

Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Vidéo transcription
Jacques Israelievitch : violoniste
Violoniste de renom, Jacques Israelievitch joue depuis qu’il est tout petit. Du Conservatoire de musique du Mans en France, en passant par le Conservatoire de Paris et les orchestres symphoniques de Chicago et de St-Louis, son parcours s’est déroulé sans fausses notes. Premier violon pendant 20 ans à Toronto, il partage aujourd’hui ses connaissances avec de jeunes musiciens en herbe à l’Université York.
Réalisateur: Joanne Belluco
Année de production: 2014
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GISÈLE QUENNEVILLE rencontre des personnalités francophones et francophiles; des politiciens, des artistes, des entrepreneurs ou des scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.
Début générique d'ouverture
[Début information à l'écran]
Carte de visite
[Fin information à l'écran]
Fin générique d'ouverture
Pendant que GISÈLE QUENNEVILLE présente son invité, des extraits vidéos de JACQUES ISRAELIEVITCH, défilent à l'écran.
GISÈLE QUENNEVILLE
Il joue pendant des heures à
la fois, du Mozart, du
Schubert, du Beethoven, ainsi
que des oeuvres plus
contemporaines. Il joue depuis
qu'il est tout petit, depuis que
ses parents ont décidé de
l'inscrire au Conservatoire de
musique du Mans, en France.
Il a fait le Conservatoire de
Paris et l'Université de
l'Indiana. Il a joué pour les
orchestres symphoniques de
Chicago et de St-Louis. Il a
été premier violon pendant 20
ans à l'Orchestre symphonique
de Toronto. Il a enregistré une
quinzaine de disques solos, une
centaine avec différents
orchestres. Le parcours de
Jacques Israelievitch s'est
déroulé sans fausse note.
Aujourd'hui, il partage ses
connaissances avec des
musiciens en herbe à
l'Université York.
JACQUES ISRAELIEVITCH (hors champ)
Comme on dit, la musique
adoucit les moeurs. C'est
vrai qu'il y a un effet
civilisateur de la musique.
(GISÈLE QUENNEVILLE et JACQUES ISRAELIEVITCH sont assis face à face dans une salle de spectacle.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Jacques Israelievitch,
bonjour.
JACQUES ISRAELIEVITCH
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Dites-moi ou racontez-moi la
première fois que vous avez
pris un violon dans les mains.
Vous étiez où? Vous aviez
quel âge?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Alors à ce moment-là, ma
famille habitait au Mans...
et mes parents étaient amis
avec le directeur du
Conservatoire du Mans et je suis
l'aîné de cinq enfants. Et nous
avons tous pris des leçons de
musique. On chantait tous les
cinq, parce que ma mère avait
une très jolie voix et... les
randonnées en voiture, on
chantait à tue-tête tous les
succès de l'époque, les
chansons d'Édith Piaf, etc.
On passait les voyages à
chanter. Donc... les professeurs
de musique à ce moment-là
ont découvert que nous avions
tous une bonne oreille.
GISÈLE QUENNEVILLE
Hum-hum!
JACQUES ISRAELIEVITCH
Grâce à ça. Et on avait un
grand jardin. Alors il y avait
beaucoup d'arbres. Y avait des
branches. Et moi, je prenais
deux branches et puis je jouais
du violon. Alors... de fil en
aiguille, j'ai appris à lire la
musique. Et puis comme j'étais
l'aîné, je suis le premier à
avoir pris des leçons. Et le
violon, ça m'a plu tout de
suite. Et puis... j'ai commencé
à gagner des concours très vite.
GISÈLE QUENNEVILLE
Justement, je pense que vous
avez terminé au Conservatoire,
vous aviez à peine 11 ans.
JACQUES ISRAELIEVITCH
C'est ça, le Conservatoire du
Mans. Oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et à cet âge-là, vous étiez
passé à la radio nationale
française. Vous étiez
un prodige.
JACQUES ISRAELIEVITCH
Enfin, je sais pas. Mais...
les autres candidats, par
exemple, au Conservatoire,
avaient tous 17-18 ans au
moins. Donc... oui, c'est vrai
que j'étais précoce, disons.
GISÈLE QUENNEVILLE
Maintenant, vous êtes allé
ensuite au Conservatoire à
Paris et ensuite, vous vous êtes
rendu à l'Université de
l'Indiana. Qu'est-ce qui vous
a attiré à l'Université
de l'Indiana?
JACQUES ISRAELIEVITCH
À ce moment, et encore
maintenant, c'était une grosse
école de musique: 2 000
étudiants. En dehors de
Juilliard, c'était... l'école
la plus importante. Pourquoi en
Indiana? Parce que c'était un
peu le rêve d'un doyen qui a
été engagé et qui a trouvé des
professeurs exceptionnels, des
solistes de réputation
mondiale, qui se sont tous
retrouvés en fait entre amis,
dans ce petit village de
Bloomington. Et c'était vraiment
une source d'inspiration.
C'était... un haut lieu de la
musique.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que c'était
dans le but de faire carrière
aux États-Unis?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Pas spécialement. C'était dans
le but de m'améliorer.
Comme j'avais terminé le
Conservatoire de Paris à un
jeune âge, à 16 ans, c'était la
plus haute école de musique.
Donc il fallait que je me
développe. Et donc, on a pensé
que d'aller aux États-Unis, dans
une université, ce serait une
bonne idée. Et en fait, c'était
une excellente idée. Et...
après, je suis retourné en
France deux ans, mais on m'a
invité à venir enseigner. Alors
après les deux ans à Paris,
je suis retourné en Indiana.
Et puis ensuite, je suis resté
deux ans à enseigner le violon.
Et puis... j'ai passé le
concours pour être...
2e violon solo de l'Orchestre de
Chicago, qui est un des très
grands orchestres du monde.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que c'est un milieu
très compétitif?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Oui. On fait un concours. Et
c'est derrière un écran, donc
on ne peut pas voir d'abord si
c'est un homme ou une femme,
quel âge ils ont. Tout est
secret. Et les membres du jury
votent et ensuite, ils
découvrent qui ils ont élu.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ha! Ha! Et entre musiciens,
est-ce que c'est compétitif?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Oui. Évidemment. Oui, oui.
Je sais par exemple que, lorsque
j'ai obtenu ce poste à Chicago,
il y avait une quinzaine de
violonistes de l'Orchestre de
Chicago qui avaient postulé pour
ce poste. Ils avaient fait le
concours aussi. Et moi, je
m'amène tout jeune et je gagne
le concours. Alors... il y en
avait qui... à qui ça plaisait
pas tellement. Parce que j'avais
pas d'expérience. Mais enfin, y
en a d'autres qui ont été très
accueillants, qui m'ont aidé.
Ça s'est très bien passé.
GISÈLE QUENNEVILLE
Après Chicago, vous êtes allé
à l'Orchestre symphonique de
St-Louis et après ça, vous êtes
venu à l'Orchestre symphonique
de Toronto. Qu'est-ce qui vous
attirait à Toronto à ce
moment-là?
JACQUES ISRAELIEVITCH
À Toronto, d'abord c'était le
chef que je connaissais, avec
qui j'avais travaillé à
St-Louis.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'était qui à cette époque-là?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Günther Herbig, un chef
allemand qui était devenu le
directeur musical de l'Orchestre
de Toronto. Et qui... avait
besoin d'un violon solo. Et...
il m'a demandé si ça
m'intéressait. Et moi, j'aimais
bien la ville de Toronto, parce
que j'étais venu en visite
plusieurs fois en allant
au festival de Stratford.
GISÈLE QUENNEVILLE
Hum-hum.
JACQUES ISRAELIEVITCH
Donc j'avais passé quelques
jours ici et là à Toronto. Je
savais que c'était une ville
vivante, où il se passait
beaucoup de choses. Et je n'ai
jamais regretté ma décision.
GISÈLE QUENNEVILLE
Justement, vous avez passé 20
ans au sein de cet Orchestre
symphonique de Toronto.
Pensiez-vous rester si
longtemps que ça quand
vous êtes arrivé?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Je n'avais aucune idée. On
s'est plu. Je suis resté. Et...
maintenant, depuis sept ans, je
suis à York University.
GISÈLE QUENNEVILLE
J'ai l'impression, Jacques,
que vous n'aviez jamais eu un
grand plan de carrière, que les
choses se sont déroulées...
JACQUES ISRAELIEVITCH
Non, parce qu'au début, je
pensais que je serais soliste.
C'est en étudiant à Indiana
que j'ai réalisé qu'en étant
violon solo dans l'orchestre,
on peut tout faire. C'est-à-dire
qu'on peut jouer en soliste,
on peut aussi diriger, parce que
je le fais, on peut faire des
récitals, on peut faire de la
musique de chambre, on peut
enseigner. Tout ça dans le sein
d'une communauté. Alors que,
quand on est soliste, on passe
deux-trois jours dans beaucoup
de villes et puis on... on joue
toujours un peu le même
répertoire. Enfin, ça s'est
trouvé comme ça et...
sans aucun regret.
(GISÈLE QUENNEVILLE et JACQUES ISRAELIEVITCH sont à présent au domicile de ce dernier.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors ici, dans cet
environnement, on pourrait se
croire dans un musée, mais en
réalité, Jacques, on est chez
vous. Pourquoi autant d'oeuvres
d'art?
JACQUES ISRAELIEVITCH
C'est un petit peu ce que mon
épouse demande: "Pourquoi
tant?" Parce que... je ne crois
pas à la modération.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ce qui est fascinant, c'est
qu'il y a beaucoup de
sculptures, de céramiques ici.
C'est pas que des tableaux.
Alors vous êtes attiré par ça.
JACQUES ISRAELIEVITCH
C'est vrai. Parce qu'on avait
commencé principalement avec des
tableaux, photographies, tout
ça. Mais ça prend de la place.
Et il ne nous restait plus de
murs. Et je me suis dit: Bon,
les céramiques, y en a qui sont
grandes aussi, mais... les
petites céramiques, c'est tout à
fait intime. On peut les
dorloter, on peut les regarder
sous toutes les coutures,
n'est-ce pas? Et c'est que
j'adore en fait. C'est pour ça
que je collectionne les tasses,
par exemple. Parce que ça,
d'abord, on peut s'en servir,
et puis bon, est-ce qu'on a
besoin de 300 tasses?
Bien non, mais...
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous en avez 300?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Peut-être plus. Je sais pas.
J'ai pas compté. Mais y a au
moins 300 artistes qui sont
représentés. Et c'est ça qui
est intéressant pour moi. Un
petit peu comme, d'ailleurs,
pour les compositeurs.
Lorsqu'on me demande: "Quel est
votre compositeur favori?" là,
je ne peux pas répondre. C'est
comme si on me demandait...
J'ai trois fils. Quel est votre
fils favori?
(GISÈLE QUENNEVILLE et JACQUES ISRAELIEVITCH sont de nouveau assis face à face dans une salle de spectacle.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Jacques, vous, vous faites des
marathons. Mais pas des
marathons où on court pendant
deux ou trois heures de temps.
Vous, vous faites des marathons
de musique. Qu'est-ce que c'est,
un marathon de musique?
JACQUES ISRAELIEVITCH
C'est essayer de jouer toutes
les oeuvres d'un compositeur
pour mon instrument, donc pour
le violon. Quelquefois,
évidemment, violon et piano,
parce que la plupart du
répertoire est pour les deux
instruments.
Ça a commencé y a très
longtemps. Bach a écrit six
sonates... Enfin, trois
partitas et trois sonates pour
violon seul.
Et à l'âge de 19 ans, j'avais...
je les avais jouées en deux
concerts, à l'université. Il
paraît que ça s'était jamais
vu qu'un étudiant fasse ça.
Et puis j'y ai pris goût. Et...
ensuite, j'ai fait les 10
sonates de Beethoven en trois
jours. Et puis je me suis dit
que pourquoi pas essayer de
faire ça en un jour? Parce
qu'en général, si vous faites
un programme comme ça, toutes
les oeuvres d'un compositeur,
si vous le faites en plusieurs
jours, le public changera d'un
concert à l'autre. Y a très peu
de gens qui ont le loisir de
venir à, disons, trois concerts
dans une semaine. Mais si on
fait un dimanche et que ça
commence à 11 h et que ça finit
en fin d'après-midi ou le soir,
y a des gens qui veulent bien
consacrer une journée à ce
genre de chose. Parce que ça
vous montre l'évolution du
compositeur. Alors en ce moment,
ce que je fais, c'est les
sonates de Mozart. Ça, j'ai
fait ça avec Christina Petrowska
Quilico, et au mois de mai, on
a fait ça, ça a duré... On a
fait 28 sonates, ça a duré
sept heures et demie.
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors vous avez joué du violon
pendant sept heures et demie
de temps?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Pendant sept heures et demie.
Et elle a joué du piano.
GISÈLE QUENNEVILLE
Bien sûr! Mais ça doit être
épuisant, non?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Avec trois pauses. Alors ça a
fait quatre concerts de suite
avec trois pauses de 15 minutes
entre les concerts. Je dois
dire que j'avais jamais fait un
si long concert. Mais...
je me demandais si... si je
pourrais le faire. Mais en fait,
on est tellement pris par la
musique et tous les détails. Et
on fait de la musique. Ça, c'est
un vrai dialogue avec le
partenaire, que... on s'aperçoit
pas du temps qui passe. Et je
dois dire qu'on est arrivé à
7 h 30 du soir, quelque chose
comme ça, 8 h... et puis je me
dis: Ah! Je pourrais presque
recommencer.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et le public est au
rendez-vous?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Alors un nombre assez
étonnant de personnes sont
restées pour tout le marathon.
Ils avaient apporté à manger.
Nous aussi.
(Ils rient ensemble.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Maintenant, bon, vous faites
du Mozart, du Bach. Vous faites
les grands classiques, c'est
sûr. Est-ce qu'on peut dire que
vous préférez la musique
classique à la musique
contemporaine?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Non, pas du tout. En fait, le
peintre, cinéaste, sculpteur
Malcolm Snow, un grand artiste
canadien.
GISÈLE QUENNEVILLE
Très avant-gardiste.
JACQUES ISRAELIEVITCH
Nous sommes très amis et il
joue du piano, il fait des
improvisations. Et... on a fait
plusieurs improvisations
ensemble. Et l'une d'elles a
duré quatre heures. Alors donc,
ça, c'est contemporain. Oui,
c'est de l'avant-garde. J'aime
toutes les époques. Je n'ai pas
d'époque préférée. J'aime
beaucoup la musique
contemporaine, parce que c'est
du nouveau aussi. Quelquefois
du jamais entendu. Donc c'est...
D'explorer un terrain sonore
inconnu, encore inconnu, pour
moi, c'est une aventure.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que vous diriez que
les gens apprécient autant la
musique contemporaine
que les grands classiques?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Non, parce que c'est un
langage qui... qui est un peu
nouveau, donc il faut
s'habituer. Par exemple, mon
fils, qui est percussionniste,
nous avons une quantité
d'oeuvres écrites pour nous
spécialement par divers
compositeurs.
Ça, c'était vraiment une chose
de découvrir une musique
nouvelle ensemble et de
l'apprendre ensemble,
c'était... une expérience très
riche. Et évidemment,
jouer avec mon fils, c'était...
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez trois fils, je
pense. Ils sont grands. Fin de
la vingtaine, dans la
trentaine. Ils ont tous fait
de la musique? Avec un papa
musicien, il faut faire de la
musique.
JACQUES ISRAELIEVITCH
Celui dont je parle, Michael,
qui est un percussionniste, mais
les deux autres étaient dans le
hip-hop. Alors mon plus jeune
fils, maintenant, il s'est un
peu détourné de ça, mais il
écrivait de la musique pour des
rappeurs. Mais mon aîné, c'est
un rappeur très sérieux. Il a
beaucoup d'humour. Son style
est tout à fait humoristique.
GISÈLE QUENNEVILLE
Donc dans votre famille, on
chantait. Vous, vous êtes
devenu un grand musicien. Vos
enfants ont fait de la musique.
Vous avez une petite-fille.
Est-ce qu'elle fait de la
musique? Est-ce qu'elle fera?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Déjà! Oui. L'autre jour, je
l'ai vue sur Skype. Elle
imitait une chanteuse, n'est-ce
pas? Les expressions du visage,
les mots. Elle chantait en même
temps que l'enregistrement.
GISÈLE QUENNEVILLE
Elle a quel âge?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Elle a trois ans. Et elle
connaît bien la musique aussi,
parce que mon fils lui fait
découvrir toute sorte de
choses. Donc un de ses morceaux
favoris, c'est Eine Kleine
Nachtmusik de Mozart. Et un
jour, y avait quelqu'un qui
essayait de retrouver sur la
bande sonore ce morceau, parce
qu'elle voulait l'écouter. Elle
l'appelle Eine Kleine.
Et... ils sont tombés sur une
des saisons de Vivaldi.
Et elle a tout de suite dit:
"Non, ça, c'est Vivaldi. Je
veux Eine Kleine."
GISÈLE QUENNEVILLE
Donc déjà elle a l'oreille,
elle aussi. Vous parliez de
Skype tantôt. Je pense que votre
maman, qui est en France et qui
est quand même assez âgée
aujourd'hui, elle profite encore
de votre musique.
JACQUES ISRAELIEVITCH
C'est certain. Oui.
Quelquefois, quand on a des
répétitions chez moi, je
branche le Skype. Elle est au
téléphone et elle écoute.
(GISÈLE QUENNEVILLE et JACQUES ISRAELIEVITCH sont à présent dans la pièce de travail de ce dernier.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors, Jacques, où sommes-nous
en ce moment?
JACQUES ISRAELIEVITCH
C'est ma pièce de travail.
C'est là que j'apprends mon
répertoire. Je travaille mon
violon. C'est aussi ici que je
donne des leçons.
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors si ici, c'est votre
salle de travail, là, c'est
votre compagnon de travail.
JACQUES ISRAELIEVITCH
Alors voilà, oui, mon violon.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ça fait longtemps
que vous l'avez?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Ça fait... depuis 1978.
GISÈLE QUENNEVILLE
Hum! Mais faut dire que lui,
ça fait un petit moment
qu'il existe.
JACQUES ISRAELIEVITCH
Il avait presque 200 ans
quand je l'ai eu.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est pas un Stradivarius.
JACQUES ISRAELIEVITCH
C'est le meilleur élève de
Stradivarius. C'est Guadagnini.
Il date de 1782.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et comment vous avez mis la
main là-dessus?
JACQUES ISRAELIEVITCH
J'étais à ce moment-là avec
l'Orchestre de Chicago et je
connaissais un luthier qui était
très ami... qui savait que je
cherchais quelque chose et je
n'avais pas d'argent du tout.
Et donc, il m'a fait, en fait,
une faveur réelle, parce que...
il y avait un collectionneur
avec des moyens financiers
illimités, qui était prêt à
jeter le grappin sur ce violon.
Et il lui a dit: "J'ai un
musicien que j'aime beaucoup,
je voudrais qu'il ait ce
violon."
GISÈLE QUENNEVILLE
Ça vous tente de nous jouer un
petit quelque chose?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Évidemment.
Un petit peu de Bach.
(JACQUES ISRAELIEVITCH joue pendant quelques secondes.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Merci.
(GISÈLE QUENNEVILLE et JACQUES ISRAELIEVITCH sont à présent assis face à face dans une salle de spectacle.)
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors, Jacques, vous avez pris
votre retraite de l'Orchestre
symphonique de Toronto y a
quelques années déjà. Qu'est-ce
que ça veut dire pour vous,
prendre sa retraite?
JACQUES ISRAELIEVITCH
C'est simplement que, après 36
ans d'orchestre, j'avais envie
de faire autre chose.
Alors j'ai pris ma retraite de
l'orchestre après 36 ans, mais
le lendemain, littéralement,
le lendemain, mon contrat avec
l'Orchestre de Toronto a fini le
30 juin 2008 et, le 1er juillet,
j'ai commencé mon poste
à l'université.
GISÈLE QUENNEVILLE
Comme professeur de musique.
JACQUES ISRAELIEVITCH
Comme professeur de violon,
d'alto et de musique
de chambre.
GISÈLE QUENNEVILLE
Pour ces étudiants qui suivent
vos cours, est-ce qu'il y en a
plusieurs qui auront une
carrière comme la vôtre?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Ça, je ne sais pas.
Il y en aura. Mais c'est quand
même une minorité. La plupart
des élèves vont faire de
l'enseignement dans les écoles,
par exemple. Ou tout simplement,
ils vont faire... de la
thérapie musicale, ou des choses
comme ça. Ils vont continuer à
jouer de leur instrument, mais
moins sur le plan professionnel
que comme ajout
à une autre profession.
GISÈLE QUENNEVILLE
Quand vous êtes avec eux,
qu'est-ce que vous leur offrez?
Qu'est-ce que vous leur donnez
comme conseil?
JACQUES ISRAELIEVITCH
Euh... principalement, la
curiosité... d'explorer les
styles différents de musique
classique.
Il faut être fidèle à ce style.
Il faut pas jouer Bach comme on
joue Tchaïkovski par exemple.
Il faut trouver une sonorité
différente, parce que Bach,
c'est le style baroque;
Tchaïkovski, c'est le style
romantique. C'est pas la même
sonorité. Par exemple, du temps
de Bach, on n'utilisait pas
de vibrato. Cette chose qu'on
fait avec... qu'on fait aussi
avec la voix. Donc c'était un
son pur. Si on joue avec un son
pur pour Tchaïkovski, c'est tout
à fait... anachronique.
Tchaïkovski, faut le jouer avec
beaucoup d'émotion et une
chaleur qui est apportée par le
vibrato. Puis on apprend à
jouer ensemble par exemple.
Le rythme. De pouvoir écouter
les partenaires tout en étant
concentré sur sa propre partie,
ça, c'est pas évident. C'est
difficile à faire. Alors dans
ma classe collective, une fois
par semaine, je les encourage
à faire du déchiffrage.
C'est-à-dire qu'ils jouent des
morceaux à première vue, qu'ils
n'ont jamais vus. Et ils
essayent de... de le faire
sonner comme s'ils connaissaient
déjà ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
Ça doit pas être évident,
ça, de faire ça.
JACQUES ISRAELIEVITCH
C'est pas évident. Il faut
beaucoup de présence d'esprit.
Il faut aussi utiliser ses
oreilles pour pouvoir se
retrouver.
GISÈLE QUENNEVILLE
On dit souvent qu'aller voir
un concert de l'Orchestre
symphonique, c'est que c'est vu
comme étant quelque chose
d'élitiste, n'est-ce pas? Ça,
vous l'avez sans doute déjà
entendu.
JACQUES ISRAELIEVITCH
Oui. Évidemment.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et que les orchestres font
des efforts maintenant pour
attirer un plus grand éventail
du public. Est-ce que c'est la
chose à faire, selon vous?
JACQUES ISRAELIEVITCH
C'est certain. Parce que cette
grande musique, tout le monde
peut l'apprécier. Seulement,
il faut tout de même une
certaine connaissance pour
l'apprécier. Dans le temps, à
l'école, y avait toujours un
cours de musique. De plus en
plus, ils ont supprimé ces cours
de musique. Et c'est très
dommage, parce que la
musique... Comme on dit, la
musique adoucit les moeurs.
C'est vrai qu'il y a un effet
civilisateur de la musique qui
manque quand une école supprime
ce programme. Et d'ailleurs, on
dit l'effet Mozart par exemple.
C'est-à-dire que, quand on fait
des études musicales, ça aide
pour les mathématiques. Ça aide
pour toute sorte de matières.
Pourquoi? Y a des savants qui
peuvent l'expliquer. Mais c'est
indéniable. La musique devrait
faire partie de la vie. Et donc,
j'espère que les écoles vont
reprendre les cours de musique,
comme, par exemple, les cours
de dessin aussi. Les arts sont
civilisateurs.
GISÈLE QUENNEVILLE
Eh bien, monsieur
Israelievitch, merci beaucoup.
JACQUES ISRAELIEVITCH
De rien.
(Générique de fermeture)
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