Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.


Vidéo transcription
Russell Smith : auteur et journaliste
Né en 1963 en Afrique du Sud, Russel Smith émigre, à l’âge de quatre ans, avec sa famille au Canada, à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Il étudie la littérature française en France et obtient une maîtrise en français de l’Université Queen. En lisant ses chroniques de mode, on imagine volontiers Russel Smith en dandy conservateur portant le monocle, se retirant le soir dans son manoir, faire le tour de son écurie ou sirotant un thé dans son énorme bibliothèque.
Gisèle Quenneville a pourtant rencontré le “ vrai “ Russel Smith, un homme simple et chaleureux, auteur de talent hanté par une maladie héréditaire qui poursuit sa famille de génération en génération. Une maladie qui l’a fait souffrir dans sa chair et qu’il a transmise à son fils.
Réalisateur: Simon Madore
Année de production: 2013
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Générique d'ouverture
Titre :
Carte de visite
Pendant que GISÈLE QUENEVILLE présente son invité, on montre des photos qui illustrent différents moments de la vie et de la carrière de l'auteur et journaliste RUSSELL SMITH.
GISÈLE QUENEVILLE
Tendance, mode, culture
populaire, Russell Smith en sait
quelque chose. L'auteur et
chroniqueur du Globe and Mail
est une référence. ll écrit à ce
sujet depuis 25 ans, et ses
opinions sont souvent
sollicitées à la radio, à la
télé et dans les grands
magazines nord-américains.
Mais derrière l'image ultra
branchée se cache aussi un autre
homme. Russell Smith est né à
Johannesburg, en Afrique du Sud.
Il a émigré avec sa famille à
Halifax, alors qu'il n'avait que
quatre ans. Comme son père avant
lui, il souffre d'une
déformation aux mains, une
déformation héréditaire qu'il a
transmise à son tour à son jeune
fils. Mais cet handicap n'a pas
empêché le jeune Russell de
faire son chemin dans la vie,
une maîtrise en français à
l'Université Queens l'a amené à
étudier en France.
De retour au Canada, il s'est
installé à Toronto où il s'est
taillé une place dans le monde
littéraire et culturel de la
ville-reine.
L'entrevue suivante se déroule dans la demeure de RUSSELL SMITH.
GISÈLE QUENEVILLE
Russell Smith, vous écrivez sur
la culture populaire, sur tout
un tas de choses. Ça peut être
les infidélités du général
Petraeus. Ça peut être les
avantages est les inconvénients
de Twitter, Facebook...
Dites-moi, où est-ce que vous
puisez votre inspiration? D'où
est-ce que vous prenez vos
sujets?
RUSSELL SMITH
J'ai une seule limitation, je
dois écrire sur la culture.
Donc, je ne me suis pas permis
d'écrire sur la politique, la
science, les affaires militaires
ou économiques.
C'est quand même un champ
presque illimité. Je passe
beaucoup de mon temps sur
l'Internet. Je lis, mais aussi,
je m'intéresse à... je me
considère observateur, tout
simple. J'observe les moeurs et
surtout, les surfaces des
choses. C'est les surfaces
esthétiques qui me préoccupent.
Et c'est parce que ma formation
était en arts, en arts
littéraires et visuels.
GISÈLE QUENEVILLE
Y a beaucoup de journalistes,
y a beaucoup d'écrivains qui
vous envient votre travail.
Parce qu'être observateur de la
culture, c'est quand même tout
un privilège. Est-ce que vous
sentez que vous avez un pouvoir
ou une influence avec ce que
vous faites?
RUSSELL SMITH
Non.
GISÈLE QUENEVILLE
Non?
RUSSELL SMITH
(Amusé)
Ha! Ha! Ha! Je crois que je
n'ai aucun pouvoir, aucune
influence. Je provoque des
débats, je provoque des
discussions. Mais...
est-ce que j'arrive à faire
changer les avis des gens ou
changer les décisions des
artistes, des programmateurs des
chaînes de télé ou de radio?
Non, je ne crois pas.
Ça existe dans une sorte de
domaine abstrait, privilégié qui
n'a pas de rapport avec le monde
réel. Et je dis ça avec une
certaine tristesse.
J'aimerais bien avoir de
l'influence.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous avez dit tout à l'heure
que vous êtes chroniqueur de
mode également. Comment est-ce
qu'on devient chroniqueur de
mode?
RUSSELL SMITH
Je n'ai aucune idée.
Je suis tombé là-dedans.
Je n'ai aucune expérience
formelle dans la mode. J'ai pas
étudié la mode, j'ai étudié la
littérature française et la
philosophie et les langues.
Mais je m'intéressais toujours
comme j'ai dit, aux surfaces et
aux expériences esthétiques et
les vêtements me fascinaient
toujours. Ma mère était très
belle. Et elle aimait la mode.
Et mon père était prof de fac,
il était enseignant de
littérature anglaise. Donc, à la
maison, mes deux influences les
plus importantes étaient les
magazines qui arrivaient à la
porte. C'était The Time Literary
Supplement, la revue la plus
importante littéraire anglaise
et Vogue, le magazine américain
Vogue. Donc, c'était mes deux
influences les plus importantes
dans ma vie intellectuelle.
Donc, la mode, je la considère
toujours comme une forme d'art
et d'expression et d'une sorte
de conversation esthétique qui
mérite toujours de la réflexion
et de la discussion. Comment
est-ce que j'ai commencé à
écrire? J'ai une petite histoire
drôle là-dessus. Quand je suis
arrivé à Toronto en 89, j'avais
terminé mes études en
littérature. Je ne voyais aucun
emploi vraiment très utile pour
moi. J'étais spécialiste en
poésie surréaliste.
GISÈLE QUENEVILLE
Ça donne pas... c'est pas des
grands débouchés.
RUSSELL SMITH
C'est ça. Alors, j'ai soumis à
un magazine littéraire et
intellectuel de langue anglaise
qui n'existe plus, qui
s'appelait The Idler.
Un magazine assez conservateur.
J'ai soumis un article sur ma
vie et la vie de ma famille en
Afrique du Sud dans les années
70. La vie d'une famille blanche
en Afrique du Sud dans l'époque
de l'apartheid.
Et ils ont accepté l'article.
J'étais très heureux, parce que
c'était ma première publication
et ça m'a donné l'idée pour la
première fois que je pourrais
être écrivain et pourrais
m'appeler écrivain. Donc, je
suis allé pour le premier
rendez-vous avec les rédacteurs
du magazine, qui étaient tous
des hommes dans la cinquantaine
avec leurs accents anglais et
leurs vestons en tweed.
Et ils ont dit: "Nous avons
beaucoup aimé votre article.
Est-ce que vous savez quelque
chose sur la mode?" Et j'ai
répondu bien sûr oui.
Je ne savais aucune chose sur la
mode, mais c'était à cause du
fait que j'étais jeune.
Et ils voulaient avoir une
lecture jeune, un public un peu
plus jeune. Et ils voulaient
commencer à écrire quelque chose
sur un sujet dont ils ne
savaient rien du tout.
Donc, j'ai dit: "Oui, oui, oui.
La mode, je m'y connais bien."
Ils ont dit: "Bon, vous êtes
désormais notre correspondant
sur la mode."
GISÈLE QUENEVILLE
En parlant de la
mode, la grande question qu'on
peut se poser... parce que vous,
vous êtes chroniqueur de mode
masculine... est-ce que les
hommes savent s'habiller?
RUSSELL SMITH
De plus en plus, à Toronto, au
Canada en général, ils savent
s'habiller. C'est vraiment une
lutte difficile que j'ai contre
la vieille tradition coloniale
et puritaine d'un pays
anglophone et protestant qui a
vraiment des préjugés contre
tout ce qui est esthétique et
tout ce qui est superficiel, dit
superficiel.
Donc, il y avait au début, il y
a dix ans, une grande résistance
que j'éprouvais quand j'écrivais
dans le Globe and Mail sur la
mode masculine.
Mais de plus en plus, je reçois
des questions de plus en plus
intéressées. Je crois que le
pays devient plus international,
un peu plus cultivé.
GISÈLE QUENEVILLE
Vos écrits, que ce soit sur la
culture ou sur la mode, sont
satiriques et parfois quand même
assez controversés. Et est-ce
que ce que vous écrivez, c'est
ce que vous êtes ou ce que vous
voulez projeter?
RUSSELL SMITH
C'est une bonne question.
Est-ce que c'est un personnage
que je crée ou est-ce que c'est
vraiment moi? Oui, je dois
avouer que quelquefois, c'est un
personnage que j'aime créer,
construire. Une fois construit,
il faut que je joue ce rôle.
Oui, j'imagine que quand j'écris
sur la mode, surtout sur la
mode, je deviens quelqu'un un
peu plus âgé qui porte peut-être
un monocle dans un oeil et... et
qui a une maison beaucoup plus
vaste, avec beaucoup plus de
bibliothèques.
GISÈLE QUENEVILLE
Et des chevaux à l'arrière.
RUSSELL SMITH
Et des chevaux en arrière,
c'est ça.
C'est un peu le rôle que je
joue. Je sais que c'est connu.
Je pense que les gens savent que
c'est mon rôle. J'ai le rôle
d'être le dandy, le dandy
conservateur d'une classe
sociale peut-être un peu plus
haute que la mienne et qui sait
les règles de ces classes
sociales. C'est un peu un jeu
que je joue.
Je suis né avec les os des
doigts fusionnés.
GISÈLE QUENEVILLE
Dès la naissance.
RUSSELL SMITH
Dès la naissance.
Aux pieds aussi. Et j'ai subi
plusieurs chirurgies pour
séparer et même enlever un
doigt. Ça s'appelle la
syndactylie. Ce n'est pas
vraiment limitant, parce que je
me sers des pouces et des doigts
comme ça pour pincer.
Si on a ça, cette opposition du
pouce, on peut faire n'importe
quoi.
GISÈLE QUENEVILLE
Mais vous êtes auteur, vous
êtes écrivain.
RUSSELL SMITH
Je tape avec cinq doigts.
Trois à la main droite, deux à
la main gauche.
GISÈLE QUENEVILLE
Mais vous avez eu des
chirurgies.
RUSSELL SMITH
Plusieurs chirurgies.
GISÈLE QUENEVILLE
Est-ce que votre fils va en
avoir?
RUSSELL SMITH
Non. On a décidé de ne pas
avoir de chirurgies. Les
chirurgiens sont beaucoup moins
certains ces jours-ci, beaucoup
moins interventionnistes. Et je
crois que moi, j'ai plus
souffert de la chirurgie que du
handicap lui-même.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous êtes né en Afrique du
Sud. Vous avez passé quelques
années là-bas. Vous avez
mentionné tout à l'heure que
votre première publication,
c'était un compte-rendu un peu
de ces premières années-là.
Quels sont les souvenirs que
vous gardez?
RUSSELL SMITH
J'ai très peu de souvenirs de
ma première enfance en Afrique
du Sud. J'ai des souvenirs de
l'hôpital, parce que...
parce que j'ai eu plusieurs
chirurgies quand j'étais petit à
cause d'une difformité avec
laquelle je suis né. C'est
génétique, c'est dans ma
famille. Ça s'appelle la
syndactylie. Et mon père
l'avait, et son père, etc.
Donc, la plupart de mes
souvenirs ont été les murs verts
d'un hôpital. Et aussi, ma
maison, j'ai des souvenirs des
servants, parce que tout le
monde avait des servants.
Je n'ai aucun souvenir politique
ni d'une vie à l'extérieur de ma
maison. Mais ça, c'est très
typique de la vie blanche sud-
africaine, d'être enfermé dans
une maison et de ne pas être
conscient vraiment d'un pays,
d'une vie extérieure.
On est très conscient de la
sécurité en Afrique du Sud. On
sort rarement, sauf pour jouer
au rugby et au tennis dans les
clubs privés. C'est une vie très
isolée. J'y suis retourné
plusieurs fois et j'ai éprouvé
les mêmes sentiments, les mêmes
expériences, d'être nulle part,
d'être isolé d'une vraie
culture.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous étiez quand même assez
jeune quand votre famille...
RUSSELL SMITH
Oui, j'avais quatre ans.
Je suis Canadien. J'ai grandi à
Halifax, je me sens plutôt
Nouveau-Écossais que
Sud-Africain.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous avez déménagé à Halifax,
parce que votre papa était
professeur de littérature
anglaise à l'Université
Dalhousie. Par la suite, vous,
vous avez choisi d'étudier la
littérature française. Pourquoi
la littérature française, et
est-ce que votre papa était
d'accord?
RUSSELL SMITH
Oui, il a été d'accord, oui.
J'ai commencé par faire mes
études en langues. J'ai étudié
l'allemand, l'italien et le
français. Mais j'ai choisi le
français pour pouvoir aller en
France pour faire une année à
l'étranger, ce qui faisait
partie de ma licence.
Et donc, comme ça, je suis tombé
dans la littérature française.
Mais je crois que d'une part,
c'était pour éviter la route de
mon père, pour ne pas être en
concurrence avec lui, en
essayant d'être prof de
littérature anglaise, tandis
qu'il était prof de littérature
anglaise. Je voulais être dans
un champ complètement différent.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous parliez tout à l'heure de
cette difformation que vous avez
aux doigts, le fait que vous
avez des doigts qui ont été
fusionnés. Est-ce que ça a été
difficile de grandir avec ça?
C'est sûr que votre papa avait
la même chose, mais quand on est
gamin, grandir avec ça...
C'est sûr que la
Nouvelle-Écosse, il y avait peut-être pas
de classes sociales, mais les
enfants, ça peut être méchants
quand même.
RUSSELL SMITH
Oui, c'est ça.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous l'avez ressenti?
RUSSELL SMITH
Non, je n'ai jamais eu du mal.
J'ai rarement été conscient d'un
handicap, parce que mon père ne
le permettait pas. Il ne parlait
jamais de notre différence comme
d'un handicap.
Il n'a jamais employé ce mot.
Il m'a jamais permis d'éviter de
faire les choses que font tous
les enfants. Les sports, j'avais
beaucoup de problèmes à lancer
les balles, les ballons. La
musique, je devais essayer de
jouer de la guitare et toutes
sortes de choses.
Et lui, c'était un grand rôle
pour moi. Lui, il était très
fort et très confiant. Il jouait
aux sports, il avait une femme
très belle, il a réussi dans sa
vie. Donc, vraiment je n'ai
jamais eu de problème.
Je suis peut-être devenu un peu
trop agressif moi-même à cause
de cette différence. Peut-être
un peu comme le...
comme le syndrome du petit homme
qui est un peu euh...
(Propos en français et en anglais)
le bully.
GISÈLE QUENEVILLE
(Acquiesçant)
Hum, hum.
Mais là, vous êtes confronté à
une autre réalité. C'est la
réalité que votre fils a
également hérité de la même
maladie. Et c'est à vous
maintenant de jouer le rôle de
père. Comment vous voyez ça?
RUSSELL SMITH
C'est beaucoup plus difficile
d'être père que d'être le jeune
avec... Quand on est jeune, on a
jamais su autre chose.
Je n'avais jamais conscience de
comment il serait d'avoir des
mains normales. Et lui, c'est la
même chose. Il commence à être
conscient et les autres enfants
de sa classe commencent à être
conscients, commencent à lui
poser des questions. Il commence
à rentrer à la maison en disant:
"Joey m'a demandé pourquoi
j'avais les mains différentes.
Qu'est-ce que je lui réponds?"
Euh...
C'est stressant, c'est
inquiétant et j'éprouve beaucoup
plus de mal en étant père que
j'avais en étant enfant.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous êtes devenu papa, votre
fils a quatre ans, vous êtes
devenu papa un peu plus tard
dans la vie que la normale.
RUSSELL SMITH
Plus tard dans la vie que la
normale, oui.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous avez, dans vos jeunes
jours, une vie très mouvementée,
très remplie, très olé olé même,
certains diraient. Quels sont
les défis auxquels vous faites
face maintenant, en étant papa
d'un jeune garçon?
RUSSELL SMITH
Le changement de vie que j'ai
éprouvé était énorme et
bouleversant et ahurissant.
Vraiment, je n'ai pas été
préparé pour le grand
changement. Je sortais, avant la
naissance de mon fils, presque
tous les soirs, quatre ou cinq
fois par semaine.
Souvent très tard. C'était, non
pas seulement ma vie sociale,
mais ma vie professionnelle.
C'était ma matière sur laquelle
j'écrivais. J'avais le sujet de
mes chroniques et aussi de mes
fictions de cette vie sociale.
J'étais expert en restaurants et
en bars et en boîtes de nuit, en
défilés de mode et en théâtres
et en... toutes sortes de choses
qui se passaient la nuit. J'ai
dû me changer de direction
complètement.
J'ai eu beaucoup de mal à
m'adapter. Je continue à avoir
du mal. J'ai du mal à me définir
maintenant, et de savoir quelle
est mon identité.
Je ne suis plus cette personne-
là. Aussi, j'ai eu beaucoup de
mal... de problèmes médicaux.
J'ai dû me ralentir beaucoup à
cause de ça.
Oui, je suis un peu perdu depuis
quelques années.
J'ai du mal à me redéfinir.
Et les nouvelles oeuvres de
fiction sur lesquelles je
travaille
- je travaille sur des
nouvelles en ce moment
- sont
très différentes.
Moins comiques, moins
satiriques, plus sérieuses.
Pour moi, ça a ouvert une porte
sur un nouveau genre de travail
et c'est un peu effrayant
d'essayer quelque chose de
nouveau à mon âge avancé.
Euh... mais c'est nécessaire
pour les artistes. Donc, ça a
été un avantage aussi.
L'entrevue s'interrompt le temps d'un poème récité par RUSSELL SMITH.
RUSSELL SMITH
Oui, y a un poème que j'ai
toujours apprécié d'Apollinaire:
Le pont Mirabeau. "Sous le pont
Mirabeau coule la Seine et nos
amours.
Faut-il que je m'en souvienne.
La joie venait toujours après la
peine. Vienne la nuit, sonne
l'heure, les jours s'en vont.
Je demeure."
L'entrevue reprend.
GISÈLE QUENEVILLE
Votre partenaire, la mère de
votre fils, a publié un livre
récemment, un livre qui a
beaucoup fait jaser. Après la
naissance de votre fils, elle a
sombré dans une dépression et
dans l'alcoolisme. Et elle
décrit dans son livre de façon
très explicite la vie d'une
maman alcoolique qui n'est pas
toujours très reluisante.
Comment est-ce que vous, en tant
que papa de votre fils et en
tant que conjoint, vous avez
réagi et que vous vivez avec ce
qu'elle a étalé sur la place
publique?
RUSSELL SMITH
Ça a été très difficile, parce
que notre vie personnelle a été
sous le microscope.
GISÈLE QUENEVILLE
Et très critiquée.
RUSSELL SMITH
Très critiquée. Sa vie
surtout, ses expériences ont été
très critiquées. Et même le fait
d'avoir publié le livre a été
très critiqué. On a dit que
c'était... pourquoi? Je ne
comprends tout à fait pas, mais
on a dit que c'était nuisible à
notre enfant, pour une raison
que je ne comprends pas, parce
que quand il lira ça quand il
aura, je ne sais pas, 15 ans,
pas avant
- je ferai certain de
ça
- quand il aura 14, 15 ans,
il lira ça, il fera ses propres
décisions, ses propres
conclusions. Et il verra que sa
mère avait un problème médical
et qu'elle a fait de son mieux
pour s'en sortir.
Et elle a réussi pour lui.
Elle a fait tout ça pour lui,
pour lui sauver la vie, et
qu'elle a réussi. Et c'est une
preuve de son amour pour lui.
Donc, je n'ai aucune peur de sa
réaction, après avoir lu ce
livre. Mais pour moi,
l'expérience n'a pas...
Oui, a été très...
très difficile.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous étiez d'accord avec la
publication?
RUSSELL SMITH
Ah oui, tout à fait. Parce que
je suis écrivain, c'est ce que
nous faisons comme écrivains.
J'écris souvent sur ma vie
personnelle. Mes expériences
personnelles sont la source de
plusieurs des anecdotes dans mes
livres, même si elles sont
fictionnalisées. On s'inspire
toujours de ses propres
expériences. Elle a toujours
publié des récits personnels,
des journaux, des blogues sur sa
vie personnelle. Ça se fait
maintenant. C'est comment on
gagne sa vie à nous deux. Donc,
je comprends tout à fait et je
n'essaierai jamais de limiter
l'expression de quelqu'un qui
veut... Et moi, personnellement,
j'ai offensé des gens dans le
passé quand j'ai écrit des
histoires dans lesquelles les
personnages étaient
reconnaissables. C'est le risque
qu'on prend d'être écrivain. On
décrit ce qui est autour de soi.
Donc, on prend le risque de
blesser les gens.
Il est à mon tour maintenant
d'être blessé par ce qui est
écrit. La première fois que je
l'ai lu, c'était juste avant la
publication, quand le livre
était presque prêt. Je n'avais
même pas le droit de demander
des changements.
GISÈLE QUENEVILLE
Auriez-vous demandé des
changements?
RUSSELL SMITH
Non, je ne pense pas.
Non, non. Peut-être oui, mais
c'est pourquoi...
Peut-être oui, j'aurais demandé:
"Ah, mais ne révèle pas que j'ai
fait ça." Mais ça aurait été
limiter la vérité du livre.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous approchez, je crois, de
la cinquantaine.
RUSSELL SMITH
Oui, cet été.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous avez toujours été vu
justement comme un homme...
RUSSELL SMITH
Comme un jeune.
GISÈLE QUENEVILLE
Un jeune et ultra branché.
RUSSELL SMITH
Oui, c'est ça, c'est ça.
Je ne le suis plus du tout.
GISÈLE QUENEVILLE
Maintenant, vous êtes le papa
d'un jeune garçon. Comment est-
ce que vous arrivez...
ou est-ce que vous arrivez à
réconcilier ces deux hommes?
RUSSELL SMITH
Je l'ai pas fait.
Je suis pas arrivé à réconcilier
les deux parties. Je sors très
tard le soir, à peu près deux
fois par an, tous les six mois.
Je fais une sortie. J'ai
participé beaucoup à la culture
de la musique électronique dans
les années 90.
GISÈLE QUENEVILLE
(Acquiesçant)
Hum-hum.
RUSSELL SMITH
Et surtout la musique techno,
avec la drogue qui accompagnait
la musique techno, beaucoup
d'ecstasy que je prenais dans
les années 90.
J'ai appris à être D.J. moi-même
et je suis D.J. amateur. J'ai
joué même il y a deux ou trois
ans dans un bar de mon ami.
Alors, je m'amuse toujours à
faire mes propres mixages, mixer
au sous-sol avec mes écouteurs
et imaginer que je suis dans une
boîte techno pendant une ou deux
heures.
Et c'est la fantaisie qui me
suffit. Mais deux fois par an,
je sors, je prends ma petite
pilule et ça me suffit
maintenant. Une fois par an, je
reviens à 4 h du matin et...
Mais de moins en moins, j'ai
besoin de faire ça. Le moins
qu'on le fait, le moins qu'on a
envie de le faire. Je ne sais
pas pourquoi.
GISÈLE QUENEVILLE
Et est-ce que vous sentez que
vous avez toujours la matière
que ça vous prend pour écrire
vos chroniques?
RUSSELL SMITH
Oui, parce que j'écris de
moins en moins sur cette vie
frénétique des rave et de la vie
souterraine.
J'écris de plus en plus sur les
affaires intimes: l'amour, la
vie sentimentale, émotive, les
liaisons amoureuses plus
sérieuses. Et j'ai commencé il y
a une semaine pour la première
fois de ma vie une nouvelle dans
laquelle il s'agit d'un papa et
d'un petit enfant.
Donc, oui, ça change selon mes
expériences.
GISÈLE QUENEVILLE
Russell Smith, merci beaucoup.
RUSSELL SMITH
Merci.
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