

Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Vidéo transcription
Claude Cormier, architecte paysagiste
Les boules roses, flottant au-dessus de la rue sainte-Catherine à Montréal; les plages urbaines de Toronto, Montréal et bientôt Kingston; les champs de marguerites et de pavots autour du Musée des beaux-arts de Montréal… Toutes ces réalisations audacieuses qui ont marqué le paysage urbain canadien ont un nom : Claude Cormier. Qui est ce Québécois à parcours atypique et où puise-t-il son inspiration?
Réalisateur: Simon Madore
Année de production: 2013
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Générique d'ouverture
Titre :
Carte de visite
Pendant que GISÈLE QUENEVILLE présente son invité, CLAUDE CORMIER, architecte paysagiste, on montre des images des projets qu'il a réalisés au cours des années.
GISÈLE QUENEVILLE
Pour faire sa
marque dans une ville, il faut
être audacieux. Et c'est ce que
Claude Cormier a réussi à
faire. Claude Cormier est un
architecte paysagiste, mais
ce qu'il fait, c'est de l'art.
Il crée des espaces publics
urbains. Parmi ses projets,
les boules roses qui traversent
le Village gai à Montréal,
les plages urbaines de Toronto,
Montréal et bientôt Kingston.
Et les champs de marguerites et
de pavot qui ont agrémenté les
espaces extérieurs du Musée
des beaux-arts de Montréal.
Rien n'indiquait que le jeune
Claude allait faire carrière
dans la grande ville. Après
avoir grandi sur une ferme au
Québec, Claude fait des études
en agronomie à l'Université
de Guelph. Il découvre ensuite
l'architecture du paysage
à l'Université de Toronto.
Quelque temps après, il rentre
à Montréal pour fonder sa
compagnie. Et de projet en
projet, Claude Cormier est
devenu une référence dans
son domaine.
L'entrevue suivante se déroule dans l'atelier de CLAUDE CORMIER.
GISÈLE QUENEVILLE
Claude Cormier, bonjour!
CLAUDE CORMIER
Bonjour.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous êtes architecte
paysagiste. Maintenant, quand
je pense à cette profession-là,
je pense: bon, c'est quelqu'un
qui peut organiser mes
platebandes puis faire un
patio. Faut dire que c'est pas
tout à fait ça que vous faites,
n'est-ce pas?
CLAUDE CORMIER
Pas tout à fait.
C'est beaucoup plus que ça.
On travaille principalement
sur l'urbain dans la ville.
Alors on travaille à organiser
des morceaux de villes, des
places publiques, des rues,
positionner des bâtiments
dans des ensembles, et ce qui
fait qu'on crée un genre
d'ensemble. Alors c'est tout ce
qui touche l'aménagement urbain
en tant que tel par le travail
du paysage.
GISÈLE QUENEVILLE
Maintenant, vous, vous avez
étudié en agronomie au départ.
Je pense que vous avez grandi
sur une ferme. Comment est-ce
qu'on passe de l'agronomie à
ce que vous faites en ce moment
qui est on ne peut plus urbain?
CLAUDE CORMIER
Bien, c'est quelque chose qui
a évolué à travers ma pratique.
Effectivement, oui, j'ai grandi
sur une ferme, euh, j'ai étudié
en agronomie dans l'idée de
faire de la génétique de
plantes. Mon rêve plus jeune
était d'inventer une fleur,
une rose...
GISÈLE QUENEVILLE
(Intéressée)
Hum!
CLAUDE CORMIER
Et une fois complété mon cours
de baccalauréat d'agronomie en
Ontario, j'ai réalisé que les
sciences et moi, on n'était pas
très compatibles, mais j'avais
toujours eu un attrait pour le
paysage; l'aménagement du
paysage à l'époque était
effectivement des jardins plus,
de ce qu'on connaît
habituellement dans les jardins
traditionnels, résidentiels.
Et lorsque j'ai commencé
à étudier à l'Université de
Toronto en paysage, je suis
arrivé en ville, hein... tu
pars de la campagne et tu te
ramasses au centre-ville
de Toronto... ce fut tout un
éveil, une découverte, et je
suis tombé en amour avec
la ville, avec l'urbanité. Et
au cours de mes études en
paysage, effectivement, j'ai
appris à reconnaître c'était
quoi la ville et mon idée de
paysages, de jardins
résidentiels s'est transformée
en travaillant avec le concept
de la ville. Et pour revenir à
l'idée de la génétique de
plantes, c'est ce que je fais
avec du paysage, c'est
d'inventer des nouvelles façons
de travailler puis de concevoir
des jardins. Donc, ça revient
quand même au point de départ.
GISÈLE QUENEVILLE
Quand vous avez commencé dans
le paysagisme urbain, est-ce
qu'il y en avait beaucoup qui
se faisait à ce moment-là?
Parce que ça fait quand même
un bon bout de temps que
vous faites ça.
CLAUDE CORMIER
Oui, oui, ça a toujours
existé. À Paris, avec
Haussmann où est-ce
qu'il a démoli des secteurs de
ville, pour créer des immenses
avenues. Central Park à New
York, l'idée du Mont-Royal,
Hyde Park à Toronto. Tu sais,
de créer ces grands parcs dans
des milieux urbains, c'est
travailler le paysage urbain
dans nos villes.
GISÈLE QUENEVILLE
Maintenant, qui vient vous
voir pour créer ces
installations, ces parcs
urbains? Qui sont vos clients?
CLAUDE CORMIER
On en a de toutes sortes. On a
des municipalités, on a la
ville de Toronto, la ville de
Montréal, on travaille avec des
universités, on travaille avec
des corporations, aussi des...
Toronto Waterfront, le
Vieux-Port... toutes sortes
de... et beaucoup de promoteurs,
développeurs immobiliers qui,
par exemple à Toronto, créent
des immenses complexes
immobiliers, des tours, et
c'est de créer effectivement
et de travailler avec les
architectes l'ensemble de ça.
GISÈLE QUENEVILLE
Quand on vous arrive puis
on dit: bon, bien, Claude,
j'aimerais que vous nous
fassiez une installation, vous
partez d'où pour trouver
le concept magique?
CLAUDE CORMIER
On part du site puis du
contexte dans lequel on est,
et de là une idée apparaît.
Puis à chaque fois, on a
toujours peur qu'elle
n'apparaisse pas, mais elle
apparaît toujours.
GISÈLE QUENEVILLE
Et quand on arrive sur un
site, est-ce qu'on veut partir
de zéro ou est-ce qu'il y a une
importance d'utiliser un peu
l'environnement qui entoure
le site qui verra le jour?
CLAUDE CORMIER
C'est jamais la même chose.
Je sais que de la manière que
nous on travaille avec mon
équipe, on est... je dirais pas
qu'on est pas des amoureux
de la nature, mais on est plus
des gens qui sont touchés par
la dimension culturelle des
choses, la culture. Et c'est à
partir de ça effectivement
qu'on est capables de
construire des paysages dans
lesquels on vient intervenir
en ville.
GISÈLE QUENEVILLE
Peut-être un exemple?
CLAUDE CORMIER
Bien, peut-être effectivement
les boules roses sur la rue
Ste-Catherine Est. C'était un
secteur de ville qui est quand
même assez... difficile au
niveau urbain en termes de
problèmes d'itinérance,
problèmes de drogue, problèmes
de... C'est pas un lieu qui
était toujours heureux, et
c'est être capables de créer
quelque chose qui donnerait
une humeur positive à ce
secteur-là, et on l'a fait
effectivement en installant un
ruban rose au-dessus de la rue
qui fait qu'on est capable de
continuer les mêmes fonctions
qui existent sur la rue, mais
de donner une humeur positive
et que les gens puissent se
reconnaître dans ce secteur-là,
puis on a jamais utilisé un
élément de nature là-dessus.
Mais en même temps, on reconnaît
la nature du secteur.
Alors c'est le Village gai,
alors on s'est pas gênés, on a
pris la couleur rose dans
laquelle on ne veut pas faire
référence au genre, mais en
même temps, on ne peut pas
l'ignorer; alors on l'a tout
simplement... on l'a...
plus qu'acceptée, on l'a
marquée. Ça fait maintenant
trois ans qu'on l'installe et
c'est devenu un genre de
(Propos en français et en anglais)
"brand" à Montréal les boules
roses dans le Village, et pour
moi, c'est du paysage urbain
en tant que tel parce qu'on
travaille sur une dimension qui
est à l'extérieur des
bâtiments. Ça pourrait être des
fleurs, ça pourrait être des
arbres. Mais dans ce cas-ci,
c'est un élément artificiel,
mais qui touche exactement
la... le contexte dans lequel
on est.
GISÈLE QUENEVILLE
Est-ce qu'il y a eu
des détracteurs?
CLAUDE CORMIER
Oui!... plein.
Question de sécurité, les
pompiers au départ, le projet
n'avait pas été accepté par
la Ville; il avait été refusé.
Parce que c'est des choses
nouvelles. Souvent,
effectivement, dans le travail
qu'on fait, on est toujours à
la limite de ce qui a été fait
ou a été accepté ou reconnu.
Donc, on bouscule. Puis c'est
sûr qu'à bousculer, y a des
gens qui à un certain moment
donné, sont pas prêts et ont
des réserves, ce qui est
normal. C'est ce qui est arrivé
avec la Ville. Mais on a été
capables quand même à travers
toutes nos négociations
d'obtenir leur approbation, leur
appui et leur confiance
pour le faire, et je pense
qu'aujourd'hui, ils en sont
très fiers parce que ça a une
grande portée aussi au point de
vue du tourisme. Et c'est
quelque chose qui est maintenant
attendu durant l'été, que les
boules reviennent pour créer
effectivement un genre
d'affluence plus importante.
Donc, c'est pas juste une
question de décor, mais c'est
beaucoup plus une portée
avec plusieurs dimensions.
GISÈLE QUENEVILLE et CLAUDE CORMIER regardent un cahier dans lequel sont réunies des phots de l'installation des boules roses au-dessus de la rue Sainte-Catherine est, dans le village gai à Montréal.
GISÈLE QUENEVILLE
Une des installations qui a
fait un peu votre renommée,
n'est-ce pas, c'est les boules
roses à Montréal. Les voici en
photos. C'est quoi le concept,
là, qu'on voit là?
CLAUDE CORMIER
C'est un ruban qui est composé
de 170 000 boules roses...
GISÈLE QUENEVILLE
C'est comme des boules
de Noël.
CLAUDE CORMIER
C'est des boules de Noël, mais
on les a fait fabriquer
spécialement avec une couleur
Pantone. On a cinq différents
types de rose, cinq
différentes grosseurs, qu'on a
enfilées sur des rubans, puis
on a 3300 rubans qui couvrent
un kilomètre de long... à six
mètres au-dessus dans la rue
accrochés sur deux rangées
de poteaux, fils d'acier, et qui
suspend tous ces éléments-là.
Et c'est les mêmes boules
d'année en année... Comme
je vous dis à Noël, on ressort
les mêmes boules, qu'on lave
souvent, mais on sort les
mêmes boules pour le ruban
dans le Village.
Une partie de l'entrevue se déroule à l'extérieur, sur la rue Sainte-Catherine est à Montréal. GISÈLE QUENEVILLE et CLAUDE CORMIER marchent sous l'installation de boules roses.
GISÈLE QUENEVILLE
C'est le fun, hein!
D'où vient l'idée de ces
magnifiques boules ici
dans ce bout de rue?
CLAUDE CORMIER
L'idée était effectivement de
prendre, plutôt que de faire
l'installation au sol, parce
que chaque fois que t'utilises
le sol en ville, c'est
difficile parce que t'as de la
livraison, t'as de la police,
t'as du stationnement, hein,
y a plein de... on a toujours
des contraintes pour se faire
dire non, alors on a décidé
qu'on allait prendre l'oeuvre,
qu'on allait la monter
six mètres dans les airs
où est-ce qu'on aurait moins de
difficulté. On s'est peut-être
trompés un petit peu, mais
ça a quand même libéré le sol,
et ce que ça nous fait, ça nous
fait une canopée qui nous
enveloppe puis qui fait qu'on a
un sentiment de... on est
dans quelque chose.
GISÈLE QUENEVILLE
Pourquoi vous dites:
"On s'est peut-être trompés
un petit peu"?
CLAUDE CORMIER
Parce qu'effectivement,
l'aérien est aussi problématique
en termes d'acceptation.
Prenons par exemple en cas
d'incendie...
lorsque les pompiers arrivent,
faut qu'ils déploient leurs
échelles... Alors faut être
capables de démontrer qu'on est
capables de couper les fils
rapidement pour ne pas entraver
à la sécurité. Le ruban a un
kilomètre de long: on part de
la rue St-Hubert jusqu'à la rue
Papineau. Et on en a un petit
ruban à tous les 50 cm.
Oui, ça a un impact positif,
il y a plus de monde durant des
événements des gros week-ends.
La rue, elle est pleine,
les terrasses sont pleines.
Des autobus de touristes
passent, ils s'arrêtent,
prennent des photos. Les gens
viennent se promener. On n'est
plus juste dans le Village gai,
c'est comme si le ghetto
s'est ouvert aussi à la ville.
L'entrevue reprend dans l'atelier de CLAUDE CORMIER.
GISÈLE QUENEVILLE
J'ai lu que votre philosophie
par rapport à votre travail,
c'est "artificiel mais vrai".
Qu'est-ce que ça veut dire, ça?
C'est abstrait pour moi, ça.
CLAUDE CORMIER
Bien, c'est abstrait, oui.
Mais c'est que souvent,
je trouve qu'aujourd'hui,
de plus en plus,
on est entouré de choses qui
se prétendent naturelles,
mais qui sont totalement
artificielles, mais y a du
faux. Puis quoi de pire que
de... Tu sais, l'authenticité,
aujourd'hui, je pense que c'est
une valeur qui est de plus en
plus importante. Alors dans le
travail qu'on fait, quand on
travaille sur de l'artificiel,
on veut pas faire semblant
que c'est du naturel. Alors,
pourquoi peinturer de la
pelouse qui aurait l'air verte
pour dire qu'elle est naturelle,
quand dans le fond, elle est
fausse? Alors on pourrait la
faire bleue.
GISÈLE QUENEVILLE
Et justement, vous utilisez
beaucoup de couleurs.
CLAUDE CORMIER
Oui, puis la couleur,
souvent... Le travail sur la
couleur qu'on fait, c'est
quelque chose qu'on a développé
avec les années sans savoir
qu'effectivement on avait
touché un élément très
sensible. Pourquoi les
piscines, par exemple, sont
toujours bleues? Qui a dit
qu'une piscine dans laquelle
tu te baignes est bleue?
Pourquoi on ne pourrait pas se
baigner dans une piscine jaune?
Ça pourrait être pas pire.
GISÈLE QUENEVILLE
(Amusée)
Ouais... Ha! Ha! Ha!
CLAUDE CORMIER
Une piscine blanche.
Y a des piscines noires...
Y a toujours des éléments qui
sont comme des codes acceptés,
et lorsqu'on commence à jouer
sur ces éléments de
couleurs-là, c'est incroyable
comment on bouscule le sens
de la perception, lorsqu'on le
bouscule, bien là, des fois,
on découvre des choses qui
permettent de changer ton
regard. Juste ça. Puis une fois
que tu changes de regard, bien,
ça peut t'amener ailleurs. Puis
je pense que le travail qu'on
fait, c'est là qu'il est limite,
mais il y a une réponse, les
gens en général répondent
très bien, et même, des fois,
répondent de façon négative,
mais ça devient comme des
éléments de controverse, et
c'est ça qui est intéressant.
GISÈLE QUENEVILLE
Et dans votre travail, le
contraire est vrai également,
dans le sens que vous utilisez
les couleurs qui représentent
la vraie chose que vous
représentez, mais avec des
formes différentes. Je pense
au jardin de marguerites ou
au jardin de coquelicots,
par exemple.
CLAUDE CORMIER
Oui, belle observation.
Effectivement, au Musée des
beaux-arts de Montréal sur
l'Avenue du Musée, ce champ
de marguerites-là qu'on crée,
hein, un champ de marguerites,
c'est jaune et blanc, alors on
utilise un élément artificiel
pour le marquer parce qu'on
vient comme les coller sur
la rue avec ces petits
autocollants autoroutiers-là
utilisés quand on fait du
lignage temporaire après la
construction d'une route.
Mais dans la façon qu'on les
assemble, le champ de fleurs
réapparaît. Alors dans ce
cas-là, l'artificialité n'est
pas dans la couleur,
mais c'est dans
la matière. Alors c'est
toujours ces jeux-là, c'est
subtil, mais y a toujours juste
un élément de l'équation qui
est permuté et tout se
transforme. C'est ça qui est
merveilleux.
GISÈLE QUENEVILLE
Je sais pas si on peut appeler
ça une niche, mais vous vous
êtes aussi fait une réputation
au niveau des plages urbaines.
Hein, très tendance depuis
un certain temps.
CLAUDE CORMIER
Oui.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous en avez créé deux à
Toronto, une ici à Montréal
et il y en a d'autres en
chantier à Kingston, à Toronto
également. D'où vient l'idée
d'avoir une plage urbaine?
Qui n'est pas une vraie plage...
CLAUDE CORMIER
Oui, c'est une vraie plage,
parce qu'il y a l'expérience
de la vraie plage, c'est le
contexte qui est différent.
On est dans un contexte urbain
dans chacune de ces plages que
vous avez nommées: y a Sugar
Beach, HTO à Toronto, la plage
de l'horloge du Vieux-Port
de Montréal, on est au
centre-ville. Et les plages au
centre-ville qu'on connaît,
récemment, j'étais à Chicago
et on peut dire qu'il y a des
plages urbaines. Lorsqu'on a
créé la première en 2002,
qui a maintenant dix ans,
plus que dix ans, si on s'était
basés sur la première qui est
apparue à Paris, Paris Plage
où est-ce qu'ils ont fait des
plages temporaires pour l'été,
pour les gens qui étaient pas
capables de sortir de la ville,
tu sais, une notion
démocratique, et de fermer
les rues le long de la Seine,
et y mettre du sable, des
transatlantiques, des parasols,
des palmiers, puis ils
faisaient un genre de
stage, il y avait un genre de
stage...
GISÈLE QUENEVILLE
On avait l'impression d'être
dans un film, finalement,
quand on allait là.
CLAUDE CORMIER
Oui, pendant deux mois,
avec des buvettes, des cantines,
et le monde est venu en grande
grande quantité. Nous quand
on faisait la première plage à
Toronto, c'était un concours,
on a emprunté cette idée-là,
mais plutôt que de la faire
temporaire, on l'a fait dans
l'idée de la permanence, mais
c'est aussi dans cette idée
de démocratie-là... C'est pas
tout le monde qui a des chalets,
c'est pas tout le monde qui est
capable de sortir de la ville
puis qui a la capacité et
l'endroit où aller. Alors
l'idée de prendre ton vélo,
descendre sur le bord du lac
Ontario ou dans le Vieux-Port
de Montréal, puis de passer
l'après-midi au soleil en
dessous d'un parasol avec les
deux pieds dans du vrai sable,
qui regarde la ville avec
de l'eau, mais dans laquelle
tu peux pas te baigner
parce que t'as des jetées,
des bateaux, y a une
expérience de plage qui
apparaît. Donc, c'est cette
typologie de... cette
nouvelle-là qu'est des plages
urbaines.
GISÈLE QUENEVILLE
Une chose qu'on ne sait
peut-être pas de ces plages-là,
c'est qu'il y a un côté
artistique.
CLAUDE CORMIER
Oui! Mais la première,
effectivement, elle est... et
j'ai vu le tableau la semaine
dernière à Chicago au Musée
d'art moderne, c'est un tableau
de Seurat, Un dimanche
après-midi à la Grande Jatte,
un tableau...
d'une foule qui est debout,
assise à l'ombre... sur une
plage verte de pelouse,
qui regarde la Seine, mais qui
donne effectivement l'humeur de
ce tableau-là, c'est l'humeur
qu'on a transposée quand on a
fait le concours pour HTO ou
Sugar Beach à Toronto, ce qui
fait que les réponses à notre
manière qu'on a composée,
ce parc, on les a empruntées
au tableau. Alors c'est quand
même... y a un saut, vous
parlez de la manière qu'on
travaille, on emprunte toujours
quelque chose quelque part,
qu'on vient détourner. Et c'est
là qu'on l'amène ailleurs.
GISÈLE QUENEVILLE
Une fois que vous avez fait
une installation, bon, vous la
faites, vous l'installez et
vous partez.
CLAUDE CORMIER
Oui.
GISÈLE QUENEVILLE
Comment savoir si ça marche
ou pas auprès du public?
CLAUDE CORMIER
Une fois qu'on l'a conçu puis
qu'il est construit, ce n'est
plus à nous, hein. On ne
l'opère pas, nous ne
l'entretenons pas, mais on
conserve nos yeux quand même
sur l'objet créé... Et je dois
dire qu'on s'en tire assez
bien. Pour moi, de voir que les
gens l'utilisent, les succès
que nos plages ont, les boules,
les tableaux ou d'autres parcs
qu'on fait, et quand les gens
sont là, pour moi, c'est la
réponse que ça fonctionne
très bien. Et quand je dis les
gens, c'est la population en
général, les jeunes, les plus
vieux, les touristes, les
locaux qui y habitent, et tout
cet amalgame-là, c'est une...
Mais s'il y a personne,
ça, c'est plus triste.
GISÈLE QUENEVILLE
Mais ça arrive pas.
CLAUDE CORMIER
Je... non. On s'en tire assez
bien.
GISÈLE QUENEVILLE et CLAUDE CORMIER regardent un cahier dans lequel sont réunies des photos de l'installation des marguerites au Musée des beaux-arts de Montréal.
GISÈLE QUENEVILLE
Ici, on voit le jardin des
marguerites. Qu'est-ce que
c'est ça au juste?
CLAUDE CORMIER
On est au Musée des beaux-arts
à Montréal sur la rue
Sherbrooke dans le Jardin des
sculptures. C'est nos petites
marguerites: tous les gens sont
interpellés. Y avait deux dames
qui sortaient du musée qui
ouvrent la porte, puis là,
elles se touchent: "Hé, que
c'est ça? Bien, là!..." Tu sens
qu'elles ont un plaisir
à être là.
CLAUDE CORMIER montre les matériaux qui servent à l'installation des marguerites.
CLAUDE CORMIER
C'est des éléments qu'on achète
d'un distributeur qui vend au
ministère des Transports ou aux
municipalités qui font de
l'asphalte. Une fois que les
rues sont complétées, avant que
les lignages soient faits, c'est
des post-it... je suis sûr que
vous reconnaissez...
GISÈLE QUENEVILLE
(Acquiesçant)
Hum-hum.
CLAUDE CORMIER
...ils sont avec un
autocollant, avec un pitch,
collés sur l'asphalte.
Alors ce qu'on a fait, on en a
collé 3500, des blanches et des
jaunes combinées ensemble pour
créer... c'est l'idée d'un
jardin de fleurs.
GISÈLE QUENEVILLE
Comment réagit le distributeur
quand vous appelez pour faire
une exposition?
CLAUDE CORMIER
Il se souvient quand tu
rappelles une deuxième fois.
GISÈLE QUENEVILLE
Il y a sûrement des gens qui
voient vos installations puis
qui trouvent que c'est du
superflu. "Pourquoi on dépense
de l'argent là-dessus?" Parce
que c'est sans doute des
projets qui coûtent cher.
Qu'est-ce que vous répondez
à ces gens-là?
CLAUDE CORMIER
J'ai de la difficulté à leur
répondre, je...
Mais pour moi, l'idée de vivre
dans un lieu qui a une...
une certaine esthétique,
une certaine... qui porte des
valeurs, je trouve que c'est
important. Parce que sinon,
ça vaut pas la peine.
(Propos en français et en anglais)
Get me out.
Si on n'a pas de lieu où
est-ce qu'il y a des valeurs
sensibles, un petit peu de
poésie, pas de la poésie en
parlant, mais juste...
d'être happé par des éléments
sensibles une fois de temps
en temps, ça fait du bien.
Alors pour moi, ce n'est pas du
luxe, ce n'est pas du superflu,
c'est juste du réel.
Puis le réel a pas toujours
besoin d'être horrible.
Alors c'est juste, pour moi,
c'est... hyper important,
hyper important, et ça a des
retombées économiques
positives, j'en suis certain.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous avez fait des projets
à Montréal, à Toronto, un peu
partout, est-ce qu'il y a une
ville, quand vous voyagez dans
le monde, est-ce qu'il y a une
ville avant-gardiste, une ville
qui vous vient en tête en
disant: ça, c'est vraiment une
ville modèle au niveau du
paysagisme urbain?
CLAUDE CORMIER
Il y en a plusieurs.
Copenhague en Europe est quand
même, je trouve que c'est...
pour moi, c'est une ville que
j'admire, que je trouve très
belle, hein, une ville qui a un
passé, une tradition puis un
patrimoine importants, et qui
est aussi capable de travailler
dans la modernité et travailler
dans la contemporanéité,
qui veut dire ce qui est
l'actuel. Sans tout bafouer,
puis de travailler: les vélos,
les autos, la culture, la
nature, tout ça entremêlé,
et ils sont capables de parler
anglais lorsqu'il y a des gens
qui viennent les visiter sans
l'impression qu'ils vont perdre
les Danois qu'ils sont.
Je les trouve assez beaux. Oui.
GISÈLE QUENEVILLE
Est-ce que c'est strictement
européen ou est-ce qu'on a des
villes en Amérique du Nord qui
sont un exemple à suivre?
CLAUDE CORMIER
Je trouve Toronto dans
sa lancée, depuis... ces
20 dernières années, je la
trouve assez belle.
Je trouve que les Torontois
sont ouverts, je trouve qu'ils
n'ont pas peur des gens qui
viennent d'ailleurs parce que
la ville est constituée
strictement de gens qui
viennent d'ailleurs, et il y a
comme une...
Je trouve qu'ils ont une belle
ouverture puis qui ont pas
toujours l'impression d'être
menacés par l'autre, par
d'autres cultures, et ça fait...
je trouve qu'il y a une culture
torontoise qui est en train de
s'établir forte, et c'est rendu
une ville. Ils sont ouverts...
Je trouve qu'ils sont prêts
à prendre des risques sur des
aspects qu'ici, on est
peut-être... qu'on donne la
prétention qu'on l'est, mais je
sais pas vraiment si on l'est
tant que ça.
GISÈLE QUENEVILLE
Toujours à Toronto, y a
toujours la fameuse autoroute
Gardiner...
CLAUDE CORMIER
Oui.
GISÈLE QUENEVILLE
...qui sépare justement ce
bord de l'eau avec la ville.
Il y en a qui disent qu'on doit
la démolir, l'enterrer, etc.
Encore une fois, avec vos yeux
de paysagiste urbain, qu'est-ce
que vous feriez?
CLAUDE CORMIER
Nous avons participé avec
le concours qui s'est pas
développé, et on avait comme
mandat, effectivement, la
portion d'une démolition
d'autoroute. Mais je pense que
l'on démolisse ou que l'on
conserve, dans les deux cas,
il y a une façon... Tu sais, tu
travailles avec la réalité qui
t'es offerte, et il y a des
éléments et des pour dans les
deux conditions. Mais pour moi,
l'idée de se rattacher vers
l'eau, d'enlever l'obstruction,
c'est sûr que c'est très
positif. Mais est-ce que tu vas
payer des milliards et des
milliards et des milliards?
Ou tu prendras ces milliards-là
pour injecter ailleurs?
C'est quand même des grosses
questions, mais l'idée de se
reconnecter avec son lac, c'est
excellent. Je trouve que c'est
fondamental, la personnalité,
c'est ça, et c'est comme ça que
Toronto s'est établie à cause
de la présence du lac.
GISÈLE QUENEVILLE
Vous faites un travail où
vous êtes obligé d'être
avant-gardiste, où vous êtes
obligé d'être nouveau, vous êtes
obligé d'être frais, vous êtes
obligé de vous démarquer.
Comment vous faites justement
pour demeurer avant-gardiste,
pour garder cette fraîcheur-là,
pour continuer d'étonner
les gens?
CLAUDE CORMIER
C'est toujours la... ça nous
inquiète constamment...
À chaque nouveau mandat, on a
toujours l'impression: ah...
On peut pas jamais s'asseoir sur
ses lauriers parce que tu vas
te faire déloger immédiatement.
Alors il faut demeurer
critique, faut demeurer ouvert,
faut éviter de devenir
complaisant. Je sais pas comment
on fait... Il faut demeurer
allumé, il faut continuer à
voir les choses, faut être
connecté sur ce qui se passe
autour de soi, socialement,
politiquement, culturellement,
pour essayer de demeurer
de son temps. Mais sans
toutefois, je pense, tirer
notre passé, puis pas juste
travailler dans la nostalgie,
mais essayer de travailler avec
une perspective ouverte,
mais dans une idée de
sensibilité. Tu sais, quand on
dit que tout ça, c'est inutile,
moi, je continue à croire que
non, ce n'est pas inutile.
J'aime vivre dans une ville
qui est belle. Puis j'aimerais
être capable d'y participer.
GISÈLE QUENEVILLE
Claude Cormier,
merci beaucoup.
CLAUDE CORMIER
Merci.
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