Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.


Vidéo transcription
Clara Dugas : conteuse
Clara Dugas a appris le métier de conteuse de sa mère, qui lui racontait des histoires du bon vieux temps. Quand Clara s’est retrouvée en salle de classe comme enseignante, elle a, à son tour, commencé à raconter des histoires à ses élèves; une par jour, tous les jours.
Raconter des histoires, c’est un talent qui se transmet de génération en génération dans la famille Dugas de Baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse.
Clara Dugas a pris sa retraite de l’enseignement, il y a une dizaine d’années, et c’est à ce moment-là que sa carrière de conteuse a pris son essor.
Réalisateur: Joanne Belluco
Année de production: 2015
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Générique d'ouverture
Pendant qu'on voit les détails d'une chambre d'enfant, l'animatrice GISÈLE QUENNEVILLE fait une brève présentation biographique de CLARA DUGAS. Ensuite des photos et divers points de vue de la Baie Sainte-Marie défilent.
GISÈLE QUENNEVILLE (Narratrice)
Raconter des histoires, c'est un talent
qui se passe de génération en
génération dans la famille Dugas
de la baie Sainte-Marie
en Nouvelle-Écosse.
Clara Dugas a appris le métier
de sa mère, qui lui racontait
des histoires du bon vieux temps.
Quand Clara est devenue
enseignante, elle a commencé
elle aussi à raconter
des histoires à ses élèves.
Une par jour.
Tous les jours.
CLARA DUGAS, conteuse, met un tablier, puis enfile ses lunettes.
GISÈLE QUENNEVILLE (Narratrice)
Clara Dugas a pris sa retraite
de l'enseignement il y a une
dizaine d'années, et c'est
à ce moment-là que sa carrière
de conteuse a pris son envol.
Des images d'une table de pique-nique dans un espace vert apparaissent.
CLARA DUGAS (Narratrice)
On t'invite pas pour venir parler
comme nous autres, on t'invite
parce que ton accent est différent.
Titre :
Carte de visite
GISÈLE QUENNEVILLE rencontre CLARA DUGAS chez elle, dans un petit salon.
GISÈLE QUENNEVILLE
Clara Dugas, bonjour.
CLARA DUGAS
Bonjour.
GISÈLE QUENNEVILLE
Clara, vous êtes conteuse.
Qu'est-ce qui fait un bon conte?
CLARA DUGAS
Un conte qui peut amener
les gens qui l'écoutent
dans ton conte. Ils peuvent
se voir dans ton conte.
Ils peuvent s'imaginer.
Ils peuvent se réjouir, ils
peuvent pleurer ou ils peuvent
rire dans un bon conte.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous racontez des histoires.
Quel genre d'histoires est-ce
que vous aimez raconter?
CLARA DUGAS
Bien, ça dépend qui est-ce qui
m'écoute. Si c'est des enfants,
j'aime conter des contes
fantaisistes, du folklore un peu.
Et si c'est pour des
adultes, j'aime raconter des
contes vrais, des contes vécus,
des contes de ma famille et
des personnages que j'ai connus
vraiment proches, comme
ma grand-mère, ma mère,
peut-être des characters
de mon petit village.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que vous écrivez
vos propres contes ou est-ce que
vous présentez des contes que
vous empruntez des autres?
CLARA DUGAS
Si c'est des contes vécus, des
contes de famille, je me mets
à l'oeuvre, et puis je les écris.
Un petit à la fois,
je m'imagine... C'est un peu
de travail, mais quand même, j'y
arrive. Je peux pas écrire des
contes de fantaisie. J'ai pas
l'imagination, alors...
Souvent, je pige dans des livres
de d'autres conteurs que je
connais. Peut-être des vieux
contes qui sont du domaine
public maintenant.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et est-ce qu'il y a une
méthodologie que vous suivez
quand vous écrivez un conte?
Est-ce qu'il y a des ingrédients
que vous mettez dans vos contes?
CLARA DUGAS
Oui. Bien, grâce à des groupes
d'écrivains que j'étais membre,
de trois différents groupes
d'écrivains. On écrit un conte
et puis là, on le présente au
groupe. Puis là, le groupe peut
aider, ce qui devrait être ôté,
ce que je devrais additionner.
Et puis, ça, ça m'a
beaucoup, beaucoup aidée.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais quand vous faites
un conte en français, est-ce que
vous faites un conte en français
de la Nouvelle-Écosse?
CLARA DUGAS
Oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et si le conte est français
ou est québécois, ça n'a
probablement pas la même saveur
qu'un conte que vous écrivez en
acadien de la Nouvelle-Écosse.
Comment vous les adaptez en
acadien de la Nouvelle-Écosse?
CLARA DUGAS
Bien, ça s'adapte très
facilement parce que mon parler
n'est pas vraiment du livre,
alors une fois que j'ai appris
le conte, je mémorise pas tous
les mots. Je peux pas faire ça.
Mais j'ai une vision du conte et
puis je le conte à ma façon avec
mon accent. Et puis je crois
qu'il y a un petit grain de
ma personnalité qui sort dans le
conte même si le conte n'est pas
vraiment moi, mon parler
de la baie Sainte-Marie.
Je ne peux pas faire autrement.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est quoi du parler
de la baie Sainte-Marie?
CLARA DUGAS
(En riant)
Ah! C'est bien, du parler
de la baie Sainte-Marie!
C'est comme un bon ragoût
avec beaucoup d'épices.
Peut-être que je pourrais dire
une petite anecdote ici. Je
suis allée en France pour un
voyage. Et puis, j'entrais
dans un hôtel puis je parlais
au garçon en français. J'étais
très contente de pouvoir parler
français. Puis le garçon me
répond en anglais. Ah bien, je
voulais être gentille, alors je
continuais. Le deuxième hôtel,
c'est la même chose. Et quand
je suis entrée au troisième
hôtel, j'ai dit au garçon:
"Excusez-moi, crois-le
ou crois-le pas, je suis
francophone. Et j'aimerais
vraiment te parler français et
que toi, tu me parles français."
Et le gentil garçon a répondu:
"Fais-toi-en pas, madame, il y a
pas de problème. Tu parles
un très bon français du XVIIe
siècle." Alors, c'est ça, le
parler de la baie Sainte-Marie.
On a été tellement isolé, qu'on
a jamais connu ce que c'était
l'Académie française, et toute
l'évolution du français en
France ne s'est pas rendue
à la baie Sainte-Marie.
Et on n'a pas eu d'influence,
en réalité, vraiment du Québec.
Et on a gardé notre parler,
nos vieux mots, nos vieilles
expressions, nos verbes au temps
simple, au passé simple et
c'est comme ça que c'est,
la baie Sainte-Marie.
GISÈLE QUENNEVILLE
Quelle est la transformation
qui se fait entre Clara,
l'écrivaine et Clara,
la conteuse sur scène?
Une chaise berçante sur laquelle sont placés deux oursons de peluche berce.
CLARA DUGAS
Ma grand-mère était grande,
était grosse. Elle avait des
grosses mains comme des hommes.
Quand je regarde mes mains
à moi, je vois les siennes. Elle
aimait ses poules. Elle avait 12
poules. Puis elle avait toujours
un coq. De temps en temps,
elle se fâchait après le coq.
Elle disait:
"Ah ben le coq, le maudit coq.
Il faut qu'il soit tué.
Il apeure les poules. Elles ne
pondront plus. Elles sont
effrayées." Et puis tout
d'un coup, on avait un rôti
de coq pour souper.
Un matin, c'était pas
si tant facile que tout ça.
Elle va au poulailler,
avec une hache d'une
main, et quand elle arrive
dans le poulailler, elle
grimpe le coq.
Moi, j'ai pas vu tout ça. C'est
elle qu'il me le dit. Mais dans
quelques minutes, elle rentre
dans la cuisine. Moi, je suis
petite, je vais pas à l'école
encore, j'étais en train de
colorier à la table.
Et je la vois entrer.
Ah... C'est pas son visage que
je vois, c'est son bras. Elle a
la main droite qui serre son
bras gauche. Et tout à l'entour
du bras, de sa main, c'est
tout rouge et il y a des petites
rivières de sang qui coulent
entre tous les doigts.
Et je regarde poursuivre la
goutte de sang, et chacune tombe
sur ses souliers noirs. C'est
tellement effrayant pour moi que
je me demande pourquoi est-ce
que les gouttes ne font pas de
bruit. Elle crie pour ma mère
et elle s'assoit à la table
lourdement, vraiment, en se
regardant le bras.
"Marie-Marthe, amène-moi une guenille!
Longue. Assez pour embourrer
mon bras."
Et là, ma mère arrive avec
une longue guenille blanche.
C'est un vieux drap. Ma mère
lui regarde le bras, et quand
ma grand-mère se laisse aller la
main, il y a un morceau de peau
qui drag en bas. Ma mère dit:
"Bien, grand-mère, vous devriez
aller voir le médecin.
Ça vous prendrait des points."
"Ah bien non. Fais justement
de le nettoyer, embourre la
guenille et puis c'est moi qui
vais gagner. Si le coq veut une
bataille à matin, c'est moi
qui gagne, c'est pas lui."
Ma mère l'embourre et ma
grand-mère sort de la maison.
Ma mère retourne à son travail.
Et moi, j'écoute. Et tout à coup,
j'entends: Cot!
Et dans quelques minutes,
ma grand-mère entre de nouveau.
Je regarde sa guenille. Elle est
remplie de petites taches toutes
rouges, comme si c'était des
roses avec des attitudes.
Elle dit: "J'ai besoin de l'eau
bouillante. J'ai "aminglé"
le coq. Clara, veux-tu venir
m'aider à le dépoiler et lui
ôter les ailes? Tu peux
t'amuser avec le gésier,
si tu veux aussi."
Je la suis.
Ma grand-mère.
GISÈLE QUENNEVILLE
Clara, vous parliez de votre
grand-mère tout à l'heure,
votre mère était conteuse,
n'est-ce pas?
CLARA DUGAS
Oui.
GISÈLE QUENNEVILLE
Parlez-moi un peu
de votre mère.
CLARA DUGAS
Oui. Ma mère était...
Elle est une comédienne
dans le film Les Gossipeuses
de Phil Comeau et elle a
fait du théâtre.
GISÈLE QUENNEVILLE
Les Gossipeuses.
C'est quoi, ce film-là?
CLARA DUGAS
C'est un film qui a été filmé
à la baie Sainte-Marie et ce
ont tous des comédiens de la
région de la baie Sainte-Marie.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est quoi, des gossipeuses?
CLARA DUGAS
Des gossipeuses, c'est des
femmes qui veulent savoir toutes
des choses qui se passent dans
le voisinage. Elles parlent
des autres et elles
sont "espionneuses".
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais est-ce que c'était
vraiment comme ça
à la baie Saine-Marie?
CLARA DUGAS
Bien oui, puis c'est
encore! Certainement.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais vous, vous êtes pas
restée à la baie Sainte-Marie.
Donc, vous êtes pas gossipeuse?
CLARA DUGAS
Je fais un effort pour pas
l'être. Moi, c'était mon
aventure de la ville et j'ai
voulu, après mes études, venir
enseigner dans la ville. Alors,
j'essaye pas d'être gossipeuse,
mais c'est vraiment dans mon sang.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais qu'est-ce qui vous a
amenée en ville? Pourquoi vous
avez quitté la baie Sainte-Marie
et toute votre famille, vos
frères, vos soeurs, vos parents
pour vous installer à Halifax?
CLARA DUGAS
À 18 ans, j'ai gradué de
l'école secondaire, puis il
y avait depuis que j'avais 4 ans
que je voulais être enseignante.
À l'époque, j'étais au collège
qu'on appelait, dans ce
temps-là, Teacher's College. Et
puis pour deux après, et après
ça, on avait son certificat pour
enseigner. Et puis, j'aurais
pu aller à l'Université
Sainte-Anne, avoir mon
baccalauréat en art, mais ça
voulait dire plus d'argent,
plus de "coûtage" et à l'époque,
mes parents avaient pas beaucoup
d'argent. Il y avait encore
des enfants à la maison.
Et dans les 1960, on avait
pas besoin de payer nos frais
de scolarité. C'était le gouvernement
provincial qui payait ça.
Il voulait tellement
des enseignants dans la province
que les frais étaient gratuits.
Tout ce qu'on avait besoin
de payer, c'était nos livres
et notre logement.
GISÈLE QUENNEVILLE
Puis vous avez enseigné
dans les écoles ici à Halifax,
et si je comprends bien,
vous enseigniez en anglais
plutôt qu'en français.
CLARA DUGAS
Oui. Oui. Il y avait pas
beaucoup de chances d'enseigner
le français, autre que l'école
militaire de Shannon Park à
Dartmouth, et il y avait pas
beaucoup de postes de libres.
Alors, j'ai commencé dans les
écoles anglophones, à Dartmouth.
Ensuite, je suis venue à
Lower Sackville, et là, à Timberlea.
Et j'ai fait un échange avec une
enseignante. Et éventuellement,
j'ai terminé ma carrière sur
la rive sud, à Bridgewater.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que vous racontiez
des contes en salle de classe?
CLARA DUGAS
J'ai justement commencé
en 1993. Il y avait presque
20 ans que j'enseignais. Et par
une belle journée, j'étais dans
une journée pédagogique, et
il y avait une jeune fille qui
contait des contes. Elle nous
avait justement conté des contes
et elle disait que c'était bien
pour faire venir des vieillards
dans nos classes pour raconter
comment est-ce que c'était quand
les vieillards étaient jeunes,
comment est-ce qu'ils
recyclaient, qu'ils faisaient
du compost, des choses comme ça.
Alors, j'ai tellement aimé la
jeune fille qui contait que je
me suis dit à moi-même: Hé, ça
me fait penser quand moi j'étais
jeune. Quand j'étais jeune
et que j'avais rien à faire,
souvent, je demandais à ma'am:
"Conte-moi un conte du temps
premier." Puis elle avait
des contes préférés qu'elle nous
contait, puis c'était très
génial. J'aimais vraiment ça.
Alors, je suis retournée
en classe et j'ai pensé: Je vais
conter un petit conte à mes
petits grade 1. Alors, j'ai
commencé, j'ai conté un petit
conte de moi, de ma première
souvenance. J'ai pas décrit ce
que j'étais, qui est-ce que la
petite fille était. Alors, ils
ont bien pris ça, ils se sont
greyés, ils s'en ont été et
j'ai pensé: Ça, c'est la fin
de ma carrière comme raconteuse.
Mais le lendemain, à la fin
des classes, j'ai lu une lecture
comme je faisais toujours, et
une petite fille a dit: "Madame,
est-ce qu'on pourrait avoir un
autre conte de la petite fille
de hier?" Et là, j'ai vu comment
ils aimaient ça. Et pour des
années après, jusqu'à la fin
de ma carrière, je pouvais me
servir de la discipline pour
le conte. "Si vous êtes pas
tranquilles, il y aura pas
de conte." Et éventuellement,
maintenant, je suis reconnue
comme Mme Dugas qui contait
les contes de Anna. C'était une
petite... J'ai nommé les contes
La petite Anna. En réalité,
c'était tout moi.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et c'est qui Anna?
Vous n'aviez pas une soeur
qui s'appelle Anna?
CLARA DUGAS
Oui, oui. Tous les petits
contes que je conte à tous les
jours, c'était des contes
vécus. C'était de ma jeunesse.
GISÈLE QUENNEVILLE
Un conte tous les jours?
CLARA DUGAS
Un petit conte tous les jours.
Cinq, dix minutes, pas plus.
Et là, ça venait comme ça
GISÈLE QUENNEVILLE
ou vous l'écriviez la veille?
CLARA DUGAS
Non, non, ça venait pas comme
ça. Il y avait des journées que
je disais: "Aujourd'hui,
j'ai pas de conte."
Et la seule façon que je peux
avoir un conte, c'est si j'ai
une question d'un enfant.
"Il y a-tu un enfant ici
qui a une question?"
Alors, il y avait des enfants
qui disaient: "Est-ce que Anna
s'est cassé un membre? Est-ce
que Anna a eu un party?" Et
aussitôt qu'ils me demandaient
une question, il y avait un
petit épisode de ma jeunesse qui
me venait dans l'idée et je leur
contais des contes. Et puis là,
quand j'ai eu 14 ans, la plus
jeune de la famille, qui
s'appelait Anna est décédée
d'une leucémie. Je l'avais
vraiment vécu, parce que j'étais
plus vieille à ce temps-là.
J'avais 13, 14 ans quand la
petite avait été malade. Ça fait
qu'en mémoire d'elle, j'ai nommé
mes contes Anna, et c'était
toujours des petits
contes d'Anna.
CLARA DUGAS raconte assise sur une chaise berçante.
CLARA DUGAS
Chez nous, vous savez,
"j'avions" pas de livres
de lecture avec de belles images
comme qu'ils ont astheure.
Si on voulait des contes
ou des histoires, il fallait
demander pour.
Je disais: "Ma'am. Ma'am,
conte-nous, conte-nous
un conte dans premier."
Puis je vais vous conter un
conte, le premier conte que ma
mère nous a conté. Puis ma mère
était une petite fille. Puis
elle était espionne. Elle aimait
écouter ce que les adultes
disaient. Par un bon soir,
c'était rempli d'hommes dans la
grande cuisine de mon grand-père
et de ma grand-mère, et puis
mon grand-père dit à ma mère et
sa petite soeur: "C'est le temps
que vous alliez vous coucher."
Mais ma mère, elle, elle voulait
pas vraiment aller se coucher.
Elle monte.
À ce temps-là, si on était dans
la cuisine, juste à l'égalité
du tuyau du poêle, il y avait un
trou dans le plancher. Et puis,
il y avait une grille là. Puis
une fois arrivé dans la chambre
à coucher à ma mère, il y avait
la même grille dans la place
où sur le plancher, dans la
chambre. Ça fait que ma mère
s'aperçoit qu'à travers de ce
trou-là, elle peut les entendre
parler. Elle ôte la grille puis
elle se fourre la tête dans
le trou. Tout y va pas mal bien,
bien sûr, parce que sa tête y
va. C'est pas mal serré. Mais
avec les oreilles plates, elle
peut se fourrer la tête tout
dans le trou. C'est en hiver
puis il y a un gros feu dans le
poêle à bois en bas. Puis
la chaleur monte par ce trou-là,
monte dans la grille, puis
éventuellement, la face à ma
mère est vraiment chaude. Elle a
chaud, chaud à la face. Ça lui
brûle presque la face. Quand ma
mère essaie de s'ôter la tête de
dans le trou, les oreilles vont
contre elle. Elle ne peut pas se
sortir du trou. Elle est serrée
là. Ça fait mal! Ses oreilles
lui font mal. Sa face brûle!
Et en bas dans la cuisine, tout
d'un coup, il y a un silence.
Parce qu'un des messieurs dit
à mon grand-père: "Écoute,
qu'est-ce que c'est que ça?"
Il commence à entendre: "Psst!
Psst! Psst-psst!" Et tout d'un
coup, mon grand-père réalise que
c'est les gouttes de pleurs qui
tombent sur le poêle chaud.
Et il regarde en haut.
Et là, en haut, à travers de la
grille, il peut voir la face
toute rouge qui pleurait,
la face de ma mère.
Et une fois qu'il rentre dans
la chambre de ma mère, tout
ce qu'il voit, c'est des petites
fesses embourrées d'une petite
tunique. Et mon grand-père lui
prend les deux pieds et il les
lève en l'air. Et quand son
corps est toute d'une ligne,
sa tête, pop!, sort du trou.
Et ma mère se couche.
Le visage tout, tout chaud.
Et mon grand-père lui dit:
"Tu vas apprendre une leçon."
Et ma mère dit à elle-même:
Oui, j'ai appris ma leçon.
Jusqu'à la prochaine fois quand
je voudrai écouter encore.
Ma mère, c'est elle, la première
raconteuse que j'ai entendue.
De retour à l'entrevue avec CLARA DUGAS dans le petit salon.
GISÈLE QUENNEVILLE
Clara, comment vous êtes
arrivée dans ce monde-là
des conteurs?
CLARA DUGAS
J'ai commencé à conter des
petits contes dans mes classes
très tranquillement. C'était
des enfants qui m'écoutaient.
Alors, ils n'avaient pas de
choix autres que de m'écouter.
Et je sais pas comment c'est
venu, mais la Fédération
acadienne de la Nouvelle-Écosse
Halifax m'a invitée une couple
de fois à conter des petits
contes pour des spectacles
d'enfants et ça. Et je suis
allée à des écoles une fois ou deux.
Mais c'est en 2005 que le
Festival de la parole de la baie
Sainte-Marie a commencé. L'année
d'avant, j'avais été demandée
à conter des petites anecdotes
entre des pièces de musique
au Festival acadien de Clare
au mois de juillet. J'étais
tellement, tellement nerveuse et
j'étais pas certaine. J'ai dit:
"Je suis pas sûre si je peux faire ça..."
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est plus énervant quand
on fait ça devant des gens
qu'on connaît, parce que là,
vous étiez chez vous.
CLARA DUGAS
Oui. Puis je l'avais jamais
fait avec totalement des
adultes. Ah bien, il dit:
"Ça pas besoin d'être long, juste
entre les pièces de musique."
Alors, afin de pouvoir me mettre
confortable sur scène, je me
déguise. Je me mets un vieux
chapeau, une robe de femme, des
souliers à gros talon et j'ai
un portefeuille, beaucoup de
rouge. Ça fait que vraiment
moi-même, je me reconnais pas.
Et j'embarque sur scène
au Théâtre Marc-Lescarbot
à l'Université Sainte-Anne, et
je vois absolument rien à cause
des lumières. Ça fait que ça
commence comme ça. Et je
commence avec un petit conte,
comment est-ce que le surnom
qu'on avait donné dans ma
famille est venu, et le monde
rit. Je peux pas les voir,
mais je les entends rire
et ça me console.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est quoi le surnom?
CLARA DUGAS
Oh. Pardonnez-moi,
papa. C'est Planquette.
GISÈLE QUENNEVILLE
Blanquette?
CLARA DUGAS
Planquette.
GISÈLE QUENNEVILLE
Planquette! Ça veut
dire quoi, ça?
CLARA DUGAS
Planquette, c'est un nom
irlandais. C'est un nom de
famille en Irlande. Et on...
Est-ce que tu veux savoir
comment on est venu avec
le nom Planquette?
GISÈLE QUENNEVILLE
(En riant)
Absolument.
CLARA DUGAS
Mon grand-père qui s'appelait
Augustin Dugas a commencé à
travailler sur le chemin de fer
quand ils construisaient
le chemin de fer de Halifax
à Yarmouth. Et puis, mon
grand-père et les autres gens
du village ne pouvaient pas
parler anglais du tout. Et puis
à la pause dans l'avant-midi,
quand ils travaillaient, il y
avait un monsieur des États-Unis
qui était le foreman, le boss.
Puis il venait avec une
chopine d'eau pour donner aux
travailleurs pour leur donner
de l'eau. Puis le monsieur
s'appelait M. Planquette.
C'est tout ce qu'il savait.
"M. Planquette!"
Il criait: "M. Planquette!"
Il emmenait l'eau puis il disait:
"Thank you." Ça, c'était le
vocabulaire anglophone.
Par une belle journée, M. Planquette
était malade. Et puis, c'est mon
grand-père Augustin qui reçoit
la chopine d'eau et le seau
d'eau et qui se promène. Ça fait
que quand ses amis ont hurlé:
"Planquette!", c'est mon
grand-père, qui est arrivé,
et c'est comme ça que le nom
lui est resté. Ma mère, ma
grand-mère, j'ai jamais entendu
ma grand-mère dire "Augustin".
Elle disait toujours "Planquette".
Et même après qu'il soit décédé,
elle disait: "Planquette est mort
le Vendredi saint. Planquette
faisait ceci et Planquette faisait ça."
GISÈLE QUENNEVILLE
Et vous, vous êtes Planquette
parce que vous êtes la
petite-fille de votre grand-père
ou est-ce que vous êtes
une petite bosseuse?
CLARA DUGAS
Je suis Clara à André
à Planquette.
GISÈLE QUENNEVILLE
Quand vous allez dans des
festivals... Bon, vous avez
enseigné pendant 35 ans, vous
avez présenté vos contes devant
des petits. Dans des festivals,
c'est sans doute beaucoup des
adultes. Comment est-ce qu'on
transforme le conte ou la façon
de faire quand on change
de groupe d'âge?
CLARA DUGAS
Ça, c'est vraiment
une évolution, je dois dire.
Évolution pour moi. Être invitée
à la baie Sainte-Marie, au
Festival de la parole de la baie
Sainte-Marie, c'était pas trop
difficile, parce que j'étais
avec les miens, je pouvais
parler mon parler, mes anecdotes.
Ils comprenaient tout.
Mais être invitée à l'étranger,
même au Nouveau-Brunswick...
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est pas pareil.
CLARA DUGAS
C'était pas pareil.
Et au Québec, c'était
vraiment un défi.
GISÈLE QUENNEVILLE
Très différent.
CLARA DUGAS
Et les premiers coups que
j'étais invitée à des festivals,
je disais: "Peut-être que les
gens vont pas me comprendre.
Je parle un peu..." Bien, et
toujours, les organisateurs, les
organisatrices disaient:
"C'est pour ça qu'on t'invite.
On t'invite pas pour venir parler
comme nous autres. On t'invite
parce que ton accent est
différent." Et une fois sur la
scène, comme je l'ai dit avant,
j'oublie tout ça, une fois
que je me lance dans mon conte.
Et c'est la réception du public
avec mon conte qui me rend très,
très confortable. C'est pas
facile au commencement,
mais une fois que je peux
me lancer, ça va.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que le fait de venir
de la baie Sainte-Marie change
quelque chose? J'ai l'impression
qu'il y a beaucoup de conteurs
à la baie Sainte-Marie.
CLARA DUGAS
Oui, mais ils veulent
pas sortir.
(En riant)
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais d'où vient ce besoin
de raconter des histoires chez
vous, dans votre coin de pays?
CLARA DUGAS
Bien, personnellement, ça
vient définitivement de ma mère.
Parce que ma mère me disait à
nous autres, quand je disais:
"Ma'am, je suis ennuyée, je sais
pas quoi faire", elle disait:
"Moi, quand j'étais petite
fille, j'écrivais un conte.
Puis je le coupais en petits morceaux
et je donnais des morceaux à mes
amis puis on le mettait en
scène." Alors avec une mère
comme ça, tant qu'à moi, ça me
vient très facile. Tandis qu'à
la baie Sainte-Marie, on n'avait
pas beaucoup de soirées de
conteurs. La baie Sainte-Marie,
c'était la musique.
C'est beaucoup, beaucoup
de musique. Alors, le conte
même, c'est grâce à la Société
acadienne de Clare qui ont
commencé le Festival de
la parole. Et avec ça, on a reçu
des conteurs d'antan, et là,
les gens ont vu ce qu'était
vraiment le conte.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce que vous êtes
différente quand vous contez en
français que quand vous contez
en anglais? Est-ce que vous
racontez les mêmes choses?
CLARA DUGAS
Oui, je raconte les mêmes
choses. Peut-être que le public
ne s'en aperçoit pas, mais moi,
vraiment, un conte raconté
en français dans ma langue,
dans moi, c'est différent.
C'est plus riche. Le vocabulaire
est plus riche, et si je peux
conter, bien sûr, dans ma langue
maternelle qui est le français
de la baie Sainte-Marie, je
suis vraiment chez nous.
Avec un conte anglais,
je peux le faire,
parce que j'ai parlé anglais
pour des années et des années.
Mais il n'y a pas la richesse
et c'est difficile à expliquer.
Ça vient vraiment dans l'âme.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous, vous avez appris vos
contes et à conter, je pense,
aux genoux de votre maman.
Est-ce qu'il y a quelqu'un
derrière vous pour prendre la relève?
CLARA DUGAS
Dans ma famille?
GISÈLE QUENNEVILLE
Oui.
CLARA DUGAS
Non! Je crois pas. On peut
jamais dire, on peut jamais
dire. Je vais recommencer avec
mon petit-fils peut-être. Et
j'ai une grande nièce maintenant
qui se prépare à enseigner,
alors peut-être qu'elle contera
des contes dans ses classes, je
suis pas certaine. Mais on
peut jamais dire, parce que moi,
jusqu'à l'âge de 43 ans,
je me serais jamais mise
comme raconteuse.
GISÈLE QUENNEVILLE
Clara Dugas, merci beaucoup.
CLARA DUGAS
C'était vraiment un plaisir.
Merci, Gisèle.
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