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Vidéo transcription
Le jeûne, une nouvelle thérapie?
Une méthode thérapeutique qui traite l’obésité, les maladies chroniques et qui prépare les patients à mieux lutter contre le cancer. Les chercheurs soviétiques ont constitué une somme d’études cliniques d’une exceptionnelle richesse? Seulement, elles sont publiées en russe, donc inconnues en Occident.
Réalisateurs: Sylvie Gilman, Thierry de Lestrade
Année de production: 2011
video_transcript_title-fr
♪ [Musique très douce] ♪
NARRATRICE
L'espérance de vie augmente
dans les pays occidentaux,
mais hélas...
Pr ALEXEY KOKOSOV
Les conditions de la vie
moderne provoquent les
maladies. C'est pour ça qu'on a
inventé le terme "maladie de
civilisation".
NARRATRICE
Diabète, hypertension,
obésité, cancer...
Le nombre de maladies explose,
celui de la consommation
de médicaments aussi.
Les effets secondaires
de certaines béquilles
chimiques défraient
régulièrement la chronique.
La méfiance s'installe.
Pr SERGEIJ OSININ
Si on parle du traitement par
médicaments, je peux dire que
nous sommes aujourd'hui...
dans une impasse.
NARRATRICE
Peut-être existe-t-il
une autre voie thérapeutique,
une méthode ancienne,
louée par les religions,
longtemps méconnue
par la science: le jeûne.
Depuis un demi-siècle,
en Russie, en Allemagne
ou aux États-Unis, des médecins
et des biologistes explorent
cette piste.
Pr ANDREAS MICHALSEN
Nous voulions savoir si
c'était visible en laboratoire,
au niveau des hormones.
Pr VALTER D. LONGO
La restriction calorique a un
effet. Alors peut-on augmenter
cet effet avec le jeûne?
NARRATRICE
Par quel mécanisme
le jeûne agit-il? Pour quelle
pathologie est-il efficace?
Les résultats sont étonnants,
notamment dans le traitement
de la maladie du siècle.
Pr DAVID QUINN
C'est une nouvelle approche
au traitement du cancer.
Certains diraient "une approche
complémentaire".
NARRATRICE
Les résultats de ces travaux
ouvrent des perspectives
inattendues et dessinent
une autre approche
de la maladie et du soin.
Générique d'ouverture
♪ [Musique très douce] ♪
Titre :
Le jeûne, une nouvelle thérapie?
♪ ♪ ♪
Diverses images de champs surplombés de montagnes. Soudain, un village.
NARRATRICE
C'est une expérience unique,
au coeur de la Russie,
dans la plaine sibérienne.
Ici, depuis 15 ans, le jeûne est devenu
un élément central de la politique
de santé publique.
Une dame fait sonner une grosse cloche .
NARRATRICE
Politique qui s'appuie
sur 40 années d'études
scientifiques, menées
en ex-Union Soviétique,
sur des milliers de malades,
et totalement inconnues
en Occident.
Ces travaux ont donné naissance
à une méthode rigoureuse, mise
en pratique ici.
Après quatre heures de bus sur
une route difficile, Lioubov
Baranova arrive au sanatorium
de Goriachinsk.
Elle vient sur les conseils
de son frère qui s'est soigné
par une cure de jeûne.
Les rives du lac Baïkal
à quelques centaines de mètres;
le décor est idyllique.
Goriachinsk est réputé pour
sa source d'eau chaude,
et depuis 1995,
pour son centre de jeûne.
Les cures sont remboursées.
Un bâtiment entier est réservé
aux jeûneurs.
Lioubov Baranova entre dans une chambre et dépose ses valises.
Transition
Information à l'écran
(LIOUBOV BARANOVA)
LIOUBOV BARANOVA
(À la caméra)
Mon frère était asthmatique.
Il étouffait. Il ne pouvait pas
dormir la nuit et il empêchait
tout le monde de dormir.
Après avoir lu un article
sur le jeûne, il a décidé
de jeûner pendant 21 jours.
Transition
Information à l'écran
(OLGA BOTCHAROVA)
OLGA BOTCHAROVA
J'avais une allergie terrible
aux produits sucrés,
aux oranges, tout ça.
Je me suis soignée pendant
des années, rien ne m'a aidée.
Mon allergie revenait
après chaque traitement.
Transition
LIOUBOV BARANOVA
Le septième jour, il volait.
Il était en bonne santé. Il a cru
à ce miracle et il s'est guéri
grâce à cette méthode.
Il a jeûné plusieurs fois.
Transition
OLGA BOTCHAROVA
J'étais parmi les premières
venir ici, à Goriachinsk.
J'ai jeûné pendant 18 jours.
NARRATRICE
Jeûner n'est pas une démarche
anodine. Personne ne sait
comment son corps va réagir
à la privation de nourriture.
Jeûner fait peur.
LIOUBOV BARANOVA parle avec le Dr NATALIA BATAEVA. Elles sont dans un bureau.
Dr NATALIA BATAEVA
Vous avez de l'arthrose aiguë,
vous allez donc jeûner chez nous.
Vous allez jeûner pendant
deux semaines puis il y aura
sept jours de sortie de jeûne.
NARRATRICE
Première étape du traitement:
rassurer les nouveaux venus.
L'adhésion du patient est
essentielle.
Information à l'écran
(Dr NATALIA BATAEVA Médecin-chef Sanatorium de Goriachinsk)
Dr NATALIA BATAEVA
(À la caméra)
Très souvent, on reçoit des gens
qui ont été hospitalisés,
qui ont fait les meilleurs
examens cliniques,
et rien ne les a aidés.
Le jeûne est une méthode
universelle qui peut être
efficace contre plusieurs
maladies. C'est pour ça
que les gens reviennent
souvent et règlent
leurs problèmes chez nous.
Transition
Des gens font des promenades dans les bois.
NARRATRICE
Le traitement est
d'une simplicité biblique:
boire de l'eau, de l'eau et
puis de l'eau pendant 12 jours
en moyenne. Rien d'autre n'est
ingurgité. Certains jeûnes
peuvent durer trois semaines
selon la gravité et l'ancienneté
de la maladie.
Pour les affections chroniques,
la prise de médicaments est
interrompue en deux ou trois
jours. Les patients sont donc
placés sous surveillance
médicale; ce point est
essentiel. Pas question de se
lancer seul dans l'aventure du
jeûne. L'accompagnement d'un
professionnel formé à cette
pratique est fondamental.
Transition
Dr NATALIA BATAEVA
(À la caméra)
Pendant le jeûne, il n'y a pas
vraiment de manque d'éléments
nutritifs. On peut observer une
diminution du taux de vitamine
C, de vitamine D, de vitamine
E et d'autres composantes du
métabolisme.
Mais ces pertes ne sont pas
critiques.
Transition
NARRATRICE
En 15 ans, 10 000
patients ont suivi ici une cure
de jeûne. Leurs dossiers
médicaux sont conservés dans
ces archives. Les malades sont
venus soigner des problèmes
de diabète, d'asthme,
d'hypertension, de rhumatisme,
d'allergies. Près de deux tiers
d'entre eux ont vu leurs
symptômes disparaître après une
ou plusieurs cures de jeûne.
Tous le disent:
le plus difficile n'est pas
de se priver de nourriture.
La sensation de faim disparaît
au bout de deux ou trois jours.
Le passage délicat, c'est ce
que l'on appelle ici la crise
d'acidose.
Une dame boit de l'eau, puis subit des prises de sang.
NARRATRICE
Olya n'a rien mangé depuis
cinq jours. Elle vient de
traverser cette crise qui se
traduit parfois par une
sensation de faiblesse, des
nausées ou des migraines.
C'est le prix à payer pour
l'adaptation de l'organisme
à ce changement radical.
Le corps doit apprendre
à vivre de ses réserves.
Information à l'écran
(OLYA BAZAROVA)
OLYA BAZAROVA
Le troisième jour, c'était dur.
Maintenant, ça va à peu près.
L'organisme s'habitue.
Aujourd'hui, ça va mieux,
mais c'est pas idéal quand même.
Information à l'écran
(TATIANA TIURIUKHANOVA Infirmière)
TATIANA TIURIUKHANOVA
C'est parce qu'au troisième jour,
c'est l'élimination,
la désintoxication. C'est pour ça
que c'est un peu dur
et que les malades ne se sentent pas
très bien. Après, ça va mieux.
L'organisme se nettoie et ça va
de mieux en mieux.
Transition
Une dame effectue de tests en laboratoire.
NARRATRICE
Selon les médecins russes,
l'arrivée de cette crise marque
une étape essentielle
dans le processus
de guérison. Des analyses
d'urine en déterminent le pic
et la durée. En changeant son
mode de nutrition, le taux
d'acidité dans le sang
augmente.
Transition
Dr NATALIA BATAEVA
Pendant la crise,
toutes les maladies s'aggravent.
Parfois même, les patients ont
des douleurs très fortes, comme
dans le cas de la migraine,
par exemple, ou des douleurs
dans les articulations s'il s'agit
de la goutte ou de l'arthrite.
Mais ça ne dure pas
très longtemps d'habitude,
pas plus de 24 ou 36 heures.
Transition
Une dame effectue de tests en laboratoire.
NARRATRICE
Cette crise est le signe
d'un profond bouleversement
dans le corps. L'organisme doit
se nourrir de lui-même.
Mais comment peut-il
fournir le carburant
nécessaire à sa survie?
Le corps dispose de trois
carburants: le glucose, les
lipides et les protéines.
Le carburant essentiel, c'est le
glucose, celui dont le corps a
absolument besoin pour
fonctionner. Le cerveau ne peut
s'en passer.
Mais après un jour de jeûne, le
stock de glucose est épuisé.
Comment l'organisme va-t-il
s'adapter? Il va très vite
fabriquer du glucose à partir
des protéines, c'est-à-dire,
surtout, les muscles. Il va
aussi puiser dans ses réserves
de lipides, les graisses, pour
créer un substitut de glucose.
Ce carburant du jeûne se nomme
corps cétoniques. Ce sont
désormais ces corps cétoniques
qui vont principalement
alimenter le cerveau.
L'opération s'effectue dans le
foie, véritable usine de
transformation de l'organisme.
Après la crise, le corps trouve
donc un nouvel équilibre.
Les soins aident à mieux
supporter le jeûne: lavements
intestinaux, enveloppements,
saunas, massages. Les médecins
russes conseillent deux à trois
heures d'exercice physique
quotidien.
Tout converge vers un même
objectif: stimuler les organes
d'élimination.
Les reins, les intestins, le
foie, les poumons, la peau sont
sollicités. Il faut permettre au
corps d'éliminer les déchets du
métabolisme.
Transition
Information à l'écran
(ANTONIA NIKITIUK)
ANTONIA NIKITIUK
Aujourd'hui, c'est
mon cinquième jour
de jeûne.
Regardez mon visage,
mes yeux: une vraie jeune fille.
Sans maquillage, sans rien.
Je suis au naturel.
Transition
NARRATRICE
Mais si le corps s'adapte,
la tête ne suit pas toujours
au même rythme.
Les patients l'ont constaté:
le psychisme influence
l'organisme au point
de lui faire croire parfois
à des besoins qu'il n'a plus.
Information à l'écran
(NATACHA KISELIOVA)
NATACHA KISELIOVA
Le troisième jour a été le plus
pénible. C'est pas l'estomac
qui réclame à manger, c'est la
tête. C'est ça qui est difficile.
Dans la tête, tu vois des chips,
du coca, de la viande...
plein de viande.
NARRATRICE
Lorsque cette faim psychique
disparaît, les sens s'aiguisent
et une certaine euphorie s'installe.
NATACHA KISELIOVA
J'éprouve une sensation
de liberté.
J'ai compris que je suis forte.
Si je peux jeûner, je peux tout
faire.
Transition
Une personne se détend dans un lac.
NARRATRICE
Mais comment le jeûne
fonctionne-t-il donc?
Comment expliquer que deux
tiers des patients se sentent
mieux? Un tel chiffre incite à
la prudence. Est-ce un effet
placebo? Un effet de cette
euphorie qui gagne le cerveau?
Ou bien a-t-on mesuré dans le
corps, avec des instruments
objectifs, les changements
que tous décrivent?
Pour comprendre, remontons
60 ans en arrière, à une époque
où l'Union soviétique était
une forteresse, une époque
où les chercheurs n'avaient pas
le Droit de franchir le Rideau
de fer. Des recherches étaient
menées dans le secret des
laboratoires, loin de l'Occident.
Au départ de cette aventure
scientifique, comme souvent en
sciences, la rencontre entre le
hasard et un chercheur à la
pensée originale.
Images en noir et blanc d'un hôpital.
NARRATRICE
Moscou, hôpital Korsakoff.
La camisole chimique remplace
la camisole de force,
mais le traitement gagne
à peine en humanité.
Confronté un jour à un patient
prostré, qui refuse de se
nourrir, un psychiatre, Yuri
Nikolaïev, se démarque.
Il décide de laisser agir
l'instinct du malade,
de ne pas le forcer à manger,
comme c'était la règle.
Dans ses carnets, le psychiatre
note avec surprise...
Images en noir et blanc d'un hôpital.
TEXTE NARRATIF
(À partir du journal de Yuri Nikolaiev)
À partir du cinquième jour,
son négativisme a commencé
à diminuer. Le malade a ouvert
les yeux. Le dixième jour,
il s'est mis à marcher, mais
gardait toujours le silence.
Le quinzième jour, il a bu
un verre de jus de pomme laissé
sur sa table de nuit. Ensuite,
il est allé se promener,
a commencé à revenir à la vie
sociale.
Images en noir et blanc d'un hôpital.
NARRATRICE
L'homme, finalement, se rétablit.
Un malade mental soigné
par un jeûne; le cas était unique.
Yuri Nikolaïev, le voici,
15 ans plus tard. Étonné par
l'efficacité quasi miraculeuse
du traitement, il a continué à
l'expérimenter, à le développer.
Le succès dépasse
les prévisions, la liste d'attente
des patients s'allonge.
Nikolaïev traite
des schizophrénies, des
dépressions, des phobies, des
syndromes obsessionnels pour
une durée moyenne du jeûne de
25 à 30 jours, parfois même 40.
VALENTIN JUREVICH est assis devant une machine à projection.
NARRATRICE
Dans un petit appartement de
Moscou, là même où vécut son
père, le fils de Nikolaïev,
se souvient de l'opposition de
plus en plus forte du monde
médical.
Information à l'écran: VALENTIN JUREVICH
VALENTIN JUREVICH
Les médecins étaient opposés au
jeûne car ils n'en comprenaient
pas l'essence.
Les gens ont l'habitude de
penser que le fait d'avoir
faim, c'est un malheur.
Il faut mettre sa tête à
l'envers pour accepter l'idée
que le jeûne puisse soigner.
Et c'est encore plus difficile
pour un médecin que pour
un homme ordinaire.
Transition
Images en noir et blanc d'un hôpital.
NARRATRICE
Faire taire les critiques,
marquer l'histoire scientifique,
Nikolaïev entreprend
un vaste programme
de recherches. Des examens
physiologiques, biochimiques,
des paramètres hormonaux, des
tracés d'encéphalogrammes sont
étudiés pendant et après le
jeûne sur des centaines de cas.
Les psychiatres établissent des
correspondances entre les
changements observés dans le
corps pendant le jeûne et
l'amélioration du malade.
VALENTIN JUREVICH
(Hors-champ)
Le jeûne a un impact non
seulement sur les maladies
mentales, mais aussi, sur toute
la personnalité.
Il y a toujours des images en noir et blanc d'un hôpital.
NARRATRICE
Le jeune docteur Gurvich
fait partie de cette équipe
de chercheurs. Il travailla
18 ans aux côtés du maître.
Transition
Information à l'écran: Dr VALÉRY GURVICH, psychiatre Institut psychiatrique de Moscou
Dr VALÉRY GURVICH
(À la caméra)
Le jeûne a un effet stimulant et
un effet antidépresseur. L'effet
stimulant a lieu pendant la
première semaine du jeûne et
l'effet antidépresseur, au
moment de la réalimentation.
Le troisième type d'effets,
c'est l'effet sédatif, calmant.
On l'observe après la crise
d'acidose.
Images en noir et blanc d'un hôpital.
NARRATRICE
Nikolaïev traite 8 000 patients
par le jeûne avec un net progrès
pour 70% d'entre eux.
Six ans plus tard, ils étaient
encore 47% à avoir maintenu
cette amélioration.
Certains pouvaient reprendre
une vie sociale, fonder une
famille. Mais autre surprise,
Nikolaïev et son équipe
remarquent que non seulement le
psychisme des patients s'est
amélioré, mais leur maladie
somatique aussi: hypertension,
polyarthrite, asthme, eczéma.
Il interpelle les pouvoirs
publics. Le ministère de la
Santé, sceptique, lance alors
une campagne de vérification
de ses résultats.
Nous sommes en 1973.
Il mandate plusieurs médecins
reconnus, parmi eux,
le professeur Kokosov et le
professeur Maximov.
Tous deux sont médecins
militaires. Ils obéissent.
Un ordre est un ordre.
Transition
Information à l'écran
(Pr ALEXEY KOKOSOV Pneumologue Institut «I.P. Pavlov», Saint-Pétersbourg)
Pr ALEXEY KOKOSOV
(À la caméra)
Jusque-là, je ne connaissais
rien au jeûne.
Donc j'avais deux objectifs:
vérifier si la méthode marchait
et expliquer pourquoi.
Transition
Information à l'écran: [Pr VALÉRY MAXIMOV Gastroentérologue Académie des sciences médicales
Pr VALÉRY MAXIMOV
(À la caméra)
Il a fallu étudier la sécrétion
de l'estomac, du foie,
du pancréas, de l'intestin,
le paysage bactérien,
le statut de l'immunité,
l'échange des minéraux
et des vitamines.
Retour aux images en noir et blanc d'un hôpital.
NARRATRICE
Les travaux se multiplient
avec des milliers de patients.
Les chercheurs confirment
les résultats de Nikolaïev.
Ils établissent des listes
précises d'indications et de
contre-indications au traitement
par le jeûne. Indications:
pathologie des bronches,
pathologie cardiovasculaire,
pathologie de l'estomac, de
l'intestin, pathologie
endocrinienne, pathologie
digestive, pathologie
articulaire, osseuse,
pathologie de la peau.
Contre-indications: cancer,
tuberculose, diabète de type 1,
hépatite chronique,
thrombophlébite, anorexie.
Mais comment expliquer l'effet
du jeûne?
Transition
Pr ALEXEY KOKOSOV
(À la caméra)
Le jeûne provoque un état de
stress, ce qui relance chez
nous les mécanismes de
sanogénèse, d'autorégulation
qui restent d'habitude passifs à
cause de notre mode de vie.
Transition
Retour aux images en noir et blanc d'un hôpital.
NARRATRICE
Le stress serait donc
le point central. Le stress,
c'est une réaction d'adaptation
à un changement de
l'environnement, ici, la
privation de nourriture.
Confronté à cette privation de
nourriture, l'organisme
déclenche l'alerte, ce qui
provoque un bouleversement
hormonal et neuroendocrinien.
Des hormones mobilisent les
réserves du corps. Certaines
ont aussi un effet
anti-inflammatoire.
Pour les médecins russes, ce
sont ces mécanismes
d'autorégulation qui induisent
les effets thérapeutiques.
Ainsi, de nombreux paramètres
sanguins s'améliorent:
glycémie, cholestérol,
triglycérides, taux d'insuline.
Parallèlement, la dépense
d'énergie de l'organisme
diminue peu à peu. Respiration,
rythme cardiaque, pression
artérielle, tout s'abaisse et
se ralentit. Le système
digestif est également mis au
repos.
Images d'un hôpital de nos jours.
NARRATRICE
Le jeûne aurait donc la
capacité de stimuler les forces
curatives de l'organisme. Mais
comment mesurer cette capacité?
Le professeur Osinin est
spécialiste de l'asthme
bronchique. Élève de Kokosov,
le pneumologue a fait jeûner
près de 10 000 patients
asthmatiques.
"Quarante ans de pratique,
pas un seul accident",
nous confie-t-il.
Parmi les études qu'il a menées,
Osinin pointe l'évolution
des cellules de la muqueuse
du poumon.
Ces cellules noires révèlent la
présence d'histamine. C'est elle
qui provoque une hyper
sécrétion et donc des spasmes
bronchiques. Après 12 jours de
jeûne, il n'y a plus d'histamine,
les cellules se sont remplies
de lipides, les spasmes ont disparu.
Transition
Information à l'écran: [Pr SERGEIJ OSININ Pneumologue
Pr SERGEIJ OSININ
(À la caméra)
Ces données sont uniques,
car la question n'a jamais été
posée de cette manière. Et
donc, il n'existe pas
d'équivalents au monde.
On a étudié à la fois les
changements généraux
dans tout le corps
et les changements locaux,
et on a vu disparaître
les matières qui provoquent les
oedèmes et les inflammations.
Transition
Images d'un hôpital de nos jours.
NARRATRICE
L'asthme bronchique est
une maladie chronique.
Elle ne peut,
selon la médecine officielle,
être guérie, juste être contenue.
De nombreux patients sont
condamnés aux inhalateurs ou
aux traitements qui soulagent
provisoirement leur état. Les
travaux d'Osinin montrent qu'on
peut échapper à cette fatalité.
Le pneumologue a analysé les
effets à long terme. L'étude
porte sur près de 1 000 patients.
Après sept ans,
l'amélioration perdure pour 50%
des malades, ceux qui ont
adopté après le jeûne de bonnes
habitudes alimentaires.
Plusieurs cures ont parfois été
nécessaires. Dix à quinze pour
cent sont totalement guéris.
Des quatre coins de l'Union
Soviétique, les données
expérimentales se sont
accumulées avec une ambition:
inscrire le jeûne dans une
politique de santé publique.
L'Académie des sciences a
validé les résultats et les a
rassemblés dans d'imposants
recueils jamais traduits.
Malgré l'ampleur de ces travaux,
sans équivalents au monde, la
richesse des descriptions
cliniques et le nombre de
maladies étudiées, il reste
quelques zones d'ombre.
Pr SERGEIJ OSININ
(À la caméra)
Oui, les résultats
de laboratoire montrent
que ça marche.
Mais pourquoi? Comment
se mettent en route les
mécanismes qu'on appelle
"sanogénèses". Jusqu'à
présent, je ne peux pas
répondre à la question:
c'est quoi, la sanogénèse?
Images d'une voiture sous la pluie.
NARRATRICE
La réponse viendra-t-elle
des chercheurs de l'Ouest?
Ici, aucun État n'a financé
de telles recherches.
L'industrie pharmaceutique n'y
accorde évidemment aucun
crédit. Il y existe pourtant une
pratique du jeûne, pratique en
expansion, qui s'invite depuis
peu sur le terrain politique et
scientifique.
Paysages de la campagne allemande.
NARRATRICE
Nouvelle étape du voyage:
l'Allemagne. Dans ce pays,
15% à 20% de la population
déclarent avoir jeûné. Le plus
ancien centre de jeûne a été
créé sur les rives du lac de
Constance, il y a près de
60 ans. Comme sur les bords
du lac Baïkal, le mot d'ordre
est: éliminer.
Et on élimine en groupe.
Des gens font une randonnée dans les bois. Ensuite, il y a des images de la clinique Buchinger.
NARRATRICE
La renommée de la clinique
Buchinger a dépassé les
frontières; 2 000 personnes
séjournent ici chaque année. On
y vient soulager les maladies
chroniques, on y vient aussi en
prévention et combattre les
facteurs de risques comme
l'hypertension, le diabète ou
l'obésité.
JURGEN BAHL attend ses soins à côté d'un lit.
NARRATRICE
D'habitude, Jurgen Bahl porte
un costume cravate.
D'habitude, personne ne lui pose
une bouillotte sur le foie.
D'habitude, il travaille dans
une tour de verre, à Zurich.
Information à l'écran: [JURGEN BAHL
JURGEN BAHL
(À la caméra)
Je suis banquier et j'ai dû
voyager en Union soviétique
et dans les pays de l'Est.
Et si vous voulez faire
des affaires là-bas,
vous devez boire de la vodka
et manger de la nourriture
grasse. Ça s'est accumulé
au fil des ans. Mon foie avait
grossi de sept centimètres
et j'avais de très mauvais
résultats sanguins.
Mon médecin généraliste
il est cardiologue m'a dit:
"Ça suffit. Soit vous changez
de métier, fini Moscou,
fini la Russie, fini la vodka,
soit vous jeûnez." Et pour moi,
c'était... Je n'ai pas cru que
je pouvais jeûner. Ça me
paraissait impossible de ne
rien manger pendant trois
semaines, toute la journée,
affamé, sans un verre de vin...
Je suis gourmet, je ne peux pas!
Des images de JURGEN BAHL en train de faire des exercices dans le gym de la clinique.
NARRATRICE
Dès la première cure,
le foie de M. Bahl
retrouva une taille correcte.
Ses analyses sanguines
rentrèrent dans la norme.
Depuis, il surveille son
alimentation et revient chaque
année à Urberlingen. Jeûner,
c'est un peu remettre les
compteurs à zéro.
Il y a une tasse de thé. Elle contient un liquide brunâtre.
NARRATRICE
Non, ce ne sont pas les
traditionnels verres d'eau.
Petite entorse à la rigueur du
jeûne, soupe légère ou jus de
fruits sont servis deux fois
par jour. Ces 250 calories
journalières adoucissent la
crise d'acidose et rendent les
premiers jours plus faciles.
C'est un peu la particularité
de la méthode mise au point par
Otto Buchinger, celui-là
même qui a créé le centre. Ce
médecin militaire, atteint de
rhumatisme articulaire aigu et
condamné au fauteuil roulant
par les médecins en 1918,
s'est guéri grâce à deux jeûnes
successifs. Ce rétablissement
spectaculaire l'a poussé à
étudier les possibilités
thérapeutiques du jeûne et à
créer un centre de soins,
devenu aujourd'hui une
référence en Allemagne. Les
cures durent entre une et trois
semaines.
Une infirmière prend la pression d'une dame.
NARRATRICE
Pauline Valiquer vient pour
la deuxième fois à la clinique
Buchinger cette année. Cette
interprète, qui vit en Suisse,
souffre de graves rhumatismes.
Elle a décidé de jeûner 12 jours.
PAULINE VALIQUER
(À la caméra)
Si j'ai cru ne plus pouvoir
bouger? Oui, l'année dernière.
Vraiment, j'ai eu un moment de
désespoir où je me suis dit:
mais je suis encore beaucoup
trop jeune pour être grabataire.
Mais que va être ma vie?
D'autant plus que je vis seule.
Je suis arrivée au mois de
février absolument épuisée de
douleurs, de médicaments aussi.
Parce qu'on m'avait... comme
j'avais pris
des antirhumatismaux, de la
cortisone, enfin, tout ce qu'on
donne normalement, et j'étais
épuisée par tout ça. Et je me
sentais... je me sentais
vraiment épuisée. Et ce jeûne,
contrairement à ce qu'on
pourrait penser, au lieu de
m'épuiser encore plus, eh bien,
j'ai eu l'impression qu'en me
purifiant tout à fait, mon
corps a retrouvé le ressort
nécessaire pour rebondir. Et
bien sûr, je suis pas ressortie
ici sur la pointe des pieds et
en gambadant, non.
Mais j'ai senti qu'à partir
de ce moment-là,
mon corps avait retrouvé
sa capacité de se guérir, quoi.
Et je pensais... je pensais
vraiment que je serais abonnée
aux médicaments, mais je ne le
suis pas, je les ai arrêtés.
Un patient est dans une salle de la clinique Buchinger avec le Dr STEFAN DRINDA.
NARRATRICE
Selon la gravité de la maladie,
son ancienneté aussi,
arrêter les médicaments
n'est pas toujours possible.
Dr STEFAN DRINDA
Merci. Voulez-vous vous
allonger, s'il vous plaît?
NARRATRICE
Ce patient séjourne deux fois
par an à la clinique.
Souffrant d'une arthrite
psoriasique très avancée,
il n'ose envisager un
rétablissement total.
Dans ce cas précis, le docteur
DRINDA, un rhumatologue qui
a travaillé neuf ans en hôpital
universitaire, tente, grâce au
jeûne, de réduire les doses de
médicaments.
Dr STEFAN DRINDA
(Au patient)
Vous vous penchez en avant,
s'il vous plaît?
Transition
Information à l'écran
(Dr STEFAN DRINDA Rhumatologue Clinique Buchinger)
Dr STEFAN DRINDA
(À la caméra)
Nous connaissons aussi
ce phénomène dans le cas
de la polyarthrite rhumatoïde.
On a montré qu'en jeûnant,
on a besoin de moins
d'anti-inflammatoires
non stéroïdiens. Et c'est bien,
car les effets secondaires de
ces médicaments ne sont pas
négligeables.
Images de JURGEN BAHL dans la salle à manger de la clinique.
NARRATRICE
M. Bahl va rompre
le jeûne ce soir. Moment
crucial; manger n'importe quoi
et en quantité compromettrait
toute la réussite du traitement
et pourrait même se révéler
très dangereux. Le corps doit
se réhabituer lentement à la
nourriture. La période de
réalimentation est donc très
encadrée, aussi bien en
Allemagne qu'en Russie.
JURGEN BAHL
(Devant une assiette de nourriture)
J'attends toujours ce moment,
mais d'un côté, je suis
content, et de l'autre, je
regrette, car ç'a été un beau
moment. Bon. Mais que ce soit
une soupe ou autre chose,
je me régale.
CAMÉRAMAN
(Hors-champ)
Vous êtes impatient?
JURGEN BAHL
Un peu, oui, un peu.
Transition
Information à l'écran: [Dr FRANÇOISE WILHELMI DE TOLEDO directrice, clinique Buchinger
Dr FRANÇOISE WILHELMI DE TOLEDO
(À la caméra)
Il faudrait pouvoir entraîner un
marché de la santé, et le jeûne
en serait un pilier.
Aujourd'hui, on a un marché
extraordinairement juteux de la
maladie, et surtout, des
maladies qui deviennent
chroniques. Quand un diabétique
devient chronique, ce sont
pendant des dizaines d'années
la possibilité de vendre des
médicaments, de l'opérer,
enfin... Donc c'est un marché
assez productif.
Transition
Images de Berlin en Allemagne.
NARRATRICE
Faire du jeûne un
pilier du marché de la santé,
ce serait s'opposer à l'emprise
de la chimie sur la maladie,
renier les profits des labos
pharmaceutiques. On en est
loin. En Allemagne, pourtant,
les choses évoluent. Ici,
depuis près de dix ans, dans
une annexe de l'Hôpital de la
Charité, à Berlin, le plus
grand hôpital public européen,
l'étage d'un bâtiment est
réservé aux patients en cure de
jeûne. Une dizaine d'hôpitaux
publics font de même. La
pratique prend peu à peu sa
place dans l'arsenal de la
médecine officielle.
Images du professeur MICHALSEN dans son hôpital.
NARRATRICE
Le professeur Michalsen a
dirigé plusieurs études
scientifiques sur le jeûne.
Il propose cette thérapie
à ses patients atteints de
rhumatismes, de syndromes
métaboliques ou de problèmes
cardiaques. Les cures sont
remboursées par le système de
sécurité sociale. Près de 500
patients suivent une cure ici,
chaque année, selon la méthode
Buchinger. Les demandes sont de
plus en plus nombreuses,
le service refuse du monde,
faute de places.
Sans connaître les travaux
russes, Michalsen a
également mesuré les
modifications hormonales dans
le corps.
Information à l'écran
(Pr ANDrEAS MICHALSEN Chef de service Hôpital de la Charité, Berlin)
Pr ANDrEAS MICHALSEN
(À la caméra)
Dans de nombreuses études sur
des patients, nous avons
constaté la présence
d'adrénaline, de noradrénaline,
de dopamine, de leptine, de
sérotonine, c'est-à-dire des
hormones qui régulent fortement
le métabolisme, mais qui
influencent aussi l'humeur.
Images de l'Hôpital de la Charité à Berlin.
NARRATRICE
Le taux de sérotonine,
souvent appelée
hormone du bonheur, est
augmenté. Comme les psychiatres
russes, Michalsen a observé une
amélioration de l'humeur des
patients qui jeûnaient. Il a
remarqué aussi une réduction de
la douleur et une meilleure
sensibilité des récepteurs à
l'insuline.
Il a également constaté que les
jeûneurs se montraient
davantage prêts à adopter après
le jeûne une vie plus saine et
donc propice à un maintien en
bonne santé.
Pr ANDrEAS MICHALSEN
(À la caméra)
Si j'avais fait des études sur
un nouveau médicament et si
j'avais obtenu ces résultats,
je recevrais à coup sûr, chaque
jour, un appel avec des
propositions...
des aides financières, de
l'argent pour la recherche.
Concernant le jeûne, on se
contente d'observer et de dire
"Hum, c'est intéressant." Mais
on n'encourage pas vraiment
cette recherche. Il faut
absolument que ça change.
C'est très facile pour les
détracteurs et les sceptiques
de dire qu'il n'y a pas assez
d'études quand on sait
qu'aucune aide financière n'est
accordée pour justement
réaliser ces études.
Images de l'Hôpital de la Charité à Berlin.
NARRATRICE
Michalsen ne se focalise plus
sur les mécanismes
fondamentaux du jeûne.
En tant que médecin
confronté chaque jour à un
nombre croissant de maladies
chroniques, c'est dans ce
domaine qu'il pointe les
manques.
Pr ANDrEAS MICHALSEN
(À la caméra)
Nous avons besoin de... deux
ou trois grandes et bonnes
études, je dirais, pour le
rhumatisme, l'arthrite
rhumatismale, le diabète et
l'hypertension. Trois études
pour convaincre, pour montrer
que le jeûne a toute sa place
dans l'arsenal thérapeutique,
au même titre que les
médicaments.
Retours aux images de l'Hôpital de la Charité à Berlin.
NARRATRICE
Il faudrait des millions d'euros,
mais les crédits ne se bousculent pas
à la porte du laboratoire de
Michalsen. Les détracteurs du
jeûne, de leur côté, ne cessent
de brandir un argument
péremptoire: ce serait dangereux.
Qu'en est-il exactement? Peut-on
fixer les limites du jeûne?
Impossible de mener ces
expériences sur l'être humain
pour d'évidentes raisons
éthiques. C'est de l'étude de la
faune sauvage que viendra la
réponse. Cette réponse va jeter
un éclairage saisissant sur les
mystères des mécanismes, mais
n'anticipons pas.
Images de manchots empereur en Antarctique.
NARRATRICE
Il existe, sur les terres
glacées du continent
antarctique, un drôle d'oiseau
qui fascine les chercheurs
depuis plusieurs décennies. Le
manchot empereur pratique le
jeûne de manière spontanée dès
qu'il retrouve sa colonie sur
la banquise.
Quand il couve son oeuf, en
attendant le retour de la
femelle, le mâle est capable de
se passer de nourriture pendant
environ quatre mois.
Faculté extraordinaire qui a
toujours étonné Yvon le Maho.
Très tôt, le chercheur s'est
posé la question.
Transition
Information à l'écran: [Pr YVON le MAHO CNRS Strasbourg membre, Académie des Sciences
Pr YVON le MAHO
(À la caméra)
Est-ce que le manchot empereur
n'est pas un jeûneur
professionnel qui a des
mécanismes que l'homme n'a pas?
Ou que des autres animaux
n'ont pas?
NARRATRICE
À Strasbourg, dans
son laboratoire du CNRS,
Yvon le Maho rassemble
la littérature existante en
Occident sur le sujet, mais ne
trouve pas la réponse. Quelques
certitudes néanmoins. Le jeûne
peut être dangereux, car en
s'alimentant sur ses propres
stocks, l'organisme puise dans
ses réserves de protéines.
Or, les protéines, ce sont les
muscles, et le coeur est aussi
un muscle. Lorsque la moitié
des protéines ont disparu,
c'est la mort.
Yvon le Maho et ses collègues
vont mesurer le pourcentage de
protéines consommées chez le
manchot pendant son jeûne. Ce
chiffre est déterminant pour en
fixer les limites.
Le résultat est remarquable.
Pendant la plus grande partie
du jeûne, les protéines
fournissent chaque jour
seulement 4% de la dépense
énergétique; 96% proviennent
des lipides. L'organisme
s'adapte parfaitement,
il économise ses protéines.
On peut donc diviser le jeûne
en trois étapes. Souvenez-vous:
le corps épuise en 24 heures sa
réserve de glucose, puis il en
fabrique à partir des réserves
protéiques. Débute alors une
deuxième phase pendant laquelle
il va économiser ses protéines
et utiliser en priorité les
lipides. Cette phase peut durer
très longtemps selon les
réserves de graisse
disponibles. Chez le manchot,
elle peut atteindre
les 100 jours sans problème.
Mais les réserves s'épuisent
petit à petit. Quand 80%
du stock de graisses a disparu,
les protéines ne sont plus
économisées. L'animal entre
en phase trois;
il doit se réalimenter avant
qu'il ne soit trop tard.
Mais le mécanisme est-il
identique chez les autres
animaux?
Jean-Patrice Robin, qui
travaille avec Yvon le Maho,
mène l'expérience avec des
rats, animaux qui n'ont pas la
réputation d'être des jeûneurs
professionnels. Pesées
quotidiennes, analyses
d'urine... Comment les rats
vont-ils s'adapter au jeûne?
Leurs protéines s'épuiseraient-elles
plus vite que celles des manchots?
Surprise: les résultats sont
comparables. Pendant la phase
deux, le rat économise ses
protéines de la même manière
que ne le fait le manchot.
Il n'y a donc pas de différence.
Un des mécanismes
fondamentaux du jeûne
qui permet de survivre
longtemps à la privation de
nourriture est un mécanisme
commun.
Cette observation ouvre une
perspective inattendue, aux
conséquences immenses.
Pr YVON le MAHO
(À la caméra)
Si le mécanisme est commun,
c'est que ce mécanisme, il a
existé dès qu'il y a eu des
animaux sur Terre.
Et l'homme, on voit qu'il a les
mêmes capacités. Donc le jeûne,
au lieu d'être quelque chose de
dangereux, c'est une adaptation
qui a existé dès les premiers
temps de la vie sur Terre et
qui, du moins, dans les limites
que nous avons définies, ne
présente aucun danger.
Images de manchots empereur en Antarctique.
NARRATRICE
La capacité à jeûner serait
donc un mécanisme
d'adaptation modelé par
l'histoire de l'évolution.
Du manchot à l'homme,
il n'y a qu'un pas.
Des travaux scientifiques ont
montré qu'un adulte de 1m70,
pesant 70 kilos, possède
environ 15 kilos de réserves de
graisse, de quoi tenir, s'il
est en bonne santé, une
quarantaine de jours.
Transition
Dr STEFAN DRINDA
(À la caméra)
Du point de vue de
l'évolution, il est probable
que la survie s'accompagnait de
périodes de jeûne. La situation
que nous avons aujourd'hui,
repas réguliers, frigo rempli,
n'est historiquement pas
normale.
Ainsi, il n'est pas étonnant que
le corps rencontre des
difficultés lorsqu'il ne jeûne
pas, quand il mange sans cesse.
Notre patrimoine génétique
semble être moins adapté à cette
situation qu'au jeûne.
NARRATRICE
Ainsi, notre organisme serait mieux
équipé pour supporter la carence
de nourriture que l'excès.
Le jeûne ne ferait donc
que réactiver des réflexes
ataviques, ancrés
dans la mémoire du corps?
Si l'hypothèse est fondée, si la
capacité de jeûner est héritée
de notre évolution, elle doit
pouvoir être observée dans le
code génétique.
Notre mémoire est là.
Mais qui serait assez fou pour
chercher ce que personne ne
cherche?
Images de la Californie, puis de VALTER LONGO.
NARRATRICE
Valter Longo est un jeune
chercheur italien qui travaille
dans un laboratoire de l'USC,
l'Université de Californie à
Los Angeles.
♪ [musique folk] ♪
NARRATRICE
Son domaine: la gérontologie ou
les mystères du vieillissement.
♪ [musique folk] ♪
NARRATRICE
À 16 ans, il immigrait aux
États-Unis dans l'espoir de
devenir une rock star. Il est
aujourd'hui un biologiste
internationalement renommé.
Comme tous les gérontologues,
Valter Longo a un but:
retarder les maladies
chroniques qui apparaissent avec
l'âge, repousser Alzheimer,
juguler le cancer, bref,
ralentir les effets du
vieillissement.
Des chercheurs ont montré que
réduire l'alimentation d'un
animal sur une longue durée lui
permet de vivre plus longtemps
et en meilleure santé.
Longo le sait.
Un jour, il décide de franchir
un pas décisif. Pourquoi ne pas
passer à la restriction
calorique extrême, le jeûne?
L'idée paraît saugrenue,
surtout dans les laboratoires
sophistiqués de Californie.
Pas pour Longo.
Il a l'intuition que le jeûne
pourrait protéger l'organisme
contre toutes sortes de
toxiques.
Il va tester l'un des produits
les plus toxiques qui soient,
la chimiothérapie, ce poison
destiné à détruire le cancer.
Il prend des souris atteintes de
cancer et les sépare en deux
groupes. Le premier groupe est
nourri normalement, le second
groupe jeûne 48 heures.
Information à l'écran
(Pr VALTER D. LONGO Biogérontologue Université de Californie (USC))
Pr VALTER D. LONGO
(À la caméra)
J'ai d'abord convaincu quelques
jeunes chercheurs que ce
n'était pas une idée
complètement folle. Imaginez,
vous privez quelqu'un de
nourriture, vous pensez qu'il
va s'affaiblir. Pas vrai?
C'est difficile, surtout pour
des jeunes, mais aussi pour nos
propres collègues. C'est
difficile d'imaginer que vous
pouvez supprimer la nourriture
à quelqu'un et qu'il devienne
plus fort.
NARRATRICE
Il injecte ensuite
aux souris de fortes doses de
chimiothérapie, des doses trois
à cinq fois supérieures à
celles autorisées chez les
humains. Des doses qui devraient
provoquer des effets
secondaires dévastateurs.
Les souris vont-elles résister à
un tel traitement?
Y aura-t-il une différence entre
celles qui ont jeûné et les
autres?
Longo est en déplacement quand
une collègue lui annonce les
résultats.
Pr VALTER D. LONGO
(À la caméra)
Elle m'a appelé et m'a dit:
"Tu ne vas pas croire les
résultats. On dirait que toutes
les souris qui ont jeûné sont
vivantes et que celles qui ont
mangé sont mortes."
Évidemment, j'étais très heureux
du résultat. C'était même mieux
que je ne l'espérais.
Et j'ai demandé qu'on répète
l'expérience dans deux labos
différents, et les résultats
ont été exactement les mêmes.
NARRATRICE
Sur ces images filmées
par le laboratoire, les
différences entre les deux
groupes de souris sont
flagrantes. D'un côté, celles
qui ont jeûné ont l'air en
parfaite santé. Elles bougent
normalement, leur poil est
lisse, les tissus ne sont pas
endommagés, les fonctions
cognitives semblent intactes.
Voici à droite les souris qui
ont mangé normalement. Au
final, 35% seulement ont
survécu. Mal en point, elles
restent terrées dans leur cage.
Des examens approfondis ont
montré que leur coeur, leur
cerveau aussi, étaient touchés.
La nouvelle fait l'effet d'une
bombe. À peine est-elle publiée
dans une revue scientifique que
la presse s'en empare. Les
résultats ne concernent pour
l'instant que les souris.
Qu'importe, les journalistes
relaient partout la bonne
nouvelle: le jeûne protégerait
des effets secondaires de la
chimiothérapie.
Le Norris Hospital de Los
Angeles, l'un des plus grands
centres anti-cancer des
États-Unis ici, 200 essais
thérapeutiques sont menés
chaque année prend la
découverte très au sérieux.
La direction de l'hôpital lance
un essai thérapeutique
avec des patients sans tarder.
Le docteur Tanya Dorff est
chargée de les superviser. La
jeune cancérologue est
enthousiaste. Sur le front du
cancer, ceux qui sont en
première ligne ont conscience
qu'il leur faut de nouvelles
stratégies.
Information à l'écran
(Dr TANYA DORFF Cancérologue Norris Cancer Hospital)
Dr TANYA DORFF
(À la caméra)
J'ai toujours pensé que c'était
dommage que nos armes contre
le cancer soient si destructives.
Elles attaquent tout ce qui
grandit et se divise de manière
indistincte.
Nous développons de meilleures
thérapies, plus ciblées. Mais
je pense que c'est très
intelligent d'essayer de
protéger l'organisme et
d'optimiser les dégâts causés
au cancer tout en réduisant
ceux faits aux cellules saines.
Images du Norris Hospital de Los Angeles.
NARRATRICE
Mais la prudence s'impose.
Peu de personnes ont été
recrutées pour le moment.
Cette patiente a jeûné 24
heures, d'autres, 48 heures.
Pas plus longtemps pour
l'instant. Il faut d'abord
prouver que le jeûne n'est pas
dangereux pour les malades
atteints de cancer. Car cette
approche révolutionnaire va à
l'encontre des recommandations
officielles qui préconisent au
contraire une augmentation des
calories et des protéines avant
chaque séance de chimiothérapie.
L'expérience doit peu à peu
s'élargir à un plus grand nombre
de malades.
L'argent ne manque pas;
fonds publics et fonds privés
affluent. En effet, ici, le
jeûne ne remplace pas le
médicament. Par la diminution
des effets secondaires, il
permettrait même d'augmenter
les doses de chimiothérapie.
Comme nous l'a confié
un médecin de l'hôpital:
"Imaginez un
traitement peu coûteux et
facile à mettre en oeuvre."
Information à l'écran
(Pr DAVID QUINN Cancérologue Directeur des essais thérapeutiques Norris Cancer Hospital)
Pr DAVID QUINN
(À la caméra)
Cet essai est très important.
Si nous prouvons que le concept
est juste, si nous parvenons à
démontrer que les patients ont
moins d'effets secondaires après
avoir jeûné, alors ce sera
potentiellement applicable
à de très nombreux patients.
Pas seulement pour un seul type
de cancer, mais peut-être pour
tous les cancers.
Images du Norris Hospital de Los Angeles.
NARRATRICE
L'essai thérapeutique va
prendre du temps.
Mais quand la vie est en
suspens, on accepte mal la
lenteur des protocoles. Nora
Quinn n'a pas attendu. Elle
n'a pourtant rien d'une tête
brûlée. Cette juge du comté de
Los Angeles a voulu nous
raconter son histoire, et par
la même occasion, rencontrer le
chercheur qui lui a redonné
espoir, comme elle le dit.
C'est en lisant un article de
Los Angeles Times qui décrivait
les travaux de Longo que Nora
Quinn a pris sa décision. On
venait de lui diagnostiquer un
cancer du sein.
Transition
NORA QUINN
(À la caméra)
Si j'avais attendu qu'ils aillent
jusqu'au bout de l'essai
thérapeutique, j'aurais
dû attendre 10 ans et je serais
morte de mon cancer du sein.
Je ne pouvais pas attendre.
J'ai eu de la chance. Ma
cancérologue s'est montrée
ouverte. Elle ne m'a pas
vraiment encouragée. Elle m'a
dit: "Si vous voulez jeûner,
allez-y. Je ne pense pas que ça
fera une quelconque différence,
mais allez-y."
Photos de NORA QUINN pendant sa lutte contre le cancer.
NARRATRICE
Nora Quinn doit suivre
cinq séances de chimiothérapie.
Elle redoute les effets secondaires,
surtout les troubles des fonctions
cognitives. Sous le contrôle
d'un ami médecin, elle jeûne
cinq jours avant la première
chimiothérapie. Elle se sent
bien et peut continuer à
travailler. Pour les deux
séances suivantes, son
oncologue la persuade de ne pas
jeûner. Elle supporte très mal
la chimiothérapie, se sent si
mal qu'elle décide alors de
jeûner avant les deux dernières
séances de chimio. De nouveau,
elle se sent beaucoup mieux.
Transition
NORA QUINN
(À la caméra)
Pour moi, il n'y a aucun doute
que j'ai eu moins d'effets
secondaires pendant mon
traitement. J'ai été moins
fatiguée. Et mes neurones ont
été moins atteints que ceux de
mes amis qui n'ont pas jeûné et
qui sont passés par les mêmes
cycles de chimiothérapie.
Je n'ai aucun doute là-dessus.
Photos de NORA QUINN pendant sa lutte contre le cancer.
NARRATRICE
Nora Quinn n'est
pas la seule malade à avoir
jeûné de manière spontanée.
Parmi la trentaine de personnes
qui ont tenté l'expérience, le
Norris Hospital a pu en
regrouper dix, consulter leur
dossier médical et récupérer
les analyses. Nora Quinn a fait
partie de cette étude dont les
résultats confirment ceux
observés chez la souris. Le
jeûne a rendu la chimiothérapie
plus supportable. Fatigue,
faiblesses, nausées et migraines
ont été considérablement
réduites. Mais si le jeûne
protège des effets
potentiellement dévastateurs de
la chimiothérapie, comment
agit-il sur la chimio elle-même?
La rend-il plus efficace ou pas?
Avant de répondre
à cette question cruciale,
il faut d'abord comprendre
par quel mécanisme
le jeûne protège les cellules
saines. Est-ce que le jeûne
provoque un changement de
l'expression des gènes?
Longo sélectionne des cellules
de foie, de coeur, de muscles.
Déroulons leur fil d'ADN. Voici
les gènes. Ces gènes dirigent
le travail de la cellule; leur
expression est normale. Après
deux jours de jeûne, Longo
constate un changement radical
de l'expression des gènes.
Certains sont surexprimés,
d'autres, sous-exprimés. Les
gènes modifient les fonctions
des cellules. Celles-ci se
mettent en mode de protection.
Bouleversement total, très
rapide, comme si cette capacité
provenait d'une mémoire très
ancienne.
Transition
Pr VALTER D. LONGO
(À la caméra)
Les cellules normales, ayant
appris toutes les leçons de
trois milliards d'années
d'évolution, se mettent en mode
de protection. Elles doivent le
faire parce qu'il y a peu de
glucose, peu de nourriture;
elles doivent se protéger
autant que possible. Et la
chimiothérapie est l'une des
choses contre lesquelles elles
doivent être protégées.
Images du Norris Hospital de Los Angeles.
NARRATRICE
Les cellules se protègent
donc par un réflexe atavique.
Yvon le Maho, le spécialiste
des manchots, nous avait mis
sur la voie.
Mais si le jeûne protège
les cellules saines,
ne protège-t-il pas
aussi les cellules cancéreuses?
Si c'est le cas, toute la
démonstration de Longo
s'écroule. Comparons donc une
cellule cancéreuse à une
cellule saine. Après deux jours
de jeûne, les gènes de la
cellule cancéreuse s'expriment
de manière opposée à ceux de la
cellule saine. Les cellules
cancéreuses ont subi des
mutations génétiques, elles ont
perdu la mémoire de
l'évolution. Les mécanismes de
protection ne se mettent pas en
place.
Transition
Pr VALTER D. LONGO
(À la caméra)
Les cellules cancéreuses
détestent cet environnement
où il y a peu de sucre, peu de
facteurs de croissance. Donc non
seulement elles ne sont pas
protégées, mais elles
deviennent plus sensibles à la
chimiothérapie. Elles peuvent
mourir, ou en tout cas, leur
croissance est ralentie. Et
donc, le jeûne peut ralentir
leur croissance même sans
chimiothérapie.
Images de la Californie.
NARRATRICE
"Même sans chimiothérapie",
nous dit-on.
Pour les cellules cancéreuses,
le jeûne se révèle donc un
cauchemar.
Pr VALTER D. LONGO
(À la caméra)
J'ai récemment fait une
présentation devant l'une des
plus importantes compagnies
pharmaceutiques du monde et
j'ai mis au défi les dirigeants
de l'entreprise de mettre au
point un cocktail de
médicaments. Pas un simple
médicament, mais un cocktail de
médicaments dont les effets
seraient plus puissants que ceux
du jeûne.
Information à l'écran
(Épilogue)
Des images de publicités de restaurants défilent pendant la narration.
NARRATRICE
Sommes-nous prêts
à penser le monde autrement?
Et si la consommation n'était
plus le totem de notre économie?
Et si le manque n'était plus
vécu comme une défaite?
Sommes-nous prêts, comme nous
le demandait le fils de Nikolaïev,
à mettre notre tête à l'envers?
Aujourd'hui, Alexey Kokosov
poursuit l'aventure de Nikolaïev,
mais les temps sont difficiles.
La chute du régime soviétique
dans les années 90 a
désorganisé le système de santé
publique. La pratique du jeûne
est devenue payante, trop
chère pour de nombreuses
bourses russes.
♪ [Musique, chant en russe] ♪
NARRATRICE
Il reste ce coin de terre, à des
heures d'avion de toute
métropole, où l'État lui-même
encourage et développe la
pratique du jeûne.
En route pour le sanatorium de
Goriachinsk, qui fête ses 200
ans, Kokosov retrouve son
ancien élève, le docteur
Bataeva. Kokosov a formé plus
d'une centaine de médecins en
Sibérie. Faut-il s'en étonner?
Ici, les ressources sont limitées,
l'équilibre écologique fragile.
Économiser est une nécessité.
Jeûner ne passe donc pas
pour une folie.
Ni pour une punition.
L'abstinence est fêtée
comme il se doit.
Il y a une fête dehors, près d'un bois. Les gens trinquent au champagne.
NARRATRICE
Médecin lui-même, défenseur
enthousiaste du jeûne, le
ministre de la Santé est venu
apporter un soutien zélé à la
pratique.
Le MINISTRE est sur une scène et s'adresse aux convives.
MINISTRE DE LA SANTÉ
Répétez après moi:
Pour le sanatorium de
Goriachinsk: trois fois Hourra!
[TOUS:] Hourra! Hourra! Hourra!
MINISTRE DE LA SANTÉ
Pour le jeûne thérapeutique,
trois fois hourra!
[TOUS:] Hourra! Hourra! Hourra!
C'est toujours la fête, mais la nuit est tombée. Un chanteur se promène de table en table en chantant de la musique russe.
NARRATRICE
Et si cette petite république
nous renvoyait finalement
à nos propres hésitations, aux
difficultés de notre modèle de
santé, qui s'apparente si
souvent à un marché de la
maladie, au mirage d'une
expansion sans limite, alors
que notre évolution nous ait
dessinés pour résister au
manque?
Générique de fermeture
♪ [Musique très douce] ♪
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