

Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Vidéo transcription
Véronique Rivest : Sommelière
Gisèle Quenneville part à la rencontre de la sommelière et chroniqueuse de vin Véronique Rivest. Cette oenologue de renom a été nommée personnalité de l’année 2013 par Radio-Canada et Le Droit, en plus d’avoir obtenu la 2e place au Concours du Meilleur Sommelier du Monde, en mars de la même année.
Réalisateurs: Simon Madore, Karen Vanderborght
Année de production: 2013
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GISÈLE QUENNEVILLE rencontre des personnalités francophones et francophiles: des politiciens, des artistes, des entrepreneurs ou des scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Début générique d'ouverture
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Carte de visite
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Fin générique d'ouverture
Des images de la vie de VÉRONIQUE RIVEST défilent pendant la narration de GISÈLE QUENNEVILLE.
GISÈLE QUENNEVILLE
(narration)
- Véronique Rivest aime le vin.
Elle aime tellement le vin
qu'elle est devenue sommelière,
et elle est parmi les meilleurs
sommeliers au monde. L'an
dernier, elle a raflé la 2e
place au grand championnat
mondial tenu à Tokyo.
à 16 ans, Véronique commence à
travailler dans un restaurant.
Elle continue pendant qu'elle
fait son bac en langues à
l'Université d'Ottawa.
Après ses études, c'est le
domaine de la gastronomie qui
l'interpelle. Elle part en
France et se trouve du travail
dans des vignobles, des hôtels
et des restaurants d'Alsace.
De retour au Canada, elle
poursuit sa passion. Elle
s'inscrit à des compétitions et
petit à petit, elle monte les
échelons. Meilleur sommelier du
Québec, meilleur sommelier du
Canada, 2e meilleur au
monde. Pour faire toutes ces
compétitions, ça prend beaucoup
de temps et d'argent. Il faut
s'entraîner et il faut voyager.
Mais quand elle est chez elle,
dans l'Outaouais québécois,
c'est son conjoint et ses deux
enfants qui sont au centre de
son univers. Ainsi que son
nouveau bar à vin, parce que la
grande connaisseuse qu'elle est
tient à partager sa passion avec
les autres.
(GISÈLE QUENNEVILLE et VÉRONIQUE RIVEST sont maintenant assises l'une en face de l'autre dans une cave à vin.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Véronique Rivest, bonjour.
VÉRONIQUE RIVEST
- Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Quand vous étiez jeune, quelle
était la relation que vous
aviez avec le vin? Dans votre
famille, est-ce que c'est
quelque chose qu'on buvait
à tous les repas ou est-ce que
c'était plutôt tabou chez vous?
VÉRONIQUE RIVEST
- Non, c'était pas tabou.
C'était définitivement pas
quelque chose qu'on buvait à
tous les repas. Mon père est
Canadien français, Québécois.
Ma mère est Allemande.
Donc, il y a toujours eu un peu
une influence aussi,
l'influence du côté de ma mère,
des habitudes peut-être un petit
peu plus européennes qui se
sont mélangées à nos habitudes
nord-américaines. Mon père a
très vite apprécié le côté bon
vivant des Européens et on
buvait du vin à table, les fins
de semaine ou aux occasions
spéciales. Mais toutes les
semaines, définitivement,
certains soirs, il y avait du
vin, pas des grands vins.
Et les jours d'occasions
spéciales, là, on avait, si ma
mère pouvait trouver des bons
vins allemands, elle aimait
beaucoup. Donc, ça a été un peu
mon initiation aux vins. Ça
s'est fait beaucoup par les vins
allemands.
GISÈLE QUENNEVILLE
- À l'âge de 16 ans, vous avez
commencé à travailler dans
un resto. Est-ce que cette
expérience-là a influencé ce
que vous faites maintenant?
VÉRONIQUE RIVEST
- Ah, définitivement. C'était
vraiment à l'époque juste un
job d'étudiant. J'ai commencé à
travailler dans un restaurant,
j'avais 16 ans donc j'étais
hôtesse, parce qu'on a pas le
droit de servir de l'alcool,
donc je pouvais pas servir aux
tables. Et puis, je suis passée
après ça à travers tous les
métiers de la restauration:
hôtesse, commis, serveuse,
barmaid, gérante... puis
sommelière. Mais je me suis
très vite passionnée pour le
service à la clientèle. J'ai
toujours aimé le contact, le
contact humain, le contact avec
les gens. D'accueillir les gens
comme ça, de les aider à passer
une bonne soirée... J'ai très
vite aimé le métier et le monde
de la restauration en général.
Puis je pense que je suis
gourmande depuis toujours. J'ai
toujours aimé bien boire, bien
manger. J'aime goûter des
nouvelles choses, puis c'est
vraiment ça, je pense, qui a
un peu forgé mon parcours.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Pourtant, vous avez fait vos
études universitaires en
langues, en espagnol et en
allemand, je pense. C'était
dans le but de faire quoi, ça?
VÉRONIQUE RIVEST
- De devenir interprète. Je suis
le genre de personne qui a
jamais su ce qu'elle voulait
faire dans la vie. C'est drôle,
je disais ça il y a pas
longtemps encore, mon mari
était à côté, puis il a dit:
"Pourquoi aujourd'hui, tu le
sais?" J'ai très vite réalisé
que ce que j'aimais des
langues, c'était la possibilité
de pouvoir échanger justement
avec les autres, et pas le
côté très, très, très technique,
pour devenir interprète.
Mais ça m'est extrêmement utile
dans le monde du vin. Y a
beaucoup de gens qui font
une croix sur les vins
allemands, par exemple,
parce que c'est très difficile
à comprendre. Il n'y a pas plus
explicite qu'une étiquette de
vin allemand, si on comprend
la langue.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Après vos études, vous êtes
allée en France. Puis
finalement, vous êtes restée
sept ans, je pense.
Qu'est-ce que vous alliez
chercher là-bas, puis qu'est-ce
que vous avez trouvé?
VÉRONIQUE RIVEST
- J'ai toujours beaucoup voyagé
étant jeune et j'ai rencontré
comme ça une amie en voyage qui
avait les mêmes passions. On
s'est dit: On voyage souvent en
Europe, puis on a l'air d'aimer
ça, pourquoi on irait pas s'y
installer, pour voir si c'est
si bien que ça après tout. On
s'est inscrites à l'université
à Strasbourg, on est allées
étudier un an. Et j'ai
rencontré celui qui allait
devenir mon conjoint. J'ai dû
revenir au pays une fois que
mon visa a été expiré, mon visa
d'étudiant. Il m'a accompagnée
avec un visa pour un an; son
visa a expiré, on est
retournés. Bref, on a fini par
passer sept années ensemble
là-bas. Quand on a décidé qu'on
allait rester en France pour
quelque temps, parce que lui,
il démarrait une entreprise avec
un collègue, j'ai cherché du
travail et j'ai trouvé, j'ai vu
une annonce pour un job chez
un vigneron. J'ai dit: "Ça
serait le fun, ça." Ça tombe
dans mes cordes, c'était
l'accueil des clients, c'était
une structure touristique.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Mais à ce moment-là, vous
étiez pas spécialiste du vin?
Il y avait un intérêt.
VÉRONIQUE RIVEST
- Non, mais j'avais un intérêt
déjà marqué, j'avais quelques
années d'expérience en
restauration, dans le service
à la clientèle dans le monde de
l'hospitalité en général, si on
peut dire. Et j'ai passé trois
ans chez ce vigneron-là et là,
j'étais toujours... Ma passion
pour le vin s'est vraiment
confirmée. Et les gens de ce
vignoble l'ont remarqué et m'ont
beaucoup encouragée. J'étais
toujours rendue le nez fourré
à la cave, dans le labo de
l'oenologue dès que j'avais
quelques instants pour aller
parler avec ces gens-là,
apprendre d'eux. Et ils m'ont
beaucoup nourrie. Ils ont
réalisé mon intérêt et j'ai
suivi plusieurs formations
grâce à cet employeur.
GISÈLE QUENNEVILLE
- On a besoin d'une formation
pour être sommelier?
VÉRONIQUE RIVEST
- Dans le monde du vin, dans
le monde de la sommellerie,
je dirais que je suis une
autodidacte. J'ai suivi des
formations, mais qui sont
venues plus tard. Mes cours de
sommellerie, j'en ai suivi;
ils sont venus après cette
expérience-là de la France,
après plusieurs années de
restauration, après plusieurs
années auprès de producteurs de
vin. Donc, j'avais vraiment
acquis une solide expérience
sur le terrain. Mais j'ai
toujours cherché. J'adore
apprendre. Je pense que c'est
la seule chose que je savais,
quand je dis que je ne savais
pas ce que je voulais faire,
mais j'ai toujours aimé
apprendre. Et pour moi, peu
importe le métier ou le domaine
dans lequel on travaille, je
pense que tous les gens
qui vont se distinguer pour
leur excellence dans leur
domaine, ce sont des gens qui
sont en formation continue, qui
cherche toujours à apprendre,
à s'améliorer. De toute façon,
aujourd'hui, avec la vitesse à
laquelle voyage l'information,
la vitesse à laquelle les choses
évoluent, si on fait pas un
effort conscient de toujours
rester à jour, on est très vite
dépassé, peu importe le métier.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Moi, j'aime bien le vin, mais
de là à pouvoir distinguer les
différentes saveurs, la
provenance... ça, je suis pas
capable. Est-ce que ça prend
des qualités physiques même
pour être sommelier?
VÉRONIQUE RIVEST
- Souvent, le talent, c'est ça
et puis ça, c'est du travail.
Et je pense que ça s'applique à
beaucoup de choses. Beaucoup de
gens sont intimidés par le monde
du vin, justement par la façon
dont on en parle ou quand on se
met à parler d'arômes,
de description de vin.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Ça fait un peu prétentieux
par bout.
VÉRONIQUE RIVEST
- Oui, malheureusement, il y a
eu beaucoup de prétention dans
le métier, ça c'est une autre
chose. Mais d'apprendre, c'est
donner à tout le monde,
n'importe qui peut y arriver.
C'est tout simplement une
question de pratique.
C'est sûr, aujourd'hui, j'ai
développé une certaine
facilité, parce que ça fait des
années que j'y travaille, que je
consacre énormément de temps
à apprendre. On peut déguster le
vin comme ça, entre amis. Il y
a plein de gens qui font des
petits clubs de dégustation,
qui dégustent avec la famille,
des amis. Mais il faut le faire
avec rigueur, avec discipline,
avec une méthodologie pour
arriver à avancer et à mieux
comprendre.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Si vous aviez à créer une
carte de vins, c'est quoi pour
vous, la carte idéale?
VÉRONIQUE RIVEST
- Malheureusement, trop de
cartes des vins aujourd'hui
sont créées pour le sommelier
ou pour la personne qui les
fait. Et ça, pour moi, c'est
une très mauvaise carte des
vins. La carte des vins, il
faut la faire pour la
clientèle qui va fréquenter
l'établissement en question.
Je donne souvent l'exemple, si
un client arrive dans un
restaurant et ouvre la carte
des vins puis au bout de
quelques secondes la referme
puis commande un litre de vin
maison, c'est pas une bonne
carte des vins. Il y a une
intimidation ou quelque chose
qui s'est passé qui fait que
le client a pas connecté.
Il y a pas un seul critère qui
définit ce qu'est une bonne
carte des vins. Le critère le
plus valable, à mon avis, est
justement la corrélation entre
la carte et le restaurant, le
type d'établissement.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Et justement, est-ce qu'un vin
a besoin d'être cher
pour être bon?
VÉRONIQUE RIVEST
- Pas du tout. De toute façon,
le vin n'échappe pas au monde du
luxe. Et je vous dirais que
tout comme des voitures ou des
montres ou des vêtements,
des vins très, très chers
tombent dans une catégorie de
produits de luxe et ne sont
plus des vins qui sont pour
Monsieur ou Madame
Tout-le-monde. Le vin le plus
cher à produire sur la planète,
à peut-être quelques exceptions
près, il y a très peu de vins
qui coûtent plus cher à
produire qu'une trentaine de
dollars.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Hum, hum.
VÉRONIQUE RIVEST
- La majorité des vins coûtent
quelques dollars à une vingtaine
de dollars à produire.
Alors, quand ils se vendent
1500$ ensuite la bouteille.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Pourquoi?
VÉRONIQUE RIVEST
- Là, on ne parle pas de vieux
vins. Parce qu'en vieillissant,
évidemment, il y a d'autres
aspects.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Ils prennent de la valeur.
VÉRONIQUE RIVEST
- Ils prennent de la valeur.
Mais il y a des vins qui quand
ils sont mis en marché coûtent
1500$ ou 2000$ la bouteille.
Ces vins-là ne coûtent pas plus
cher à produire que 30 ou 35$.
On tombe dans l'univers des
produits de luxe, donc on
commence à payer pour la
rareté, pour le marketing,
pour le prestige, une question
d'offre et de demande.
Mais plus on monte en prix,
moins le rapport qualité-prix
est intéressant. C'est-à-dire
que la meilleure bouteille de
vin à 500$ que vous buvez dans
votre vie ne sera jamais dix
fois meilleure que la meilleure
bouteille à 50$.
Le rapport qualité-prix décroît,
plus le prix monte. Je vous
dirais que les meilleurs
rapports qualité-prix sont
entre 15 et 50$.
(Transition)
(GISÈLE QUENNEVILLE et VÉRONIQUE RIVEST sont maintenant debout dans un vignoble avec DANIEL LAFLEUR, directeur des ventes du vignoble Tawse.)
DANIEL LAFLEUR
- En fait, on est situé sur
l'escarpement du Niagara
à Vineland.
Le domaine a maintenant 12 ans.
On a commencé en 2001 très,
très, très petit. On a quand
même grossi un petit peu
depuis ce temps-là.
Vraiment, nous, on se concentre
sur quatre cépages qui sont
très, très importants dans la
péninsule: le riesling, le
chardonnay, le pinot noir et le
cabernet franc.
Nous, on utilise aucun
pesticide, aucun produit
chimique dans nos vignobles,
parce que quand on prend des
produits chimiques, on enlève
un peu la vie des vignes.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Et ce travail-là, est-ce que
ça se traduit dans le goût
du vin?
VÉRONIQUE RIVEST
- Oui, tout à fait. Je vous
parlais un peu de mon engouement
pour les vins du terroir, si
quelqu'un vous parle de vins de
terroir et puis que derrière,
dans les champs, ils
travaillent à coup de
pesticide, d'engrais chimiques,
il y a pas beaucoup de terroir
qui transparaît.
Aujourd'hui, dans un monde où on
peut avoir un vin d'Australie,
un vin du Languedoc puis un vin
d'Ontario qui goûtent la même
chose, parce qu'ils ont été
faits de façon peut-être un peu
plus industrielle justement,
plus manipulés, c'est plus une
recette. Un vin qui est issu
d'une viticulture respectueuse
de la terre et de
l'environnement a beaucoup
plus de chances d'être un vin
qui soit vivant.
(GISÈLE QUENNEVILLE et VÉRONIQUE RIVEST sont à nouveau assises l'une en face de l'autre dans une cave à vin.)
GISÈLE QUENNEVILLE
- Tout récemment, vous avez
remporté la 2e place au
concours du meilleur sommelier
du monde. Qu'est-ce que ça
signifie pour vous?
VÉRONIQUE RIVEST
- C'est énorme. C'est une grande
satisfaction personnelle. J'ai
le grand sourire tout de suite.
Des mémoires assez
exceptionnelles.
C'est drôle, quand j'ai commencé
les concours, je savais pas du
tout ce que c'était. C'était à
mon retour au Canada de la
France. J'avais entendu parler
de la scène de la restauration
et de la sommellerie au Québec
qui était en pleine ébullition.
Et j'ai vu passer une annonce
pour un concours. Je m'y suis
inscrite en me disant: C'est la
façon idéale - ça faisait même
pas un an que j'étais de retour
au pays - d'aller prendre le
pouls de l'industrie ici, voir
qui en fait partie, qui sont les
joueurs, quel est le niveau,
qui fait quoi. Et dans ce
concours-là, le but, c'était de
faire les quarts de finale
puis ensuite, d'assister aux
demi-finales et aux finales
qui prennent part en public,
pour voir un peu ce que c'est.
Je n'avais aucune idée de ce
que c'était, un concours de
sommellerie. Et je me suis
retrouvée malgré moi parmi les
finalistes à ce concours-là.
Ça a été un peu un choc. J'ai
refusé de faire plein
d'épreuves, parce que j'avais
aucune idée de ce qu'on
attendait de moi. Je ne savais
pas ce que c'était. J'ai vu un
peu les concours comme une
façon de m'assurer de rester à
jour justement, parce que ça
nous oblige... c'est une
préparation intense, on doit
étudier, on doit retourner à
nos livres, on doit justement
ne pas se reposer sur nos
connaissances, mais s'assurer
d'être bien à jour. Donc,
c'était une façon pour moi de
retourner aux livres et de
m'assurer de continuer cette
formation-là. Je pensais pas
pouvoir réussir dans ce
milieu-là au début, parce qu'il
y avait encore beaucoup
d'arrogance.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Hum, hum.
VÉRONIQUE RIVEST
- C'était encore un peu très
gants blancs, rempli de
protocole. Et il y a du
protocole autour du service du
vin et c'est très bien. Mais il
y avait beaucoup de façons de
faire qui étaient très loin
de ce que j'étais, de ma façon
à moi de faire les choses et de
voir les choses. Donc, j'ai
doublement de fierté
aujourd'hui d'avoir accompli
ce que j'ai fait. Non seulement
de m'être rendue où je me suis
rendue, mais de l'avoir fait
aussi en restant qui je suis.
GISÈLE QUENNEVILLE
- On est jugé sur quoi,
quand on participe à un
concours?
VÉRONIQUE RIVEST
- C'est une bonne question,
parce que beaucoup de gens
croient que ce sont que des
concours de dégustation.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Hum, hum.
VÉRONIQUE RIVEST
- Et ça, ça m'achale un tout
petit peu. Ça fait un peu chien
de concours. Dans des
manifestations autour du vin,
les gens viennent souvent puis
ils nous plantent un verre de
vin sous le nez:
"C'est quoi, ça?"
On est pas des machines.
C'est sûr, la dégustation est
une partie du concours, mais
tous les concours tournent
autour de trois points
principaux. Le plus important
est la théorie. C'est-à-dire
qu'on doit tout connaître sur
tout. Ce qui est impossible.
Mais pour quelqu'un qui aime
apprendre, c'est fascinant,
parce que justement, c'est
toute une vie d'apprentissage.
Ça n'arrête jamais.
On doit tout savoir sur la
viticulture. C'est de
l'agronomie, c'est de la
géologie. Tous les cépages du
monde. Comment pousse la vigne,
dans quelles conditions, les
façons de la cultiver. Les
différents modes de culture.
Tous les différents cépages qui
existent, tous les pays
producteurs de vin, toutes les
régions, toutes les
appellations qui régissent,
donc les lois qui régissent la
production de vin dans tous les
pays du monde. Et on a dépassé
le temps où il y avait
seulement Bordeaux, la
Bourgogne, l'Italie.
Aujourd'hui, la Chine est le
6e plus important producteur
de vin au monde. On fait du vin
au Brésil, en Inde, partout.
Donc, ça devient très, très
vaste. Il y a la vinification
qui est de la chimie. Donc,
tout ce qui touche au monde du
vin et aussi à la gastronomie.
Là, je reste toujours dans la
théorie. Bien sûr, comme
sommelier, une grande partie de
notre travail, c'est les
accords mets et vins, donc on
doit avoir de solides
connaissances en gastronomie,
française, italienne,
japonaise, les grandes
gastronomies du monde.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Et on se prépare comment
pour un concours comme ça?
VÉRONIQUE RIVEST
- C'est énormément d'étude pour
la partie théorique. Toujours
rester à jour. On ne saura
jamais tout.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Comment est-ce qu'on reste à
jour? Est-ce qu'on va sur place
pour visiter, pour voir?
VÉRONIQUE RIVEST
- C'est sûr qu'on peut apprendre
beaucoup dans les livres, mais
aujourd'hui, encore une fois,
malheureusement, un livre est
publié puis il est presque
devenu désuet quelques jours
après sa publication. Il y a
des choses qui ne changent pas,
les grands classiques. Donc,
c'est apprendre avec les
livres, mais aussi se plonger
dans le milieu. Donc les
voyages sur place avec des
producteurs sur place,
pour bien comprendre le
terroir, le terrain. La
théorie, c'est un aspect, le
deuxième, c'est le service,
donc tout ce qui touche au
protocole du service. Et le
troisième, la dégustation. Et
au-delà des vins, c'est tous
les spiritueux, tous les
alcools. Tous les spiritueux,
le saké, la bière et même des
produits non alcoolisés, tout ce
qu'on sert au restaurant.
De l'eau minérale, le thé, le
café. Juste le thé, c'est aussi
vaste que le monde du vin.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Maintenant, votre bouche est
jusqu'à un certain point votre
instrument, comment est-ce que
vous le gardez à point?
VÉRONIQUE RIVEST
- On fait très attention
justement en période de
concours, en période d'examen,
à ce qu'on mange. C'est sûr
qu'on va pas manger quelque
chose de très épicé ou de très
aillé ou de très relevé avant
une dégustation.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Est-ce que vous vous brossez
les dents?
VÉRONIQUE RIVEST
- Non. Oui, sur une base
régulière.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Avant un concours.
(Elles rient.)
VÉRONIQUE RIVEST
- Pas avant une dégustation.
Si j'ai un examen de dégustation
à 7 h le matin, il faut qu'il y
ait un minimum de trois ou
quatre heures entre le moment
où je me suis brossé les dents
et où je fais une dégustation.
Donc, le moment du réveil va
être en fonction du moment de
la première dégustation dans la
journée. Le repos, c'est très
important. Il y a vraiment un
travail un peu... Je fais
souvent des analogies avec les
olympiques ou avec des
athlètes, mais il y a beaucoup
de similitudes avec la
préparation d'un athlète. Le
concours du meilleur sommelier
du monde à Tokyo, comme il y a
un décalage important, c'était
13 heures, je suis arrivée sept
jours... Je serais même arrivée
plus tôt sur place, mais mon
emploi du temps me le
permettait pas. Mais je suis
arrivée sept jours sur place
avant le concours pour me faire
au décalage horaire, pour être
le plus reposée possible, pour
me faire à la nourriture,
à l'eau, à l'air. Il faut pas
oublier à quel point notre
environnement influence la
dégustation. Même en restant
chez soi, on ne déguste pas de
la même façon quand il fait
-30 et quand il fait +30,
quand il fait soleil ou quand il
pleut ou quand il neige.
Nous, en tant qu'êtres humains,
on perçoit les choses de façon
différente. Et les vins aussi
peuvent s'exprimer de façon
différente selon le temps
qu'il fait.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Un athlète olympique de très
haut niveau va avoir des
commanditaires, il va avoir
peut-être un peu d'aide du
gouvernement pour tous ses
entraînements. Est-ce que les
candidats au concours de
meilleur sommelier ont ces
mêmes incitatifs-là?
VÉRONIQUE RIVEST
- Ça dépend du pays.
Par exemple, au Japon, il y a
un engouement incroyable pour
le vin et les sommeliers qui
réussissent ont un statut
presque de rockstar.
Et il y a énormément de soutien
qui vient de tous les côtés,
du soutien financier pour les
candidats pour le concours du
meilleur sommelier du monde au
Japon et dans certains pays.
Chez nous, c'est plus récent,
mais ça s'en vient.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Parlons de vins maintenant.
Pour les puristes, c'est le vin
français qui est le meilleur.
Est-ce que c'est un mythe
ou une réalité?
VÉRONIQUE RIVEST
- Ouf, question difficile,
parce que j'ai un petit
penchant personnellement
pour les vins français.
Vous savez, il y a pas de...
Aucun pays n'a le monopole de la
qualité, aucun pays, aucune
région. Il y a de la piquette
qui se fait partout dans le
monde. Et la France fait
probablement plus de piquette
que n'importe qui, tout
simplement parce qu'ils font
plus de vin que n'importe qui.
Question de proportion.
Aujourd'hui, avec les avancées
de la technologie, on comprend
beaucoup mieux. Même si ça
reste une science encore un peu
obscure, on comprend beaucoup
mieux la viticulture et les
vinifications. Il n'y a
presque plus de mauvais vins.
Mauvais dans le sens où qui
posent un danger pour la santé.
Après, c'est une question de
goût. Il y a beaucoup de
différents styles. Y a des
vins plus industriels et il y a
des vins qui sont plus des vins
de terroir. Tous les styles
existent et tous les goûts sont
permis. Et ça, c'est quelque
chose auquel je tiens
énormément. Pour moi, ça reste
avant tout une question de
goût. Le meilleur vin pour moi
n'est pas le meilleur vin pour
tous. Le meilleur vin pour moi
un jour ne sera pas
nécessairement le meilleur vin
le lendemain. Encore une fois,
ça dépend. Je dis souvent: Le
plus grand vin du monde, s'il
est pris en mauvaise compagnie,
sera pas très, très bon.
(GISÈLE QUENNEVILLE rit.)
VÉRONIQUE RIVEST
-Alors qu'un vin très ordinaire
pris en magnifique compagnie
peut nous laisser un souvenir
extraordinaire.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Je pense qu'on peut dire que
les vins canadiens ont fait
quand même un bon bout de
chemin ces dernières années,
ces dix dernières années.
Comment est-ce que les vins
canadiens se mesurent contre
les producteurs plus
traditionnels comme les vins
français ou les vins italiens,
par exemple?
VÉRONIQUE RIVEST
- Ça, c'est source d'une grande
fierté. On a avancé de façon
très, très rapide. C'est sûr
qu'on apprend plus vite
aujourd'hui qu'il y a 200 ans.
Encore une fois, on profite de
tous les essais et les erreurs
et les expérimentations de
vieux pays viticoles. Donc, les
nouveaux pays viticoles
avancent, progressent beaucoup
plus rapidement. Au Canada,
et en Ontario en particulier,
on a un niveau de qualité qui
est remarquable. On fait
aujourd'hui ici des vins qui
sont tout à fait de calibre
international, et pas seulement
le vin de glace, hein.
C'est sûr qu'on a un peu fait
notre marque à l'international
avec le vin de glace; ça a été
ce qui a ouvert la porte un peu
partout, mais c'est beaucoup
plus que ça, puis heureusement,
parce que des vins de glace,
c'est pas quelque chose qu'on
boit tous les jours. On fait
vraiment d'excellents vins.
Encore une fois, comme je
disais pour la France ou pour
l'Italie, y a du bon et y a du
moins bon. Comme partout
ailleurs. Mais nos meilleurs
vins sont vraiment d'une
qualité tout à fait
exceptionnelle, n'ont rien à
envier à aucun autre pays.
Et je dirais même... Je tiens
beaucoup moi, à la notion de
terroir, à ce qu'un pays ou une
région produise des vins qui
sont à l'image de la région. Et
justement, je crois que nos
plus grands vins sont des vins
qui s'inscrivent dans une
tradition plus vieux monde,
c'est-à-dire qu'ils vont plus
se rapprocher de ce qui se fait
en France peut-être que ce
qui se fait en Californie ou en
Australie, et qui va plus se
rapprocher des climats frais.
Parce qu'on est dans un climat
frais, on s'entend. Pas juste
au niveau des hivers, mais au
niveau de la longueur de la
saison, etc. Mais on va faire
des vins qui sont plus d'un
esprit bourguignon ou bordelais
ou qui vont ressembler à des
vins de la Loire ou de
l'Alsace et pas à des vins de
Sicile ou à des vins des
Pouilles ou à des vins du Maroc
ou à des vins d'Australie.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Vous êtes parmi les meilleurs
sommeliers au monde. Et avec
cette 2e place à Tokyo, je
suis sûre que ça a ouvert
beaucoup de portes pour vous.
Pourtant, vous tenez à rester
dans votre région, dans la
région de l'Outaouais
québécois, alors que vous
auriez pu et pourriez aller
travailler dans des grands
restaurants un peu partout dans
le monde. Qu'est-ce qui vous
attache à votre région?
VÉRONIQUE RIVEST
- Ayant déjà beaucoup voyagé et
habité à l'étranger aussi, j'ai
cru à une certaine époque que
j'étais une citoyenne du monde,
que je pouvais vivre n'importe
où et que j'en serais heureuse,
mais je crois que ça prend de
vivre ailleurs pour réaliser
à quel point on est bien chez
nous. Je crois qu'au Canada en
général, on a une qualité de
vie qui est absolument
exceptionnelle. Moi, j'aime
beaucoup ma situation à cheval
entre deux provinces. Y en a
qui vont peut-être dire ou
parler de deux solitudes, moi,
je parlerais de deux richesses.
Et il y a inévitablement aussi
l'âge. On devient peut-être
moins mobile avec le temps, le
fait d'avoir une famille, des
enfants. Oui, je pourrais aller
travailler à l'étranger, mais
je préfère largement être ici,
dans une région qui me tient
beaucoup à coeur et où j'ai
toujours eu un soutien
incroyable des gens du coin
et de voyager dans le monde,
plutôt que d'aller m'établir
ailleurs où on a pas
nécessairement la même qualité
de vie.
GISÈLE QUENNEVILLE
-Vous suivez votre passion
d'une autre façon maintenant.
Vous allez bientôt ouvrir votre
propre bar à vin, chez vous,
dans la région de Gatineau,
à Hull, en fait. À quoi va
ressembler ce bar à vin?
Et pourquoi ouvrir un bar
à vin, là?
VÉRONIQUE RIVEST
- Parce que des fois, je me dis:
Je suis un peu folle de faire
ça maintenant, démarrer une
entreprise, puis la
restauration, c'est pas un
métier facile, mais c'est un
projet qui me tient à coeur
depuis longtemps. Je suis issue
de la restauration, c'est un
milieu que j'aime beaucoup.
Et le projet de bar à vin, je le
caresse depuis très longtemps,
mais c'est toujours resté dans
les tiroirs, parce que
justement, la préparation aux
concours est tellement intense
et exigeante que je ne pouvais
pas mener les deux projets de
front. Donc, c'est pour
accoucher d'un autre bébé que
je porte depuis longtemps que
je veux le faire, et je veux le
faire chez moi justement, parce
que je veux aussi redonner à la
communauté qui m'a soutenue
depuis les tout débuts et pas
seulement depuis que ça va
bien, et partager avec eux ma
passion. J'espère que ce sera
un lieu qui sera à mon image
où on peut découvrir, apprendre
sans arrêt, mais dans une
ambiance très détendue, très
sans chichi. Très approchable.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Souvent, quand on va chez
quelqu'un, on apporte une
bouteille de vin à offrir à
l'hôtesse. Est-ce que les gens
ont peur de vous apporter
du vin?
VÉRONIQUE RIVEST
- Ça existe encore et ça me fait
tellement de peine, parce que
j'adore voir ce que les autres,
ce que les autres aiment, ce que
les autres boivent, ce qui fait
plaisir aux autres. Oui,
malheureusement, ça arrive que
les gens vont dire: Ah, on va
apporter ça, ça, ça, mais toi
tu t'occupes du vin. Ça devient
lassant toujours s'occuper de
la même chose. Mais oui,
parfois les gens hésitent
encore, mais il y a pas de
raison, il y a absolument pas
de raison.
GISÈLE QUENNEVILLE
- Véronique Rivest, merci
beaucoup.
VÉRONIQUE RIVEST
- Merci à vous.
(Générique de fermeture)
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