Carte de visite
Gisèle Quenneville, Linda Godin et Daniel Lessard rencontrent des personnalités francophones et francophiles. Découvrez ces politiciens, ces artistes, ces entrepreneurs ou ces scientifiques dont l'histoire, extraordinaire, mérite d'être racontée.


Vidéo transcription
Françoise Baylis : bioéthicienne
Dans son bureau de l’Université Dalhousie à Halifax, la bioéthicienne Françoise Baylis doit soupeser le pour et le contre des soi-disant progrès médicaux, pour déterminer si les bénéfices pour la santé d’une personne peuvent nuire aux droits d’une autre…
Ces questions, Françoise Baylis se les pose tous les jours.
On vit plus vieux. On vit en meilleure santé. Les progrès de la science sont partout. Des avancées technologiques viennent en aide aux couples qui ont du mal à concevoir un bébé. Mais ces progrès sont-ils réellement positifs pour la société?
Réalisateur: Joanne Belluco
Année de production: 2015
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Sur des images de la ville de Halifax en Nouvelle-Écosse, et de l'université de Dalhousie GISÈLE QUENNEVILLE fait une courte présentation biographique de FRANÇOISE BAYLIS, bioéticienne de l'université de Dalhousie.
GISÈLE QUENNEVILLE (Narratrice)
On vit plus vieux,
on vit en meilleure
santé, les progrès de la
science sont partout.
Des nouveaux médicaments
permettent de guérir bon nombre
de maladies. Des avancées
technologiques viennent en aide
aux couples qui ont du mal
à concevoir un enfant.
Des nouvelles recherches
en génétique promettent
des traitements sur mesure.
Mais ces progrès sont-ils
des avancées pour la société?
Cette question, Françoise
Baylis se la pose tous
les jours. De son bureau
à l'Université Dalhousie
à Halifax, cette bioéthicienne
doit peser les pour et les
contre des progrès médicaux.
À savoir si un bénéfice pour
la santé d'une personne peut
nuire aux droits d'une autre.
Titre :
Carte de visite
GISÈLE QUENNEVILLE est en entretien avec FRANÇCOISE BAYLIS.
FRANÇOISE BAYLIS (Narratrice)
Tout ce que je fais,
c'est que je pose la question:
mais c'est quoi, le progrès?
GISÈLE QUENNEVILLE
Françoise, vous êtes
bioéthicienne. Vous faites
de la bioéthique. Qu'est-ce que
c'est, de la bioéthique?
FRANÇOISE BAYLIS
Bien, ma perspective, et je
dois dire ça comme ça, parce
qu'il y a plusieurs personnes
qui vont vous annoncer quelque
chose d'un peu différent,
mais ma perspective, c'est que
c'est une discipline au sein de
la philosophie. Donc, c'est ça
ma formation. J'ai un doctorat
en philosophie. Et ce qu'on
apprend dans ce contexte-là,
c'est comment utiliser des
théories philosophiques
dans le domaine de l'éthique,
mais pour regarder de près
des questions de santé.
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors, comme vous arrivez
à formuler une opinion sur un
sujet quelconque? Ou quelle est
la démarche que vous prenez?
Là, je dis "opinion", mais
je sais pas si c'est
le bon mot, "opinion".
FRANÇOISE BAYLIS
Non, c'est une opinion.
C'est une opinion. Et dans ce
contexte-là, je pense que
c'est toujours important,
effectivement, de signaler ça,
parce que sinon, on prétend
avoir accès à la vérité.
C'est quoi ça? Non,
c'est une perspective.
Donc, on offre une perspective.
La perspective, souvent, elle va
être informée par une théorie.
Dans mon contexte, je regarde
toujours de près une perspective
dite féministe, ou on regarde
à mieux comprendre quels en sont
les impacts d'une nouvelle
technologie, d'une nouvelle
politique, etc. Non seulement
sur certains individus, mais sur
la société en son entier. Et
donc, dans ce contexte-là, très
souvent, ce que je vais faire
avant de développer cette
opinion, c'est qu'il faut
absolument aller chercher les
faits. Et ça c'est quelque chose
que je pense, trop souvent,
ne se fait pas par certains
en bioéthique.
Donc, ils se prononcent,
ils ont plein d'opinions, mais
effectivement, ils ont pas fait
la recherche de base. Oui, on a
une opinion pour commencer, mais
on prend un petit recul, on va
chercher les faits. Ça va être
des faits dans le domaine de
la science, dans le domaine
de droit, culturel, etc.
Donc, on commence à créer... Je
sais pas, un aperçu du problème.
Et par la suite, on revient avec
une réflexion qui là, tente
de regarder de près certaines
croyances ou perspectives.
On va chercher avec une théorie,
ou quelque chose comme ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
Peut-être nous donner
des exemples de sujets
qui sont controversés,
qui ont besoin, justement,
d'une réflexion bioéthique.
FRANÇOISE BAYLIS
Bon.
GISÈLE QUENNEVILLE
Il y en a plein, hein?
FRANÇOISE BAYLIS
Il y en a plein,
comment répondre?
GISÈLE QUENNEVILLE
Tout peut l'être, finalement.
FRANÇOISE BAYLIS
Effectivement, c'est la vie
en son entier. On peut commencer
au début avec des questions de
contraception, d'avortement, la
fertilisation in vitro, etc. Et
ça continue, on peut s'imaginer
l'adolescence, on peut
s'imaginer des adultes,
et finalement, on va arriver
à l'autre bout du cycle,
effectivement. Et on regarde
quoi, l'euthanasie, par exemple,
ou le suicide assisté,
etc. Donc, vraiment,
c'est la vie en son entier. Et à
chaque moment où on peut avoir
une interaction, effectivement,
soit avec le système de santé,
soit avec des chercheurs qui
veulent avoir quelqu'un qui
participerait dans leurs
recherches. Ou même sur un plan
de santé publique qu'on peut
toujours se poser des questions.
Santé publique, les vaccins,
par exemple, ou très récemment,
quand on a eu certaines
questions à savoir la situation
en Afrique avec Ebola, etc.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez dit que vous
avez une approche féministe.
Qu'est-ce que ça veut dire, ça?
FRANÇOISE BAYLIS
Bien pour moi, ce que
ça veut dire, et encore,
ça va être différent pour
différentes personnes,
c'est que quand on regarde
n'importe quelle question,
on réfléchit à savoir:
est-ce qu'il y a un groupe en
particulier qui va avoir une
expérience de conséquences
néfastes en vertu de la
politique ou de l'approche
qui a été prise?
Donc, vraiment, c'est une
question d'oppression. Et très
souvent, oui, on va commencer
pour regarder s'il y a un impact
en termes de sexe ou de genre,
mais c'est pas rien que ça.
Ça va aussi être question
de contexte social,
socioéconomique. Ça va aussi
être question d'ethnicité ou de
race. Donc, vraiment, on tente
de voir: est-ce qu'il y a une
façon de voir la situation
en utilisant des perspectives de
personnes marginalisées? Et que
très souvent, ça peut être
la femme, mais ce n'est pas
uniquement des questions
de sexe ou de genre.
GISÈLE QUENNEVILLE
Est-ce qu'il y a une
composante religieuse,
spirituelle, dans
ce que vous faites?
FRANÇOISE BAYLIS
Moi, non.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais ça peut, j'imagine.
FRANÇOISE BAYLIS
Pour d'autres personnes, oui.
Oui, oui, absolument, parce que
pour d'autres personnes... Quand
j'ai dit au départ: quand on
fait de la bioéthique, faut
prendre un petit recul, faut
commencer à aller chercher
les faits, etc. Mais que,
finalement, on revient pour
faire une réflexion, bien,
il y en a certains que leur
réflexion, ça va être une
réflexion théologique.
Pour moi, ce qui est important,
c'est qu'on ait fait la
recherche, qu'on arrive
avec une perspective et qu'il
y ait de la transparence,
pour que d'autres personnes vont
bien comprendre quelles en sont
les données, les faits qu'on est
allé chercher, et quelle est la
perspective qu'on apporte à ça.
Donc, pour certains, si la
perspective va être une
perspective théologique, il y en
a certains qui vont dire: pas
intéressé. Il y en a d'autres
que tu vas venir avec une
perspective féministe, et ils
vont dire: pas intéressés.
Donc, moi, je peux pas dire
à n'importe qui: Non, écoute,
c'est moi qui sais la réalité,
vous devez me croire. Non. Ce
que je dois faire, c'est mettre
de l'avant: "Ça, c'est les
faits; ça, c'est ma perspective.
Et quand on prend les deux
ensemble, si vous êtes d'accord
avec les faits et si vous
acceptez la perspective,
là, je peux vous offrir..."
GISÈLE QUENNEVILLE
Une certaine réflexion.
FRANÇOISE BAYLIS
Exact.
GISÈLE QUENNEVILLE
Quand vous faites
la bioéthique, vous vous
prononcez sur... des "progrès
scientifiques"? Certains
vont appeler ça des progrès
scientifiques. L'envers de la
médaille, est-ce qu'on vous voit
comme étant une entrave,
parfois, à ces progrès
scientifiques là? De la part
des chercheurs, de la part
des médecins, de la part des
compagnies pharmaceutiques, etc.
FRANÇOISE BAYLIS
Je dois dire que oui. C'est
souvent le cas. Mais pour moi,
c'est difficile quand j'entends
ça, parce que tout ce que
je fais, évidemment, ma
perspective, tout ce que je
fais, c'est que je pose la
question: mais c'est quoi le
progrès? Pourquoi vous pensez
qu'une telle, telle innovation
représente un progrès?
Et la raison je dis ça comme
ça, c'est qu'on dirait: "Mais
c'est quoi la différence? Une
innovation, c'est un progrès."
Mais l'affaire qui est arrivée,
c'est que là, l'innovation,
déjà, ça semble avoir un
contexte positif.
Et c'est ça que je tente de
remettre en question. Parce
qu'on peut faire quelque chose,
comment est-ce qu'on sait de
l'avant que c'est quelque chose
qu'on devrait faire? Que c'est
quelque chose qui a une raison
éthique de procéder? Alors, il y
a des choses qu'on peut faire
qui peuvent peut-être être
utiles, mais moi, je vais
toujours dire: mais utiles de
quelle perspective? Pour gagner
des sous? Utiles de quelle
perspective? Pour gagner une
guerre? C'est quoi un progrès?
Et comment est-ce qu'on comprend
ça? Et pour moi, il faut
avoir quand même une
perspective philosophique qui,
effectivement, tente de répondre
à la question: pourquoi on est
ici? Parce que sans comprendre
pourquoi on est ici, et
vraiment, il y a personne qui le
comprend. Mais sans comprendre
cette question, on peut
toujours remettre en cause
c'est quoi de dire avec
confiance que telle, telle
intervention, ça représente du
progrès? C'est un progrès, mais
vis-à-vis quoi? Quel objectif?
Souvent, c'est ça que je fais.
Je pose des questions, et pour
certains, c'est pas une question
qu'ils veulent entendre?
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous êtes un peu la conscience
de la science, finalement.
FRANÇOISE BAYLIS
J'aimerais dire oui.
Des images d'un parc près de la mer, à Halifax, défilent.
FRANÇOISE BAYLIS (Narratrice)
Ce qui est important avec
la ville de Halifax, c'est qu'on
est à quelques pas de l'océan.
Alors, on peut toujours partir
du bureau, et en dedans de 15,
20 minutes, être au bord de
l'eau. Et on peut être au bord
de l'eau en plein centre-ville,
ou on peut être au bord de l'eau
dans un parc. Alors, le parc
Point Pleasant, c'était juste
au point de la ville. Et quand
on se présente là, on a un air
vif. Et on est dans la nature.
Et à certains moments donnés,
durant la journée, il y a très
peu de personnes. Donc, on peut
vraiment réfléchir. Donc, c'est
un point où il y a beaucoup de
silence, mais on entend la mer.
C'est des réflexions sur la vie.
Pour moi, la question la plus
importante et la plus difficile,
c'est: on est ici pourquoi?
Mais faut quand même croire
qu'on est importants, parce
que sinon, pourquoi se lever?
Pourquoi travailler? Pourquoi
faire ce qu'on fait? C'est
vraiment des questions comme ça,
de grande envergure, quand je me
promène, à savoir: c'est quoi
qui est important dans la vie?
De retour à l'entrevue qui se tient dans le bureau de FRANÇOISE BAYLIS.
GISÈLE QUENNEVILLE
Parlez-moi un peu de votre
mère. Parce qu'elle a un
parcours quand même
assez intéressant.
FRANÇOISE BAYLIS
C'est une personne qui,
vraiment, est partie de rien
et a tout réussi. Et quand je
dis "elle a tout réussi",
elle a réussi dans un contexte
personnel, elle a réussi dans un
contexte professionnel. Elle
voulait être médecin, c'était
pas possible pour elle en tant
que femme, et femme qui venait
d'un petit pays, les Barbades.
Elle était pauvre, alors elle
a été éduquée en tant que
garde-malade, mais elle a
toujours pu travailler dans un
contexte où... Je sais très bien
qu'elle dirait que souvent, avec
les jeunes médecins, elle leur
disait: "Non, non, c'est pas
comme ça que tu le fais.
C'est comme ça."
(En riant)
Puis, les jeunes étaient très
contents de savoir que ma mère
était là pour les aider. Et
ce que je trouve encore plus
important, et pour moi, c'est
ça. Quand ma mère a eu des
situations où il y avait
un problème éthique....
GISÈLE QUENNEVILLE
Hum-hum.
FRANÇOISE BAYLIS
Question de justice, elle a
foncé. Et elle a foncé fort.
Puis, ma mère, elle est de
la race noire, et elle a été
refusée à l'emploi au Québec une
fois. Et elle est allée en cour
pour insister qu'elle avait
des droits quand même.
Et elle a gagné.
Mais ce qui est important pour
moi, c'est que ça lui a pris
12 années, puis finalement,
une amende de 50$.
(En riant)
Et je me rappelle très bien,
parce que le procès a commencé
dans les années 60 à Montréal,
et lorsque ça a terminé dans
les années 70, on était
déménagés à Toronto.
Puis, je me rappelle de la
journée qu'elle a gagné. Puis,
c'était ça qui était important.
C'est le fait qu'on résiste
l'État, et on résiste les
personnes qui veulent nous
oppresser, effectivement.
Alors, pour moi, c'est quelque
chose que j'ai pris à coeur.
Voir que ça prend de l'énergie,
parce que ça prend de l'énergie,
mais qu'on peut connaître un
succès, et que lorsqu'on connaît
un succès, c'est pas uniquement
pour soi-même, c'est pour la
communauté. Et c'est ça que je
tente de faire, effectivement.
GISÈLE QUENNEVILLE
Votre maman est noire et elle
a été victime de discrimination.
Vous, est-ce que vous avez
subi de la discrimination?
FRANÇOISE BAYLIS
Absolument.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vraiment?
FRANÇOISE BAYLIS
Et intéressant à cause de ma couleur
dans les deux directions.
Alors, il y a plusieurs
personnes qui vont vous dire,
quand ils sont dans un contexte
de race mixte, que c'est très
difficile, et c'est vraiment
le cas. Parce que dans certains
contextes, les personnes
me prenaient pour blanche,
et me disaient des choses
qui sont offensives.
Ça a été aussi le cas l'inverse.
Et... Je pense vraiment, ce qui
était important pour moi, c'est
que j'ai vécu dans une famille
où c'était pas important. Et
quand je dis "une famille",
c'était pas juste, tu sais, la
famille nucléaire, c'est que
j'ai des cousins et des cousines
de toutes les couleurs.
Et j'ai aussi un contexte
où j'ai vu d'autres personnes
souffrir. Alors, pour moi, ce
qui est important, c'est que
je mets ça de côté assez
facilement. Donc, oui, je vous
dis comme ça, ça a été le cas.
Mais c'est pas important. Parce
que moi, je sais qu'on peut
aller de l'avant quand même.
GISÈLE QUENNEVILLE
Maintenant, bon, on sait
que la bioéthique, c'est à
la base de la philosophie.
Mais j'imagine qu'on rentre pas
dans ses études en disant:
je veux faire de la bioéthique.
J'imagine qu'il y a eu un déclic
qui s'est fait à un moment donné
en philosophie, que vous vouliez
vous diriger vers la bioéthique.
Quel a été ce déclic-là?
FRANÇOISE BAYLIS
Oui, absolument, absolument.
Puis, il faut comprendre que
moi, quand j'ai commencé mes
études, c'était les années 70.
Il y avait pas grand-monde
qui savait c'était même quoi,
la bioéthique. Donc, je finis
ma 13e année, parce qu'à ce
moment-là, en Ontario, il y
avait 13 années au niveau
secondaire, je me pointe à
l'université, et je prends un de
tout. Donc, je prends un cours
en psychologie, un cours en
science politique, en philo, en
espagnol, je sais pas trop quoi.
Puis, quand je prends ce cours
en philo, ils sont en train
de parler de quelqu'un qui
s'appelle Socrate. Puis,
je me dis: eille, c'est plate!
Je me plains, puis il y a
une copine qui me dit:
"Ah, Françoise, prends-le
en français. C'est le fun en
français." Donc, là, je me suis
dit: Ah, OK. Fait que, tu sais,
j'annule le cours en anglais
en philo, et là, je m'en vais
prendre le même cours, en
principe, en français.
Puis, là, ils sont en train de
parler, effectivement, de la
procréation assistée. Puis,
j'ai dit: wow, c'est ça la
philosophie? Moi, je peux
faire ça. Puis, ce qui était
intéressant, c'est que la
question, c'est: est-ce que la
position de l'Église catholique
est acceptable ou pas?
Donc, en tant que jeune,
j'aurais jamais réfléchi à quoi.
J'avais été élevée en tant que
catholique, puis là, quelqu'un
m'invitait à réfléchir pour
moi-même, me disant: "Bon, le
pape a dit telle, telle chose.
Est-ce que vous êtes d'accord?"
Bien, pour moi, c'était...
Je sais pas, c'était
épanouissant. C'était quoi?
C'était juste cette invitation.
On peut poser des questions,
on peut réfléchir pour soi-même.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous avez deux enfants qui
sont jeunes adultes maintenant.
Avec toutes les réflexions
que vous avez faites, toutes les
positions que vous avez prises,
autour de la table, en famille,
est-ce que c'est quelque chose
qui se discute beaucoup?
Est-ce que vous avez des grandes
discussions philosophiques
en famille?
FRANÇOISE BAYLIS
Oui et non. Vraiment, là, ça
dépend de qui est autour de la
table. Alors, ma fille, vraiment
intéressée, puis surtout,
à comprendre quelles en sont
les perspectives féministes
vis-à-vis telle, telle chose.
Mais ce que je trouve
intéressant pour elle, c'est
qu'elle se penche pas uniquement
sur des questions de santé, elle
réfléchit à des questions sur
l'environnement. Même, l'autre
jour, c'était sur la musique,
c'était quoi la musique
féministe, etc. Donc,
je trouve ça super intéressant.
Je la trouve, effectivement,
philosophe, même si c'est
pas dans ce domaine-là
qu'elle fait ses études.
GISÈLE QUENNEVILLE rencontre ALANA CATTAPAN, chercheure, à l'extérieur du bureau de FRANÇOISE BAYLIS.
GISÈLE QUENNEVILLE
Alors, Alana, vous, vous
travaillez ici avec Françoise.
Qu'est-ce qui vous a amenée
ici, à Halifax?
ALANA CATTAPAN
J'ai rencontré Françoise par
rapport à ma recherche, à des
conférences, d'autres fois.
Et quand Françoise a eu un
postdoc qui est parti pour
l'Australie, c'était une...
... expérience pour moi.
L'opportunité était là pour moi
de venir ici. Et je l'ai prise,
parce que Françoise était
une académique qui avait
de l'expérience et du savoir
dont j'avais besoin.
Alors, je suis venue.
GISÈLE QUENNEVILLE
Françoise, il est important
pour vous de travailler avec
des jeunes bioéthiciens?
FRANÇOISE BAYLIS
Absolument. Écoute, pour
moi, ce qui est important, c'est
d'avoir un impact. Et la façon
qu'on ait un impact vraiment à
long terme, c'est à travers
les autres. Et donc, je fais
beaucoup pour ce qui en
est de l'informatique, ou
l'informatisation du grand
public, effectivement. Mais
vraiment, c'est la relève qui
est importante. Alors, c'est
la prochaine génération,
et effectivement, Alana
fait partie de ça.
GISÈLE QUENNEVILLE
Et comment vous
travaillez ensemble?
ALANA CATTAPAN
C'est dans toutes
les façons de lire la recherche
académique et l'expérience
académique. Comme chercheuses,
nous écrivons ensemble,
nous faisons des présentations
ensemble. Dans le groupe
de recherche, nous sommes
toujours l'une et l'autre,
on travaille sur un papier
de recherche, mais peut-être
d'autres... Aussi, quand
on fait des choses toutes
seules, nous faisons une réunion
pour voir ce qui manque dans nos
recherches toutes seules. Alors,
comme ça, nous faisons une
expérience "compréhensive" ici.
GISÈLE QUENNEVILLE
C'est une belle collaboration,
si je comprends bien.
Plusieurs images, prises à l'extérieur de l'université Dalhousie, défilent.
ALANA CATTAPAN
Oui, vraiment.
On revient à l'entretien qui se tient dans le bureau de FRANÇOISE BAYLIS.
GISÈLE QUENNEVILLE
Françoise, j'aimerais qu'on
approfondisse sur certains
sujets biomédicaux qui sont
controversés ou qui ont déjà
été controversés. Prenons, par
exemple, la procréation assistée
ou la fécondation in vitro.
Autrefois, très controversé.
C'est devenu plus répandu
de nos jours. Mais est-ce que
c'est toujours controversé?
FRANÇOISE BAYLIS
C'est toujours controversé. Et
je dirais que les questions sont
peut-être un peu différentes
aujourd'hui, mais il y en a qui
reviennent, qui sont toujours
là. Donc, si on s'imagine dès
le départ, on commence avec
les années 80, l'emphase
était beaucoup sur le statut
de l'embryon, le statut
moral de l'embryon.
Est-ce que c'était acceptable
de détruire un embryon, de
détruire un foetus, etc.
Aujourd'hui, évidemment, il y a
toujours ces questions, mais il
y a aussi des questions d'accès,
par exemple. Donc, vu que là,
entre temps, c'est devenu une
thérapie qui est offerte
à plusieurs personnes--
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais ça coûte cher.
FRANÇOISE BAYLIS
Ça coûte cher, donc, il y
a des provinces qui ont tenté
de payer pour ça. Ça a créé une
situation qui était injuste
de la part de certains qui se
trouvent pas dans ces provinces
par exemple. Mais oui, je dirais
que c'est toujours une question
qui est très... une pratique
qui est très controversée, mais
que les questions éthiques ont
changé un peu à travers
les années.
GISÈLE QUENNEVILLE
Mais quand on parle de
l'accès, par exemple, à une
fécondation in vitro, est-ce
que... et le coût, est-ce
que ça devrait être payé
par l'État, par exemple?
FRANÇOISE BAYLIS
Question controversée, et j'ai
une perspective controversée.
Moi, j'ai dit non. Dans le
contexte de ce débat, j'ai donné
des avis au Québec et aussi, par
la suite, en Ontario, à dire
non. Quoique c'est quelque
chose qui est très important
pour certains individus et
certaines familles, j'ai mis
emphase sur le fait qu'il y a
quand même un petit pourcentage
de personnes qui peuvent
bénéficier de cette intervention,
et est-ce que l'État
peut vraiment dépenser
les sous sur ça quand il y
a d'autres choses qu'on pourrait
offrir à la population en son
entier qu'on ne fait pas
maintenant? Donc, si on prend
la situation au Québec, il y
a combien de personnes qui
ont pas accès à un médecin?
GISÈLE QUENNEVILLE
Hum-hum.
FRANÇOISE BAYLIS
Si tu penses au Canada en son
entier, on n'a pas un système
qui permet à certaines personnes
qui ont besoin d'avoir accès
à des médicaments d'avoir ça
payé par l'État. Donc, ça, c'est
juste deux exemples, mais moi,
j'ai toujours mis emphase sur
la perspective santé publique
que, bon, une fois qu'on fait
ce qu'on doit faire pour la
population en son entier, là,
oui, on peut peut-être regarder
les priorités d'un petit
pourcentage qui ont des
problèmes de fertilité. Mais
qu'entre temps, on devrait pas.
GISÈLE QUENNEVILLE
On n'est pas rendu là.
FRANÇOISE BAYLIS
Oui, puis on devrait pas,
franchement, utiliser les impôts
que tout le monde contribue
à ses sous, pour payer pour
quelque chose pour une minorité.
Et je dois dire, c'est pas
uniquement une minorité
numérique, c'est aussi une
minorité dans un certain cadre
socio-économique. C'est pas
une priorité pour tout le monde.
Dépendamment des chiffres,
on dit qu'il y a à peu près
10 à 12% de la population où
les couples vont connaître un
certain problème d'infertilité.
Mais on sait déjà que parmi ce
10 à 12%, il y a uniquement la
moitié qui veulent avoir accès
à la fertilisation in vitro.
Alors, comment justifier
prendre l'argent qui est là pour
tout le monde et qui pourrait
bénéficier toute la population
et vraiment donner ça à un petit
pourcentage? Ça coûte cher avoir
un enfant avec la fertilisation
in vitro. Si on regarde ce
service qui est offert aux
femmes qui ont plus de 40 ans,
c'est plus de 40 000$
pour un enfant.
GISÈLE QUENNEVILLE
Question de fin de vie
maintenant. Patient qui est en
phase terminale, il est sur une
machine, on le débranche, quand
est-ce qu'on le débranche et
qui décide? Ça, c'est une autre
grande question, n'est-ce pas?
Surtout aujourd'hui quand on
parle d'euthanasie, de suicide
assisté, en particulier
au Canada.
FRANÇOISE BAYLIS
Bon, alors, dans un contexte
nord-américain, où on met
toujours emphase sur le principe
d'autonomie, on va regarder:
est-ce que le patient est
compétent? Et si, dans ce
contexte, le patient est
compétent, il a toujours
le droit de refuser une
intervention, même si, en
conséquence, il va mourir.
Ce qui est intéressant dans le
contexte canadien tout récent,
vu la décision qui a été prise à
la Cour Suprême, c'est qu'il y a
certaines personnes qui ont
insisté sur le fait que cette
approche était discriminatoire.
Et ce qui est intéressant, c'est
que leur perspective était que
si je suis un individu compétent
et que j'ai une technologie
médicale qui fait en sorte,
qui me garde en vie,
j'ai toujours le droit de
refuser cette intervention,
et accepter le fait que,
conséquence, je vais mourir.
Mais ceux qui avaient peut-être
une maladie qui, pour eux,
n'était plus acceptable, ils
voulaient pas vivre dans ce
contexte, donc, exemple, un
cancer avancé, s'ils étaient
pas attachés à des machines,
ils avaient pas la possibilité
de dire: "Écoute, débranchez-moi,
puis laissez-moi mourir."
Parce qu'il y avait pas
d'intervention. L'argument
était: il y a une discrimination
contre les personnes qui se
retrouvent dans ce contexte-là.
Et eux devraient pouvoir
demander pour un suicide assisté.
Un suicide médical,
effectivement. Et la décision
qui a été prise par la Cour
Suprême fait en sorte qu'en
principe, d'ici peu, au Canada,
ceci va être légal, et ça va
être un changement assez
important pour nous en termes
de société. Et quitte à voir
comment ça va se passer, parce
qu'évidemment, il y a plusieurs
médecins qui vont dire:
"Écoute, non. Moi, je suis pas
capable. C'est pas ça que j'ai
fait quand je me suis présenté
comme étudiant ou étudiante en
médecine. Pour moi, je suis
là pour sauver la vie,
pas pour la prendre."
C'est une question difficile.
GISÈLE QUENNEVILLE
Vous faites de la recherche
sur ces différentes questions.
Vous émettez des opinions. En
bout de ligne, quel est l'impact
que vous pouvez avoir
comme bioéthicienne?
FRANÇOISE BAYLIS
Il y a des impacts concrets,
et il y a des impacts un peu...
nébuleux. Dans le concret,
quand un gouvernement,
soit au niveau provincial
ou le fédéral, tente
de développer une politique, on
peut contribuer à ce processus.
On peut leur offrir des
réflexions. On peut leur donner
des conseils. On peut même
tenter d'écrire certaines
parties pour qu'elles
soient très précises.
Donc, ça, c'est quelque chose de
très concret. Mais pour moi, où
j'espère avoir un impact, c'est
quelque chose qui est beaucoup
plus difficile, parce que c'est
au plan social. Et ce que
je tente de faire, c'est
d'encourager tous les Canadiens
et Canadiennes de réfléchir et
de se pencher sur certaines
questions. Et pour moi, l'objectif,
c'est de faire en sorte
que je contribue à la démocratie,
effectivement.
Et comment est-ce qu'on mesure
ça? Comment est-ce qu'on peut
savoir: "Oui, Françoise, t'as
contribué à la démocratie."
Écoute, c'est pas quelque chose
qu'on peut préciser. On peut
juste continuer à travailler,
puis avoir comme objectif
d'aller engager les Canadiens.
Alors, si c'est quelque chose
qui va avoir un impact sur ta
vie, moi, ce que je veux faire,
c'est que je veux te donner des
outils, et des outils, dans
ce contexte-ci, c'est quoi?
C'est des idées, c'est des
perspectives, c'est quelque
chose qu'on... Tu sais. Alors,
comment mesurer combien d'idées
j'ai données? Comment mesurer
que, bon, il y en a qui ont
pris ces idées, puis les ont
développées eux-mêmes? C'est
très difficile à savoir, mais...
j'ai confiance qu'on va
avoir un impact si on continue
les conversations. Donc, pour
moi, c'est ça l'objectif.
GISÈLE QUENNEVILLE
Eh bien, on va s'arrêter
là-dessus. Françoise Baylis,
merci beaucoup.
FRANÇOISE BAYLIS
Oh, il y a pas de quoi. Merci.
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