE
Oui, mais la majorité du crime
organisé, si on parle de la
mafia italienne, la mafia russe,
les cartels de Colombie ont des
spécialistes, ont des experts,
des professionnels qui vont
faire l'évaluation de l'œuvre
d'art. Et je les connais, et je
connais tout le monde du milieu
interlope qui font des
évaluations pour les criminels.
Et maintenant que je suis à mon
compte, ça m'a déjà été demandé
même par la mafia italienne de
faire des évaluations de
tableaux. Eux, ce qu'ils veulent
savoir, c'est combien vaut
l'œuvre et on va donner 10 % de
cette valeur-là à celui qui fait
la transaction avec nous pour
régler sa dette de drogue ou
pour acheter des armes ou de la
drogue. Si un tableau vaut un
million, on va lui donner 100
000$.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ça, c'est le crime organisé. Y
a aussi les petits voleurs. Qui
sont-ils? Qu'est-ce qu'ils
recherchent et pourquoi ils
volent?
ALAIN LACOURSIÈRE
Les petits voleurs qui volent
des œuvres d'art, c'est pour
justement régler leurs dettes.
Régler leurs dettes de drogue.
Donc, ce qu'ils recherchent,
c'est le prix de l'œuvre. On
l'a vu régulièrement ici à
Montréal, des galeries se
faisaient voler la nuit, ou même
le jour, et on volait l'écriteau
avec le prix à côté.
Et à côté, y avait un Borduas
qui valait 100 000$, mais il
n'avait pas de prix, donc on l'a
pas volé. Mais on arrive avec le
prix et on va régler sa dette de
drogue parce que c'est plutôt
rare qu'on voie des transactions
ou des gens qui vont se
présenter dans des galeries pour
vendre des œuvres volées, ça
arrive très peu souvent. Y a des
commanditaires qui sont autres
que le crime organisé, mais on
s'aperçoit qu'à la finale de
tout ça, c'était quelqu'un qui
avait justement un lien avec le
crime organisé. Parce que des
choses comme on voit dans les
films, un collectionneur, un
grand collectionneur qui va
faire voler une œuvre parce
qu'il veut la cacher dans une
salle secrète dans son sous-sol,
j'ai jamais vu ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ça, c'est les voleurs. Y a
également les faussaires. Ceux
qui peignent des fausses
œuvres, ceux qui vendent des
œuvres. Quelle est la
stratégie, et la psychologie
derrière ça?
ALAIN LACOURSIÈRE
Y a deux stratégies. La
majorité des faussaires, tous
les faussaires que j'ai connus,
même au niveau international, ce
sont des peintres, des artistes
déchus. Des gens frustrés, des
gens qui veulent faire des sous,
qui n'ont pas trouvé justement
leur voie, ou c'est pas des
créateurs, c'est des techniciens
et là, bien, ils se disent, moi,
je suis capable d'en faire du
Picasso, moi, je suis capable
d'en faire du Riopelle. Ça, ce
sont les faussaires ici qui sont
recrutés souvent par le crime
organisé pour faire des faux
tableaux pour blanchir de
l'argent ou encore qui vont
mettre en vente, dans divers
milieux, les galeries, les
encans ou par Internet ou dans
les journaux, des ventes de
tableaux. Ça, on a vu beaucoup
ici à Montréal des faussaires
qui vendaient par des galeries,
par des annonces dans les
journaux, des faux tableaux.
Mais la majorité qu'on a connus,
comme le faussaire de Riopelle,
par exemple, à Montréal,
travaillait pour quelqu'un qui
blanchissait de l'argent. En
fait, il fraudait une grosse
institution à Montréal pour des
millions de dollars et pour
blanchir cet argent-là, il
faisait faire des faux Riopelle.
Il les revendait, lui, et c'est
comme ça qu'il pouvait justifier
ses millions qu'il avait dans
ses comptes de banque.
GISÈLE QUENNEVILLE
Justement, on parle de
Riopelle, vous, vous avez eu
l'occasion, je pense, de rendre
à Riopelle une de ses œuvres
d'art. Racontez-nous le
contexte.
ALAIN LACOURSIÈRE
Oui, plusieurs fois. Plusieurs
fois, je lui ai rapporté des
œuvres volées. J'ai fait des
transactions avec des criminels
pour récupérer des œuvres, bon,
moyennant de ne pas porter leur
cause au niveau du tribunal. Le
but, c'était justement de
récupérer les œuvres de
Jean-Paul Riopelle ou des œuvres que
lui avait en sa possession et
qui lui étaient chères, comme
des dessins de Borduas, des
dessins d'Ozias Leduc.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et justement, vous faites ça
pourquoi? Vous faites ça
justement pour pouvoir rendre ce
qui est à César ce qui lui
appartient ou est-ce que vous
faites ça pour mettre en prison
ou punir ceux qui le font?
ALAIN LACOURSIÈRE
Non, je fais pas ça pour punir
ceux qui le font parce que ça ne
vaudrait pas la peine, parce
qu'y en a qui sont sortis de
prison avant que moi, j'aie fini
de témoigner en cour.
Je me suis aperçu de ça, oui.
Y a même des juges qui m'ont mis
dehors du tribunal parce que
j'avais dit un commentaire au
procureur de la Couronne qu'il
n'a pas aimé. Parce que moi,
« purger deux mois dans la
collectivité », j'ai dit au
procureur de la Couronne que les
deux mois prochains, moi aussi,
c'est là que je purgerais mon
temps, c'est-à-dire dans la
collectivité. Fait que je le
fais pour rendre des œuvres aux
musées, aux galeries, aux
collectionneurs ou aux artistes.
La plus belle, disons, redevance
ou salaire que je peux avoir,
c'est de voir dans les yeux de
quelqu'un qu'il est satisfait
parce que je lui rends une
œuvre. Pas au niveau monétaire,
au niveau de rendre à la
collectivité des œuvres d'art,
au niveau culturel, quelque
chose qui est disparu, qu'on ne
reverra peut-être jamais. Parce
que le crime organisé,
lorsqu'ils sont en possession de
tableaux, des œuvres qui ont
été volées, par exemple, dans
des musées y a 20 ou 50 ans, on
les revoit pas.
Ils restent dans le milieu
interlope, dans le milieu
souterrain, ou ils vont décorer
des grosses maisons de criminels
un peu partout dans le monde et
on ne les reverra pas, ces
œuvres-là.
[GISÈLE QUENNEVILLE:]On parlait de faussaires, tout
à l'heure. Comment est-ce que
quelqu'un qui achète une œuvre
peut savoir que c'est une œuvre
authentique?
ALAIN LACOURSIÈRE
Il faut qu'il fasse la
démarche d'aller voir quelqu'un
pour la faire authentifier.
Maintenant, c'est ce que je
fais, c'est ce que je faisais
dans la police aussi,
l'évaluation,
l'authentification, et j'ai pas
la prétention de savoir ou de
connaître tous les peintres ou
toutes les œuvres, mais y a...
la majorité du temps, y a un
groupe ou une fondation, ou une
personne qui est l'expert de.
Yseult Riopelle est l'experte de
Jean-Paul Riopelle. On prend les
œuvres, je suis capable de les
évaluer, oui, je vais la montrer
à Yseult Riopelle qui va me
dire; oui, c'est une œuvre de
mon père, ou non, c'en est pas
une. J'ai fait des Picasso, la
même chose. Claude Picasso me
demande comment monter un
dossier, je lui envoie et ça
revient: non, c'est pas une
œuvre de mon père.
Donc, c'est comme ça qu'on fait
de l'authentification. Mais on
peut aussi aller en laboratoire.
Mais il faut commencer au niveau
stylistique. Y a trois enquêtes
pour une œuvre d'art: la
provenance, l'enquête
stylistique et l'enquête en
laboratoire qui devrait être la
dernière. Le Picasso que j'ai
fait, mon client a dépensé 38
000$ en laboratoire pour se
faire dire qu'il y a une
empreinte de Picasso, donc
l'œuvre est probablement bonne,
etc., les matériaux
correspondent, mais moi,
Jean-Paul Riopelle, je lui ai
rapporté peut-être 12 œuvres,
15, 20 des faux. Il les a prises
dans ses mains, il me les a
redonnées, ses empreintes sont
dedans, ça ne prouve pas
l'authenticité d'un tableau. On
commence par stylistiquement
parlant en demandant à Claude
Picasso, est-ce que c'est une
œuvre qui va être introduite
dans le catalogue raisonné de
Picasso? Oui, c'est un bon, non,
on va nulle part. Y a personne
qui va nous l'acheter, même si
on a des expertises en
laboratoire, peu importe. Donc,
y a cette démarche-là à faire,
vérifier la provenance, vérifier
l'expert stylistique, de Renoir,
c'est la Fondation Renoir, le
Comité Renoir, Wildenstein à
Paris. C'est tout ça qu'il faut
savoir.
L'expertise, c'est les contacts,
c'est juste ça.
J'ai 6500 contacts dans mon
iPhone, et c'est ça le plus
important, c'est de savoir à qui
tu t'adresses pour faire
l'authentification d'une œuvre.
GISÈLE QUENNEVILLE
Y a rien dans votre passé,
monsieur Lacoursière, qui aurait
pu laisser croire que vous
alliez devenir ni un policier
ni un expert de l'art.
ALAIN LACOURSIÈRE
Non, pas du tout.
GISÈLE QUENNEVILLE
Parce que dans votre jeunesse,
vous étiez... je pense qu'on
peut utiliser le mot un peu
« délinquant »?
ALAIN LACOURSIÈRE
Ou « bum ». Oui, oui, oui.
J'étais un peu délinquant,
j'avais beaucoup d'énergie
négative et j'étudiais pas, mais
je m'organisais pour passer. Ça
m'intéressait pas du tout.
J'avais 13 ans, je pense, un
frère à l'école m'a pris, a
canalisé mes énergies négatives
en quelque chose de positif en
me faisant faire de la peinture.
Puis là, je me suis intéressé...
Parce que je ne viens pas d'une
famille où on visitait des
musées nécessairement. Donc, je
me suis intéressé et j'ai été
lire un peu là-dessus. Je suis
allé à la bibliothèque, j'ai vu
des livres de Matisse, de
Riopelle... bon, je me suis
intéressé à ça. Jusqu'à tant que
oui, une gang de jeunes avec qui
on avait loué une maison pour
faire des partys, j'avais 15 ans
et j'avais une moto et j'étais,
oui, oui, en vue de m'en aller
dans un groupe de motards.
C'était ça. Et rendu à 17, 18
ans, à un moment donné il faut
que tu prennes une voie pour
t'en aller à quelque part.
Donc, moi, j'ai dit, vu que
j'étudie pas, j'ai pas de notes,
je ne peux pas... je vais m'en
aller en techniques policières
puisqu'on accepte n'importe qui
ou à peu près à cette époque-là.
Je me suis en allé en techniques
policières.
J'ai choisi en fait en
conséquence de l'endroit où mes
amis étaient pour aller en
party. Fait que moi, pendant mon
cégep, j'ai passé mon cégep
entièrement à la brasserie. Le
soir, j'ai jamais étudié là.
Jamais.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce qu'on peut dire qu'être
policier, c'était une passion,
c'était un rêve pour vous?
ALAIN LACOURSIÈRE
Non, pas du tout. Je me
voyais, oui, rendu à 17, 18 ans,
oui, un peu plus. Puis je me
suis trouvé un emploi comme
répartiteur dans un poste de
police et c'est devenu, oui,
quelque chose d'intéressant et
d'intérêt pour moi. Mais moi, je
m'en allais, je me dirigeais
plus en d'autres... en éducation
physique, quelque chose comme
ça. Mais la vie a fait en sorte
que je me suis rendu dans la
police et que j'en ai fait une
carrière. J'ai pas été très,
très longtemps en uniforme dans
la police. J'ai été agent
double, j'ai été en charge de la
moralité, j'ai été en charge de
la brigade antimafia dans
l'Est. Mais tout ça, à un moment
donné, a déboulé avec... ma
passion, c'est redevenu l'art.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais là, si je comprends bien,
vous étiez pas toujours très
apprécié de vos supérieurs.
ALAIN LACOURSIÈRE
Non, c'est sûr que je
déplaçais de l'air comme on dit,
j'étais... oui, j'avais des
projets un peu marginaux.
GISÈLE QUENNEVILLE
Dans l'art?
ALAIN LACOURSIÈRE
Non, au départ, quand j'ai
fait les jeunes de la rue, quand
je me suis occupé de policiers,
c'est là que j'ai décroché, en
1989 à peu près. J'avais des
policiers sous ma charge, une
vingtaine, et j'avais soumis à
la direction de la police un
projet de rapprochement avec les
communautés marginales.
Donc, les punks, les skinheads,
dans le village gai, j'avais des
policiers, avec les prostituées,
sur la rue Saint-Laurent avec
les motards.
Ça, ça dérangeait les supérieurs
un peu plus conservateurs. À un
moment donné, en 89, je me suis
tanné. Je finissais mon bac en
gestion du personnel puis je me
suis tanné de gérer du
personnel. J'étais dans le
bureau à remplir des feuilles
pour les vacances, à remplir
des... J'ai tout laissé ça, je
suis parti à Paris pendant un
mois, j'ai visité des musées,
j'ai renoué avec l'art.
Et je suis revenu ici, j'ai
abandonné — il me restait un
cours à terminer — et j'ai
abandonné mon bac en gestion
puis je me suis inscrit en
histoire de l'art.
En faisant mes études à
l'université, je travaillais
comme enquêteur. J'ai laissé le
centre-ville, je me suis inscrit
pour être à Côte-des-Neiges où
était mon université,
l'Université de Montréal et là,
j'ai commencé à retrouver des
choses. Puis quand je retrouvais
quelque chose, j'appelais le
maire, comme le maire de New
York, où le directeur du FBI de
New York lui demanda de
m'envoyer une lettre de
félicitations au maire de
Montréal. Fait que ça, ça les
mettait un petit peu comme dans
le coin et ils m'ont laissé
faire des enquêtes reliées aux
œuvres d'art, mais il fallait
pas que j'en parle.
Y a même un de mes anciens
lieutenants qui m'a dit: « Moi,
les crimes de riches, tu
travailleras pas ça. » Fait que
je lui ai passé par-dessus la
tête puis ils l'ont mis... il a
fait un burn-out parce que j'en
faisais pareil, puis je les
faisais parce que la haute
direction, c'était bien vu.
Donc, petit à petit, on m'a dit:
« Parles-en pas trop par exemple
parce que c'est pas bien vu de
la société. Dis que tu fais 80 %
de fraude ou d'enquête et 20 %
d'œuvres d'art ». En fait,
c'était le contraire. Puis
jusqu'en 1999 où là... en 1998,
où un lieutenant m'a fait venir
à la section des fraudes pour me
dire: là, on est prêt à la
direction, on va te laisser
faire des enquêtes d'œuvres
d'art, etc. Puis en 2001,
printemps 2001, les motards, là,
on est à 800 policiers sur les
descentes. Là, je suis devenu
bon, ça ne se pouvait pas parce
qu'on récupérait des œuvres
avec un potentiel, disons, au
niveau de l'argent pour la
police. Là, tu rapportes de
l'argent, là, c'est bon. J'ai
fait le tour des maisons des
motards pour saisir des œuvres
d'art. Parce qu'on saisissait
des autos, des motos, des
systèmes de son, des
cellulaires, toutes sortes de
choses, puis le camion s'en
allait avec ça puis là, je
rentrais et je disais: « Peut-
être qu'il faudrait faire
revenir le camion. » « Comment
ça? » « Le tableau qu'il y a là,
faudrait le saisir ». « Les deux
barres puis le point? » « Oui,
c'est un McEwen, ça vaut 100
000$. Justement, il le sait que
la police va passer à côté puis
ils le prendront pas. À partir
de ce moment-là, les différents
services policiers ont vu
l'importance et ont vu que
j'avais raison. On m'a demandé à
la Sûreté du Québec de faire un
échange de service pour que
j'aille former des gens à la
Sûreté du Québec pour qu'ils
s'occupent de ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
Quel est le cas, ou est-ce
qu'il y a un cas en particulier
dont vous êtes le plus fier?
ALAIN LACOURSIÈRE
Bien, ç'a été mon premier coup
en fait, justement qui a fait
débouler tout ça.
Je vérifie, dans un encan à
Montréal, un tapis.
Un tapis perse qui est évalué,
une estimation de 200 000$
environ.
À force de le regarder, et de
voir... J'ai dit, j'ai déjà vu
ça quelque part.
J'ai vérifié dans les
circulaires. J'ai retrouvé que
le tapis avait été volé à New
York. J'ai appelé l'enquêteur de
New York, mais là, on est la
même journée que l'encan. J'ai
pas de bonne photo. Je peux pas
avoir... Il dit, ça sera pas
bien long, je m'en vais à
l'aéroport, je t'en mets une
dans l'avion, va-t'en à Dorval,
va chercher la photo. Je
compare, c'est bien le même. Je
m'en vais au Palais de Justice,
mandat de perquisition, j'arrive
à l'encan, le tapis...
l'encan est débuté. Pour pas
faire trop, trop de vagues, je
me suis assis dans la foule et
j'ai misé sur le tapis. Jusqu'à
190 000$.
GISÈLE QUENNEVILLE
Que vous aviez sûrement pas.
ALAIN LACOURSIÈRE
Que j'avais sûrement pas.
à la fin de l'encan, je savais
pas trop comment j'allais m'en
sortir. Je suis allé voir
l'encanteur, je lui ai montré
mon mandat de perquisition. Et
il a collaboré et il a trouvé ça
très... justement, mieux
qu'avant. Il a trouvé ça très...
disons, rentable pour lui aussi
que j'aie pas...
que je sois pas intervenu
pendant l'encan pour faire un
scandale. Que j'aie été plutôt
méticuleux et que j'aie pris
soin de ne pas faire de vagues
avec ça et de pas en parler à
personne pour aller le voir à la
fin.
Depuis ce temps-là, cette
personne-là a collaboré de tout
temps avec le service de police,
mais avant ça, ne le faisait
pas. J'ai saisi le tapis et on a
fait venir les deux individus
qui l'avaient mis en garantie,
on les a arrêtés. On a porté des
accusations contre eux. Mais
comme vous savez, ici, faut
garder les objets pour procéder
à la cour. Moi, j'ai fait venir
le propriétaire du tapis de New
York ici, on a mis le tapis dans
un sac de sport, j'ai été le
reconduire à l'aéroport, il est
reparti à New York puis là, il
s'est fait arrêter aux douanes.
J'ai appelé le gars du FBI, il
est allé dédouaner mon bonhomme
et le tapis, et lorsqu'on est
arrivés en cour pour procéder
contre les deux individus, je
n'ai plus le tapis. On a reporté
trois fois la cause. Et le juge
ne me comprenait pas. J'ai dit:
je ne suis pas en mesure de
procéder. Remettez-lui l'objet.
Je l'ai pas, mais on peut lui
donner une feuille, il peut se
présenter à New York pour
récupérer le tapis. Le juge,
oui, c'est beau, il me fait
venir dans son bureau après. Il
dit: là, je comprends pas. C'est
quoi, l'affaire? J'ai dit:
« C'est deux immigrés illégaux
des États-Unis. Du moment qu'ils
traversent là-bas, ils vont être
arrêtés, un, puis ils pourront
jamais le récupérer, leur
tapis. » J'ai dit: « Ils ont bien
payé leur avocat, tout est
correct là-dessus ». Il dit:
« J'aime ça, j'aime bien ça ». Ç'a
été ma première cause qui m'a
fait connaître un peu comme ça.
Puis j'ai appelé justement le
directeur du FBI pour qu'il
envoie une belle lettre de
félicitations à mon endroit au
maire de Montréal.
GISÈLE QUENNEVILLE
La réaction de vos collègues?
ALAIN LACOURSIÈRE
Au départ, c'est sûr que non,
non, le gars aux cheveux longs
qui fait des œuvres d'art, il
sait pas travailler, ce n'est
pas un enquêteur, c'est pas...
c'est rien, ça. Mais petit à
petit, oui, puis les œuvres que
je saisissais, je les gardais à
mon bureau, je les mettais sur
les murs. Je les mettais sur mon
bureau, j'ai eu un faux Riopelle
sur mon bureau pendant dix ans.
Là, les gens, oui, j'essayais un
peu d'éveiller ce milieu-là à la
culture, oui. Au départ, quand
t'arrives avec un Riopelle:
qu'est-ce que c'est ça? Ça
ressemble à ça. Je l'enlève au
bout de trois, quatre mois, je
l'enlevais. « Il est où le
tableau qui était là?
Ah, c'était beau. » Bon. J'ai
fait ça avec les collègues puis
c'est... quand j'ai terminé ma
carrière, autant à la Sûreté du
Québec qu'à la Police de
Montréal, les gens m'appelaient,
les gens savaient ce que je
faisais, que c'était efficace,
et du moment qu'ils
rentraient... Puis je l'ai
encore, j'ai des policiers qui
m'appellent, je leur dis que je
ne fais plus de ça. Je fais
l'évaluation et ça coûte tant.
Ah oui, OK. Passez par la Sûreté
du Québec, j'ai formé des gens
là-bas qui s'en occupent. Mais
du moment qu'ils voient, les
policiers, maintenant, voient
sur les murs des œuvres d'art
quand on rentre chez une
personne pour une perquisition,
ils appellent. Ils appellent,
systématiquement, ils font la
démarche, ils font les choses
comme ça devrait être.
GISÈLE QUENNEVILLE
Monsieur Lacoursière, vous
n'êtes plus policier
aujourd'hui. Vous avez pris
votre retraite. Qu'est-ce que
vous faites?
ALAIN LACOURSIÈRE
Je fais de l'expertise, de la
consultation et de l'évaluation
d'œuvres d'art. En 2008, je me
suis retiré de la Sûreté du
Québec pour retourner faire du
coaching d'enquêteurs pour
partir mon entreprise Expertises
Alain Lacoursière parce que vu
que tout le monde connaissait
mon nom, c'était plus winner
comme on dit.
Et j'ai fait des séries à la
télé puis tout ça. Et en 2010,
j'étais éligible pour ma
retraite après 25 ans
d'ancienneté puis la première
semaine de janvier 2010, j'avais
travaillé 73 heures dans ma
compagnie et à la police. Je
planifiais mes vacances pour
aller travailler, soit tourner
une émission de télé. J'ai dit,
je pense que ça va être assez.
J'ai pris ma retraite. Je ne
pensais pas que la compagnie
marcherait comme ça, mais y a
une demande, oui, parce que les
gens qui sont indépendants, qui
ne sont pas reliés à une
galerie, sont peu nombreux. Ou à
peu près pas. Y a moi. Je
travaille beaucoup pour les
galeries, pour les banques,
comme des gens fortunés qui me
font faire les évaluations, les
compagnies d'assurance. À peu
près toutes les compagnies
d'assurance. Donc, je fais de
l'expertise, c'est-à-dire que je
consulte les gens qui sont des
experts de ces œuvres-là, et je
fixe les prix pour que les gens
aient des inventaires de
collection, aient des... que les
gens aient des bases pour aller
revendre ou des bases pour
savoir combien valent leurs
œuvres ou pour les faire
assurer. C'est ce que je fais
maintenant et j'en suis très
heureux.
GISÈLE QUENNEVILLE
On dit souvent ou on entend
souvent dire que le Canada, en
fait, Montréal en particulier,
c'est une plaque tournante pour
le trafic des œuvres d'art
entre l'Europe et l'Amérique du
Nord. Qu'est-ce qui se passe
ici?
ALAIN LACOURSIÈRE
Plaque tournante, oui et non.
Plaque tournante, c'est
journalistiquement parlant
vendeur, oui. Mais c'est de tous
les temps. Les biens qui vont
aux États-Unis, souvent, qui
viennent d'Europe, les gens ne
parlaient pas anglais, on va
passer par Montréal, on a de la
famille ici, bien, les criminels
font la même chose.
Les criminels savent qu'ici, on
parle les deux langues ou les
trois quand on est Italien et
ils ont plus de facilité avec
les États-Unis où on sait par où
passer ou quoi faire pour aller
aux États-Unis. L'inverse est
aussi vrai. Puis moi, j'ai eu
des gens du crime organisé qui
travaillaient pour nous, des
informateurs comme on dit qui
sont payés par la police pour
donner des informations. Et
c'est un vieux monsieur, à
l'époque, qui m'a montré tout le
cheminement. En fait, ils
appellent ça un « poney express »
dans leur langage.
C'est lui qui va chercher les
tableaux en Europe pour les
amener aux États-Unis et
l'inverse. Ce qu'il faisait, il
m'a donné l'exemple d'un Corot.
Un Corot qui est volé là-bas,
qui vaut à peu près 125 000$, il
part de là avec une facture de
125 euros. Étant un multiple si
vous voulez, ou une copie ou
bon... Il arrive aux douanes
avec la facture d'une galerie
ici. Et il s'en va, il reste ici
une dizaine, une vingtaine de
jours. Par la suite, il s'en va
aux États-Unis pour le livrer,
encore là, avec la fausse
facture. Et il revient avec un
tableau qui est de là-bas, qui
est un faux tableau pour
l'Europe. C'est le marché, la
plaque tournante ici, y a pas
ces grands collectionneurs-là.
Puis on voit passer des tableaux
volés, c'est pour le crime
organisé.
Des tableaux volés, c'est pas
pour les collectionneurs, c'est
pas pour... Ou des faux
tableaux, c'est la même chose.
Mais on voit qu'ils sont en
transit. On voit que la majorité
de ces gens-là, oui, on peut en
laisser un ici parce que y a une
demande, mais les deux, trois
autres sont promis aux États-
Unis. Oui, c'est à ce niveau-là
qu'on a le transit par Montréal
beaucoup à cause des langues.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et vous avez, je pense, mis
sur pied une base de données
justement pour laisser les
galeries informées de ce qui se
passe.
ALAIN LACOURSIÈRE
En fait, c'était pas quelque
chose de très génial, mon
affaire. C'était d'informer par
e-mail. Depuis 2000, on a
l'Internet et moi, j'ai mis en
place... En fait, mes patrons
aussi au départ étaient pas très
chauds à l'idée parce que ce que
j'ai mis en place, c'est un
système d'envoi multiple. Y a
présentement 100 000, 150 000
personnes au Canada qui
reçoivent le e-mail d'un vol,
par exemple, d'un suspect de
vol, ou d'un faux tableau. Mais
y a pas juste les galeries qui
le reçoivent. Le crime organisé
reçoit mes e-mails aussi. Les
motards, la mafia italienne, la
mafia russe, la gang de l'Ouest,
ils reçoivent mes e-mails. Quand
ils voient que le tableau qui a
été volé le matin, l'après-midi,
il est diffusé à toutes les
galeries, ils savent qu'il n'y a
pas de possibilité de le
revendre. Ou de, eux, le passer
aux douanes, ou d'être pris
avec. Ce qu'ils font, ils vont
le laisser couler par une source
qui va venir le rapporter à la
police. Ça marche, ça fonctionne
puis les galeries aussi, les
galeries ont l'opportunité
d'appeler cette escouade-là
maintenant.
La base de données devrait être
en place prochainement, mais ils
peuvent appeler pour demander si
ce tableau-là est volé. Et tous
les tableaux qui sont volés sont
tous diffusés à toutes les
galeries, à tous les
conservateurs ou les musées.
C'est beaucoup plus efficace
pour eux, ils n'ont pas de
recherche à faire, ils peuvent
se mettre en fichier les œuvres
volées, ils font une recherche,
il est volé, ils appellent la
police, on le récupère tout de
suite. C'est ça, le système,
c'est pas quelque chose que...
super génial.
GISÈLE QUENNEVILLE
Quand vous repassez votre
carrière, d'où vous venez et où
vous êtes rendu, est-ce que ça
vous surprend, est-ce que ça
vous étonne? Que le bum est
devenu spécialiste du marché de
l'art.
ALAIN LACOURSIÈRE
Oui, c'est sûr que ça peut
être... c'est étonnant surtout
pour ma famille ou mes voisins
ou mes anciens, disons,
confrères étudiants. Oui, quand
ils me voient à la télé et dans
la police: lui, c'est impossible
pour eux. C'est pas... mais
que... C'est la vie qui a fait
ça, c'est la chance aussi, mais
c'est souvent d'être là au bon
endroit puis d'essayer de
réfléchir un peu comment je peux
faire... quelle stratégie je
peux avoir pour en arriver à mon
but. Parce que c'est sûr que si
on suit le guide du parfait
enquêteur pour récupérer des
œuvres d'art dans le milieu du
crime organisé, je pense qu'on a
pas beaucoup de succès à avoir.
Mais souvent, j'ai pris des
chances, souvent, j'ai pris des
méthodes qui étaient pas
nécessairement très bien vues,
ç'a été profitable, mais
c'est... Mon but n'était pas
nécessairement non plus très
orthodoxe comme la police, de
porter des accusations. Mon but
était de récupérer l'œuvre
d'art. Donc, faire des deals
avec des voleurs comme on dit,
mes patrons auraient jamais
embarqué là-dedans, mais c'était
pour moi une façon que je savais
que peu importe la sentence
qu'il va prendre, au moins, je
vais récupérer des œuvres d'art
puis bon, on va diminuer les
accusations. Au lieu de porter
cinq charges, j'en portais deux.
Il me récupérait trois tableaux.
OK, on est quittes. C'est des
choses comme ça qui sont peu
orthodoxes.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et vous, est-ce que vous êtes
collectionneur?
ALAIN LACOURSIÈRE
Non. J'ai quelques tableaux,
mais pas énormément. Toutes les
œuvres que j'ai, c'est une
relation particulière que j'ai
eue avec les artistes. Pas au
niveau policier, au niveau
personnel. J'ai des Serge
Lemoyne, j'ai payé son loyer,
son atelier. J'ai quelques
œuvres qu'il m'a échangées
contre cet argent-là. Pierre
Gauvreau, la même chose. Avec
Janine Carreau. Je ne suis pas
un collectionneur, je fais
profiter mes clients, oui,
d'opportunités et de choses très
intéressantes au niveau
international, mais j'ai pas une
collection comme ça. Mais j'en
vois à tous les jours par
exemple. Je vois des choses que
la majorité des gens ne peuvent
pas voir. Ou j'ai entre mes
mains des œuvres de plusieurs
millions de dollars. Ça, ça me
satisfait.
GISÈLE QUENNEVILLE
Alain Lacoursière, merci
beaucoup.
ALAIN LACOURSIÈRE
Je vous en prie.
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