Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.


Vidéo transcription
Roger Dallaire : conteur
Roger Dallaire est un conteur franco-albertain qui aime conter des histoires inspirées de faits vécus ou carrément inventées de toutes pièces. Il fait revivre des pans du passé avec sa «parlure» et son accordéon qui joue des airs Roger Dallaire est un conteur franco-albertain qui aime conter des histoires inspirées de faits vécus ou carrément inventées de toutes pièces. Il fait revivre des pans du passé avec sa «parlure» et son accordéon qui joue des airs d’antan.
Le conte, dont il est friand, reprend du galon depuis quelques années avec Fred Pellerin, son grand ami.
Roger Dallaire, natif du village de Saint-Paul en Alberta, est un fier Franco-albertain dont les racines semblent plonger jusqu´aux coureurs des bois d´il y a 400 ans.
Réalisateur: Joanne Belluco
Année de production: 2015
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Générique d'ouverture
Titre :
Carte de visite
Pendant de LINDA GODIN présente son invité, on montre des images de la ville de Saint-Paul ainsi que du conteur ROGER DALLAIRE qui joue de l’harmonica en costume d'époque.
LINDA GODIN
Il aime conter
des histoires. Inspirées
de faits vécus ou inventées
de toutes pièces.
Il fait revivre le temps du
passé avec sa parlure et son
accordéon qui joue
des airs d'antan.
Roger Dallaire, de Saint-Paul,
en Alberta, est un très fier
Franco-Albertain dont
les racines semblent s'allonger
jusqu'aux coureurs des bois
d'il y a 400 ans.
Roger Dallaire ne se limite pas
aux contes et à l'accordéon,
il joue aussi du ruine-babines
et de la guitare.
Il manie les marionnettes
comme il manie les mots,
avec finesse et dextérité.
Dans sa ferme sans électricité
ni eau courante, on pourrait
croire qu'il est né
à une autre époque.
ROGER DALLAIRE
(Citation tirée de l'entrevue)
On est pas
en train de faire semblant.
On est vrai pis ce qu'on vit,
c'est vrai.
L'entrevue suivante se déroule dans le décor du village historique de Fort Edmonton.
LINDA GODIN
Roger Dallaire, bonjour.
ROGER DALLAIRE
Bonjour, bonjour.
LINDA GODIN
Vous faites un peu de tout,
hein? Vous êtes conteur,
marionnettiste, musicien...
ROGER DALLAIRE
Ou fermier à mes heures!
LINDA GODIN
Vous êtes un homme-orchestre.
ROGER DALLAIRE
Oui, mais l'affaire, tu sais,
ça fait 16 ans que je fais ça à
temps plein et puis je pense
qu'un des trucs, c'est
d'avoir bien des chapeaux.
LINDA GODIN
Pourquoi vouloir faire un peu
de tout? C'est pour être le
plus... euh... Pas juste
versatile, mais pour pouvoir
combler un petit peu de tout et
arrondir les fins de mois, quoi?
ROGER DALLAIRE
L'affaire est, pour moi,
j'ai jamais voulu être un maître
de rien. L'accordéon,
je m'amuse beaucoup.
LINDA GODIN
OK.
ROGER DALLAIRE
Le conte, je m'amuse beaucoup.
La marionnette, je veux dire,
il y en a des biens meilleurs
que moi à tirer des ficelles,
mais... j'ai un plaisir
avec ça, à découvrir ça et puis,
je pense que le monde, quand je
fais des spectacles, il voit
ça que je suis là pour qu'on
s'amuse ensemble. On est comme
en visite, mais c'est rien
que moi qui jase. Très jeune, je
contais des histoires comme ça.
Ça faisait rire le monde.
Et de fil en aiguille, c'est
devenu ma carrière, mais je l'ai
jamais vraiment choisie.
LINDA GODIN
Vous êtes tombé dedans
alors, quand vous étiez pas
mal jeune, c'est ça?
ROGER DALLAIRE
Bien jeune. C'est la manière
de remarquer les choses,
la perception. Tu vois, le
dimanche à la messe, le monde
trouvait ça ennuyant pis moi,
j'avais une manière de voir
la bonne femme en avant pis
le bonhomme pis le curé
pis je racontais ça par après
pis le monde trouvait ça drôle.
Pourtant, ils étaient tous là.
Ils ont tous vu ça. Mais c'est
quand que je le raconte
que ça devient drôle.
LINDA GODIN
Pourquoi vous aimez raconter
des histoires? Qu'est-ce que...
C'est d'avoir le regard des
autres ou le centre d'attention?
ROGER DALLAIRE
Non, c'est ça qui est drôle
pareil. Alors, c'est pour ça que
je dis que c'est comme une
visite. Je fais pas ça pour me
faire voir, mais c'est plus fort
que moi, la manière de le dire.
Et puis, c'était drôle. J'ai pas
choisi le... Je me voyais pas
comme conteur. Alors, je voyais
pas ça comme des histoires.
Alors, moi, je raconte
deux choses: je raconte
des histoires, vraiment le conte
et beaucoup d'anecdotes.
Les anecdotes, je les raconte.
Alors, c'est comme ça en 10, 11,
12, à l'école. Il fallait faire
des choix, les mathématiques,
les sciences, pour s'enligner
dans notre carrière.
Pis moi, dans la liste des
carrières qu'il y avait là, je
me suis dit: Peut-être bien que
je ferais un garde-forestier.
Puis même à ça, j'étais pas
convaincu. Le monde riait
de moi. "Tu feras pas un
garde-forestier." J'avais gagné
le meilleur comédien et ils
voyaient que j'avais ce don-là.
LINDA GODIN
Oui, oui.
ROGER DALLAIRE
De faire rire le monde.
Puis, la faculté Saint-Jean, un
professeur m'appelle. Il me
demande si je vais poursuivre en
théâtre, choisir le théâtre
comme métier. Oh, j'ai dit: "Je
sais pas si c'est un vrai métier
surtout pour un gars comme moi,
dans un petit village". Il dit:
"Tu viendras me voir." Je rentre
dans son bureau et toujours
est-il, c'est pas croyable, mais
il m'a inscrit dans une école
de théâtre. Il s'appelait Roger
Parent. Il m'a inscrit dans
une école de théâtre à Toronto
et quand j'ai gradué, je me suis
rendu là. J'ai jamais moi-même
appliqué pour étudier
en théâtre.
C'est pour te dire à quel point
c'était fort, cette affaire-là.
Ça m'a pas rien que choisi,
ça m'a comme obligé de le faire.
Quand je suis revenu de Toronto,
dans l'ouest, c'est bien beau
avoir pris des cours de théâtre,
mais l'argent rentre pas.
Je veux dire, là, il faut que tu
travailles. Alors... Encore là,
un autre mystère: comment
est-ce que je vais trouver
de l'ouvrage? Pis ça itou,
c'est venu.
LINDA GODIN
Ça aussi, c'est arrivé et
vous en faites beaucoup des
spectacles. Beaucoup de
spectacles dans les écoles.
ROGER DALLAIRE
Dans les écoles.
Dans les communautés.
LINDA GODIN
Oui, OK.
ROGER DALLAIRE
Et puis, c'est toujours en
évolution. Ça fait que le monde,
ils me disent: "Vas-tu tout le
temps faire ça?" Je peux
pas faire d'autre chose.
Mais c'est tellement large et
grand, ce monde qu'est la scène
pis ma manière de le faire,
je pense que je vais mourir
en faisant ça.
LINDA GODIN
Vous jouez aussi différents
instruments de musique:
accordéon, guitare. Vous avez
même un duo qui s'appelle
Trad'Badour, c'est ça?
ROGER DALLAIRE
Oui, c'est ça.
LINDA GODIN
Qu'est-ce que vous faites
avec Trad'Badour?
ROGER DALLAIRE
L'accordéon, j'ai appris à
jouer ça pis, dans mon village,
un peu par hasard, il y avait un
autre jeune, Daniel Gervais, qui
jouait du violon. Pis il était
plus jeune que moi.
Mais dans un rien de temps, il
était connu pour être un bon
joueur. Un vrai bon joueur. Il a
gagné un Grand Master. Il a
gagné un des grands championnats
nationaux. Il a gagné ça, lui,
il y a quelques années. Ça
fait qu'un bon joueur de violon.
LINDA GODIN
(Acquiesçant)
Hum, hum.
ROGER DALLAIRE
Dans le même village,
peux-tu croire! Ça fait
qu'on s'est rencontrés comme ça.
Et pis là, le monde commençait à
nous demander de faire des
concerts ensemble. Pis moi, ce
que j'avais pas pensé, c'est
quand je raconte des histoires,
d'avoir un joueur de violon
qui est là pour faire une petite
trame sonore. Merveilleux.
Il a une bonne oreille, hein!
Même que c'est mon meilleur
public, ce gars-là. Il rit pis
le monde rit pas encore.
Le monde part à rire
parce qu'il rit. Ça marche.
Pis Trad'Badour, le nom
Trad'Badour, alors "troubadour"
à l'époque médiévale, ça se
promenait de village en village
avec de la musique et ça
racontait aussi des nouvelles,
ce qui s'était passé ailleurs.
Et "Trad", bien, la musique
traditionnelle. Moi, je me
baigne, je suis là-dedans, moi.
La tradition, la culture.
Ça fait que c'est ça,
Trad'Badour. Pis on
travaille encore ensemble.
LINDA GODIN
Il y a un retour, un peu,
en popularité du conte, hein.
Depuis, en particulier, Fred
Pellerin, au Québec. Lui, il a
comme ramené le conte au goût
du jour, si je peux dire.
ROGER DALLAIRE
Tu l'as bien dit. Il est venu
passer un mois en Alberta,
en 2004. On a monté un show
ensemble. Il était pas connu
tant que ça au Québec.
Il commençait sa petite montée.
Elle était petite, mais il dit
qu'elle a monté à pique,
ça a pas été long.
Moi pis Fred, on a passé du
temps comme ça ensemble pis je
me croyais tout seul dans le
monde. À vrai dire, moi, je
faisais du fléché. J'aimais
beaucoup les traditions.
Pis tout d'un coup, je rencontre
un gars qui avait les mêmes
intérêts. Parce qu'il a étudié
en littérature, mais dans les
intérêts, il faisait du fléché
pis j'y partageais ce que
je faisais pis lui pareil.
Pis là, il m'a dit que j'étais
conteur. J'ai dit: "Penses-tu
vraiment?" "Bien oui." Il a
son style; j'ai le mien. Mais
l'amitié, elle est devenue
forte, forte, forte.
Donc, en 2004.
LINDA GODIN
On vous appelle le Fred
Pellerin de l'ouest. Ça vous
dérange ça ou ça vous plaît?
ROGER DALLAIRE
C'est un beau compliment.
Un beau compliment.
Même que Fred
Pellerin, c'est rendu que le
monde qui savent pas c'est qui,
ils m'ont dit: "C'est le
Roger Dallaire de l'est."
LINDA GODIN
C'est bon!
ROGER DALLAIRE
Là, j'étire un peu fort!
Ça, c'est le conteur qui tire un
peu, ouais. Tu vois, il y a une
grande différence dans ce qu'il
fait pis dans ce que je fais.
Lui, il a une belle parlure,
hein? Il a une manière
de... D'orner son conte.
Moi, c'est plus brut, on va
dire. Moi, c'est plus théâtral.
Pis là, la différence, Fred, il
peut créer un bon conte pis le
raconter bien des fois. Tandis
que moi, mon public, il est
très petit, dans l'ouest.
Ça fait que je réinvente des
contes. Moi, c'est rien, avec
Daniel, de lui dire: "À soir,
on va raconter une histoire, là.
Pis, à moitié..." Il a une
petite idée de ce que ça va
être. Il va me suivre, mais
ça va être là. Je m'en vais
à tâtons. Alors, j'en ai
fait souvent de ça.
L'entrevue s'interrompt l'instant d'une histoire racontée par ROGER DALLAIRE.
ROGER DALLAIRE
On dit souvent qu'on a jamais
inventé la machine pour voyager
dans le temps. Mais quand on
vient icitte, c'est dur à
croire. En 1967, la ville
d'Edmonton a eu l'idée
de rebâtir le fort Edmonton.
L'ancien fort qui servait
pour la traite des fourrures.
Puis, petit à petit,
le village s'est agrandi.
Saloon, église, hôpital,
quasiment. Il y avait des
maisons pis des magasins
"générals". Pis en 1885, ils ont
rebâti cette rue-là. La même
année que la résistance métisse.
Quand ils ont pendu Louis Riel.
Pis les touristes qui viennent
icitte, là, ils pensent
que c'est rien que des vieilles
bâtisses avec des vieilles
histoires. Oh non! Laissez-moi
vous dire une affaire: il y a
du monde qui ont vécu dans ces
bâtisses-là. Pis les soirs de
pleine lune, là, c'est pas rien
que des touristes qui rôdent.
L'entrevue se poursuit.
LINDA GODIN
Roger, vous revenez d'un
voyage qui a duré deux mois,
en canot. 2500 kilomètres.
Vous êtes allé où?
ROGER DALLAIRE
À la baie d'Hudson,
peux-tu croire?
LINDA GODIN
Et vous êtes parti d'où?
ROGER DALLAIRE
Des montagnes Rocheuses,
de Rocky Mountain House.
C'est une expédition, hein.
Deux mois sur l'eau comme ça.
La grande question: pourquoi? Et
c'est une question qui se répond
pas facilement. Moi, le canot,
j'ai pas grandi en faisant du
canot. J'en avais fait un petit
peu comme ça, quand j'étais
jeune, en camp d'été. Peut-être
bien 10-15 minutes. Assez
pour savoir que j'aimais pas ça.
Ça fait peut-être bien trois ans
que je fais du canot. C'est
quand même tout récent. Pis là,
j'ai lu un livre par la suite.
Dans mes intérêts, tout ça,
vouloir apprendre à bien ramer
en canot. Un livre sur deux
jeunes Américains, en 1930,
qui sont partis des États
jusqu'à la baie d'Hudson.
Déjà, tu vois où je m'en vais.
L'aventure était bien écrite.
La baie d'Hudson qui me semblait
impossible, dans ce livre-là,
devient possible. En 1930.
Deux jeunes de 18 ans qui,
comme moi, connaissaient pas
plus ça qu'un autre.
J'ai ramé cinq jours, l'année
passée, à Churchill avec mon ami
Gaétan Benoit, en Saskatchewan.
C'est là qu'est partie l'idée.
On peut s'endurer pour cinq
jours. On peut peut-être bien
s'endurer pour deux mois.
LINDA GODIN
Mais pourquoi vous vouliez
faire ce voyage-là? Qu'est-ce
qui vous intéressait là-dedans?
ROGER DALLAIRE
Bien l'histoire d'abord, quand
on parle de l'ouest.
L'histoire des voyageurs.
Et du côté... Comment je
te dirais ça? C'est comme l'âme.
C'est soi, c'est moi-même, à
l'intérieur de nous-mêmes,
d'entreprendre ce voyage-là.
J'étais accompagné de Gaétan.
Mais on le fait beaucoup
tout seul, ce voyage-là.
LINDA GODIN
(Acquiesçant)
Hum, c'est un voyage
intérieur aussi, hein?
ROGER DALLAIRE
C'est le Compostelle canadien!
LINDA GODIN
C'est vrai?
ROGER DALLAIRE
On est dans une société qui va
trop vite. Dans mon voyage,
j'ai tout déterré.
Pis j'ai bien vécu ça.
LINDA GODIN
Pis ça a été un
périple assez...
ROGER DALLAIRE
C'était gros.
LINDA GODIN
Oui.
ROGER DALLAIRE
J'ai choisi de faire le
voyage. J'étais bien décidé.
Sans savoir avec qui et comment.
LINDA GODIN
OK.
ROGER DALLAIRE
Gaétan, de son bord, à Régina,
il avait fait le même choix.
Pis on s'en est parlé.
Pis ça a marché première classe.
LINDA GODIN
Est-ce qu'il vous est
arrivé des aventures
ou des mésaventures
pendant ce voyage-là?
ROGER DALLAIRE
On était tellement loin,
là, qu'il fallait qu'on fasse
attention. Ce matin-là, je
me réveille, pis je peux pas
croire, je dis: "Un ours!"
C'était Gaétan qui respirait
fort, mais j'avais eu comme
cette impression-là qu'il y
avait un ours. Pas capable de
dormir. Tout à coup, dans l'eau,
on était à côté de l'eau, hein.
Plouf! Plouf! Ça pataugeait.
J'ai dit: "C'est pas un renard,
c'est pas un coyote. C'est un
ours." Il cherche à prendre
du poisson. Plouf! Plouf!
Je dis: "Je le réveille-tu?"
Tout d'un coup, j'entends
grogner. Tu sais, grogner.
Grrr! J'ai dit: "Oh! Gaétan,
réveille-toi! Il y a un ours!"
Il se réveille, il dit:
"C'est-tu vrai?" J'ai dit:
"Écoute!" Plouf! Plouf! Il
a grogné. Il me regarde, il
dit: "C'est un ours." Là, je
cherchais le zipper pour sortir
de là. J'ai dit: "Si je suis
pour me faire tuer, j'aime
autant le voir face à face."
Ça fait qu'en ouvrant le zip,
tout ça, moi, j'avais pas
grand-chose, hein. Un klaxon.
Assez fort, là.
(Propos en français et en anglais)
Un horn.
LINDA GODIN
Oui. Oui.
ROGER DALLAIRE
Mais j'ai pas sorti, mais tout
à coup, lui, il est parti.
LINDA GODIN
Quand vous êtes arrivés
à la baie d'Hudson, ça vous
a beaucoup impressionné de voir
la baie d'Hudson. Qu'est-ce qui
vous impressionnait là-dedans?
ROGER DALLAIRE
Ça là, c'est quelque chose,
quand ça fait deux mois. Pis le
monde, ils disent que c'est
loin, mais ça filait
jamais impossible.
Chaque journée, c'est une
routine. Chaque journée, tu te
réveilles, embarques dans le
canot sur l'eau pis tu fais
ta journée pis tu campes et
à chaque journée, tu t'approches
petit à petit. Pis là, on voyait
vraiment le décompte. Il reste
trois jours. Deux jours.
On se réveille, ce matin-là...
dans tous les livres qui
racontent l'arrivée à la baie
d'Hudson, ils nous avertissent
que la mer du Nord, qu'on
appelait en Nouvelle-France...
Une petite vague fait une grosse
vague pis dans un rien de
temps, tu as un mur de vent.
Un torrent, tu peux pas avancer.
C'est normal. Arrivé vers la
baie, tu ne peux plus avancer.
Tu y vas le soir pis... On se
réveille, ce matin-là, Gaétan me
regarde et il dit: "Sais-tu
qu'est-ce qu'on a, à matin?"
Je l'ai senti tout de suite.
Un vent de dos.
(Propos en français et en anglais)
C'est de quoi de
très rare parce que la
haze qui est rendue là est très
large. C'était rien par
rapport à la grosse baie.
On a monté un voile pis
sans trop ramer, c'est comme
si la baie est venue nous
chercher pour nous rentrer chez
elle. On était tellement émus.
On pouvait presque pas parler.
C'était quelque chose de sentir
ça. Toute l'histoire de la
baie d'Hudson. J'en ai appris
beaucoup par après, quand je
suis revenu. J'étais encore
tellement pris dans mon voyage
que j'ai fait beaucoup de
recherches. En Nouvelle-France,
on oublie ça, la baie d'Hudson
avait joué un rôle immense.
Très important pour la
Nouvelle-France. La fameuse baie
d'Hudson. Quand on l'a vue
s'ouvrir, le York Factory, il y
a bien des affaires qui sont
arrivées. C'était assez magique.
C'est là... Quand on laisse
la vie... on s'occupe de nous
autres. Quand on fait confiance
à la vie, tout tombe en place.
Là, ce qui nous a touchés,
c'est que rendu là, c'est fini.
Demain, on rembarquera pas sur
l'eau. C'est comme je le dis.
Je suis jamais vraiment revenu.
Habillé en costume d’époque, ROGER DALLAIRE joue de l'accordéon.
LINDA GODIN
Roger, vous vous promenez un
peu partout en Alberta pour
faire des spectacles. Vous voyez
les Francophones un peu partout.
Comment se porte la
francophonie en Alberta?
ROGER DALLAIRE
C'est une belle francophonie.
On est nombreux. Je veux
dire, on est quand
même pas majoritaires,
mais il y a bien du monde qui
ignorent, qui savent pas qu'on
existe. Mais je suis fier
de faire partie de cette
francophonie. Pas seulement
de l'Alberta, mais de l'ouest.
LINDA GODIN
Oui.
ROGER DALLAIRE
Quelque part... Le drapeau et
la fierté franco-albertaine,
oui, je veux dire, elle a sa
place. Mais pour moi, quand je
me promène dans l'ouest, je suis
chez nous partout. Une histoire
qui se ressemble, tu sais.
Les provinces de l'ouest
sont jeunes. On parle de 1905.
Nos ancêtres sont venus avant
ça, pour certains. Je suis
plus canadien-français.
LINDA GODIN
Oui.
ROGER DALLAIRE
Quand je vais au Québec,
même si ça a beaucoup évolué,
beaucoup changé, j'ai quand même
une petite racine, une petite
racine-là. En Acadie, je veux
dire, on a travaillé fort
pour notre langue, pour notre
culture. Encore pareil.
Je suis pas acadien, mais ça se
retrouve. Donc, sous "Canadien
français", c'est beau de penser
qu'on peut tous être ensemble.
Et puis là, les immigrants, les
gens qui viennent de partout, ça
a une richesse aussi, cette
francophonie, qui vient de
partout. Ça fait que
je suis fier de ça.
LINDA GODIN
Et vous, vous venez de
Saint-Paul, qui est un bastion
francophone. En fait, est-ce que
ce l'est encore, aujourd'hui?
ROGER DALLAIRE
Alors, c'est surprenant. Il y
en a qui viennent à Saint-Paul.
Si tu passes rapidement à
Saint-Paul, c'est un village
comme un autre. Ça parle en
anglais. Mais quand tu prends le
temps comme il faut, comme à
Saint-Paul et dans bien des
villages de l'ouest, des
villages francophones. Tu vas
magasiner dans les rangs,
dans les allées, tu vas entendre
parler français. Pis moi,
à Saint-Paul, j'arrive à faire
une vie pas mal en français.
J'ai du service un peu partout
en français pis, je peux pas
dire que je connais tous les
Francophones qu'il y a là, mais
soit par le visage: "Elle,
elle est francophone certain."
Tu sais, on vient à connaître
le monde de chez nous.
LINDA GODIN
Et vous vous êtes acheté
une ferme, juste à côté,
au village de Saint-Vincent.
ROGER DALLAIRE
C'est ça.
LINDA GODIN
Et c'est une ferme,
c'est un lieu qui est
très important pour vous.
ROGER DALLAIRE
Pour moi, c'est bien
important. Mais il faut
comprendre que j'ai pas acheté
une ferme. J'ai acheté
un morceau de terre où est-ce
qu'il n'y avait rien. 25 acres.
On est à Fort Edmonton pis quand
j'étais jeune, je visitais des
sites comme ça, dans des maisons
où est-ce qu'on peut regarder,
mais faut pas toucher.
J'ai dit: "Un jour, je vais en
avoir une qu'on pourra pas rien
que regarder. On va toucher,
on va vivre."
LINDA GODIN
Mais c'est ça, vous,
il y a pas d'eau courante,
il y a pas d'électricité.
Vous vivez à l'ancienne.
ROGER DALLAIRE
Je vis à l'ancienne. Alors,
pas tout le temps. C'est un peu
comme un chalet, mais je suis
bien quand je suis là. J'ai un
poêle à bois pis c'est le
coeur de la maison. Pis j'ai une
pompe... C'est pas de l'eau
courante. On m'a dit qu'elle
marche, tranquillement pas vite.
Moi, je suis parti avec cette
idée-là, mais je suis passé pour
un fou. Dans l'ouest, hein,
le monde a tout ce qui est neuf.
Tout ce qui est vieux, c'est des
nids à souris. Mais cette
maison-là a été abandonnée
pendant 50 ans. Délabrée, les
châssis cassés. Quand le monde
rentre là, aujourd'hui, elle est
restaurée, elle est belle,
aujourd'hui. Elle est comment
elle était en 1913. Le monde
rentre là et dit: "Tu es donc
bien chanceux d'avoir trouvé une
belle de même!" Elle était pas
belle de même, laissez-moi
vous dire. Mais il est venu
bien du monde par rapport
que c'était différent.
De vouloir prendre une vieille
bâtisse, ils ont dit: "Pour
l'ouvrage que tu as mis
là-dedans, tu aurais pu t'en
bâtir deux." Pis c'est peut-être
bien vrai, mais là, le monde
comprennent le pourquoi.
Quand ils viennent veiller
chez nous, la voilà, la réponse.
Il y a de l'âme.
LINDA GODIN
Vous aimez passer beaucoup
de temps sur la terre. Vous avez
même dit: "Moi, le plus de temps
que je peux passer sur la terre,
le plus heureux je vais être."
ROGER DALLAIRE
C'est moi, ça.
LINDA GODIN
Donc, pour vous,
la terre ou la carrière?
ROGER DALLAIRE
La terre. La terre pis elle
rentre dans ma carrière.
Comme la baie d'Hudson. Quand je
raconte au monde ce qui m'est
arrivé... Même si je parle
indirectement de quelque chose.
Quand je parle des pionniers,
quand je parle dans l'histoire,
j'en sais quelque chose.
Je suis pas un vrai
pionnier, mais j'y ai goûté.
Quand je parle des voyageurs, je
l'ai fait. Juste assez que dans
mon histoire, cette couleur-là
est vraiment croyable. Le monde
dit: "Mautadit, on dirait
que c'est vrai." Bien, c'est pas
loin de la vérité. C'est
rarement loin de la vérité.
LINDA GODIN
Et à un moment donné, vous
aviez l'idée d'en faire un
lieu de création ou un lieu
artistique. Est-ce que c'est
toujours dans vos projets, ça?
ROGER DALLAIRE
C'est toujours dans les
projets et il vient beaucoup
d'artistes chez nous parce que
mes amis, vraiment, je suis
entouré d'amis qui font de la
musique, qui font toutes sortes
de choses. Ils viennent chez
nous et ça l'inspire. Mais je
me dis qu'un jour, j'aurai
peut-être bien une grange, une
écurie, là, où est-ce qu'on
pourrait recevoir du monde,
faire des soupers théâtres.
Pis je suis bien entouré.
C'est une belle communauté,
la francophonie, chez nous.
LINDA GODIN
Êtes-vous plus tourné
vers le passé que vers
le futur ou même le présent?
ROGER DALLAIRE
C'est une bonne question.
Un peu, oui, c'est clair.
J'ai ma ferme et mes histoires.
LINDA GODIN
Vous vous intéressez beaucoup
au folklore de toute évidence.
ROGER DALLAIRE
J'adore le folklore,
la musique, la tradition.
En même temps, là, ma maison...
Je dis ça au monde quand ils
viennent chez nous: "On est pas
en train de faire semblant. On
est vrai pis ce qu'on
vit, c'est vrai."
LINDA GODIN
Mais vous avez pas
l'impression que vous êtes né à
la mauvaise époque justement?
ROGER DALLAIRE
Non. Je suis pas
en souffrance.
Je suis pas en souffrance.
LINDA GODIN
Vous avez l'air heureux, là.
ROGER DALLAIRE
Il y a une chose que je vais
te dire. Il y a des festivals,
des fois, qui vont me "booker".
Ils ont entendu parler de moi,
ils ont mon numéro de téléphone.
Ils m'appellent. Moi, comme ça,
je les appelle pis on jase. Pis
tu sais comment ça marche.
Il faut que tu négocies
un prix pis après ça,
billet d'avion pis tiens bien.
Quand j'arrive là, ils me
demandent: "Où est-ce qu'il est,
Roger?" "Bien, vous le voyez!"
Sans m'avoir vu d'avance, ils se
figurent qu'il va avoir au moins
67 ans, 65, peut-être bien plus.
Par rapport à la voix, tu sais.
LINDA GODIN
(Acquiesçant)
Hum, hum.
ROGER DALLAIRE
L'accent, c'est une autre
question. L'accent, c'est
le parler de ma grand-mère.
Le parler de mes oncles. C'est
un beau français. Pis je pense
que chez nous, en particulier,
les gens comme dans bien
des petits coins isolés de la
francophonie au Canada, il y en
a beaucoup de gens qui étaient
analphabètes, illettrés.
Ce qui fait que quand tu sais
lire et écrire, c'était un plus.
Je veux dire, c'est très
important. Dans la manière que
tu parles et dans la manière que
tu lis, tu t'aperçois très bien
que c'était mal parler, on va
dire. Mais comme chez nous, il y
avait beaucoup de monde qui
savaient pas lire ni écrire,
tout ce qu'ils avaient, c'était
la tradition orale. Parler comme
les arrière-grands-parents,
comme les parents.
Pis je trouvais ça tellement
beau que très, très jeune, il y
avait beaucoup de Francophones,
ils ont tellement peur d'avoir
en anglais un accent français,
qu'ils perfectionnent leur
anglais. Mais le français
en arrache. Des fois, ça fait
des Français manqués. Pis ça,
il y en a tout un saccage.
Moi, une bonne journée, en
voyage, comme ça, je m'étais
fait dire que j'avais un accent.
Moi pis mon frère pis ma soeur.
Un accent? Un accent anglais. Oh
bien là, j'ai dit: "C'est fini!"
Je suis rentré chez nous et j'ai
dit: "C'est fini, ça. Je
passerai plus jamais pour un
gars qui a un accent anglais."
Quand, chez nous, on parle
rien qu'en français, ma mère
totalement en français, quand on
parlait en anglais, des fois, on
voyait un show, on va le dire
comme ça. Pis on voulait
s'amuser à jouer les
personnages. On jouait ça en
anglais parce qu'on avait vu ça
un show de Disney, on va dire.
"À genoux!" Il fallait qu'on se
mette à genoux pour qu'on
parle rien qu'en français.
Ça fait qu'ils viennent nous
dire qu'on a un accent anglais.
J'ai commencé à choisir
de parler un bon français.
J'ai écouté parler ma mère,
les "mononcles", les "matantes".
Pis d'après moi, du français,
ça avait jamais été aussi beau.
Dans ma carrière,
ça m'aide bien gros!
LINDA GODIN
Et vous allez être
content toute votre vie.
ROGER DALLAIRE
Je penserais.
Moi, sans compter, je raconte.
Je pense que je m'installe avec
le monde. On parle du temps,
on parle de tout ça. C'est
toujours... Le monde aime ça.
Quand je donne des conférences
sur des thèmes parfois qui ont
pas de bon sens. J'ai dit: "Je
connais rien sur ce thème-là."
Les produits du terroir,
l'intégration des immigrants.
Ils m'avaient demandé de faire
l'allocution d'ouverture. Oh, je
te dis que j'ai fait ma petite
recherche. Mais c'est ma façon
de dire les choses.
C'est pas grand connaissant,
mais c'est de ramener ça à
l'essentiel pis là, le monde
aime ça. Je pense
que c'est quelque chose.
LINDA GODIN
Roger Dallaire,
merci beaucoup.
ROGER DALLAIRE
Merci bien.
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