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Vidéo transcription
Week-end à Zuydcoote
En juin 1940, durant la bataille de Dunkerque, sous les bombardements allemands, les troupes françaises et anglaises sont terrées sur les plages en attendant leur embarquement pour l’Angleterre. Julien Maillat, un soldat français, rencontre Jeanne, une jeune femme retranchée dans sa maison.
Réalisateur: Henri Verneuil
Acteurs: Jean-Paul Belmondo, François Périer, Pierre Mondy
Année de production: 1964
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Des soldats marchent sur une voie ferrée et rejoignent une garnison complète de soldats assis sur et autour de la voie ferrée.
Le Sergent-chef MAILLAT se retourne vers ALEXANDRE qui traîne derrière.
La voie ferrée passe au cœur d'un village. Des centaines de soldats sont assis sur le sol et quelques villageois gravitent autour de la garnison.
SGT MAILLAT
Alors, Alexandre,
tu te magnes?
Le Sergent MAILLAT marche avec ses hommes parmi les soldats. Un avion passe au-dessus du village et disperse des papiers qui tombent vers le village.
UN HOMME lit à voix haute le texte imprimé sur les papiers qui jonchent le sol.
UN HOMME
"Français!
La Pologne, État de 34 millions
d'habitants, n'existe plus.
"La Hollande a déposé les armes.
"L'armée belge
vient de capituler.
"L'armée allemande avance.
"Plus de 500 000 soldats
se sont rendus.
Jeanne d'Arc
pleurerait si elle"-
SGT MAILLAT
Bon, les gars, il y a pas des
nouvelles du 110e dans le coin?
UN HOMME
Non.
Le SGT MAILLAT s'adresse à un soldat, debout près d'un bâtiment.
SGT MAILLAT
Hé. Vous auriez pas des
nouvelles du 110e, par hasard?
LE SOLDAT
110e? Viens avec moi.
Le SOLDAT guide le SGT MAILLAT à l'intérieur du bâtiment.
LE SOLDAT
Capitaine, voilà
un sous-officier du 110e RI.
CAPITAINE
Vous êtes du 110e?
SGT MAILLAT
Oui, mon capitaine.
Sergent en chef Maillat.
CAPITAINE
Et où il se trouve, le 110e?
SGT MAILLAT
J'en sais rien, mon capitaine,
j'ai perdu le contact.
CAPITAINE
Quand?
SGT MAILLAT
Hier après-midi.
CAPITAINE
Où? Vous savez lire une carte?
SGT MAILLAT
(Approchant de la carte épinglée au mur)
Ici, à Killem.
CAPITAINE
Ils ont pris Killem?
SGT MAILLAT
Oui.
CAPITAINE
Lieutenant, transmettez.
Ils sont à Killem.
Vous pouvez disposer, sergent.
SGT MAILLAT
(S'adressant au SOLDAT)
C'est si grave que ça?
LE SOLDAT
T'as vu sur la carte.
SGT MAILLAT
Et moi, qu'est-ce que je fais?
LE SOLDAT
Tu sais nager? Bon, tu gagnes
Dunkerque et tu traverses.
18 kilomètres,
c'est pas la mer à boire.
Et de l'autre côté, tu sais ce
qu'il y a? Il y a l'Angleterre.
Et ils sont peinards,
en Angleterre. Ils jouent
au tennis, en ce moment, là-bas.
SGT MAILLAT
C'est vrai
qu'on va nous embarquer?
LE SOLDAT
Les Anglais, c'est sûr,
mais nous... pff!
SGT MAILLAT
Allez, salut.
LE SOLDAT
Salut.
ABBÉ PIERSON
(Lisant le feuillet tombé du ciel)
"Jeanne d'Arc pleurerait
si elle voyait
"comme le noble sang
de la France coule encore.
"Pourquoi tant de sacrifices,
pourquoi vous battez-vous
"pour les marchands
de canons et les magnats
de la finance anglaise?
L'Angleterre combattra
jusqu'au dernier Français."
PINOT
Ah, ils sont culottés.
DHÉRY
Tu le crois, toi,
qu'on est encerclés?
ABBÉ PIERSON
Bah, penses-tu?
C'est un bobard.
SGT MAILLAT
C'est pas un bobard,
c'est vrai.
Tu sais ce que c'est
qu'une poche, l'abbé?
Eh bien, on est dans une poche.
Quand t'auras 60 ans, tu pourras
dire à tes paroissiens:
"Les fritz m'ont fait prisonnier
dans la poche de Dunkerque."
ABBÉ PIERSON
Ils me feront pas prisonnier.
Ça se traverse,
une poche, hein.
DHÉRY
Bon bien alors,
il faut prendre une décision.
SGT MAILLAT
On s'en va.
PINOT
Où ça?
SGT MAILLAT
À la mer.
On vient de se taper 200
kilomètres à pied en six jours.
Ça vaut bien
un petit week-end, non?
Générique d'ouverture
Titre :
Week-end à Zuydcoote
Des centaines de soldats sont rassemblés sur la plage.
Texte narratif :
Samedi matin
1er juin 1940
Des bombardiers sillonnent le ciel et bombardent un village. Les soldats présents se couchent par terre pour éviter d'être blessés.
Les avions passent en rase-mottes et mitraillent les rues sans discernement.
Le SGT MAILLAT sort de sa cachette pour mieux regarder les avions.
UN HOMME
(Voix au loin)
Les salauds!
Mais barre-toi
de là, nom de Dieu!
Plusieurs soldats se sont mis à couvert dans un abri de fortune.
UN SOLDAT
(S'adressant au SGT MAILLAT)
Tu vas foutre le camp, dis?
SGT MAILLAT
Moi?
UN SOLDAT
Oui, toi. Tu vois pas que
tu vas nous faire repérer? Non?
SGT MAILLAT
Vous êtes complètement
fous? Vous croyez quand même
pas qu'un stuka à 500 km/h--
UN AUTRE SOLDAT
Salaud! Mais tu le fais
exprès? Non, attends, je vais
sortir pour te les couper, moi!
SGT MAILLAT
Vous en retirerez rien,
je t'attends.
Mais dépêche-toi,
voilà un stuka qui rapplique.
Une bombe éclate à quelques mètres de l'abri et aussitôt SGT MAILLAT s'éloigne pour se mettre à l'abri. Les soldats qui étaient dans l'abri courent aussi et entrent dans ce qu'il reste des maisons.
Les bombardements se poursuivent. SGT MAILLAT aperçoit une jeune fille sortir sur un balcon en tenant des jumelles. La maison de JEANNE est intacte.
SGT MAILLAT
Hé oh!
Hé, là-bas!
JEANNE envoie la main et retourne à son observation de bombardiers, insouciante.
Un avion se dirige tout droit sur la maison de JEANNE qui entre se réfugier à l'intérieur.
SGT MAILLAT retourne sous la structure chancelante d'une maison qui tient encore.
UN HOMME interpelle SGT MAILLAT.
VIRREL
T'as pas une pipe?
SGT MAILLAT
Excuse-moi,
je t'avais pas vu.
VIRREL
C'est pas que j'aime fumer,
mais ça chasse la trouille.
VIRREL est assis sur une chaise berçante dans une cuisine presqu'intacte. SGT MAILLAT lui lance ses cigarettes.
SGT MAILLAT
Tiens, prends-en plusieurs.
VIRREL
Oh bien là, bien,
il va plus t'en rester.
SGT MAILLAT
Prends-en, je te dis.
Elles m'ont pas coûté cher.
Le patron du bistro a pas
voulu que je les paie.
VIRREL
Ha, ha! Tu te fous de moi?
SGT MAILLAT
Non.
VIRREL
Il a refusé ton fric?
SGT MAILLAT
Oui.
VIRREL
C'est pas croyable.
Il était cinglé, le gars.
SGT MAILLAT
Non, il était
démoralisé, c'est tout.
VIRREL
Démoralisé?
Ha! T'as de ces mots. Hi, hi!
(S'allumant une cigarette)
"Démoralisé"...
Bien moi, j'aimerais bien qu'ils
soient tous démoralisés,
ces gars-là.
C'est ça qui serait chouette.
Tu rentrerais dans une
boutique, tu dirais:
"Je veux ça, ça,
ça et que ça saute."
On te l'enveloppe, on te fait
un grand sourire et hop!
tu t'en vas sans payer.
Ha! Tu parles d'une société
qu'on aurait, dis donc! Ha, ha!
VIRREL sort de la maison et marche avec SGT MAILLAT dans le village ou des brancardiers s'occupent de ramasser les corps et les blessés.
VIRREL
De quel côté vas-tu?
SGT MAILLAT
Au sana.
VIRREL
Bon bien moi aussi.
Attends-moi.
Attends-moi une seconde,
j'ai une cliente.
VIRREL va chercher une charrette sur laquelle le corps d'une femme morte est étendu.
VIRREL
Tu vois, toujours le taxi.
Ah les vaches.
J'aurais dû me méfier
quand ils ont demandé
ceux qui savaient conduire.
Je me suis laissé avoir
comme un bleu.
Le dixième depuis ce matin
et puis c'est pas fini, hein.
VIRRELpousse la charrette avec efforts entre les véhicules abandonnés ou endommagés. SGT MAILLAT pousse avec lui.
VIRREL
Allez, pousse.
Une jeep roule dans le cimetière de véhicules et dirige droit vers la charrette.
VIRREL
Ah, merde!
Voilà autre chose maintenant.
Un LIEUTENANT PRESSÉ se lève dans la jeep.
LIEUTENANT PRESSÉ
Ôtez-vous de là, je porte
un pli pour le général,
c'est urgent.
VIRREL
Bien, où voulez-vous
que je me mette?
LIEUTENANT PRESSÉ
Bien, reculez!
VIRREL
Reculez vous-mêmes,
vous êtes en voiture.
LIEUTENANT PRESSÉ
Vous voulez pas que je fasse
4 kilomètres en marche arrière.
Je vous donne l'ordre
de reculer. Vous m'avez
compris? L'ordre de reculer!
VIRREL
Mais mon lieutenant, moi, j'ai
l'ordre de transporter cette
civile dans la cour du sana.
Ordre du Capt Blajy.
LIEUTENANT PRESSÉ
Je me fous de votre
capitaine. Reculez.
VIRREL
Eh bien moi, j'obéis
à mon capitaine et j'ai d'ordres
à recevoir de personne d'autre.
LIEUTENANT PRESSÉ
Quoi?! Vous n'avez pas
d'ordres à recevoir
d'un officier?! Je vais
vous apprendre la discipline.
Le LIEUTENANT PRESSÉ descend de voiture et avance vers VIRREL.
LIEUTENANT PRESSÉ
Vous allez me foutre le camp
d'ici avec votre guimbarde,
nom de Dieu.
VIRREL
Hon, vous avez pas honte de
jurer comme ça devant une morte?
LIEUTENANT PRESSÉ
(Dégainant son arme)
Vous vous foutez de moi?
(Pointant l'arme sur VIRREL)
Reculez!
SGT MAILLAT
Attendez!
Oui, quoi, attendez. Il y a
peut-être moyen d'arranger ça.
Vous voyez l'Austin.
On la pousse, on monte
le charreton sur le talus
et puis vous passez.
LIEUTENANT PRESSÉ
Oui, bon, allons-y comme ça,
mais que ça saute, hein.
SGT MAILLAT
(S'adressant au conducteur de la jeep et à VERREL)
Allez, un coup de main,
les gars.
SGT MAILLAT
Allez.
Les quatre hommes poussent la voiture en forçant un peu et dégagent un espace qui mène à un ponton. Les quatre hommes poussent ensuite la charrette sur le ponton.
SGT MAILLAT
Allez.
Allez.
Hé, oh, oh!
VIRREL
Qu'est-ce qu'il y a?
SGT MAILLAT
(Parlant de la morte)
Elle glisse.
VIRREL
Bien, remonte-la.
VIRREL
Allez, prêt, mon lieutenant?
LIEUTENANT PRESSÉ
Oui. À mon commandement.
Ho hisse!
Les hommes poussent de nouveau la charrette.
Les hommes disposent la charrette sur un terrain plat et s'arrêtent.
VIRREL
Eh bien, dis donc.
LE CONDUCTEUR
Oui, c'est plus lourd
qu'on croirait.
LIEUTENANT PRESSÉ
Ah, ça pèse son petit poids.
VIRREL
C'est pas la môme.
Moi, la môme,
je la soulèverais d'une main.
Mais c'est le charreton.
LE CONDUCTEUR
Ah oui, n'empêche,
la môme, elle pèse son
petit poids elle aussi.
LIEUTENANT PRESSÉ
(Offrant des cigarettes)
Bon, il y a des deux
Bon bien... alors merci et...
Au revoir, les gars.
LE LIEUTENANT PRESSÉ retourne à sa jeep et reprend le chemin dégagé.
VIRREL
(S'adressant au SGT MAILLAT)
Tu l'as vu, il m'aurait
descendu, la vache.
Mais c'est la jungle, alors.
C'est celui qui a le pétard
qui fait la loi.
Et après ça, il m'offre
une pipe.
(Jetant sa cigarette)
Bien, tiens bon Dieu!
j'en veux pas de sa pipe!
SGT MAILLAT
Tu le regretteras.
VIRREL
Oui, ah...
SGT MAILLAT
(Cherchant à allumer sa cigarette avec un briquet)
Plus d'essence.
VIRREL
Oh, là-bas, l'essence,
c'est pas ça qui manque.
Il y a des motos, des autos;
tout ça, c'est à toi.
SGT MAILLAT
T'as raison. C'est pas
les voitures qui manquent.
C'est la route.
Les deux hommes reprennent le ponton en sens inverse et glissent tirés par le poids de la charrette.
VIRREL
Attention, oh!
Oh.
Dis donc, tu crois
ce qu'on raconte, toi?
Que les fritz,
ils vont s'amener avec des...
tanks et des lance-flammes
et pan! dans le tas
jusqu'au dernier?
SGT MAILLAT
C'est peut-être possible.
À la guerre, tout est possible.
Arrête.
VIRREL
Quoi?
Le corps de la jeune femme s'est encore déplacé
VIRREL
Avec les cahots,
ça remonte tout le temps.
SGT MAILLAT
(Regardant le corps)
Toute jeune.
Elle t'a joué un drôle de tour,
la vie, ma pauvre cocotte.
(Descendant la jupe de la jeune femme)
C'est dégueulasse.
VIRREL
Oh, tu t'y feras.
SGT MAILLAT
Je veux pas m'y faire.
Ce que je reproche à la plupart
des gars, c'est de s'y faire,
justement.
Ils s'installent dans
la guerre, tu comprends?
VIRREL
Tu peux pas savoir
comme ça m'instruit
de t'écouter déconner.
Tu serais pas instituteur,
toi, par hasard?
SGT MAILLAT
Non, pourquoi?
VIRREL
C'est drôle, avec ton petit
air sérieux, moi, j'aurais cru.
SGT MAILLAT
Ils ont l'air si sérieux
que ça, les instituteurs?
VIRREL
C'est pas ça, j'en ai connu
qui étaient rigolos.
Ça doit être d'enseigner les
mômes qui leur donne cet air-là.
Ils ont l'air, je vais te dire,
comme quoi ils seraient toujours
en train de gaffer que tu dises
pas de conneries.
SGT MAILLAT
Et j'ai cet air-là, moi?
VIRREL
Han-han, t'as cet air-là.
SGT MAILLAT
Ha, ha! Eh bien, voilà,
il faut que je te quitte.
Je popote avec des copains
dans les dunes.
VIRREL
Ah bon, alors on se quitte?
SGT MAILLAT
Oui.
Allez, salut, vieux.
VIRREL
À bientôt!
SGT MAILLAT
Merci. Il y a rien qui presse.
MAILLAT marche vers la plage devant lui.
Des centaines d'hommes sont réunis sur la plage entre les camions et les caisses de munitions et d'armes.
MAILLAT se fraye un chemin entre les hommes et rejoint ses copains.
MAILLAT sort un canif et perce un bidon d'essence pour remplir son briquet.
SOLDAT OUTRÉ
Eh bien,
tu t'en fais pas, toi.
Gâcher 30 litres
pour remplir ton briquet?
SGT MAILLAT
Pour qui tu veux les garder?
Pour les fritz?
UN SOLDAT qui dormait se réveille.
DORMEUR
Il a raison, les gars.
On va pas leur laisser
des cadeaux, non?
VOISIN DU DORMEUR
Encore un que les boches
n'auront pas. Tiens.
Les soldats sortent leurs canifs et imitent MAILLAT en perçant les bidons d'essence.
DORMEUR
Allez, viens-t'en! Un autre!
VOISIN DU DORMEUR
Et en voilà... Tiens.
MAILLAT s'éloigne des autres soldats et poursuit son chemin seul dans les dunes. MAILLAT rejoint ses copains.
SGT MAILLAT
Salut, Alexandre.
Salut, petit père.
ALEXANDRE
Dis donc, Maillat,
c'est pour quand?
SGT MAILLAT
C'est pour quand quoi?
ALEXANDRE
C'est pour quand
que tu nous laisses tomber?
SGT MAILLAT
Oh, tu sais, pour l'instant...
Où ils sont, les autres?
Et l'abbé, qu'est-ce qu'il fout?
C'est l'heure de la bouffe, non?
ALEXANDRE
Il était là en train de
lire son bréviaire; il est parti
pour essayer de trouver du pain.
SGT MAILLAT
Et Dhéry?
ALEXANDRE
Je sais pas.
Il doit avoir une idée
derrière la tête.
Il est bizarre
depuis quelque temps.
Une radio joue la Marseillaise.
SGT MAILLAT
Ça y est, encore une tuile.
ALEXANDRE
Écoute, je crois que ça va
être le communiqué.
ANNONCEUR RADIO
Voici le communiqué
du grand quartier général.
Dans le nord, les opérations
continuent de se dérouler
avec la même âpreté autour
du camp retranché de Dunkerque.
72 avions ennemis ont été
détruits ou endommagés
par nos forces aériennes.
Notre aviation continue
de lutter héroïquement
dans le secteur de Dunkerque
pour la maîtrise du ciel.
Sur la Somme et sur l'Aisne,
quelques actions locales...
SGT MAILLAT
Si la maîtrise continue
comme ça,
dans deux jours,
les fritz sont ici.
SGT MAILLAT s'assoit à table dans un fauteuil en rotin.
ALEXANDRE
Tu prends la place de Dhéry.
SGT MAILLAT
La place de Dhéry!
La place de Pierson,
la place de Maillat,
la place d'Alexandre.
On est installés ici
depuis hier et on a déjà
nos petites habitudes.
ALEXANDRE
Écoute, pour une fois
qu'on peut vraiment s'installer.
SGT MAILLAT
Tu serais plutôt
du genre banlieusard, toi.
Tu mets de l'ordre
dans ton petit coin
et tu te fous du bordel général.
ALEXANDRE
J'y peux quelque chose, moi,
au bordel général?
On m'a pas consulté.
Qu'est-ce t'as fait ce matin?
SGT MAILLAT
Rien.
Si, j'ai tué un rat.
ALEXANDRE
Pourquoi?
SGT MAILLAT
Je sais pas.
Tu vois, j'aurai quand même
tué quelque chose pendant
cette guerre.
ALEXANDRE continue de s'occuper de préparer le repas.
SGT MAILLAT
Il y a rien à boire?
Le whisky de Dhéry.
MAILLAT se lève, mais ALEXANDRE le retient d'aller plus loin.
ALEXANDRE
Non, non, non! Laisse.
Le rangement, c'est moi
que ça regarde.
Sinon, tu me foutrais
tout en l'air.
ALEXANDRE entre dans un camion hors d'usage qui leur sert de chambre.
ALEXANDRE
Ah non, non! tu vas pas fumer
maintenant, on va manger.
SGT MAILLAT
Ah! Écoute, la nounou, ça va.
La chanson :J'attendrai de Rina Ketty joue à la radio.
RADIO
♪ J'attendrai
le jour et la nuit ♪
♪ J'attendrai toujours ♪
♪ Ton retour ♪
ALEXANDRE est ému par la chanson et s'assoit
SGT MAILLAT
Qu'est-ce qui t'arrive?
ALEXANDRE
Ah là là, ça me fait
penser à ma femme.
SGT MAILLAT
Mon pauvre vieux.
ALEXANDRE
Oui, ah oui, ça va,
toi t'es célibataire.
SGT MAILLAT
Allez, Alexandre, parle-moi
encore de ta femme.
Elle est brune, hein?
ALEXANDRE
Oui. Brune avec des yeux bleus.
SGT MAILLAT
Et de belles épaules.
ALEXANDRE
Oui.
SGT MAILLAT
Et un joli dos?
ALEXANDRE
Oui.
SGT MAILLAT
Et de longues jambes.
ALEXANDRE
Ah, ça, nom de Dieu,
les jambes qu'elle a!
Je trouve ça beau,
les longues jambes.
Ça donne de la classe, non?
Ma femme, avec ses
longues jambes, elle...
elle a l'air...
elle a l'air d'un lys.
SGT MAILLAT
Un lys, ça a pas de jambes.
ALEXANDRE
Je sais ce que je dis. Elle...
elle a l'air d'un lys, ma femme.
Ce qui m'embête, c'est
qu'elle trouve que je
lui parle pas assez.
Je sais pas de quoi
lui parler, moi, à ma femme.
SGT MAILLAT
Parle-lui de son âme.
Les femmes adorent
qu'on parle de leur âme.
Surtout quand on les pelote.
ALEXANDRE
T'es soûl.
SGT MAILLAT
Pas avec un quart de whisky.
ALEXANDRE
Deux quarts.
SGT MAILLAT
(Se servant dans la bouteille)
Trois quarts.
Et je suis pas soûl.
Alexandre.
ALEXANDRE
Quoi?
SGT MAILLAT
Si j'en réchappe,
je te ferai certainement cocu.
ALEXANDRE
Tu vois bien que t'es soûl.
SGT MAILLAT
Je vois pas le rapport.
ALEXANDRE
Tiens, je me rappelle
une nuit que ça pleuvait
et qu'il faisait du vent
à en foutre
la bicoque par terre.
Ma femme et moi, on était
dans le plume bien au chaud,
avec une petite lampe à côté.
C'est ça la vie, tiens.
Comment qu'on les
emmerdait tous alors.
Il y avait plus que nous deux
dans le plume bien au chaud,
avec la petite lampe à côté.
SGT MAILLAT
Fringue-toi en civil
et cours la rejoindre.
ALEXANDRE
Bah...
Les bombardements reprennent et explosent à quelques mètres de la baraque improvisée de MAILLAT et ALEXANDRE qui courent se mettre à couvert en se couchant sur le sable derrière une dune.
SGT MAILLAT
Foiré.
ALEXANDRE
Dis donc, c'est du 77
qu'ils nous balancent?
SGT MAILLAT
En tout cas, si ce n’en est pas,
c'est bien imité.
ALEXANDRE
À combien ça tire, le 77?
SGT MAILLAT
Comme le 75:
10 kilomètres au maximum.
ALEXANDRE
Mais alors, ils sont à moins
de 10 kilomètres, les fritz?
SGT MAILLAT
Bravo, tu calcules bien.
(Se relevant)
Mon vieux,
la situation est claire.
Ici, il y a la mer.
Là, il y a les fridolins
qui avancent.
Et nous, on est là,
dans une petite bande
de terre qui rétrécit.
ALEXANDRE
Comme au lavage.
ALEXANDRE et MAILLAT sont retournés à leur camp de fortune. DHERY monte la dune en portant une armoire de bois sur son dos.
DHÉRY
À qui l'armoire rustique
en noyer ciré?
Tiens, on serait au civil,
je parie que je vous l'aurais
refilée pour 200 balles,
mon armoire.
Je vous en fais cadeau.
C'est du bois de chauffe
de première bourre pour
la cuistance, ça.
J'aime bien manger chaud, moi.
Bon allez, qu'est-ce qu'il y a
comme marchandise abandonnée
sur la plage et partout.
(En défaisant l'armoire en planches)
Tiens, encore ça,
c'est de l'amateurisme.
Parce que, pour des gars
sérieux, moi eh, il y en a,
des millions à prendre, hein.
Ah oui, des millions.
T'entends, Maillat?
Des millions.
SGT MAILLAT
Qu'est-ce que j'en ai
à foutre, de tes millions?
T'apporterais un sous-marin,
je dis pas.
Merde!
MAILLAT se met à courir en direction de la mer et DHERY retourne à son armoire.
SGT MAILLAT
(Rejoignant l'ABBÉ)
Pierson, arrête!
ABBÉ PIERSON
(Montant la dune en portant du pain)
Qu'est-ce qui te prend?
SGT MAILLAT
T'allais droit dessus.
ABBÉ PIERSON
Droit sur quoi?
SGT MAILLAT
Tu vois le cratère, là?
C'est un obus de 77.
ABBÉ PIERSON
Oh! Mais dis donc, on peut
dire que vous êtes verni.
(Marchant vers l'obus dans le sable)
Mais on peut pas
le laisser là, cet obus.
SGT MAILLAT
T'occupe pas de
ça, laisse-moi faire.
ABBÉ PIERSON
Mais t'es fou ou quoi?
SGT MAILLAT
Fais ce que je te dis.
Et pas un mot à Alexandre.
MAILLAT s'agenouille près de l'obus et l'ABBÉ continue de monter la dune.
Au campement de fortune, DHERY continue de défaire l'armoire avec une hache.
ALEXANDRE
T'as trouvé du pain.
T'es un mec, l'abbé.
ABBÉ PIERSON
Oui. Enfin, je suis pas
mécontent.
DHÉRY
Qui t'a refilé ça?
ABBÉ PIERSON
Le cuisinier du sana.
ALEXANDRE
Tu t'es fait pistonner par
les bonnes soeurs, hein, l'abbé?
ABBÉ PIERSON
Ha, ha! Mais pas du tout,
c'est une affaire purement
commerciale. Ça m'a coûté 40F.
DHÉRY
Quoi? 40 balles?
Mais c'est un monde, ça.
ABBÉ PIERSON
Bien quoi, ça fait 10F chacun.
DHÉRY
10F chacun! Dis donc, mais
t'es complètement cinglé, non?
C'est ça que t'appelles
faire une affaire, toi?
ABBÉ PIERSON
Si tu veux, on peut
se cotiser pour payer ta part.
ALEXANDRE
Ah non, mais celui-là,
question fric! Tu sais que
t'es de corvée d'eau, hein.
DHÉRY
On peut pas tout faire, non?
ALEXANDRE
Allez, à la soupe, c'est prêt.
Qu'est-ce qu'il fout, Maillat?
ABBÉ PIERSON
Je sais pas.
ALEXANDRE
Ah! Toujours à se baguenauder,
ce corniot-là. Maillat!
SGT MAILLAT
(Voix au loin)
J'arrive.
DHÉRY continue de démolir son armoire en défaisant le fond ce qui lui donne une vue sur la dune. DHÉRY remarque que MAILLAT déterre un obus.
DHÉRY
Mais Maillat,
qu'est-ce que tu fous là?
DHÉRY s'approche de MAILLAT.
DHÉRY
Hé, les gars, venez,
il est fou! Venez vite!
ALEXANDRE
(Courant vers MAILLAT)
Qu'est-ce qui te prend
de gueuler comme ça?
Hein, qu'est-ce...
(Voyant MAILLAT)
Ah, le con!
DHÉRY
C'est tout ce que
tu trouves à dire?
Mais arrêtez-le, bon Dieu.
Dites-lui d'arrêter, quoi.
On n'a pas idée de jouer
avec des trucs pareils.
Les trois hommes se couchent au sol.
DHÉRY
Mais il va tous nous faire
sauter, le salaud, là.
ALEXANDRE
Ah, ta gueule, toi!
Tu vas encore nous faire
une poussée d'urticaire.
DHÉRY
Mais il est cinglé,
je vous dis.
SGT MAILLAT
T'as peur qu'il t'éclate
dans la gueule?
Alexandre, passe-moi un torchon,
il est brûlant.
DHÉRY
Mais arrête-toi, bon Dieu,
je tiens pas à mourir, moi.
SGT MAILLAT
Moi non plus.
ALEXANDRE
Attends, je vais t'aider.
SGT MAILLAT
Arrête ou je fais tout péter.
ABBÉ PIERSON
Fous-lui la paix.
ALEXANDRE
Argh! Bon Dieu, comme
connerie gratuite, alors!
ABBÉ PIERSON
Mais tais-toi.
DHÉRY
Bon bien alors, moi,
je vais chercher l'eau.
ABBÉ PIERSON
C'est ça, va chercher l'eau.
DHÉRY
Bon bien, alors j'y vais.
ALEXANDRE
Bien, vas-y,
qu'est-ce que t'attends?
DHÉRY
C'est mon tour, non?
ABBÉ PIERSON
Non, mais qui dit le contraire?
DHÉRY
(Courant chercher l'eau)
Oui, il manquerait
plus que ça.
MAILLAT enveloppe l'obus dans un linge et tire doucement pour le dégager de la dune.
Une fois dégagé, MAILLAT porte l'obus comme un bébé naissant. [SGT MAILLAT
L'abbé, passe-moi
une de tes grenades.
ABBÉ PIERSON
Mais qu'est-ce
que tu vas faire?
SGT MAILLAT
Je vais le faire péter
dans les dunes.
DHÉRY
(Portant l'eau au campement)
Qu'est-ce que tu cherches?
ABBÉ PIERSON
Une grenade.
DHÉRY
Je vous le dis, moi,
vous êtes tous cinglés!
L'ABBÉ rapporte une grenade.├ [ALEXANDRE
Je vais avec toi.
SGT MAILLAT
Reste là.
Et occupe-toi de la bouffe.
J'ai faim, moi.
ALEXANDRE
(Regardant MAILLAT s'éloigner vers les dunes)
Et il a faim...
L'ABBÉ regarde partir MAILLAT en fouillant son paquet de cigarettes.
ALEXANDRE
Mais allume pas ta pipe, toi,
on va manger!
Une détonation annonce que le tour est joué.
ALEXANDRE
(Ne voyant pas MAILLAT revenir)
Mais qu'est-ce
qu'il fout, bon Dieu?
MAILLAT
(Revenant en courant)
Allez, à la bouffe, j'ai faim.
ALEXANDRE
A, le con!
J'aime mieux rien dire!
On n'attend pas Dhéry?
SGT MAILLAT
Ah non, on commence.
(S'adressant à l'ABBÉ)
Alors, t'as eu des tuyaux?
ABBÉ PIERSON
Non, il y a pas de nouvelle
du 110e, mais d'après ce que
m'a dit un blessé,
il y aurait des Français
qui résistent derrière
le canal des Moëres.
Ils se battent comme des lions.
ALEXANDRE
(Préparant les couverts dans le camion)
Parle plus fort, l'abbé.
T'as une voix tellement
distinguée, on n'entend
rien de ce que tu dis.
SGT MAILLAT
Laisse-le parler, tu veux?
C'est tout?
ABBÉ PIERSON
Bien, il y a les Anglais
qui résistent aux Bergues.
ALEXANDRE
Les Bergues? On se bat
déjà aux Bergues?
SGT MAILLAT
La petite poche se rétrécit
de plus en plus.
Et l'embarquement?
ABBÉ PIERSON
À Bray-Dunes, en principe,
on n'embarque que les Anglais.
Pour les Français, ça se
passerait plutôt à Dunkerque,
mais au compte-gouttes et
seulement par unité constituée.
SGT MAILLAT
Ce qui nous exclut évidemment.
ALEXANDRE
Sacré curé, va.
Fiez-vous à eux pour
être toujours bien informés.
Ils fourrent leur
nez dans tous les trous,
ces sacrés curés.
ABBÉ PIERSON
Le curé t'emmerde,
tu comprends?
ALEXANDRE
Dis donc, t'as un drôle
de vocabulaire, toi, pour
un ecclésiastique.
ABBÉ PIERSON
Ah, je m'adapte. Ha, ha, ha!
ALEXANDRE
Tiens, voilà Dhéry.
Il va encore râler qu'on
l'ait pas attendu.
DHERY
(Voix au loin)
Hé, les gars, ça va?
ALEXANDRE
Ça va!
Un son strident annonce l'imminence d'un bombardement.
Un château explose au loin.
Au campement de fortune, les hommes sont à terre en attendant la fin du bombardement. DHÉRY est resté plus loin.
Un nuage de fumée et des flammes laissent croire au pire pour DHÉRY.
SGT MAILLAT
Nom de Dieu, Dhéry!
MAILLAT, L'ABBÉ et ALEXANDRE accourt pour chercher DHÉRY.
DHÉRY
(Portant un seau percé duquel l'eau s'écoule)
Les gars! Ha, ha, ha!
Qu'est-ce qu'il m'est arrivé?
Le 77, il m'a foutu par terre,
je me relève, rien de
cassé, pas un poil,
mais regardez ce qu'il me reste
de mes deux bouteillons.
SGT MAILLAT
Dhéry, ta main.
DHÉRY
Ha, ha, ha! Bien quoi?
Quoi, ma main?
Quoi quelle main?
(Remarquant une blessure sur sa main)
Ma main.
SGT MAILLAT
Le whisky.
ALEXANDRE court vers le camion
DHÉRY
Oh, ma main,
bande de vaches.
Ma main!
ABBÉ PIERSON
Allons, allons!
Allons, voyons, c'est rien.
Tu peux la remuer.
DHÉRY
Ah! Ma main, ma main.
SGT MAILLAT
Eh bien quoi, ta main?
Elle est pas partie
avec le bouteillon.
Tu peux la remuer, non?
DHÉRY est tout secoué et s'assoit.
DHÉRY
Oui. Ah non, je vais
tomber dans les pommes.
ABBÉ PIERSON
(Soutenant DHÉRY)
Bon, allez, viens. On va
le monter à la roulotte.
Je vais le panser.
DHÉRY
(S'éloigant)
Non, non,
allez me conduire au sana.
SGT MAILLAT
Mais pour ça, t'es cinglé!
DHÉRY
Il faut me conduire au sana
ou alors j'irai tout seul.
SGT MAILLAT
Hon!
ABBÉ PIERSON
Écoute.
DHÉRY
Bon, ça fait rien,
les gars, laissez-moi
j'irai tout seul.
SGT MAILLAT
Pour une égratignure,
tu trouves pas que
tu pousses un peu?
DHÉRY
Une égratignure, c'est
quelques fois mortel.
SGT MAILLAT
Le sana est bourré
de blessés, des vrais.
Ils vont t'éjecter en vitesse.
ALEXANDRE
(Revenant avec une bouteille d'alcool)
Allez, bois.
DHÉRY
(Toussant)
Ah là là, je me sens partir.
SGT MAILLAT
Qu'est-ce que t'en penses?
ABBÉ PIERSON
Ah, j'en sais rien,
il a peut-être autre chose.
SGT MAILLAT
Bon, ça va, t'as gagné.
On t'emmène.
ALEXANDRE
Attends, attends, attends,
je vais t'aider.
(Donnant la bouteille à l'ABBÉ)
On sera pas trop de deux
pour ramener le corps.
MAILLAT et ALEXANDRE accompagnent DHÉRY à l'hôpital de tranchée.
DHÉRY
Et tu demanderas le médecin
auxiliaire Cirilli.
SGT MAILLAT
Qui c'est, ça?
DHÉRY
C'est un toubib
que je connais.
SGT MAILLAT
Depuis quand?
DHÉRY
Ah, t'occupe pas. Par les
temps qui courent, un toubib,
c'est toujours bon à connaître.
SGT MAILLAT
Dis donc, on dirait
que tu vas mieux, toi.
DHÉRY
Ah, déconne pas.
Un INFIRMIER fait le décompte des morts étendus au sol.
INFIRMIER
Inconnu. Homme.
Taille: 1,65 mètre.
Fort.
Pansements au pied gauche,
à la cuisse gauche.
Un INFIRMIER détaille les morts tandis qu'une INFIRMIÈRE note sur une écritoire.
INFIRMIER
Inconnu. Enfant.
Sexe masculin.
Âgé de 2 ans, environ.
Vêtu d'une blouse
bleue et blanche,
d'un chandail rouge
enveloppé dans
un châle noir en laine.
Inconnu. Enfant.
Sexe indéterminé.
Paraissant âgé de... de 10 ans.
À l'hôpital de tranchée, des brancardiers vont et viennent.
DHÉRY
Tu te rappelleras,
tu demanderas à Cirilli.
Sans ça, on va prendre
la queue et j'aurai le temps
de pisser tout mon sang.
ALEXANDRE
Tu trouves pas que tu charges
un peu? Tu saignes presque plus.
DHÉRY
Et l'infection?
Et tu sais ce que c'est
que l'infection?
SGT MAILLAT
T'as raison, il y a
certainement une épidémie
dans le coin.
Mais l'emmerdant, c'est qu'ils
ont pas encore trouvé le vaccin.
DHÉRY
Vas-y, toi.
SGT MAILLAT
Tu te sens assez fort
pour que je te lâche?
DHÉRY
Allez, va.
MAILLAT approche d'un officier aux inscriptions.
SGT MAILLAT
Comment il s'appelle?
DHÉRY
Ci-ri-lli!
SGT MAILLAT
Alors, je voudrais parler
au médecin auxiliaire Cirilli.
OFFICIER
Il est occupé.
SGT MAILLAT
Non, je m'excuse, c'est
pour un ami qui vient de...
OFFICIER
Je regrette, sergent,
les amis n'ont rien à faire ici.
Ou alors qu'il prenne la queue
comme tout le monde.
DHÉRY
Veuillez prévenir le médecin
auxiliaire Cirilli que
le Lt Dhéry le demande.
L'OFFICIER regarde la main de DHÉRY.
DHÉRY
Non, il s'agit pas de cette
égratignure; faites ce que
je vous dis, c'est urgent.
OFFICIER
Une seconde, mon lieutenant.
DHÉRY
D'accord, une seconde.
L'OFFICIER s'éloigne.
SGT MAILLAT
Dis donc, pour un mourant,
tu te défends pas mal.
ALEXANDRE
Et si ça avait foiré,
le coup du lieutenant?
DHÉRY
Pas de danger, le prestige,
ça marche toujours avec
ces petits pète-sec.
ALEXANDRE
Moi, j'aurais pas marché.
DHÉRY
Ah oui, oui. Toi, je
t'aurais eu à la sympathie.
OFFICIER
Mon lieutenant,
si vous voulez venir.
DR CIRILI
(Approchant de DHÉRY)
Ah, c'est vous.
Et le planton
qui me parlait d'un lieutenant?
DHÉRY
Un lieutenant, moi?
DR CIRILI
Et pourquoi pas? Si la
guerre dure encore un peu.
Ce sont vos amis?
SGT MAILLAT
Oui.
ALEXANDRE
Bonjour, bonjour.
DR CIRILI
Que puis-je faire pour vous?
DHÉRY
C'est tout simple:
venez dîner avec nous ce soir.
On a un chef de première bourre.
Une infirmière, JACQUELINE appelle le Dr CIRILI.
JACQUELINE
Claude. Pardon.
DR CIRILI
Il y a pas de mal.
Ce sont mes amis.
DHÉRY
Alors, docteur,
c'est entendu pour ce soir?
D'ailleurs, si mademoiselle
veut vous accompagner-
DR CIRILI
Vous savez, mon vieux,
nous sommes débordés.
Ici, on est de service presque
24 heures sur 24.
DHÉRY
Ah, bon...
DR CIRILI
Qu'est-ce que
vous avez à la main?
DHÉRY
Ça? Oh, c'est rien.
C'est juste
un petit éclat de 77.
Un tir de loin, j'ai... j'ai
voulu détourner en
corner. Ha, ha!
DR CIRILI
Bon. Venez, je vais vous faire
un petit pansement.
DHÉRY
C'est ça.
DR CIRILI
On va faire ça ici. à côté,
c'est la grosse charcuterie
et je préfère que vous
ne voyiez pas ça. Asseyez-vous.
La plaie est propre.
DHÉRY
Oui, on l'a lavée au whisky.
DR CIRILI
Du whisky, du vrai?
Eh bien, dites donc, moi,
si j'en avais...
je m'en servirais
pour l'usage interne.
DHÉRY
Justement, docteur,
on vous en a gardé, alors...
si vous vouliez,
ce soir, justement.
Oui, quoi. Laissez-vous faire.
DR CIRILI
Vous savez que vous me tentez?
Je ne suis
pas alcoolique, mais...
ici, on a de temps en temps
besoin d'un petit coup de fouet.
DHÉRY
Eh bien alors, c'est entendu.
Venez vous approvisionner, hein.
Ce soir, 6h.
DR CIRILI
Bon...
D'accord, on verra.
DHÉRY
Ça ne... ça ne mérite pas
une petite piqûre
antitétanique, non?
DR CIRILI
En principe,
il vaudrait mieux, mais...
il nous en reste si peu.
SGT MAILLAT
Vous tracassez pas, docteur.
Il vous dit lui-même
que ça mérite pas ça.
DR CIRILI
Bon, voilà
le bébé emmailloté.
Dans quelques jours,
vous n'aurez plus qu'une
cicatrice distinguée.
DHÉRY
Je sais pas comment
vous remercier, docteur.
Alors, ce soir, 6h?
DR CIRILI
Entendu, 6h.
Mais pas plus de cinq minutes,
hein? Voilà.
DHÉRY
Au revoir, docteur.
(Revenant sur ses pas)
Dites-moi, docteur, au fait,
en venant, apportez donc
votre seringue.
Vous me ferez la petite piqûre
en question, et comme ça...
nous serons plus tranquilles
tous les deux, hein?
DHÉRY et ses amis retournent vers le campement de fortune.
SGT MAILLAT
Dis donc, Dhéry,
à partir d'aujourd'hui,
tu pourras me demander
n'importe quel service.
DHÉRY
Hein?
SGT MAILLAT
Je t'enverrai paître.
Jamais eu aussi honte de ma vie.
ALEXANDRE
Heureusement qu'il y avait
la dénommée Jacqueline pour
faire passer le reste.
DHÉRY
Jacqueline?
ALEXANDRE
Bien oui, l'infirmière.
DHÉRY
Ah, j'ai pas remarqué.
ALEXANDRE
Hon! Il l'a pas remarquée.
Comment tu l'as trouvée, toi?
SGT MAILLAT
Pas mal, sauf qu'elle
manquait un peu de sein.
ALEXANDRE
Oui.
Oh, moi, ça m'est égal,
je m'en sers jamais.
DHÉRY
Bon, les gars, je vous quitte
parce que j'ai un rendez-vous,
je suis pressé. Et merci, hein.
DHÉRY s'éloigne rapidement.
ALEXANDRE
Il a même pas
remarqué Jacqueline.
SGT MAILLAT
Et pour cause?
ALEXANDRE
Comment, "et pour cause"?
Tu veux dire que...
SGT MAILLAT
(rires)
Mais non.
Je veux dire que Jacqueline,
il peut rien en tirer.
S'il pouvait la faire fondre
en lingots et la vendre au prix
de l'or, alors là, oui.
ALEXANDRE
Continue, continue, j'aime
bien quand tu déconnes.
SGT MAILLAT
Profites-en, c'est peut-être
la dernière fois.
ALEXANDRE
Alors, tu t'en vas?
SGT MAILLAT
Oui, à Bray-Dunes.
Il paraît que c'est là
qu'on embarque.
ALEXANDRE
Ah, je vais
m'emmerder sans toi.
SGT MAILLAT
Ah, mais t'es pas tout seul!
Oui, oh, il y a Dhéry.
Il y a Pierson.
ALEXANDRE
C'est un curé.
SGT MAILLAT
Et alors?
ALEXANDRE
Ah moi, qu'est-ce que tu veux,
je sais pas parler aux curés.
Il y en a qui savent pas parler
aux femmes; moi, j'ai jamais
su parler aux curés.
SGT MAILLAT
Les curés, on leur parle pas,
on les écoute.
ALEXANDRE
Bon, alors t'as bien réfléchi.
SGT MAILLAT
Oui.
ALEXANDRE
Je vais t'aider
à faire ton paquetage.
SGT MAILLAT
Ah non! Mon paquetage,
je m'en fous.
ALEXANDRE
Et tu t'en vas comme ça
tout de suite?
MAILLAT part tout seul en laissant ALEXANDRE derrière.
ALEXANDRE
En tout cas, si ça marche pas,
tu reviens à la roulotte, hein,
pas d'histoire.
SGT MAILLAT
C'est promis.
Au fond, toi aussi,
tu me lâches.
ALEXANDRE
Moi?
SGT MAILLAT
Allez, Alexandre, je t'emmène
comme t'es tout de suite.
Réfléchis pas.
ALEXANDRE
Tu sais, moi mon rêve,
c'est de finir la guerre
comme on l'a commencée.
SGT MAILLAT
Par un discours de Daladier?
ALEXANDRE
Que t'es con.
Par une cuite au Pernod,
tous ensemble.
ALEXANDRE retourne au campement seul.
L'ABBÉ écoute la radio au campement.
ANNONCEUR RADIO
Hier Radio Stuttgart.
NARRATEUR
(Voix à la radio)
Nous avions
des chars et des bombardiers
invulnérables.
Mais aujourd'hui,
les soldats français,
abandonnés, trahis par
leurs amis britanniques
lèvent les bras et se rendent
par centaines de milliers
dans les plaines de l'Oise,
de l'Aisne et des Flandres.
Vous, derniers
combattants français,
nos frères,
nous vous en conjurons,
cessez cette lutte
absurde et inutile.
Votre honneur est sauf.
L'Allemagne, qui n'a pas
voulu cette guerre,
l'Allemagne...
L'ABBÉ ferme la radio.
DHÉRY court près d'un groupe de militaires qui longent la voie ferrée.
DHÉRY
Très bonne affaire.
SOLDAT ANGLAIS
(Propos en anglais)
No, thank you.
Get away from here, froggy.
DHÉRY
Caméras, ça,
vous...
(Propos en anglais)
do you want--
SOLDAT ANGLAIS
(Propos en anglais)
No!
DHÉRY
(S'adressant aux soldats)
Dites, euh, très, très bon
appareil, caméra.
Les soldats anglais renvoient DHÉRY, en choeur. [DHÉRY
Hé, un... un appareil.
MAILLAT marche seul sur une dune près de la voie ferrée. Le son des moteurs d'avion le font fuir vers le bas de la dune.
Le groupe de soldats anglais, DHÉRY et MAILLAT plongent au sol pour se mettre à couvert.
Les bombardements reprennent.
DHÉRY relève la tête après les bombardements.
DHÉRY
Hé! Maillat!
DHÉRY rampe jusqu'à MAILLAT.
DHÉRY
Alors?
T'allais où comme ça?
SGT MAILLAT
Qu'est-ce que ça peut
te foutre?
DHÉRY
Ouf...
Tu voulais t'embarquer.
Hein? C'est ça.
SGT MAILLAT
Ça te gêne?
DHÉRY
Mais c'est pas ton intérêt.
Calcule un peu, bon Dieu.
Des bombes sur la gueule
pendant toute la traversée.
Des sous-marins, des mines.
Puis même... même si t'as assez
de poids pour toucher
l'Angleterre,
qu'est-ce qu'on fait de toi
en Angleterre: on te refile
un flingue entre les pattes.
Et on te réexpédie en Bretagne
pour remonter au casse-pipe.
Alors quoi? Ça te rapporte quoi
de t'embarquer?
Une explosion frôle de près DHÉRY et MAILLAT qui se dépêche de trouver un endroit plus sûr.
Quelques minutes plus tard, les deux hommes marchent dans le camp.
DHÉRY
Crois-moi, c'est complètement
idiot, ton coup de
l'embarquement.
SGT MAILLAT
Dhéry, si t'insistes pour
que je reste, c'est que t'as une
raison. Dis-la-moi, ta raison.
DHÉRY
J'ai une combine.
SGT MAILLAT
Tiens tiens.
DHÉRY
Oui. Je vais me saper en civil
et je vais habiter une maison.
SGT MAILLAT
Et quand les fritz arrivent,
ils te demandent tes papiers
et te bouclent.
DHÉRY
Non, non, justement,
ils sont en règle, mes papiers.
Tiens, regarde.
(Sortant un carnet de sa poche)
Je suis réformé pour maladie
de coeur. C'est pas joli, ça?
SGT MAILLAT
Cirilli?
Voilà, on peut rien te cacher.
DHÉRY et MAILLAT s'engagent dans une allée, mais les bombes fusent à cet endroit. Ils rebroussent chemin. Partout les bombes bloquent la voie.
DHÉRY et MAILLAT se réfugient près d'une entrée de maison encore debout.
DHÉRY
Alors?
C'est pas une bonne idée, ça?
SGT MAILLAT
S'ils te demandaient
ce que tu fais là, les fritz?
DHÉRY
Bien, j'habite ici. J'ai
même une quittance de loyer.
SGT MAILLAT
Une quittance bidon.
DHÉRY
Pas du tout.
J'ai loué une petite
ferme près d'ici.
SGT MAILLAT
Depuis quand?
DHÉRY
Depuis hier.
SGT MAILLAT
Pourquoi tu me
racontes tout ça?
DHÉRY
Parce que je veux
te mettre dans le coup.
SGT MAILLAT
Moi? Pourquoi moi?
DHÉRY
Parce que t'es sympa, quoi.
SGT MAILLAT
Bon, d'accord, tu me
trouves sympa. Merci.
Et maintenant, dis-moi
ce que t'attends de moi.
DHÉRY
Mais rien, je t'assure, rien.
DHÉRY et MAILLAT repartent. D'autres détonations les obligent à courir et à fuir les lieux.
DHÉRY et MAILLAT se réfugient dans un hangar à bateau.
Un bombe explose à quelques mètres.
DHÉRY
Dis donc.
Tu parles bien l'allemand, toi.
SGT MAILLAT
Ah, nous y voilà.
T'as besoin d'un interprète.
DHÉRY
Écoute-moi et t'énerve pas.
Je vais faire des réserves
dans ma ferme.
Des chaussures, des pneus.
Ça se vendra bientôt
au prix de l'or, ces trucs-là.
Je stocke, quoi.
Seulement, le plus difficile,
c'est... ce sera
les laissez-passer
pour le transport.
SGT MAILLAT
Et c'est là que j'interviens
pour arranger les choses
avec les fritz.
DHÉRY
Exact.
SGT MAILLAT
Et je toucherai
un tant pour cent.
DHÉRY
Ah! Évidemment.
SGT MAILLAT
Eh bien dis donc...
DHÉRY
Alors?
MAILLAT trouve un journal sur un établi.
SGT MAILLAT
T'as vu les dernières nouvelles?
DHÉRY
Quelles nouvelles?
SGT MAILLAT
Weygand a formé une armée.
Il a repris l'offensive
par le sud.
Ils ont repris Abbeville,
Boulogne et ils avancent
sur Calais.
Si ça se trouve,
dans deux jours, ils sont ici.
DHÉRY
Oh... Tu déconnes, non?
SGT MAILLAT
Ça te foutrait dans un joli
pétrin, si c'était vrai, hein?
Ça t'arrange,
notre petite défaite.
DHÉRY
Oh, "ça m'arrange", "ça
m'arrange"! J'ai rien fait pour.
Alors c'est non,
tu te dégonfles.
SGT MAILLAT
Je te foutrais dedans:
je sais pas compter.
2+2=5, 5+5=12.
Tu vois, je suis pas doué
pour les affaires.
Tout est en flamme autour du hangar à bateau.
Des hommes courent partout. Il y a des blessés.
BRANCARDIER
Dégagez le passage.
CROIX ROUGE
Emmenez-le par ici. Posez-le là.
Au large, plusieurs bateaux de guerre sillonnent la mer.
Des colonnes entières de soldats marchent vers le rivage.
COMMANDEMENT
Gauche! Droite!
MAILLAT marche seul sur la plage jetant un coup d'oeil à la multitude de soldats rassemblés pour les embarquements.
Des officiers anglais s'assurent de maintenir l'ordre dans les rangs
SGT ANGLAIS
(propos en anglais)
All then. The British
on the right,
Français à gauche.
Anglais à droite,
Français à gauche.
All then. The British
on the right.
Français à gauche.
MAILLAT s'aligne dans les rangs des Français.
SOLDAT RÂLEUR
On est encore en France, oui!
SGT ANGLAIS
Français à gauche,
Anglais à droite.
SOLDAT RÂLEUR
Ils nous font mettre là
parce qu'ils veulent pas
nous embarquer.
Non, mais sans blague.
C'est quand même pas un Anglais
qui va venir nous faire la loi.
SGT MAILLAT
Bouge pas, je vais lui parler.
(S'adressant au SGT ANGLAIS)
Vous parlez français?
SGT ANGLAIS
Français à gauche--
SGT MAILLAT
Est-ce qu'on embarque
des Français par ici?
SGT ANGLAIS
(Propos en anglais)
The English on the right,
Français à gauche.
All right, section 4,
start embarking now.
SGT MAILLAT
Je m'excuse, mais je vous
ai posé une question.
SGT ANGLAIS
J'ai dit: "Français à gauche,
Anglais à droite." Vous ne
comprenez pas?
SGT MAILLAT
Yes!
SGT ANGLAIS
Oh, vous parlez anglais.
SGT MAILLAT
(propos en anglais)
Yes. Goalkeeper,
corner, penalty.
SOLDAT RÂLEUR
(propos en anglais)
That's very interesting.
Sections 5, 6, 7, 8,
prepare to embark.
Sections 9, 10, 11 and 12...
Les avions ennemis bombardent le rivage. Les rangs se disloquent et tous partent se mettre à couvert où ils peuvent.
Les avions passent et les soldats se relèvent pour retourner prendre leurs rangs, mais un autre passage d'avion les oblige à retourner au sol.
Les avions mitraillent le sol en volant en rase-mottes.
PINOT tente d'atteindre un avion avec sa mitraillette.
SGT MAILLAT
Arrête de tirer,
couche-toi, bon Dieu!
Après plusieurs passages, les avions quittent le secteur.
PINOT
Ils vont revenir, les vaches.
SGT MAILLAT
Mais arrête, fais pas le con,
couche-toi.
PINOT
Ils vont revenir, je te dis,
aussi sec.
Trois avions ennemis foncent sur la plage, PINOT se prépare à tirer. Les avions passent au-dessus de PINOT qui tire autant qu'il peut.
PINOT
Je l'ai eu!
Je l'ai eu!
L'avion touché s'écrase sur la plage.
PINOT
C'est pas beau, ça?
Au loin, un parachutiste descend du ciel.
Les soldats toujours marchent vers le pilote allemand.
SGT ANGLAIS
(Propos en anglais)
Stop, don't shoot.
Don't shoot. It's better
to take him alive! Don't shoot.
Les soldats n'écoutent pas les ordres et lèvent tous leur fusil en pointant le parachutiste qui approche du sol.
Des dizaines de tirs sont dirigés sur le pilote allemand aussitôt qu'il touche le sol.
SGT MAILLAT sort des rangs et croise PINOT.
SGT MAILLAT
Dégueulasse.
PINOT
Dis donc, de qui tu parles?
SGT MAILLAT
Ah, de personne
en particulier.
SGT ANGLAIS
(S'adressant à PINOT)
Hey there. You, Frenchman.
Congratulations.
You're a very good shot.
PINOT
Qu'est-ce qu'il veut?
SGT MAILLAT
Je crois qu'il te
félicite pour la...
SGT ANGLAIS
(S'adressant à MAILLAT)
Oh! Hello again, there,
Mr Goalkeeper.
Vous cherchez toujours
embarquement?
SGT MAILLAT
Anglais à droite,
Français à gauche. J'ai compris.
SGT ANGLAIS
Je... je m'excuse,
j'ai des ordres.
Mais pour embarquement,
je vous donne un conseil.
Il faut demander
Capt Clark, Jerome Clark.
C'est à Bray-Dunes,
une villa jaune.
Vous verrez, c'est écrit:
"Embarcation Office".
Dites-lui de ma part.
Mon nom est Robinson.
SGT MAILLAT
Merci.
MAILLAT et PINOT commencent à s'éloigner.
SGT MAILLAT
(Se retournant vers le SGT ANGLAIS)
Hé, vous dites Capt Clark?
SGT ANGLAIS
Oui. Je suppose
que c'est possible.
Et "bon" chance, monsieur...
SGT MAILLAT
Maillat.
SGT ANGLAIS
Maillat.
PINOT et MAILLAT marchent vers Bray-Dunes.
SGT MAILLAT
T'es tout seul
pour servir ton FM?
PINOT
Ah non, je suis tout seul
depuis huit jours. J'ai perdu
tous mes copains.
SGT MAILLAT
Ils sont morts?
PINOT
Mais non, je les ai perdus
dans la nuit,
pendant la retraite de Belgique,
entre Bruges et Furnes.
Ah, mon vieux, tu parles d'une
marche qu'on s'est tapée, hein:
un jour et une nuit d'affilée.
À la fin, je dormais
en marchant. Eh bien,
tu me croiras pas:
je me réveille et je me retrouve
sur un petit chemin vicinal.
Je m'étais gouré
de route en dormant.
Tout seul que je me retrouve,
aussi sec.
C'est tous des gars de Bezons
dans ma compagnie, comme moi.
Je suis de Bezons.
SGT MAILLAT
T'aimais bien
les gars de Bezons?
PINOT
Oui, pourquoi?
SGT MAILLAT
Remarque qu'à la fin, ils
pouvaient plus piffer mon FM.
Ils me disaient: "Pinot"...
Parce que je m'appelle Pinot.
Ça te fait pas marrer, Pinot?
SGT MAILLAT
Non.
PINOT
Ah bon. Ils me disaient:
"T'es un con, Pinot.
Fous-le en l'air, ton FM.
Tu vas nous faire repérer
par les stukas."
Je leur disais:
"Ça vous fait rien
de vous laisser canarder comme
des lapins sans vous défendre?"
Ils me disaient:
"Laisse-nous rire! Va-t'en
si tu veux faire le zouave."
Alors, je leur répondais du tac
au tac: "Vous êtes tous
des ramollis.
Vous n'avez plus rien
ou je pense." Aussi sec.
On s'engueulait, quoi.
Une nuit, ils ont essayé
de me le piquer, mon FM.
C'est salaud, non?
Eh bien tu vois, je serais pas
étonné, quand je les ai perdus,
qu'ils aient fait exprès
de me semer, les gars de Bezons.
SGT MAILLAT
Aussi sec.
PINOT
Tu te fous de ma gueule?
SGT MAILLAT
Mais non, je me fous
pas de toi.
Allez, salut, vieux.
PINOT
Où tu vas?
SGT MAILLAT
Je vais essayer
de m'embarquer.
MAILLAT s'éloigne de PINOT.
MAILLAT marche dans le village de Bray-Dunes.
Devant une maison, une affiche indique : Embarcation Office.
SGT MAILLAT
(S'adressant au soldat posté devant la maison)
Je voudrais parler
au Capt Clark.
SOLDAT POSTÉ
Capt Clark?
SGT MAILLAT
Oui, Capt Clark.
SOLDAT POSTÉ
Impossible.
SGT MAILLAT
Pourquoi?
SOLDAT POSTÉ
Impossible.
SGT MAILLAT
Je vous demande
pourquoi c'est impossible.
(Propos en anglais)
Why impossible?
SOLDAT POSTÉ
(Propos en anglais)
He's in conference.
MAILLAT avance malgré tout vers la maison.
SOLDAT POSTÉ
(Propos en anglais)
Hey, where are you going?
SGT MAILLAT
Je rentre pas.
MAILLAT regarde par la fenêtre et voit CAPT CLARK qui prend son thé par la fenêtre. MAILLAT revient sur ses pas.
SGT MAILLAT
J'ai compris, je repasserai.
MAILLAT fait un tour dans le village de Bray-Dunes.
En passant devant une maison, MAILLAT reconnaît le balcon où une JEANNE s'était tenue avec ses jumelles.
MAILLAT entre dans la maison de JEANNE et en fait le tour.
JEANNE
Vous désirez
quelque chose, monsieur?
SGT MAILLAT
Excusez-moi.
Je me demandais
si vous étiez encore vivante.
Alors, je suis entré pour voir.
JEANNE
Mais vous ne me
connaissez pas.
SGT MAILLAT
Mais si.
On s'est vus ce matin
pendant le bombardement.
Vous étiez à votre fenêtre
avec des jumelles.
Je crois même
que vous m'avez fait signe.
JEANNE
Ah oui. C'était vous? Et moi
qui vous prenais pour un voleur.
SGT MAILLAT
J'ai une tête de voleur?
JEANNE
(Riant)
Non. Seulement, hier,
un soldat est venu
et il a emporté
la moitié de nos provisions.
Il avait un revolver.
Comme vous. Et il m'a menacée.
SGT MAILLAT
Vous êtes seule ici?
JEANNE
Non, non,
il y a encore Antoinette
et mes grands-parents.
Ils sont à la cave.
Moi, j'étais là-haut et j'ai
entendu vos pas, et je suis
vite descendue voir.
SGT MAILLAT
Vous êtes brave.
On peut se laver les mains?
JEANNE
Les canalisations sont
détruites, mais il y a
l'eau du puits.
Seulement, elle est saumâtre.
Ça ne vous fait rien de vous
laver avec de l'eau saumâtre?
SGT MAILLAT
Au contraire.
Le sel conserve. Tenez.
Vous garderez mon revolver.
Comme ça, si je deviens
méchant... vous tirez.
JEANNE
Je vois bien à qui
j'ai affaire, quand même.
SGT MAILLAT
Vous avez tort.
Supposez que j'aie envie
de vous embrasser. Ah!
JEANNE
Pensez-vous que je vous
tirerais dessus pour ça?
SGT MAILLAT
Non?
JEANNE
On m'a déjà embrassée,
vous savez.
Quand mon cousin René vient
nous voir, il m'embrasse.
SGT MAILLAT
Il vous embrasse comment?
JEANNE
Sur la joue.
SGT MAILLAT
Ah...
JEANNE
Mais il vise mal.
Ça tombe toujours dans le cou
ou sur le coin de la lèvre.
SGT MAILLAT
(Se débarbouillant le visage)
Il est comment,
le cousin René?
JEANNE
Comme vous.
SGT MAILLAT
Pas beau, mais très sympathique.
JEANNE
(Parlant du revolver)
Je peux le retirer de l'étui?
SGT MAILLAT
Vous pouvez, il y a
le cran de sûreté.
JEANNE
Comme il est lourd.
ANTOINETTE
(Surprenant JEANNE qui tient le revolver)
Oh! Jeanne! Tu ne vas
tout de même pas le tuer!
JEANNE
Mon Dieu, Antoinette,
mais que tu peux être gourde!
C'est pour rire. C'est
Antoinette, ma soeur aînée.
SGT MAILLAT
Bonjour, Antoinette.
ANTOINETTE
Bonjour, monsieur.
(S'adressant à JEANNE)
Ah, ce que tu m'as fait peur!
JEANNE
Va chercher une serviette,
il est tout mouillé.
(S'adressant à MAILLAT)
Elle est froussarde comme tout.
Si ça ne tenait qu'à elle, nous
aurions déjà quitté la maison.
SGT MAILLAT
Vous pouvez pas savoir
ce que ça fait du bien de
se retrouver dans une maison.
ANTOINETTE
Ha, ha! Entrez dans la salle
à manger, monsieur.
ANTOINETTE glisse un mot à l'oreille de JEANNE.
SGT MAILLAT
Elle sent bon, votre
serviette. Elle sent la lavande.
JEANNE
C'est parce que je mets
des petits sachets entre
les piles de linge.
Vous savez, Antoinette n'ose pas
vous le dire, mais elle est
contente que vous soyez là.
ANTOINETTE
Oh, Jeanne! Ha!
JEANNE
Vous prendrez bien
quelque chose?
ANTOINETTE
Elle dit qu'elle a moins peur.
SGT MAILLAT
Tiens, pourquoi?
ANTOINETTE
Je ne sais pas. Peut-être
parce que vous êtes militaire.
SGT MAILLAT
Vous savez, les bombes tombent
aussi sur les militaires.
Ils sont même là pour ça.
Hi, hi!
Une explosion d'obus fait tombé un peu de plâtre dans la maison.
ANTOINETTE
Écoutez.
Les bombes!
SGT MAILLAT
Non, ça, c'est les obus.
ANTOINETTE
Quelle différence il y a?
SGT MAILLAT
Vus de près, c'est pareil.
ANTOINETTE
Écoutez, je crois
que ce serait plus prudent
de descendre à la cave.
JEANNE
Mais ne tremble pas comme ça.
Allez va, descends à la cave,
je te rejoins.
De nouvelles explosions pressent ANTOINETTE à descendre.
ANTOINETTE
Pardon, au revoir,
monsieur. Viens vite, toi.
SGT MAILLAT
Moi aussi, il faut
que je m'en aille.
JEANNE
Déjà?
Et moi qui voulais vous dire de
venir dîner avec nous ce soir.
Oh, venez, nous serions
si contentes.
SGT MAILLAT
Ce soir, je serai pas là.
Je vais essayer de m'embarquer.
JEANNE
Mais c'est de la folie!
C'est surtout les bateaux
qu'ils bombardent.
SGT MAILLAT
Et vous, vous trouvez pas
que c'est de la folie
que de rester
dans cette maison, exposée
aux bombes et aux pillards?
JEANNE
Mais c'est ma maison.
Pensez-vous que je vais
quitter ma maison?
On me prendrait tout.
JEANNE
Alors, vous reviendrez?
Vous reviendrez demain?
SGT MAILLAT
Si je suis encore
là demain, oui.
Au revoir, Jeanne.
MAILLAT fait la bise à JEANNE.
JEANNE
Vous aussi, vous visez mal.
SGT MAILLAT
Je m'appelle Julien.
MAILLAT sort de la maison et avance dans la rue.
PINOT
(Sortant d'entre deux carcasses de voiture)
Hé, pst! Pst!
Dis donc, je voudrais
te dire quelque chose,
mais j'ai peur que
tu te foutes de ma gueule.
SGT MAILLAT
Accouche.
PINOT
À ton avis...
Ça te paraît normal
qu'une bonne soeur ait
un couteau dans sa chaussure?
SGT MAILLAT
Tu débloques.
PINOT
Écoute, je viens de les
voir, elles étaient deux.
Il y en a une qui a buté
dans un fusil à peine
à 10 mètres de moi.
Elle est tombée par terre et
j'ai vu le couteau. Aussi sec.
SGT MAILLAT
Tu veux mon avis? T'as vu
une chaussure orthopédique
avec des attaches en métal.
T'excite pas, mon vieux.
PINOT
J'ai vu un couteau, je te dis.
Je donnerais mes breloques
à couper que j'ai vu un couteau.
SGT MAILLAT
T'as vu un couteau,
c'est tout!
PINOT
Non, c'est pas tout!
Il y a un quart d'heure, je les
ai vues entrer dans l'église.
SGT MAILLAT
Des bonnes soeurs dans une
église, tu trouves
pas ça normal?
PINOT
Tu l'as déjà
visitée, l'église?
Elle est complètement en ruine.
Il y a même plus
un autel debout.
SGT MAILLAT
Et alors?
PINOT
Eh bien alors, je veux en
avoir le coeur net. Tu viens?
SGT MAILLAT
J'ai pas de temps à perdre.
PINOT
Bon, eh bien j'y vais
tout seul. Salut.
SGT MAILLAT
Ils ont de l'imagination,
les gars de Bezons.
PINOT
Oui, eh bien on verra, va.
MAILLAT décide de suivre PINOT.
PINOT et MAILLAT avancent dans les ruines de l'église.
SGT MAILLAT
Bien dis donc, les bonnes
soeurs, ton couteau...
PINOT
Chut! T'as déjà entendu parler
de la cinquième colonne?
Il y a un parachutiste allemand
déguisé en curé
qui a descendu un colonel
anglais à Berg.
Les deux hommes continuent d'avancer et trouvent deux hommes déguisés en bonnes sœurs. L'un se rase pendant que l'autre envoie un message télégraphique.
ALLEMAND 1
(Propos en allemand)
Hugo.
Achtung.
ALLEMAND 2
(Propos en allemand)
Was?
ALLEMAND 1
(Propos en allemand)
Es ist jemand.
Wer?
ALLEMAND 2
(Propos en allemand)
Soldat?
ALLEMAND 1
(Propos en allemand)
Ja.
ALLEMAND 2
(Propos en allemand)
Allein?
ALLEMAND 1
(Propos en allemand)
Zwei.
ALLEMAND 2
(Propos en allemand)
Los!
Les deux ALLEMANDS déguisés se lèvent d'un coup et tirent en direction de PINOT et MAILLAT cachés, derrières un tas de gravats.
Après quelques coups de feu, PINOT tire une rafale avec sa mitraillette.
Les deux ALLEMANDS s'effondrent sous les balles.
PINOT et MAILLAT avance près des deux corps et PINOT ramasse le couteau dont il parlait.
PINOT
Alors, c'est un con, Pinot?
Eh bien...
T'as encore fait
du bon travail aujourd'hui,
ma petite cocotte.
Alors, on s'en va?
Remarque, quand je dis
"on s'en va", je sais pas où.
SGT MAILLAT
Eh bien, il y a une place
à prendre à ma popote
puisque je m'en vais.
Tu verras, c'est devant les
grilles du sana, une ambulance.
Tu demandes un nommé Alexandre.
Tu lui dis que tu viens pour me
remplacer. Je m'appelle Maillat.
PINOT
De quoi j'aurai l'air?
Je veux pas m'inviter.
SGT MAILLAT
C'est moi qui t'invite,
corniot. Tiens, tu diras que
si je suis pas rentré ce soir,
c'est que j'ai réussi.
PINOT
Ah, s'il y a une commission
à faire, c'est différent.
MAILLAT et PINOT sortent des ruines de l'église.
MAILLAT retourne un bureau des inscriptions.
SGT MAILLAT
(S'adressant au SOLDAT POSTÉ)
Finie, conférence?
SOLDAT POSTÉ
(Propos en anglais)
Go ahead.
SGT MAILLAT
(Entrant dans le bureau du CAPT CLARK)
Vous êtes bien le Capt Clark?
CAPT CLARK
Je suis. Que puis-je faire
pour vous?
SGT MAILLAT
Je voudrais m'embarquer
avec les troupes anglaises.
Le Capt Robinson
m'a dit que vous pourriez
me faciliter les choses.
CAPT CLARK
Ah, Capt Robinson.
Vous le connaissez?
SGT MAILLAT
Oui, nous avons joué au
football l'un contre l'autre.
CAPT CLARK
(Propos en anglais)
I see.
Quel est votre nom?
SGT MAILLAT
Maillat.
M-A-I-L-L-A-T.
CAPT CLARK donne un feuillet à MAILLAT.
SGT MAILLAT
(Désignant le feuillet)
Ça suffit, comme ça?
CAPT CLARK
Oui, pourquoi?
SGT MAILLAT
Bien, je sais pas, il faut pas
un cachet, un tampon?
CAPT CLARK
Ho! Vous, Français,
vous aimez beaucoup
les tampons.
(Reprenant le document)
Well, lequel voulez-vous?
Ah, tenez, celui-ci
est triangulaire.
C'est plus original.
MAILLAT sort du bureau. Devant le bureau des rangs de soldats défilent. Puis des camions entiers.
MAILLAT suit le défilé, mais s'arrête rapidement quand les bombardements fusent sur la plage.
Plus tard, MAILLAT traverse les rangées de soldats alignés pour l'embarquement et montre son billet au Capitaine en faction.
OFFICIER ANGLAIS
(Propos en anglais)
No Frenchmen admitted.
SGT MAILLAT
C'est de la part
du Capt Clark.
OFFICIER ANGLAIS
(Propos en anglais)
No Frenchmen.
Now be off of there.
No women on the beach!
L'OFFICIER ANGLAIS sort des rangs une jeune femme.
ATKINS
(Propos en anglais)
She's my wife, sergeant.
OFFICIER ANGLAIS
(Propos en anglais)
I said no women on the beach!
HÉLÈNE
(S'adressant à son mari)
Qu'est-ce qu'il dit?
ATKINS
Pas de femmes sur la plage.
OFFICIER ANGLAIS
(Propos en anglais)
Off with you.
HÉLÈNE
Fais pas d'histoires, John.
Viens voir ailleurs.
MAILLAT va voir un autre officier Anglais.
CAPT ANGLAIS
Pas de Français ici. Nous
embarquons seulement
les Anglais.
SGT MAILLAT
Alors, ça vaut rien?
CAPT ANGLAIS
Je crains que non.
SGT MAILLAT
Capt Clark s'est foutu de moi.
CAPT ANGLAIS
Oh, je peux vous assurer que
ceci est bien la signature
de Capt Clark.
SGT MAILLAT
J'apprécie beaucoup
l'humour britannique,
surtout en temps de paix.
OFFICIER ANGLAIS
(Ayant identifié ATKINS et HÉLÈNE dans un rang)
(Propos en anglais)
You again?
Come here!
ATKINS
(Propos en anglais)
Now leave her, sergeant,
she's my wife.
OFFICIER ANGLAIS
(Propos en anglais)
I said no women on the beach!
ATKINS
(Propos en anglais)
And I said leave her alone,
she's my wife.
HÉLÈNE
Viens, n'insiste pas.
Tu vois bien
qu'il y a rien à faire.
ATKINS et HÉLÈNE s'éloignent sur la plage en quittant les rangs.
ATKINS et HÉLÈNE s'assoient près de MAILLAT sur la plage.
HÉLÈNE
Écoute, John.
Pars, toi. Moi, je me
débrouillerai toute seule.
Toi, on va te faire prisonnier.
ATKINS
Non, je ne partirai pas
sans toi.
SGT MAILLAT
(S'approchant d'ATKINS)
ATKINS
Oh!
(Acceptant une cigarette)
(Propos en anglais)
Thanks.
SGT MAILLAT
C'est vraiment pas de chance.
ATKINS
Je suppose
qu'ils ont des ordres.
Mais pour Hélène et moi,
c'est terrible.
SGT MAILLAT
Vous êtes Française?
HÉLÈNE
On s'est connus à Lille.
On s'est mariés il y a trois
semaines, juste avant le 10 mai.
ATKINS
(S'étouffant avec sa cigarette)
(Propos en anglais)
That's strong.
Très fortes,
cigarettes françaises.
La plage est de nouveau bombardée. Tous se couche par terre.
Un bateau explose.
ATKINS
(Courant vers un quai de fortune)
(Propos en anglais)
Come on, Hélène.
SGT MAILLAT
Hé, revenez.
ATKINS et HÉLÈNE courent sur le quai de fortune malgré les bombardements et s'abritent dans une barque.
Les bombardements cessent et MAILLAT marche sur la plage. Le CAPT ROBINSON le voit passer.
ROBINSON
Hey, Maillat!
(Propos en anglais)
(S'adressant à ses soldats)
You go on the beach.
(S'adressant à MAILLAT)
Hey, où allez-vous?
SGT MAILLAT
Dans les dunes,
retrouver les copains.
ROBINSON
Eh bien, vous ne voulez
plus embarquer?
SGT MAILLAT
Moi, je veux bien. Capt Clark
m'a donné un laissez-passer,
mais je peux pas passer,
c'est tout.
ROBINSON
Vous n'avez pas pu passer?
C'est extraordinaire.
Venez avec moi,
je vais arranger ça.
Comment trouvez-vous
cette guerre?
SGT MAILLAT
Truquée.
ROBINSON
Vraiment?
SGT MAILLAT
On avait la ligne Maginot,
les Allemands l'ont contournée.
On avait un généralissime,
on nous l'a limogé.
On avait des alliés,
les voilà qui se sauvent.
ROBINSON
Bien oui, mais maintenant,
c'est une question
de sauve-qui-peut.
Vous aussi, vous vous sauvez.
SGT MAILLAT
Avec vous.
Comme ça, je reste fidèle
à notre alliance.
ROBINSON
Ha, ha! Quand tout vole
en éclats, il faut reprendre
des billes.
Mais vous savez,
cet embarquement, pour nous,
c'est une grande victoire
stratégique.
SGT MAILLAT
Encore une ou deux victoires
stratégiques de ce genre-là
et vous allez
vous retrouver en Norvège.
ROBINSON
Qui sait, peut-être un jour
nous nous retrouverons
en France.
MAILLAT se retrouve dans le peloton d'embarquement qui avance vers les bateaux anglais.
Les soldats anglais montent sur les bateaux.
SOLDATS ANGLAIS
(Propos en anglais)
Take it easy, take it easy.
Take your time.
MAILLAT monte sur un bateau.
MARINE ANGLAIS
(Propos en anglais)
Get back to the stern.
Back to the stern!
All right! All right.
Back. Back, he said.
MAILLAT marche sur le pont.
MAILLAT est assis sur le pont tout près de ATKINS et HÉLÈNE.
ROBINSON remarque la présence d'HÉLÈNE.
SGT MAILLAT
C'est sa femme.
ROBINSON
Mais une femme n'a pas
sa place ici.
SGT MAILLAT
C'est sa femme,
elle est Française.
Ils sont mariés
depuis trois semaines.
ROBINSON
(Propos en anglais)
Oh... Yes, I... I see.
Would you... like to
get him a cup of tea?
ATKINS
(Propos en anglais)
Yes, sir. Thank you, sir.
SGT MAILLAT
Qu'est-ce qui se passe?
Où va-t-il?
ROBINSON
Euh, je lui ai dit d'aller
chercher une tasse
de thé pour...
ce jeune soldat.
SGT MAILLAT
Moi aussi,
je boirais volontiers.
Même du thé.
MAILLAT va chercher du thé.
Près des cuisines du bateau, les soldats se ruent pour avoir du thé.
Dans la ligne pour avoir du thé, MAILLAT est derrière ATKINS.
SGT MAILLAT
Dis donc, drôle
de voyage de noces.
ATKINS
Et c'est pas fini, je crois.
Je m'appelle Atkins.
SGT MAILLAT
Maillat.
Ne vous inquiétez pas,
tout ira bien maintenant.
Capt Robinson est resté
avec votre femme.
ATKINS
J'ai plus personne,
plus de parents.
Hélène, c'est "tout"
ma famille. Vous comprenez?
Tout.
Marié?
SGT MAILLAT
Non.
ATKINS
Un jour, tu verras.
SGT MAILLAT
(Levant sa tasse de thé)
Atkins, vive la mariée.
Des avions ennemis approchent du bateau.
Les soldats attroupés sur le pont se lèvent pour mieux voir L'avion survole le bateau. Quelques obus éclatent, dont un sur le bateau.
Dans la cohue, les hommes cherchent refuge quelques parts sur le bateau.
SGT MAILLAT
Atkins.
ATKINS
Hélène!
Hélène! Hélène!
Hélène!
Le pont est en flamme.
Les hommes sautent par-dessus bord.
ATKINS cherche HÉLÈNE sur le pont embrasé.
SGT MAILLAT
(Saisissant ATKINS pour le sauver des flammes)
Atkins, arrête de hurler.
ATKINS
(Propos en anglais)
I don't care.
I don't care,
my God, It's my wife!
SGT MAILLAT
Allez, Atkins,
on va brûler, viens.
ATKINS
(Propos en anglais)
I don't care, I don't care,
it's my wife!
SGT MAILLAT
Viens, Atkins, bon Dieu.
MAILLAT est sur le point de sauter à la mer.
SGT MAILLAT
Atkins, tu vas sauter.
On va brûler, bon Dieu, saute!
Atkins, on va brûler!
Saute, bon Dieu saute!
(Une fois à la mer)
Atkins!
MAILLAT nage parmi les autres.
Dans les cales, l'eau monte et plusieurs soldats sont encore sur le bateau.
ATKINS est toujours sur le pont et cherche HÉLÈNE.
SGT MAILLAT
(Voix au loin)
Atkins!
ATKINS s'assoit et regarde au loin, désoeuvré.
Des avions approchent et terminent le travail. Le bateau explose.
Les hommes nagent et rejoignent la plage.
SOLDAT EN DÉTRESSE
(Propos en anglais)
Help me.
Help me!
SGT MAILLAT
(Aidant l'homme sur le point de se noyer)
La plage est là. Tout près.
SOLDAT EN DÉTRESSE
(Propos en anglais)
Please help me. I can't move.
SGT MAILLAT
Laisse-toi aller.
SOLDAT EN DÉTRESSE
(Propos en anglais)
Don't touch me!
l'm badly burnt!
MAILLAT marche dans l'eau vers la plage en aidant le soldat gravement brûlé.
SGT MAILLAT
Comme ça, ça va?
Comment tu te sens?
SOLDAT EN DÉTRESSE
(Propos en anglais)
So cold!
Le soldat en détresse s'effondre sur la plage.
MAILLAT se lève, mais retombe aussitôt sur la grève.
Texte narratif :
Dimanche matin
2 juin 1940
Sur la plage, des dizaines de corps de soldats jonchent le sol.
BRANCARDIER ANGLAIS
Come on, over here.
Hey, Nick, help there.
MAILLAT se réveille.
S'adressant au soldat en détresse
Hé, vieux, tu peux marcher?
Écoute, je connais quelqu'un
au sana, on va s'occup...
MAILLAT approche du soldat et se rend compte que celui-ci est mort.
MAILLAT retourne vers les dunes pour retrouver ses amis.
SGT MAILLAT
Alors, curé, tu creuses
ta tombe?
ABBÉ PIERSON
T'en as, une tête.
D'où sors-tu?
SGT MAILLAT
Tu sais, l'abbé, ton enfer, je
viens de le voir de très près.
Je peux même te dire
que toutes vos histoires
de curé, c'est vrai.
C'est plein de flammes,
avec 2000 types qui se
tordent sur le grill.
Dis donc, Pierson,
tu me diras que la question
n'est pas originale,
mais ton Bon Dieu, qu'est-ce
qu'il fout pendant ce temps-là?
ABBÉ PIERSON
À première vue,
il s'est occupé de toi. Ha!
SGT MAILLAT
Pourquoi de moi seulement?
Il peut pas faire plusieurs
choses à la fois?
ABBÉ PIERSON
Si tu crois que c'est
avec des raisonnements
aussi simplistes...
que tu vas ébranler la religion,
tu sais, Maillat,
tu fais pas le poids.
SGT MAILLAT
Je fais peut-être
pas le poids,
mais j'ai vu des types se tordre
sur le grill, tu comprends?
J'en ai vu qui se prenaient
les couilles en gueulant
comme des fous.
Pendant que toi, t'es là
installé dans ta foi.
Alors, ton Dieu...
ABBÉ PIERSON
Tu sais pourquoi tu t'en
prends à Dieu, Maillat?
C'est que tu as besoin de lui.
Bien sûr que j'ai besoin
de lui. Tout le monde
a besoin de lui ici.
Alors, où il est?
ABBÉ PIERSON
C'est pas dans les dunes
qu'il faut chercher.
Fais-lui d'abord confiance
et il te répondra.
SGT MAILLAT
Par des mystères, oui.
Je te pose une colle,
tu m'en poses une autre.
Qu'est-ce que tu faisais?
ABBÉ PIERSON
J'enterrais mon revolver.
Je ne veux plus tuer personne
dans cette guerre.
SGT MAILLAT
T'aurais pu y songer plus tôt.
PIERSON tend un seau d'eau à MAILLAT qui se lave un peu.
SGT MAILLAT
Premier jour de la guerre,
par exemple.
ABBÉ PIERSON
J'étais soldat.
SGT MAILLAT
Et Dieu accepte?
ABBÉ PIERSON
Oui, Dieu accepte
qu'on soit soldat.
SGT MAILLAT
Et maintenant?
ABBÉ PIERSON
Oh, maintenant, pff!
La lutte n'a plus aucun sens.
Il y aura que des morts
stupides par ici.
SGT MAILLAT
Ah, parce que par ailleurs, il
y a des morts intelligentes...
ABBÉ PIERSON
Il y a des morts utiles,
tant qu'on croit à la lutte.
SGT MAILLAT
C'est avec ce revolver
que tu--
ABBÉ PIERSON
Oui.
SGT MAILLAT
Tu m'as jamais dit comment.
ABBÉ PIERSON
Non, j'aime pas en parler,
c'est arrivé si bêtement.
On s'est trouvés nez à nez
au cours d'une patrouille
dans la Sarre.
C'était lui ou moi.
J'ai été plus rapide.
Puis on est restés seuls
un bon moment.
Il était très jeune,
presque un gosse.
Il était allongé dans la neige
et il me regardait avec
ses yeux bleus.
Il avait peur.
Il a beaucoup souffert
avant de mourir.
SGT MAILLAT
C'est idiot, tu trouves pas?
S'il y a quelqu'un dans cette
guerre qui pense pas comme toi,
c'est moi.
Et pas forcément le fritz
que t'as tué dans la Sarre.
ABBÉ PIERSON
Tu es sûr que tu es
si loin de moi?
À mon avis, tu n'as jamais été
aussi près de croire
que ce matin.
Tiens, si je pouvais,
je te donnerais une bonne
poussée pour te faire basculer.
SGT MAILLAT
Tu me connais mal.
Je m'accrocherais au bastingage.
À tout à l'heure.
Si Dieu le veut.
Des avions survolent la plage. MAILLAT descend une dune et trouve un homme mort portant des vêtements différents.
MAILLAT marche dans les rues enfumées de Bray-Dunes, cherchant un nouveau manteau parmi les morts.
MAILLAT passe devant la maison de JEANNE.
MAILLAT entre dans la maison. Dans le couloir MAILLAT voit des patins pour polir le plancher ciré. MAILLAT monte sur les patins et glisse d'une pièce à l'autre. Dans la salle à manger, MAILLAT voit un fusil déposé sur la table.
JEANNE
(Voix au loin)
Non!
HOMME 1
(Voix au loin)
All right!
PAUL
(Voix au loin)
Ferme ta gueule!
MAILLAT court à l'étage d'où proviennent les voix.
Un cri de femme provient d'une chambre.
MAILLAT enfonce la porte et trouve deux hommes en train de violer la femme.
SGT MAILLAT
Salauds!
Bande de salauds.
PAUL
Ne te gêne pas, on t'en
laissera un morceau.
SGT MAILLAT
Vous avez pas honte?
PAUL
On t'a pas sonné.
SGT MAILLAT
Mais c'est dégueulasse,
ce que t'allais faire. T'as
l'air d'un brave type, toi.
T'as pas honte? Laisse tomber.
HOMME 2
Non, l'écoute pas, Paul,
l'écoute pas. Il va t'avoir
au boniment.
SGT MAILLAT
Ah, toi, ta gueule!
HOMME 2
Ordure.
SGT MAILLAT
Laisse tomber. Tu ferais pas
ça dans ton pays. Hein?
D'où t'es?
PAUL
De la Creuse.
HOMME 2
Non, ne l'écoute pas, Paul!
Lui réponds pas! Paul!
Rentre-lui dedans tout de suite!
JEANNE réussit à se dégager de l'homme qui la retient sur le lit.
SGT MAILLAT
(S'adressant à PAUL)
Allez, va-t’en, je vais
m'expliquer avec lui.
HOMME 2
(Maîtrisant de nouveau JEANNE)
Allez, vas-y, Paul, sonne-le.
Donne-lui son compte,
à cette tante.
PAUL
Il veut que tu t'en ailles.
SGT MAILLAT
Allez, maintenant, ça suffit.
Je t'ai parlé gentiment,
fous-moi le camp.
(Engageant une bagarre avec PAUL)
HOMME 2 laisse JEANNE sur le lit, empoigne un objet sur la commode et frappe MAILLAT qui dévale l'escalier.
Les deux hommes retournent dans la chambre de JEANNE et ferment la porte.
MAILLAT se relève et remonte l'escalier. En haut sur la rampe, un étui à pistolet est accroché. MAILLAT prend le pistolet.
MAILLAT entre dans la chambre où les deux hommes sont étendus et pelotent JEANNE.
SGT MAILLAT
Allez-vous-en, les gars.
HOMME 2
T'en redemandes, toi.
Ça t'a pas suffi?
SGT MAILLAT
Allez-vous-en!
HOMME 2
Allez, files-y son rab, Paul,
fais pas attendre monsieur.
PAUL
Fous le camp, nom de Dieu.
SGT MAILLAT
Non.
PAUL
Non?
HOMME 2
Allez, vas-y, Paul,
rentre-lui dedans.
MAILLAT braque le revolver pendant que PAUL approche.
SGT MAILLAT
T'approches pas.
PAUL
Quoi?
HOMME 2
Allons, vas-y, Paul. Vas-y,
vas-y, quoi! N'aie pas peur,
il osera pas.
SGT MAILLAT
N'approche pas.
PAUL fait fi de l'avertissement et tire.
MAILLAT se tourne vers HOMME 2 et tire jusqu'à ce que celui-ci soit bien mort.
HOMME 2
Non, non.
Non, non.
Non!
SGT MAILLAT
(Approchant de JEANNE)
Jeanne. Jeanne!
JEANNE
Ne me touchez pas!
SGT MAILLAT
Mais c'est moi, vous me
reconnaissez? Regardez-moi.
JEANNE
Où sont les autres?
SGT MAILLAT
Ils sont morts.
JEANNE
C'est vous qui--
SGT MAILLAT
Oui.
JEANNE
Vous êtes blessé?
SGT MAILLAT
On s'est battus.
JEANNE
Vous n'avez pas tiré
tout de suite, alors.
SGT MAILLAT
Non, j'ai pas tiré
tout de suite.
JEANNE
Vous êtes fâché?
SGT MAILLAT
Je suis pas fâché,
vous parlez trop,
c'est tout.
JEANNE
De toute façon,
c'est bien fait pour eux.
SGT MAILLAT
Ah oui, vous trouvez?
JEANNE
Mais oui, c'est ce que
tout le monde dira!
Qu'est-ce qu'on va en faire?
SGT MAILLAT
Qu'est-ce que vous dites?
JEANNE
Il faut les mettre
dans la rue. Le camion
des morts les ramassera.
SGT MAILLAT
Le camion des morts?
JEANNE
Vous ne l'avez jamais vu?
Il passe après
chaque bombardement.
SGT MAILLAT
Non.
Je vais commencer
par le plus petit.
JEANNE
Vous n'allez pas le traîner
comme ça jusqu'en bas!
Il va salir mon plancher.
SGT MAILLAT
Votre plancher!
JEANNE
Ne me laissez pas seule
avec l'autre!
SGT MAILLAT
Oh, il vous fera plus
de mal, allez.
Des cavaliers débarquent dans les rues de Bray-Dunes.
Un soldat à bicyclette suit un camion de morts.
CYCLISTE
Hé oh! Hé, les gars! Hé!
Ho!
CROQUE-MORT
Bon, quoi?
Qu'est-ce que tu veux?
CYCLISTE
Les gars, vous avez un client
dans la rue à droite, là.
CROQUE-MORT
Je rentre, c'est complet.
CYCLISTE
Quoi, vous pouvez pas
faire ça. Il y a un gars
qui attend avec son mort.
CROQUE-MORT
Bon, allez, on y va.
SOLDAT DU SUD
Ho, le cycliste.
C'est pas un monde, ça?
Tu parles d'une armée
qu'on a, bon Dieu!
Les morts, on les balade
en auto, et nous, on se
tape la route après.
CYCLISTE
Ha! Tu préfèrerais
le contraire?
SOLDAT DU SUD
Et comment que je préfèrerais
le contraire, oui.
CYCLISTE
Ha! Bon, allez,
salut, mon gars.
Le camion des morts s'arrête devant chez JEANNE.
CROQUE-MORT
Salut, mon pote.
SGT MAILLAT
Salut.
Deux hommes embarquent le mort. MAILLAT les aide.
CROQUE-MORT
C'est ton copain?
SGT MAILLAT
Non, c'est pas mon copain.
GILLES
Allez, à la une. Et à la deux.
Et à la trois.
CROQUE-MORT
Arrête de déconner, Gilles.
GILLES
Il dit que c'est pas
son copain.
CROQUE-MORT
Allez, on va livrer.
SGT MAILLAT
Attendez, il y en a
un autre là-haut.
GILLES
Quoi? Là-haut, à l'étage?
Non, c'est pas notre boulot.
Nous, on ramasse dans la rue.
SGT MAILLAT
Mais il est trop lourd. Je
peux pas le descendre tout seul.
GILLES
Non, non et non!
Et quand je dis non,
bien, c'est non.
SGT MAILLAT
Et toi?
CROQUE-MORT
Je veux bien
si tu me donnes une pipe.
SGT MAILLAT
Un paquet entier, si tu veux.
CROQUE-MORT
Ah. D'accord, mon pote,
je suis au service du pays,
moi.
MAILLAT entre dans la maison de JEANNE avec le CROQUE-MORT.
CROQUE-MORT
Tu vois, le copain, là,
il fait son sucré comme ça
devant le monde.
N'empêche que je l'ai vu qui
piquait en douce les alliances
aux macchabées.
Tu me diras que les morts,
ils ont plus rien à foutre
de leur alliance.
Je dis pas, mais c'est
quand même pas une chose
que je ferais.
Les morts, c'est les morts.
Et lui, c'était ton copain?
SGT MAILLAT
Non.
CROQUE-MORT
(Prenant les cigarettes)
Merci.
C'est un éclat qui l'a descendu?
SGT MAILLAT
Non, c'est moi.
CROQUE-MORT
Et l'autre en bas?
SGT MAILLAT
C'est moi aussi.
CROQUE-MORT
Ah.
(Voyant JEANNE étendue sur le lit)
Et elle? Elle dort?
SGT MAILLAT
Ils étaient en train
de la violer.
CROQUE-MORT
Ah... C'est pour ça que tu...
SGT MAILLAT
Oui.
CROQUE-MORT
Ah, les vaches.
À deux contre une môme.
C'est ta môme?
SGT MAILLAT
Non.
CROQUE-MORT
Ah, les salauds.
Ce que t'as bien fait.
SGT MAILLAT
Qu'est-ce que tu dis?
CROQUE-MORT
Je te dis que t'as
bien fait de les descendre.
SGT MAILLAT
Allez, tu viens?
CROQUE-MORT
Attends.
SGT MAILLAT
Tu te décides?
CROQUE-MORT
Ah bien quoi, je l'abîme pas
en la regardant, non?
Ah, les salauds.
Faut-il être salauds,
quand même?
Remarque qu'en un sens,
je les comprends.
Mais ce qu'il faut être salauds.
SGT MAILLAT
Alors?
CROQUE-MORT
Ah, bon, te fâche pas.
On y va.
C'est quand même gentil,
une jolie petite môme qui dort.
C'est comme si elle
se confiait à toi.
Tu trouves pas?
JEANNE se réveille.
JEANNE
Julien!
Julien!
(Sortant sur le balcon)
Julien!
CROQUE-MORT
Allez, roulez.
MAILLAT reprend sa route dans le village.
JEANNE court derrière MAILLAT dans la rue.
JEANNE
Julien! Où allez-vous?
SGT MAILLAT
Je rentre.
JEANNE
Pas tout de suite. Ne me
laissez pas seule en ce moment.
SGT MAILLAT
Seule... Et Antoinette?
JEANNE
Elle est partie
s'installer chez des amis
à 6 kilomètres d'ici.
Elle avait trop peur.
SGT MAILLAT
Et vos grands-parents?
JEANNE
Ils sont morts
il y a deux ans.
Oui, je sais,
je vous ai menti hier.
Vous me faisiez un peu peur,
alors j'ai inventé ça.
SGT MAILLAT
Pourquoi vous êtes pas partie
avec Antoinette?
JEANNE
Il faut bien garder la maison.
La maison, c'est la seule chose
que nous avons, Antoinette
et moi.
SGT MAILLAT
Si une bombe tombe dessus,
vous préférez être là.
JEANNE
C'est bête, je sais,
mais je pense que si je reste,
il lui arrivera rien,
à ma maison.
Une bombe éclate à quelques mètres et détruit un bâtiment.
JEANNE
Vite, la cave! Vite!
JEANNE et MAILLAT se réfugient dans la cave.
Les bombardements ébranlent un peu la maison et font danser les saucissons suspendus dans la cave.
SGT MAILLAT
Tous ces saucissons.
Vous en avez pour la vie.
JEANNE
C'est Antoinette.
Elle avait fait des provisions,
elle avait peur de manquer.
Dites, vous n'allez pas me
quitter. Après le bombardement,
vous n'allez pas me quitter.
SGT MAILLAT
Écoute, je vais te donner
un bon conseil.
Laisse ta maison
et va rejoindre Antoinette.
Mais c'est complètement idiot,
elle est foutue, ta maison.
JEANNE
Pas si je reste.
SGT MAILLAT
Eh bien reste!
JEANNE
Mais je ne veux pas rester
seule. J'ai trop peur.
SGT MAILLAT
Peur, toi?
MAILLAT fait le tour des provisions sur les tablettes.
JEANNE
Hier, tu regardais tout ça
du haut de ton balcon
avec des jumelles.
JEANNE
Mais j'ai pas peur des bombes.
Il me semble que je vais
tout le temps les revoir
rôder dans la maison.
Surtout le petit
avec ses yeux méchants.
SGT MAILLAT
Je sais, je sais.
Non, tu ne sais pas.
JEANNE
Toi, tu les as tués;
c'est facile, ça.
SGT MAILLAT
C'est facile, tu trouves?
En tout cas, compte pas sur moi
comme garde du corps.
JEANNE
La vérité, c'est que tu as
peur. Tu ne veux pas rester
parce que tu as peur!
Tu es un lâche!
MAILLAT gifle JEANNE.
SGT MAILLAT
Dire que j'ai tué
deux hommes pour ça.
Les bombardements se poursuivent à l'extérieur.
La poussière tombe du plafond de la cave. JEANNE se précipite au cou de MAILLAT
JEANNE
(Pleurant)
Julien, tu ne m'aimes pas!
SGT MAILLAT
Mais qu'est-ce que c'est
que ce cinéma, bon Dieu?
Est-ce que je t'ai fait
des déclarations? Est-ce que
j'ai demandé ta main à ta mère?
Est-ce que j'ai couché avec toi?
On se tutoie, je sais
même pas comment!
JEANNE
(Sanglotant en s'éloignant)
Eh bien, moi,
je t'aime, Julien.
SGT MAILLAT
Qu'est-ce que tu ferais pas
pour ta maison, hein?
Eh bien, garde-la, ta maison.
Garde-la bien.
Et quand les fritz viendront,
monte une mitrailleuse
devant tes saucisses.
(Dévoilant ses cuisses)
Tu es folle?
JEANNE
Non, je ne suis pas folle.
SGT MAILLAT
Tu sais que t'es
une drôle de petite garce.
Si c'est ça que tu voulais,
fallait te laisser faire
par les autres.
JEANNE
Allez-vous-en!
Une nouvelle explosion ébranle sérieusement la maison.
MAILLAT embrasse JEANNE.
JEANNE
Non, pas comme ça. Julien!
Au campement de fortune, ALEXANDRE se rase.
ABBÉ PIERSON
(Voix au loin)
Dis donc, Alexandre,
on a une visite.
ALEXANDRE se retourne et voit MAILLAT qui se tient debout sur la dune.
ALEXANDRE
Ah, te voilà, toi!
Fils de garce!
Sacré bon Dieu de fils de garce!
Bon sang de bon sang de bordel
à cul de fils de garce!
Où t'étais passé?
SGT MAILLAT
Mais qu'est-ce que t'as?
ALEXANDRE
T'en fais, une tête.
T'as faim? Je t'ai mis
de côté une gamelle.
SGT MAILLAT
Non.
ALEXANDRE
Tu... tu veux...
tu veux du vin?
SGT MAILLAT
Non.
ALEXANDRE
Je vais te faire du café.
SGT MAILLAT
Non, t'entends,
je veux rien! Rien!
ABBÉ PIERSON
Donne-lui du whisky.
C'est la nouvelle:
Dhéry nous a quittés.
ALEXANDRE
Ah, celui-là
avec ses millions...
N'empêche... n'empêche
que t'as eu une riche idée
de nous envoyer Pinot.
Il me plaît bien, moi,
le gars Pinot.
SGT MAILLAT
Fous-moi la paix, tu veux,
avec Pinot et son FM.
ALEXANDRE
Bon Dieu! Mais on... on n'a
plus rien le droit de dire ici!
Qu'est-ce que t'as?
MAILLAT se lève brusquement en renversant un seau.
ALEXANDRE
Ça y est, l'eau du café!
Tu pouvais pas faire attention,
bougre de con?
Cette fois-ci, c'est toi
qui iras la chercher.
SGT MAILLAT
Alexandre.
Je viens de tuer deux types.
ALEXANDRE
Deux Allemands?
SGT MAILLAT
Tiens, c'est vrai,
j'ai pas pensé à ça.
Tout ce que j'ai réussi
à tuer durant cette guerre,
c'est deux Français.
ABBÉ PIERSON
Tu les as tués pourquoi?
SGT MAILLAT
Ils violaient une jeune fille.
ALEXANDRE
Ah, les salauds.
C'est ce que j'ai
pensé, d'abord.
SGT MAILLAT
Finalement, je vaux pas mieux.
ALEXANDRE
Quoi, tu n'as pas--
SGT MAILLAT
Si, si.
Enfin, pas tout à fait.
Elle s'était offerte d'abord.
ALEXANDRE
Ah bien alors,
c'est pas la même chose.
SGT MAILLAT
Oh, je sais pas.
ALEXANDRE
N'y pense pas, va.
Ça s'est passé comme ça,
c'est tout.
Te casse pas la tête.
La guerre, c'est jamais
bien propre, tu sais.
Allez, je vais te faire du café.
SGT MAILLAT
Non, laisse, c'est mon tour
d'aller chercher de l'eau.
ALEXANDRE
Assieds-toi.
SGT MAILLAT
Laisse, je te dis,
c'est moi qui l'ai renversé.
ABBÉ PIERSON
Vous trouvez pas que vous êtes
plutôt marrants, tous les deux?
ALEXANDRE
Donne. Fous-moi la paix.
SGT MAILLAT
Mais arrête de faire
la nounou, bon Dieu.
ALEXANDRE
Oh, mais nounou de mes fesses!
Enfin lâche ça, je te dis.
SGT MAILLAT
Ah, et merde!
ABBÉ PIERSON
Dis-moi.
Qu'est-ce que tu comptes
faire de cette jeune fille?
SGT MAILLAT
Pourquoi? Tu veux
que je me mette en règle?
ABBÉ PIERSON
Bof...
SGT MAILLAT
C'est ça qui
te tracasse, l'abbé, hein?
Tu voudrais que je te l'amène,
tu me récites
un petit truc en latin
et pan, ça y est,
tout est en règle.
ABBÉ PIERSON
Bien non. Non, je voulais
seulement savoir
ce qu'elle allait
devenir, c'est tout.
SGT MAILLAT
T'en fais pas,
je m'en occuperai.
Toi et moi, on est pareils,
hein, l'abbé:
on est des mecs à conscience.
ABBÉ PIERSON
Oui. La seule différence,
c'est que moi, je n'ai encore
violé personne.
SGT MAILLAT
Eh bien, curé!
Des rafales de balles balaient la plage aux abords de l'hôpital.
PIERSON et MAILLAT se mettent à couvert.
Les vions volent en rase-mottes en mitraillant l'esplanade devant l'hôpital.
ALEXANDRE se relève après le dernier passage des avions et reprend son seau.
MAILLAT et PIERSON observent les allées et venues des avions.
SGT MAILLAT
Quels cons! Ils attaquent
encore le sana.
ABBÉ PIERSON
Mais non, c'est pas
le sana qu'ils attaquent.
C'est la batterie de 75 qui
est installée juste derrière.
Un MESSAGER monte la dune en courant.
UN MESSAGER
Il y a quelqu'un ici?
Dites donc, je ne me rappelle
plus si c'est...
Antoine ou Alexandre
qu'il s'appelle.
Un gars du genre marrant.
C'est pas d'ici qu'il est?
SGT MAILLAT
Si, il est à la fontaine.
Qu'est-ce que tu lui veux?
UN MESSAGER
Bien... il y a pas un coup
pour moi?
SGT MAILLAT
À quel titre?
UN MESSAGER
J'ai quelque chose
à vous dire.
SGT MAILLAT
Cherche pas d'alibi, bois.
(Se versant à boire)
J'en reviens, de la fontaine.
J'étais là quand les avions,
ils nous ont piqués dessus.
SGT MAILLAT
Alors?
UN MESSAGER
Bien...
Je crois qu'il lui est arrivé
quelque chose, à votre copain.
SGT MAILLAT
Il est blessé?
UN MESSAGER
Bien, vas-y, tu verras.
SGT MAILLAT
(En courant vers la fontaine)
Nom de Dieu!
PIERSON court dans le camion et prend une trousse de premiers soins.
UN MESSAGER
Dis donc, t'es curé, je crois?
ABBÉ PIERSON
Oui.
UN MESSAGER
Bon, bien...
de toute façon, c'est trop tard.
L'ABBÉ PIERSON court rejoindre MAILLAT.
Des hommes sont attroupés près de la fontaine.
SGT MAILLAT
Allez, allez-vous-en,
les gars. Il y a rien à voir.
L'ABBÉ PIERSON arrive et s'agenouille près du corps d'ALEXANDRE.
SGT MAILLAT
C'est moi qui devrais être là.
ABBÉ PIERSON
Mais non. Qu'est-ce
que tu vas chercher?
SGT MAILLAT
Si, c'était mon tour
d'aller chercher l'eau.
ABBÉ PIERSON
Tu pouvais pas prévoir.
Écoute, Maillat.
Ça s'est passé comme ça,
voilà tout.
SGT MAILLAT
Oui.
Ça s'est passé comme ça.
PINOT
Bien, dites donc, je viens
d'apprendre ça par hasard.
Aussi sec. Un gars qui racontait
le coup juste à côté de moi.
Un chic type qui-
SGT MAILLAT
Tais-toi.
PINOT
Qu'est-ce qu'on va en faire?
On pourrait le ramener
à la roulotte.
On le veillerait
cette nuit et...
je lui ferais une croix.
SGT MAILLAT
Non.
Si on marque sa tombe,
ils le ramasseront pour le
mettre dans une fosse commune.
PINOT
Alors?
SGT MAILLAT
On va l'enterrer
dans les dunes.
PINOT
Dans les dunes?
C'est pas humain, ça.
SGT MAILLAT
"Humain"! Tu m'as l'air
humain, toi,
avec ce truc que tu trimballes!
SGT MAILLAT
(Pointant la mitraillette)
Oui, ça là, ça!
PINOT
(S'éloignant)
Ah bien, ça alors.
ABBÉ PIERSON
Maillat,
tu n'es pas le seul
à avoir de la peine.
SGT MAILLAT
Hé, Pinot. Reviens, quoi.
Les trois hommes prennent le corps d'ALEXANDRE et le portent dans les dunes.
PINOT
Moi, je trouve qu'on l'a
enterré trop vite.
Bon, je l'ai dit,
on n'a pas tenu compte.
Mais si on l'avait veillé,
comme j'ai dit,
j'aurais eu le temps
de lui faire une croix.
Et une croix, ça change tout.
C'est pas la peine
d'avoir un copain curé
si c'est pour être
enterré comme ça.
L'ABBÉ PIERSON s'agenouille en se signant.
ABBÉ PIERSON
Faudrait écrire à sa femme.
SGT MAILLAT
Oui.
ABBÉ PIERSON
Tu veux que je m'en charge?
SGT MAILLAT
Oui.
SGT MAILLAT
Ah non, je préfère pas.
Je sais ce que
tu lui écriras, l'abbé.
Qu'il est mort en héros,
que son moral jusqu'au bout
est resté exemplaire
et que son sacrifice
n'aura pas été vain.
Je connais la chanson.
ABBÉ PIERSON
Tu sais, dans ces cas-là,
on n'écrit pas ce qu'on veut.
SGT MAILLAT
Moi, je sais ce que
je lui écrirais, à sa femme.
Qu'il est mort en allant
chercher de l'eau pour faire
du café à ses copains.
C'est tout.
Les trois hommes quittent les dunes pour retourner vers le campement.
ABBÉ PIERSON
Qu'est-ce que tu vas faire?
Tu retournes à la popote?
SGT MAILLAT
Oh non, tu sais...
la popote sans lui...
Je crois que je vais
aller à Bray-Dunes.
ABBÉ PIERSON
C'est là qu'elle habite?
SGT MAILLAT
Oui.
Et toi?
ABBÉ PIERSON
Oh, moi... je sais pas.
Si t'étais resté,
je serais resté.
Je vais me faire embaucher
au sana; ils ont besoin d'aide.
Il y a des milliers de blessés
et il en arrive toutes les heures.
SGT MAILLAT
Et toi, Pinot?
PINOT
Oh, moi, j'ai retrouvé
des gars de Bezons.
Ils ont une popote par là.
SGT MAILLAT
Aussi sec. Et t'es content?
PINOT
C'est des gars de Bezons.
SGT MAILLAT
(Approchant du campement de fortune)
J'arrête pas d'entendre
sa voix.
Je l'ai là dans l'oreille.
MAILLAT cherche une cigarette.
ABBÉ PIERSON
Tu n'en as plus?
SGT MAILLAT
Me donne pas le paquet entier.
ABBÉ PIERSON
J'ai ma pipe.
PINOT
(Donnant un paquet de cigarettes à MAILLAT)
Tiens. Pour ce que je fume.
SGT MAILLAT
Bon. Alors, salut, les gars.
PINOT
Et voilà.
Allez, au revoir, l'abbé.
ABBÉ PIERSON
Allez, au revoir, Pinot.
MAILLAT retourne à Bray-Dunes.
Devant la maison, MAILLAT tente d'ouvrir la porte fermée à clé.
SGT MAILLAT
Jeanne.
Jeanne.
MAILLAT fait le tour et regarde par les fenêtre. Tout est rangé à l'intérieur.
SGT MAILLAT
Jeanne.
JEANNE est assise dans son fauteuil.
MAILLAT entre par un carreau brisé et va dans la salle à manger.
SGT MAILLAT
Tu m'as pas entendu?
Tu dormais?
Qu'est-ce que tu as?
Tiens.
Tu mets du rouge
à lèvres maintenant?
Tu m'en veux?
Tu vois, je t'ai promis
de revenir, je suis revenu.
Bien, réponds quand on te parle.
T'as quelque chose de changé.
JEANNE
À qui la faute?
SGT MAILLAT
C'est ma faute, c'est
ma faute, c'est entendu.
Mais c'est un peu
la tienne aussi, non?
Quand on est une gentille petite
fille, il faut pas s'amuser
à jouer les vamps.
Parce qu'on vous prend au mot.
Et après, c'est trop tard.
De toute façon,
je te laisserai pas tomber.
Écoute.
Je vais m'habiller en civil
et on va se planquer quelque
part, toi et moi. Je ne
te quitte plus.
JEANNE
Tu m'épouserais?
SGT MAILLAT
Si tu veux.
JEANNE
Tu me le promets?
SGT MAILLAT
Oui.
JEANNE
C'est vrai?
J'aurais un mari?
Un couteau tombe par terre au moment où JEANNE se lève.
SGT MAILLAT
Qu'est-ce que c'est que ça?
JEANNE
C'était pour me défendre.
SGT MAILLAT
Et bien, dis donc!
t'es un drôle de petit puma.
JEANNE
Oh! Mais tu vas abîmer
ma table!
SGT MAILLAT
Elle en verra d'autres,
ta maison aussi.
JEANNE
Julien!
SGT MAILLAT
Tu vas pas recommencer.
Mais ouvre les yeux, bon Dieu.
Tout le monde est parti
à Bray-Dunes. Tout le monde
a compris sauf toi.
Tu vois pas que c'est
un tombeau, cette maison?
Allez, fais tes valises,
je t'emmène.
JEANNE
Je vais tout de même pas
quitter ma maison comme ça.
Il faut que je la range.
SGT MAILLAT
Tu veux un obus de 77
pour t'aider à la ranger?
JEANNE
Ne parle pas comme ça,
tu vas lui porter malheur.
SGT MAILLAT
Bon Dieu, cette maison!
Écoute, je ne veux
plus discuter.
Si tu veux pas, je pars.
Choisis: c'est ta maison
ou moi.
JEANNE
Mais où on irait?
Il est déjà tard.
On ne va quand même pas
coucher dans les dunes.
SGT MAILLAT
Si.
JEANNE
Mais ça tape aussi
dans les dunes.
SGT MAILLAT
Moins qu'ici.
JEANNE
Et si on ne partait
que demain?
Oh, Julien, je t'en prie,
laisse-moi jusqu'à demain.
Restons ici cette nuit.
Demain, nous partirons,
je te le promets.
SGT MAILLAT
Demain, tu recommenceras.
JEANNE
Julien.
SGT MAILLAT
Écoute-moi bien.
À gauche des grilles du sana,
sur une hauteur, tu trouveras
notre roulotte.
C'est une ambulance.
T'oublieras pas?
JEANNE
Non, mais pourquoi
tu me dis ça?
SGT MAILLAT
Il y a une chose
que je viens de comprendre.
C'est que pour t'arracher
à ta maison, il te faut
un coup de bistouri.
Alors, je vais te faire un peu
mal. Allez, ferme les yeux.
Allez, ferme les yeux.
(Reculant pendant que JEANNE a les yeux fermés.)
Jeanne, je t'attendrai
jusqu'à 7h à la roulotte.
JEANNE
Comment, tu m'attendras?
Qu'est-ce que ça veut dire?
Une porte se ferme.
JEANNE
Julien!
Sur les dunes et sur la plage, des centaines d'hommes avancent vers le rivage. MAILLAT attend dans les dunes et regarde sa montre. MAILLAT branche la radio d'ALEXANDRE.
ANNONCEUR RADIO
Ici Calais.
Dans quelques heures,
la Wehrmacht
pourra annoncer
à son chef suprême
que Dunkerque est tombée
après des combats acharnés.
30 000 bombes incendiaires
viennent de transformer
cette ville en brasier.
Ce succès considérable
a été obtenu grâce à l'action
exemplaire
de la Luftwaffe,
car toute la bravoure
et la puissance de choc
de notre armée de terre
ne pouvaient
se déployer pleinement
que dans l'espace protégé
par notre aviation.
Un régiment passe tout près du campement de fortune. PINOT sort des rangs.
PINOT
Dis donc, qu'est-ce
que tu fous là? On embarque
les Français à Dunkerque.
Magne-toi, ça va se passer
à la tombée de la nuit.
ANNONCEUR RADIO
... par des navires de guerre
et des bateaux marchands
a coûté à l'ennemi
des pertes sévères.
Ont été coulés
durant cette opération
16 croiseurs, 37 destroyers,
5 sous-marins, 3 torpilleurs,
183 bateaux de commerce
et de transport.
La Hollande et la Belgique
ont capitulé.
Les armées de choc françaises
et anglaises sont détruites.
Nous avons remporté
une des plus grandes victoires
de l'histoire.
Puisque nos adversaires
persistent à refuser la paix,
le combat se poursuivra
jusqu'à leur
destruction totale.
CHOEUR ALLEMAND
♪ Heidi, heido, heida ♪
♪ Heidi heido heida ♪
♪ Heidi heido heida ♪
♪ Ha ha ha ha ha ha ha ♪
♪ Heidi heido heida ♪
♪ Heidi heido ♪
MAILLAT regarde l'horizon, des avions approchent et bombardent la plage. MAILLAT tente de s'éloigner du mieux qu'il peut. MAILLAT se tient terré dans les dunes. Les bombes fusent. Le campement de fortune n'existe plus et MAILLAT gît sur le sol, blessé. MAILLAT se retourne et constate la désolation laissée par les bombardements. Au loin, JEANNE marche en portant des valises sur la plage.
Le Sergent JULIEN MAILLAT s'éteint sur cette dernière image.
Texte narratif :
Dimanche soir
2 juin 1940
Fin du film
Films
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