Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.


Vidéo transcription
Marie Hélène Allain : sculpteure
Ses sculptures sont à la fois puissantes et humaines. Elles sont provocantes, voire même sensuelles. Pour Soeur Marie-Hélène Allain, son art est sa vocation. Marie-Hélène Allain entre chez les religieuses de Notre-Dame du Sacré-Coeur à 16 ans. En 1967, elle s’inscrit à l’école des Beaux-arts de Montréal. C’est là qu’elle découvre la sculpture. Depuis, Marie-Hélène Allain a participé à plus de 50 expositions au Canada, aux États-Unis et en Europe et ses sculptures font partie de plusieurs collections publiques et privées.
Réalisateur: Linda Godin
Année de production: 2014
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GISÈLE QUENNEVILLE rencontre des personnalités francophones et francophiles: des politiciens, des artistes, des entrepreneurs ou des scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Début générique d'ouverture
[Début information à l'écran]
Carte de visite
[Fin information à l'écran]
Fin générique ouverture
Pendant que GISÈLE QUENNEVILLE présente son invité, des photos de MARIE-HÉLÈNE ALLAIN à différents moments de sa vie défilent à l'écran.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ses sculptures sont à la fois
puissantes et humaines.
Elles sont provocantes,
voire même sensuelles.
Pour sœur Marie Hélène Allain,
son art est sa vocation.
Marie Hélène est née et a
grandi sur une ferme à
Ste-Marie-de-Kent, à une
trentaine de minutes au nord de
Moncton. C'est une enfant sage
qui meuble son temps en
dessinant dans ses cahiers.
À l'âge de 10 ans, elle suit
ses premiers cours d'art.
Marie Hélène entre
chez les religieuses
de Notre-Dame-du-Sacré-Coeur
à 16 ans. Elle devient
enseignante, mais sa
communauté l'encourage à
développer ses talents
d'artiste. En 1967, elle se
retrouve à l'École des
beaux-arts de Montréal pour
apprendre à enseigner les arts
plastiques. C'est là qu'elle
découvre la sculpture.
Marie Hélène Allain a participé
à plus de 50 expositions au
Canada, aux États-Unis et en
Europe. Ses sculptures font
partie de plusieurs collections
publiques autant que privées.
Marie Hélène Allain habite
toujours son village natal de
Ste-Marie-de-Kent.
Aujourd'hui, je la retrouve
dans son atelier.
(GISÈLE QUENNEVILLE et MARIE-HÉLÈNE ALLAIN sont assises l'une face à l'autre, dans l'atelier de cette dernière.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Marie Hélène Allain, bonjour.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous êtes sculpteure. Comment
est-ce que vous décririez votre
art, ce que vous faites?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Je crois que j'ai maintenu,
depuis les tout débuts
jusqu'à maintenant...
une tendance à exprimer comme
une force... une force...
une force de vie.
Et au tout début de mon travail,
j'avais tendance à faire
des œuvres complètement...
comme des monolithes que je
sculptais, qui étaient très
organiques.
On dirait que je cherchais
à donner à la pierre une sorte
de vie à travers un être
vivant.
GISÈLE QUENNEVILLE
(acquiesçant)
Hum hum.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Mais c'était non ressemblant,
si tu veux, c'était pas
nécessairement un animal, un
poisson... Souvent, on pouvait
retrouver une partie, on disait
une partie du corps humain,
une partie d'un animal...
Mais c'était abstrait,
ce que je faisais.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez déjà dit que la
sculpture pour vous, c'est une
vocation. Qu'est-ce que ça
veut dire ça?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Que lorsque je regarde
tout le parcours depuis
une cinquantaine d'années,
que...
c'est vraiment ce à quoi
j'étais appelée, comme métier,
si tu veux, comme expression
personnelle.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez mentionné que vous
travaillez principalement
la pierre; pourquoi ce
matériel-là, ce matériau-là
en particulier?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Au tout début, lorsque j'ai
commencé dans la pierre, j'avais
trouvé cet atelier par accident,
il était à l'extérieur de
l'École des beaux-arts de
Montréal, et tout de suite,
j'ai su que j'allais aimer
travailler la pierre. J'ai dit:
Le prochain semestre, je
m'inscris là. Et puis il est
arrivé aussi que c'était
l'œuvre... que j'ai reconnue
comme étant vraiment une œuvre
qui venait de moi,
que j'avais... j'avais...
j'avais comme exprimé quelque
chose de moi dans cet objet-là,
que j'avais vraiment fait une
œuvre de création. Me semble
que j'ai expérimenté ce que
c'était. Et puis j'ai découvert
que le matériau même est très
dur. Il me résiste.
Et il me donne du temps
pour... rêver un peu et décider
à mesure où je m'en vais.
Et ça correspond tout à fait
à mon fonctionnement à moi...
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que ça vous... Oui?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
... qui n'est pas
très spontané.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que ça vous arrive,
des fois, d'utiliser d'autres
matières? Je pense que oui,
hein?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Oui. Oui, oui.
Avec le temps, j'ai ajouté,
j'ai laissé paraître du métal.
Puis le métal est devenu un
morceau important aussi dans
l'assemblage et qui prenait un
sens dans les rapports que les
matériaux avaient les uns avec
les autres. Et maintenant,
j'utilise le bois de plus en
plus parce que c'est un petit
peu moins lourd que le métal.
C'est ça. J'ai utilisé des os,
j'ai... Oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez mentionné qu'au
tout début...
vos œuvres étaient... Bien,
de ce que j'ai vu en tout cas,
c'était des œuvres très
rondes, très lisses, polies.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Au tout début.
GISÈLE QUENNEVILLE
Certains disaient même que
c'était des œuvres sensuelles.
Est-ce que ce commentaire-là
vous a surpris? Est-ce qu'il y
avait de la vérité là-dedans?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
C'était plutôt au tout début,
parce que mes œuvres étaient
très... C'était des lignes très
tendues, très... courbes
et tout était poli.
Très organique. Les formes
étaient très organiques.
Et puis...
bien...
Je...
Oui, je, je... je n'ai jamais
essayé de me battre contre
cette perception qu'on avait de
mes œuvres. Je me disais:
Bien, ça fait partie de la
nature. Et je sentais qu'il y
avait... oui, qu'il y avait
de la vérité là-dedans.
Et puis on me l'a tellement
dit. Aux beaux-arts...
tous les jours, je pense, j'en
entendais parler. Et puis
encore ici pour un bon bout de
temps. Maintenant, on l'entend
de moins en moins.
GISÈLE QUENNEVILLE
Parce que vos œuvres
ont évolué.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Mes œuvres ont changé, oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Justement, de sculptures
lisses et rondes, vous êtes
passée à des angles, à des
morceaux pointus, à des
œuvres rugueuses; comment cette
évolution-là s'est-elle faite?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Ça s'est fait tout
naturellement. Parce que au
début, c'est sûr qu'on me
disait: Marie Hélène,
ça serait intéressant si tu
avais des parties rudes à côté
des parties polies et tout ça.
Mais oui. Mais je disais:
L'œuvre, elle, sa peau demande
d'être polie. C'est que ce qui
était exprimé dans cette
forme-là, pour moi, demandait
un fini comme ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
(acquiesçant)
Hum hum.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Maintenant, avec le temps,
il est arrivé, c'était par
pur accident, que j'avais...
J'étais en Italie et puis je
voulais profiter de... du temps,
du court temps que j'avais
à sculpter. Et puis toutes les
différentes sortes de pierres
qu'on avait là aussi. Alors
j'ai demandé l'aide de quelqu'un
qui dégrossirait l'œuvre pour
moi. Et puis celui qui est
venu, c'en était un nouveau qui
était dans cet atelier-là, et
je savais qu'il allait la
casser juste à le voir
travailler — mais c'était des
grands spécialistes, je n'avais
rien à dire — puis ils les a
cassées, justement.
Et puis il a cassé une partie
que... Il voulait la coller
puis...
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que ça se fait, ça?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Je voulais pas ça. Alors
éventuellement il y a une de
mes amies qui a dit: « Mais
pourquoi que tu le laisses pas
comme ça puis tu verras
à la fin? » J'ai pensé: Oui,
mais je faire tout... je vais
tout travailler mon morceau et
puis après, faudra que je
recommence à le rapetisser,
à travailler... J'étais
vraiment... Parce que ça allait
vraiment bien dans le morceau
que je faisais. Et rendu à la
fin, je me suis rendu compte
que j'avais trouvé la solution
pour justifier cette partie qui
était rude, qui était cassée.
La manière que j'ai fait ça,
c'est comme si que... Il y
avait comme un genre de
cicatrice qui se guérissait, si
tu veux, qui se... comme si le
morceau s'était détaché d'une
autre forme et avait pris
naissance par elle-même, si tu
veux. Et là, j'ai... à partir de
là, c'est comme si j'avais...
j'avais vraiment découvert une
manière d'utiliser la pierre,
le côté brut de la pierre.
Puis là, ça, j'en ai fait, j'en
ai fait... puis je les ai fait
parler... J'ai fait parler
la pierre brute de toutes
les manières.
GISÈLE QUENNEVILLE
Quand vous avez un bloc
devant vous, est-ce que vous
savez ce que vous allez en
faire? D'où viennent vos sources
d'inspiration?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Au début, je choisissais le
bloc en fonction de la
recherche que j'avais faite.
Je faisais de la recherche,
soit dans un morceau de terre,
de styromousse ou...
Je faisais... des morceaux
à trois dimensions et je
faisais beaucoup de recherche
comme ça. Et je partais d'une
forme où j'avais déjà une idée
générale de ce que j'allais
faire. Et là, je cherchais le
bloc qui convenait à ces
proportions-là. Mais lorsque
je suis arrivée à faire des
assemblages, c'est par des
essais et erreurs que je
fonctionne. Et ça prend beaucoup
de temps. Alors c'est ça, je
rêve autour de mes œuvres
et puis je décide à mesure. Oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Marie Hélène, vous dites que
votre matière préférée, c'est
la pierre, mais là en ce
moment, vous êtes en train de
sculpter le bois. Parlez-nous
un peu de l'œuvre qu'on voit
ici devant nous.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
J'ai fait déraciner des arbres
parce que pour moi, c'était très
important d'avoir comme symbole,
pour ce nouveau projet sur
lequel je travaille, je voulais
que les racines d'arbres soient
évidentes dans ce projet-là.
Alors il va y avoir pas mal de
racines d'arbres et il va...
GISÈLE QUENNEVILLE
Parce que là...
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Il va s'agir
d'une installation.
GISÈLE QUENNEVILLE
Voilà. Ça, c'est juste un
morceau, mais quand ce sera
fini, ça va être plein.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Oui. Je m'attends de remplir
une salle d'environ...
1500 pieds carrés à peu près.
GISÈLE QUENNEVILLE
Là, on est dans votre atelier.
Vous passez combien de temps ici
par jour, par semaine?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
J'essaie d'y passer autour
de six heures par jour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ce que vous faites, c'est un
travail très physique, vous
manipulez les pierres, vous
utilisez des gros outils. On
voit que vous avez des bonnes
mains. Est-ce que ça prend
un entraînement spécial
pour ce que vous faites?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Ça ne prend pas
un entraînement spécial,
mais à mesure que j'ai sculpté,
c'est sûr que probablement que
mes muscles se sont développés,
mes mains se sont développées
aussi.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez pas mal au dos,
des fois?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Oui. Parce que j'ai trop...
j'ai trop pris de risques.
J'ai voulu lever trop pesant.
Et alors ça, c'est un petit
problème. Il y a des maux qui
n'ont pas été guéris, si tu
veux. Je fais des exercices
tous les soirs... pour essayer
de me garder en forme.
Mais à part ça, je fais pas
d'autre entraînement, je n'ai
pas le temps.
GISÈLE QUENNEVILLE
Je voudrais juste ajouter
un peu de perspective, là...
Une sculpture, ça pèse combien?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Y en a pas deux qui pèsent la
même chose. Pour vous donner
une idée, la pierre en général
peut peser entre 165 à 170
livres le pied cube.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est pas gros, un pied cube.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Non.
GISÈLE QUENNEVILLE
Marie Hélène, vous avez grandi
pas très loin d'ici, ici même
dans le village de Ste -Marie-
de-Kent. à quoi ressemblait
votre enfance?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
J'ai grandi sur une ferme.
Il est arrivé que...
mes parents n'ont pas pu avoir
d'autre enfant que moi à un
temps où il y avait des
grandes familles autour
de chez nous. Et...
j'avais sept ans lorsque
j'ai eu un frère adopté.
GISÈLE QUENNEVILLE
(acquiesçant)
Hum hum.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Et j'avais 15 ans lorsque ma
petite sœur aussi est venue
chez moi. Ça me manquait
beaucoup de pas avoir de frère
et sœur. Mais je les ai
beaucoup aimés et puis...
ç'a été agréable d'avoir
une famille.
GISÈLE QUENNEVILLE
Il paraît que vous étiez une
petite fille très très sage.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Oui. Et ça, c'est dû au fait,
je pense, que j'étais élevée
entourée de grandes personnes.
Alors on avait comme décidé,
étant donné que ma mère avait
été très très malade à ma
naissance, on m'a comme pris
en main. Et puis on... on...
Je me souviens encore qu'on
parlait de moi et je les
comprenais et on disait: Un
enfant de cet âge-là, faudrait
que ça soit élevé comme ça,
fallait que ça agisse comme ça,
il fallait... Puis j'ai grandi,
je pense, un peu pour plaire.
Et je suis devenue une enfant
très responsable pour mon âge.
GISÈLE QUENNEVILLE
Une autre grande décision que
vous avez prise, c'était
d'entrer chez les religieuses.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Pourquoi ce choix-là?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Étant donné que j'étais une
petite fille très tranquille,
raisonnable, responsable
pour mon âge, c'est sûr que
j'ai... j'avais auparavant
entendu dire: Bien elle, Marie,
elle va faire une sœur, c'est
sûr. C'est comme si j'étais
comme... j'avais une
prédisposition. Je suis allée
compléter ma huitième année
à Bouctouche, au couvent
de l'Immaculée-Conception...
pour continuer, après, mon cours
secondaire. Alors là, j'étais
pensionnaire. Et là, j'ai connu
les sœurs pour la première
fois. Et puis... j'y pensais...
Là, rendu en 12e année, je me
souviens qu'on avait eu...
une retraite. Puis c'était le
père Maurice Chamard, cette
année-là, qui était vraiment...
Ceux qui l'auront connu
à l'Université de Moncton
l'avaient tellement aimé,
il était vraiment spécial.
Il a parlé des vocations,
à un moment donné,
puis il dit: « Bien, si vous vous
posez la question, si vous
pensez avoir la vocation,
bien demandez-vous premièrement
si vous êtes capable de vivre
en communauté. »
GISÈLE QUENNEVILLE
(acquiesçant)
Hum hum.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Bien moi, c'est sûr,
ce côté-là, c'était...
GISÈLE QUENNEVILLE
Ça vous allumait.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Je dérangeais personne trop
puis j'étais responsable,
je faisais pas de crises...
j'étais... j'étais vraiment...
à ce point de vue là, je
pensais que je pouvais...
J'étais très adaptable,
si tu veux.
Et puis...
Mais j'étais très... Lorsque
j'y pense maintenant, j'étais
pas une personne... j'étais pas
une enfant libérée. J'avais
voulu agir pour plaire,
naturellement.
GISÈLE QUENNEVILLE
Donc vous êtes
devenue religieuse.
Vous avez enseigné un peu.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et on vous a permis d'aller
faire l'École des beaux-arts
à Montréal. Vous êtes arrivée
à Montréal, c'était les années
60 c'était au moment
où on remettait en question
la religion.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
En pleine crise, oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce qu'on savait que vous
étiez religieuse, et comment
est-ce qu'on a réagi à votre
présence?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Je ne l'ai jamais caché que
j'étais religieuse. J'avais pas
trop de formation dans les
arts. Et lorsque... Les premiers
cours d'histoire de l'art qui
nous ont été enseignés,
j'ai été fascinée, surtout par
les sculpteurs, tels les Inuits,
Michel-Ange. Je les nomme parce
que je pense que ce sont les
principaux, parmi beaucoup
d'autres, qui m'ont plutôt
fascinée. Henry Moore.
Puis ce qui me fascinait,
c'était la force de vie que je
sentais dans ces œuvres-là.
Je me rappelle très bien d'avoir
vu une œuvre esquimaude,
une œuvre inuite, qui avait
peut-être deux pieds de hauteur,
et c'était un Esquimau qui
essayait de résister à un ours,
qui était debout.
C'était corps à corps.
J'oublierai jamais la sensation
que j'ai eue devant cette
œuvre-là. Je me disais:
Cet artiste-là a vécu
l'expérience qu'il décrit là...
tellement que je sentais
ça fort.
(Ce segment de l'entrevue se déroule à l'extérieur.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Marie Hélène, on est chez
vous, à Ste-Marie-de-Kent.
Quelle est la rivière
qu'on voit?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
C'est la rivière Bouctouche.
Elle prend sa source,
naturellement, de la mer. Et
puis y a aussi des sources qui
viennent de St-Paul-de-Kent,
qui est le village suivant.
Donc ici, l'eau, elle est
un peu salée.
GISÈLE QUENNEVILLE
La famille Allain, votre
famille, est ici depuis combien
de temps à Ste-Marie?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Mon Dieu, c'est depuis
longtemps. C'était dans les
1800... C'est Éli Allain, le
premier Allain de ma lignée
à moi. Parce que moi, je suis la
fille de Jos à Gonzague à Thomas
à Éli. Alors c'était le grand-
grand-père de mon père
qui est venu le premier
s'installer ici.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que vous, vous
pourriez vous imaginer vivre
ailleurs qu'ici?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
J'ai déjà vécu ailleurs.
J'ai vécu à Moncton et puis
à Bouctouche aussi. J'ai vécu
à Bouctouche. Oui, je pourrais
vivre ailleurs. Lorsqu'on a
décidé de construire l'atelier,
on a suggéré Ste-Marie parce
qu'on avait le terrain pour le
construire. Et en plus de ça,
mes deux parents étaient ici.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ça tombait bien.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Et j'ai été, j'ai vécu,
j'ai... j'ai été capable
d'apprécier mes racines,
ç'a été vraiment important
pour moi. Je suis très contente
d'être revenue.
(On revient en entrevue face à face dans l'atelier)
GISÈLE QUENNEVILLE
Marie Hélène, lorsque vous
étiez à l'École des beaux-arts,
je pense qu'il y a un collègue
qui vous a dit: « C'est dommage
que vous êtes sœur, sinon
vous pourriez devenir
une artiste professionnelle. »
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
C'est vrai.
GISÈLE QUENNEVILLE
Comment vous avez réagi
à ce commentaire-là?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
J'ai dit: « Qu'est-ce que
tu veux dire? »
Mais il dit: « Bien... comme
sœur, tu pourras pas exprimer,
tu seras jamais libre de
t'exprimer. »
Puis c'est vrai que depuis
que... — j'étais à l'École des
beaux-arts à ce temps-là —
j'avais vraiment saisi les
exigences d'une vraie création.
Qu'il fallait vraiment que ça
vienne du dedans et puis que...
On contrôle pas ce qu'on...
C'est comme un impératif
de l'intérieur. J'exprime ça
comme ça aujourd'hui.
Et puis...
Puis en plus de ça, on me disait
que mes œuvres étaient très
sensuelles et puis...
Je me souviens que le gardien
à l'École des beaux-arts, il
rentrait souvent, il disait:
Moi, je rentre ici plus souvent
qu'ailleurs parce que, il dit,
je viens voir, je viens flatter
tes œuvres.
Alors en tout cas, moi, je
m'étais jamais posé cette
question-là. Je me rappelle
la première année, quand je
m'en suis revenue avec tout mon
bagage, ce que j'avais fait déjà
à l'École des beaux-arts...
On a dit: Marie Hélène,
on veut voir ce que tu fais.
Bien là-dedans, il y avait...
on avait eu beaucoup de modèles
vivants par exemple, comme
exemple, là, et je suis allée
dans la galerie du gymnase
et j'ai tout exposé tous les
dessins que j'avais faits.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et comment est-ce qu'on a
réagi à votre expo?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Bien, on a... On était
intéressé. Il y en avait qui
enseignaient, qui me demandaient
pour avoir de mes dessins
pour mettre dans leur classe.
Ils mettaient pas,
naturellement, les nus dans les
classes, mais... Moi, c'était
toutes des expériences.
Puis personne... personne m'a
parlé de... que... c'est
comme... C'est comme si que ça
allait de soi. C'est un peu
comme quelqu'une qui faisait un
cours d'infirmière, mais...
Je veux dire, c'est...
Ça faisait partie du cours,
ça faisait partie de la vie
d'observer la nature, le corps
humain comme les arbres
comme le reste.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que le fait d'être
religieuse, est-ce que ça vous
définit comme artiste?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Aujourd'hui, je peux dire
que...
que ma vie religieuse
et ma vie artistique, c'est
comme si c'était un.
Parce que être religieuse, ça
m'a comme mise dans un cadre,
si on peut dire, qui m'a permis
de prendre du temps, un temps
fort, par exemple pour méditer,
pour réfléchir, pour faire de
la lecture du côté de... plus
du côté spirituel et tout ça.
La prière et tout ça. Et puis
avec le temps, naturellement,
j'ai approfondi les choses.
Et ma raison d'être en
communauté aussi, parce que
j'étais rentrée très très jeune,
alors j'ai beaucoup cherché au
cours de ma vie religieuse...
le sens... le sens de ma vie.
Le sens des choses et le
sens d'un choix, le sens de...
Je cherche encore le sens dans
mes œuvres. Je fais rien qui
n'a pas de sens, si tu veux,
faut qu'il ait sa raison d'être
et tout ça. Et...
Oui, ma vie religieuse a....
Mais au tout début, on me
disait: Marie Hélène, tes
œuvres sont très spirituelles.
Puis je pensais: C'est parce que
je suis une sœur qu'ils disent
ça. Parce que moi, je faisais
des œuvres abstraites. Puis...
je voyais pas où est-ce qu'ils
voyaient du spirituel dans
ce que je faisais.
Et avec le temps,
j'ai fini par un peu voir que
ma spiritualité avait une
influence sur ce que je fais.
Mais c'est pas des œuvres
religieuses, si tu veux, qui
représentent quelque chose
de religieux.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que vous vous êtes déjà
sentie déchirée par rapport
à votre rôle d'artiste et votre
rôle de religieuse? Est-ce que
vous avez jamais eu des doutes
de ce côté-là?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Non.
Non, pas les deux, non.
Il y a eu le temps où j'ai
réalisé... J'étais... La vie a
fait en sorte que je suis
devenue enseignante à mi-temps
et sculpteure à mi-temps
jusqu'à 1980.
Alors rendu en 75, 76...
je réalisais que...
Je voyais que j'allais donner
des demi-mesures des deux
côtés. J'allais faire de la
sculpture de dimanche
toute ma vie.
GISÈLE QUENNEVILLE
Hum hum! Ça, ça vous
intéressait pas?
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Pas du tout.
Pas où j'en étais.
J'avais compris quelque chose
de plus que ça. Et j'avais
même... Je savais aussi...
quelles auraient été les
exigences si je devenais
sculpteure à plein temps.
C'était pas sculpter pour plaire
aux autres, pour faire des
choses qui allaient bien se
vendre. J'allais tout simplement
obéir à... à... à ce qui était
demandé de l'intérieur, si tu
veux. Alors là, il y a eu un
conflit. J'étais sûre qu'il
fallait choisir...
entre enseigner à plein temps
ou sculpter à plein temps.
Et puis...
j'ai jamais pu me décider
d'aller voir l'animatrice
générale puis de lui demander
directement de devenir
sculpteure à plein temps.
Parce que...
Me semblait... je pensais...
On rentre pas en communauté pour
devenir un artiste, pour avoir
une vie... en sécurité pour
devenir un artiste.
Je suis allée la voir puis j'ai
dit: « J'ai pas la réponse. Je te
dis tout simplement ce que je
vis et puis tu t'arranges avec
le Saint Esprit. » Et elle dit:
« Je peux pas voir pourquoi que tu
pourrais pas devenir sculpteure
à plein temps. »
GISÈLE QUENNEVILLE
Voilà. Marie Hélène Allain,
merci beaucoup.
MARIE-HÉLÈNE ALLAIN
Merci.
(Générique de fermeture)
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