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Vidéo transcription
Mémoires d'un magasin général
Tandis que Julie (12 ans) rêve de quitter son petit patelin de l’Est ontarien pour devenir une grande cinéaste, elle fait la connaissance de M. Claude Provost, propriétaire du magasin général et vétéran de la Deuxième Guerre mondiale (et récemment décoré par l’Ordre de la Légion d’honneur française).
Réalisateur: Jocelyn Forgues
Acteurs: Guy Thibodeau, Jérôme Bourgault, Sarah Forgues
Année de production: 2010
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Générique d’ouverture
Une voiture circule sur la rue principale d’un petit village d’Ontario. Les cloches du passage à niveau sonnent au loin et le sifflet du train annonce son passage en plein coeur de la ville.
À l’extérieur d’une école, un autobus scolaire attend ses passagers. La cloche sonne.
PROFESSEUR (Narrateur)
Les élèves, n'oubliez pas
votre présentation orale
sur le jour du Souvenir.
Titre :
Mémoires d’un magasin général
Les élèves sortent de l’école. Un jeune garçon se précipite pour prendre sa bicyclette.
GARÇON
Bye, Julie!
JULIE est plus grande. Elle continue son chemin et met son casque protecteur avant d’enfourcher sa bicyclette. L’autobus scolaire part après avoir fait monter d’autres élèves. JULIE roule à vélo sur une route de campagne jusqu’à un grand bâtiment. Elle range son vélo le long d’un long banc de bois et entre dans le bâtiment par une porte de côté. Elle monte un escalier qui donne sur un comptoir de restaurant.
JULIE
Salut, [mot_etranger=EN]dad[/mot_etranger].PÈRE DE JULIE
As-tu fini tes devoirs?
JULIE
Relaxe. Je viens juste
de revenir de l'école.
Qu'est-ce qu'on mange
pour souper?
PÈRE DE JULIE
Tu soupes pas ici ce soir.
JULIE
Encore?
PÈRE DE JULIE
Envoye, fais tes devoirs.
JULIE
J'ai un projet à faire
sur le jour du Souvenir.
Il y a-tu quelqu'un
de notre famille qui est allé
à la guerre?
PÈRE DE JULIE
Non.
JULIE
Personne?
PÈRE DE JULIE
Bien, non.
JULIE
Une cousine? Mononcle Luc?
PÈRE DE JULIE
Non. Pourquoi mononcle Luc?
JULIE
Bien, je sais pas.
Il est vieux.
PÈRE DE JULIE
Envoye, va faire tes devoirs.
JULIE
Il faut que je trouve
quelqu'un.
PÈRE DE JULIE
Bien, tu peux toujours
demander à grand-père.
JULIE
Puis, pour mon camp?
Le camp des jeunes
cinéastes à Toronto,
je peux-tu m'inscrire?
PÈRE DE JULIE
M'as-tu montré le dépliant?
JULIE
(mot_etranger=EN]Dad[/mot_etranger)
, ça fait une semaine qu'il est sur l'ordià la maison.
PÈRE DE JULIE
Toronto…
C'est pas à la porte.
Et puis c'est pas donné,
ces camps-là.
JULIE
Mais il y a rien
d'intéressant à faire ici.
(Il soupire.)
PÈRE DE JULIE
Je vais regarder ça
ce soir. OK?
JULIE
(mot_etranger=EN]Dad[/mot_etranger)
?JULIE tend un bocal à son père.
PÈRE DE JULIE
Merci.
JULIE roule à vélo dans le village. Elle s’arrête devant une boutique d’art et encadrement, stationne son vélo et entre dans la boutique.
JULIE traverse la boutique qui en fait est plutôt un genre de magasin général.
CLAUDE PROVOST
Julie, est-ce que
je peux t'aider?
JULIE
Vous avez
des pizzas congelées?
CLAUDE PROVOST
On en a pas aujourd'hui,
du tout.
Malheureusement.
JULIE reprend son chemin dans le village, toujours à vélo.
Chez GRAND-PÈRE, on sonne à la porte. GRAND-PÈRE lit son journal dans le salon.
GRAND-PÈRE
Oui, je suis dans le salon.
JULIE entre et salue son grand-père.
JULIE
Allô, grand-père.
GRAND-PÈRE
Hé!
T'es pas à l'école,
toi, après-midi?
JULIE
L'école est finie.
Est-ce que quelqu'un de notre
famille est allé à la guerre?
GRAND-PÈRE
Dieu merci, non.
Mais j'ai beaucoup de respect
pour nos soldats canadiens,
mais c'est tout un risque
quand tu t'enrôles.
Pourquoi tu me demandes ça?
JULIE
Un projet d'école.
Faut soit parler
de quelqu'un de notre famille
qui est allé à la guerre
ou faire un rapport plate.
T'es certain que
tu connais pas personne?
GRAND-PÈRE
Dans notre famille, non, mais
il y a mon ami, Claude Provost.
JULIE
C'est qui?
GRAND-PÈRE
Monsieur Provost.
Du magasin général.
Je connais pas toute sa vie,
là, mais je sais
que c'est un vétéran
de la Deuxième Guerre mondiale.
Il pourrait surement
t'en parler.
GRAND-PÈRE montre une toile évoquant les premiers jours du magasin général.
Au magasin général, monsieur PROVOST sert une cliente.
CLAUDE PROVOST
Bien, voilà. Merci.
Merci beaucoup.
À plus tard, là.
CLIENTE
Bonne journée.
JULIE entre dans le magasin.
CLAUDE PROVOST
Bonjour, Julie.
JULIE
Allô.
CLAUDE PROVOST
Es-tu ici pour des bonbons?
Du chocolat?
JULIE
Non.
CLAUDE PROVOST
Non?
JULIE
Euh… Grand-père m'a dit
que vous êtes un vétéran.
CLAUDE PROVOST
Oui.
JULIE
Je pourrais vous poser
des questions?
CLAUDE PROVOST
Oui. Peut-être plus tard,
j'ai des clientes à servir
dans le moment. OK?
Tu veux attendre pour moi?
JULIE
Oui.
CLIENTE 2
Bonjour.
CLAUDE PROVOST
Allô.
CLIENTE
Tout va bien?
JULIE s’éloigne et sort du magasin.
Il fait nuit, le vélo de JULIE est stationné près d’une maison.
JULIE est dans le salon de monsieur PROVOST. Celui-ci apporte des verres. JULIE a installé une caméra sur un trépied.
CLAUDE PROVOST
Tiens ton verre d'eau.
JULIE
Merci.
CLAUDE PROVOST
Ça va bien, toi?
JULIE
Oui.
CLAUDE PROVOST
Puis, qu'est-ce que tu veux
savoir de moi ce soir?
JULIE
Hum…
Parlez-moi de votre jeunesse.
Monsieur PROVOST s’installe dans un fauteuil devant l’objectif de la caméra. JULIE, elle, s’assoit derrière la caméra.
CLAUDE PROVOST
Bien, j'ai été élevé
durant la crise.
Les choses étaient pas
comme aujourd'hui.
On avait pas de jouets
comme aujourd'hui.
On avait pas de luxe
dans ce temps-là.
Moi, je suis né en… 1921,
puis… l'aîné d'une famille
de dix enfants.
Des photos d’archives montrent la famille de monsieur PROVOST. Quatre enfants, lui debout et les trois autres assis dans une brouette.
CLAUDE PROVOST
Mon père était revenu
de la guerre deux, trois ans avant ça.
Une photo du père Provost dans son uniforme apparaît. Ensuite, d’autres photos d’archives montrent le régiment en Belgique et les camps des soldats.
CLAUDE PROVOST
Il était dans une
des dernières batailles,
la bataille de Mons en Belgique.
Puis il a entendu
les derniers canons tirer.
Ensuite, tout était
tranquille après.
Il y avait pas de guerre après.
Une autre photo montre monsieur PROVOST enfant avec son père devant le magasin général.
CLAUDE PROVOST
Quand il est revenu,
la crise commençait.
Le magasin puis la maison ici
et tout le terrain
du champ de balle
étaient offerts pour 5000 dollars,
puis personne voulait l'avoir.
Finalement, mon père a eu
un emprunt,
puis il a eu le magasin en 1931.
Puis moi, j'ai entré,
bien, en 1936-1937,
des fois en fin de semaine,
puis les jours de fête.
Puis vers l'année 1938,
j'étais permanent
dans le magasin jusqu'à 1942,
quand je suis parti
pour la guerre.
CLAUDE PROVOST pose en uniforme en hiver devant la maison familiale.
CLAUDE PROVOST
J'étais pour avoir un appel
quand même, ça fait que j'ai…
… je me suis «enlisté»
en octobre 1942.
Le carnet du soldat CLAUDE PROVOST apparaît. Ensuite apparaît la photo d’un train de l’époque.
CLAUDE PROVOST
J'ai fait de l'entraînement
à Ottawa et à Lansdowne Park.
On a pris le train
au mois de juin
jusqu'à Halifax.
On a traversé l'océan,
un bateau seul dans une mer
avec des sous-marins partout.
On était 5000 soldats.
Je dirais que 3000
ou 4000 avaient le mal de mer
pour trois, quatre jours.
Les repas consistaient,
le matin…
C'était des repas anglais parce
que c'était des bateaux anglais,
des bateaux passagers anglais.
Des fois, du poisson puis
des patates pour déjeuner,
quand on est bien malade…
Ça fait qu'on mangeait pas.
On vomissait tant qu'on pouvait.
Après trois, quatre jours,
quand ça s'est passé,
on arrivait à Liverpool.
Ça a pris sept jours
sur l'océan.
Un télégramme adressé à William Provost annonce son arrivée de CLAUDE à Liverpool.
CLAUDE PROVOST
À l'automne, j'ai été transféré
au sud de l'Angleterre,
dans un régiment écossais, le Cameron Highlanders d'Ottawa.
Une photo du régiment apparaît. CLAUDE est mis en évidence sur la photo.
CLAUDE PROVOST
Puis j'ai entré dans la…
dans la France
avec ce régiment-là
neuf jours après l'invasion.
Mais les Allemands
étaient seulement que 3000.
S'ils avaient décidé
de nous pousser dans la mer,
ils auraient pu le faire.
Mais ça a pris beaucoup de temps
avant qu'on passe
ces villes-là,
qui ont toutes été démolies.
Mais tout était démoli.
Tout ce qu'on voyait,
c'était des animaux
qui pourrissaient sur le champ,
plein de vermine.
La senteur de toute la…
la fumée des maisons
qui brûlaient,
puis les canons, ces choses-là.
La pourriture des animaux
puis des personnes,
fallait respirer ça
jour et nuit.
La poussière…
Tous les camions étaient
dans les champs,
c'était au mois de juillet,
c'était tout en poussière.
On voyait rien des fois.
Il y a des journées
qu'on voyait pas le soleil
avec la poussière.
On couchait en dessous des
camions, des fois dans la terre.
On faisait des trous
dans la terre,
des tranchées, pour dormir.
Mais on dormait pas.
Puis fallait la garde
durant la nuit aussi, bien,
à la noirceur.
On entendait quelqu'un
des fois qui criait,
quelqu'un qui se faisait tirer.
Les nuits étaient longues.
Plus tard, JULIE mange au restaurant de son père avec GRAND-PÈRE.
GRAND-PÈRE
Claude m'a dit que t'es allée
le visiter. Ça a bien été?
JULIE
Il est gentil. Il en connaît
beaucoup sur Moose Creek.
PÈRE DE JULIE
(Approchant de la table)
Tout est beau?
JULIE
T'as-tu décidé
si je pouvais m'inscrire?
PÈRE DE JULIE
Je sais pas, Julie.
JULIE
Je prendrais
d'autres pains d'abord.
PÈRE DE JULIE
Mange ta quiche!
GRAND-PÈRE
Voyons donc! Sers-tu
tous tes clients comme ça?
PÈRE DE JULIE
Papa!
GRAND-PÈRE
Mademoiselle veut
d'autres pains.
Le PÈRE DE JULIE s’éloigne.
GRAND-PÈRE
Tu me feras penser après
de pas lui laisser de pourboire.
Mais ton projet, là,
ça doit être presque fini?
JULIE
Oui.
Mais Monsieur Provost a piqué
ma curiosité sur Moose Creek.
GRAND-PÈRE
Ah! Je pensais que
c'était plate ici, moi.
JULIE
Savais-tu que
le magasin de Monsieur Provost
a été construit
dans les années 1800?
Et il vendait de tout.
C'était comme
un mini centre d'achat
et un centre communautaire
en même temps.
GRAND-PÈRE
Tu m'en apprends! Hum!
JULIE
J'ai découvert bien
des vieilles maisons
qui sont ici depuis longtemps.
GRAND-PÈRE
Oui, mais une communauté, là,
c'est pas tant les édifices
comme le monde qui y habite.
JULIE est devant son ordinateur et cherche des numéros dans le bottin téléphonique.
JULIE rencontre le curé dans le jubé de l’église.
CURÉ
Dis-moi, Julie, ce projet-là
que tu me présentes,
est-ce que c'est un projet de
classe? C'est quoi exactement?
JULIE
Oui, oui,
c'est un projet d'école.
CURÉ
C'est très intéressant.
Je te félicite.
JULIE
Merci.
JULIE interview le CURÉ devant la caméra avec la même méthode qu’avec Monsieur PROVOST.
JULIE
Êtes-vous originaire
de Moose Creek?
CURÉ
Non, malheureusement,
je ne le suis pas.
J'aimerais bien ça l'être,
mais non, je suis originaire
de Cornwall.
J'ai découvert Moose Creek
grâce à un confrère de collège.
Des photos d’archives montrent le village de Moose Creek à l’époque.
CURÉ
Premier été, en 1954, je crois,
il m'a invité, avec
un autre jeune confrère,
à venir passer quelques
jours ici, à la ferme.
Le matin, par exemple,
on attelait la jument,
comme on disait à l'époque,
et puis avec Madame Gibeault,
qui était organiste,
nous venions ici, à l'église,
pour la messe de 7 heures.
Ensuite, on allait
au magasin général,
chercher des… des épiceries,
des choses comme ça.
Pour nous, habitués à la ville
avec des grands magasins,
se retrouver
dans un magasin général,
où on retrouvait de tout,
c'était quand même
une expérience.
Une photo d’archives montre l’intérieur du magasin général dans les années 50. Deux longs comptoirs de service en bois devant lesquels des tabourets sont disposés pour les clients.
CURÉ
Le magasin général,
c'était comme être
(mot_etranger=EN]the hub[/mot_etranger)
,comme on dit en anglais.
C'était au coeur
de la vie du village.
JULIE se rend à la crique d’où la ville porte le nom.
VIEUX DU VILLAGE
Le nom de Moose Creek,
c'est pas clair comment est-ce
que ça a été… ou par qui.
Mais d'après moi, c'est…
c'est les chasseurs
qui ont trouvé
que le ruisseau ici
avait de l'orignal.
Et puis c'est le même
ruisseau qui passe ici
qui passe à Lemieux.
Lemieux était appelé
le petit Moose Creek.
Ici, c'était le grand Moose Creek.
À l’automne, le ruisseau coule entre des rochers. Plusieurs témoignages des gens plus âgés du village se succèdent.
AUTRE VIEUX DU VILLAGE
Nous autres, ici, ils ont pas
mis l'électricité avant 1947.
Ça a fait un gros «change»
comme de raison parce que…
avant ça, on tenait 1500 poules,
comme, à trois poulaillers.
Ma mère se levait à 4 heures du matin
pour allumer les «fanals»
pour mettre l'herbe
pour les poules.
Plus qu'elles commencent
à manger de bonne heure,
plus qu'elles pondent.
Comme ça, fallait
que ça prenne de la clarté.
Après qu'il y avait ça, bien,
avec l'électricité,
il y a un [mot_etranger=EN]timer[/mot_etranger], les lumièress'allumaient toutes seules,
puis elles «s'éteindaient»
toutes seules.
C'était un gros «change».
Une dame d’un certain âge témoigne.
VIEILLE DAME
Quand on a eu l'électricité,
mes grands-parents restaient
à la Septième Concession.
Ils ont eu un radio.
Ça fait que mes parents,
un soir, ils disent:
«Bon, là, on va aller
écouter la radio.»
Nous autres,
on se regarde tous, tu sais.
Nous autres, on pouvait pas
y aller tout le monde, là.
Ça fait qu'ils sont
trois ou quatre.
Ils sont allés écouter
la radio. On s'est dit:
Qu'est-ce que
c'est que ça, un radio?
On connaissait pas
la radio, tu sais.
JULIE continue sa tournée. Elle s’approche d’une autre DAME ÂGÉE.
JULIE
Bonjour.
C'est pour vous.
JULIE offre une carte décorée d’un montage avec une photo.
JULIE
C'est une photo de vos fleurs
que j'ai prise l'été passé.
DAME ÂGÉE
C'est bien beau!
JULIE
Je fais un petit projet
et mon grand-père m'a dit
que vous pourriez peut-être
répondre à mes questions.
DAME ÂGÉE
Viens, on va rentrer.
JULIE suit la dame dans sa maison et fait une entrevue avec elle.
DAME ÂGÉE
Moi, je suis allée
à une petite école de campagne.
D'abord, quand j'ai commencé,
il y avait pas l'électricité
à l'école non plus.
Donc, on avait pas
l'eau courante dans l'école, là.
On allait boire au puits dehors.
On chauffait l'école au bois.
On avait ce qu'on appelait
un [mot_etranger=EN]box stove[/mot_etranger].Une photo d’archives montre une classe d’enfants de l’époque.
DAME ÂGÉE
Puis les gens rentraient
du bois dans l'école,
une bonne cordée de bois dans
l'école pour durer la journée.
Bien, c'est certain
que la guerre,
ça a affecté la communauté.
AUTRE VIEUX DU VILLAGE
Il y en a plusieurs
de Moose Creek
qui sont allés dans l'armée.
Quand t'allais reconduire
quelqu'un au train
pour s'en aller dans l'armée,
c'était quelque chose.
VIEUX DU VILLAGE
Les familles étaient tristes
comme de raison
parce qu'aujourd'hui,
ils savaient pas…
Des fois, ils avaient une lettre
d'eux autres une fois par mois.
C'était pas comme aujourd'hui.
Aujourd'hui, ils l'ont
instantanément,
mais dans ce temps-là,
on s'attendait toujours…
On guettait les journaux.
On avait les nouvelles
des journaux.
Mais c'était toujours
les journaux
des nouvelles de deux semaines,
trois semaines en arrière, hein.
On savait jamais exactement
ce qui se passait.
Le témoignage de CLAUDE PROVOST se poursuit.
CLAUDE PROVOST
On avançait toujours, hein.
Des fois, on arrivait
à une place, il fallait faire…
creuser une tranchée,
puis c'était pas de la terre.
C'est ce qu'ils appelaient
une sorte de craie.
C'est blanc. Ça prend un pic
puis une pelle pour pelleter.
Bien souvent, on venait juste
de finir de faire un…
une place pour nous,
une tranchée,
fallait embarquer dans le camion
et avancer plus loin.
Ça fait que…
On déménageait beaucoup
dans la nuit, pas de lumière.
Il y avait presque pas
de nourriture.
Sur une vieille photo, CLAUDE pose dans la porte d’un baraquement de l’armée.
CLAUDE PROVOST
Toute la nourriture,
c'était tout… sec.
Pas de pain. Des biscuits secs.
Des patates en flocons.
Fallait que ce soit dilué
avec de l'eau.
Des oeufs en poudre.
Beaucoup de pruneaux.
Avec beaucoup de guêpes.
Ils faisaient de la cuisson,
puis les guêpes sentaient ça
et elles revenaient,
puis elles tombaient dans les…
dans les pruneaux.
Une autre photo d’archives montre le Régiment passé en revue par un officier.
CLAUDE PROVOST
C'était un régiment
qu'ils appelaient
un «support regiment».
C'était plutôt pour supporter
les autres régiments,
s'ils avaient besoin d'aide.
On avait un camion avec des
«réparages» pour les fusils,
les mitrailleuses,
on avait du linge.
Dans le jour,
on avait de la marchandise
qu'on allait délivrer
aux lignes.
Les canons étaient en arrière
de nous autres bien souvent.
Les balles des canons
nous passaient
au-dessus de la tête
pour une journée.
Continuellement.
On pouvait pas parler ni rien.
Ça continuait. Ça nous passait
tout au-dessus de la tête, ça.
Les canons étaient en arrière
de nous autres,
puis l'infanterie
était en avant.
Il y en avait qui allaient aux
lignes, puis ils revenaient pas.
Fallait les enterrer. Souvent,
on avait un camion qui venait.
Avec des corps
seulement enveloppés
dans des couvertes, hein.
On avait des prisonniers allemands
qui creusaient des tranchées,
des fosses. Nous autres,
on avait deux câbles.
On les… laissait glisser
dans les tombes.
Seulement avec une couverte.
Pas de cercueil.
Le CURÉ évoque ses souvenirs du temps de la guerre.
CURÉ
Mes oncles étaient tous
au front. Chez ma grand-mère,
on avait mis sur le mur
une grande carte de l'Europe.
Et puis ma grand-mère tenait,
en autant que c'était possible,
tenait compte
où étaient mes oncles.
Et puis elle nous expliquait ça.
À tous les jours,
fallait se mettre à genoux,
prier pour nos mononcles
qui étaient au front,
qui ont combattu.
C'est un miracle
qu'ils soient revenus.
JULIE roule à vélo le long du cimetière. Ensuite, le témoignage de Monsieur PROVOST se poursuit.
CLAUDE PROVOST
Mais pour savoir
qu'est-ce que la guerre était,
faut presque avoir été là.
Pour avoir l'expérience,
la peur, la misère, ce qui s'est passé.
Sans ça, on peut voir
des photos, des films,
ces choses-là,
mais ça nous dit rien.
Étant là,
c'est pas pareil du tout.
La crainte qu'on avait, la peur.
Puis privé
de beaucoup de choses,
de nourriture, de sommeil.
Puis souvent, bien, on passait
près de perdre la vie aussi.
JULIE s’arrête devant une pierre tombale érigée à la mémoire des anciens combattants des deux Grandes Guerres.
CLAUDE PROVOST (Narrateur)
La guerre a fini le 8 mai.
On était dans un champ,
puis il y avait des rumeurs
que la guerre était terminée.
Mais il y avait rien
de définitif pour nous autres.
JULIE écoute le récit d’un couple de personnes âgées.
HOMME ÂGÉ
Mes parents étaient…
assis dehors.
J'ai été dire à mes parents
que la guerre était finie,
puis ils me croyaient pas.
Alors…
il a fallu que j'insiste
pour qu'ils viennent
écouter la radio,
puis ils croyaient pas ça
que la guerre était finie.
VIEUX DU VILLAGE
Quand ils ont su ça, là,
je m'en rappelle,
ma mère pleurait.
AUTRE VIEUX DU VILLAGE
Moi, j'avais 16 ans.
Ils commençaient à appeler
à 17 ans dans le temps.
OK? Je commençais à y penser.
DAME ÂGÉE
Ce que je me souviens…
quand ça a fini,
je me souviens
que le téléphone sonnait.
Puis nous autres,
c'était le téléphone, là,
à «crinque», là.
Puis quand il y avait
quelque chose de spécial,
il sonnait, il sonnait,
puis il sonnait.
Puis là, bien, tout le monde
allait écouter.
JULIE s’arrête devant l’église. Les cloches sonnent. Ensuite, les témoignages successifs se poursuivent.
VIEILLE DAME
Les cloches
sonnaient à l'église.
On allait tous à une messe
ou à un service à l'église.
Et puis, entre autres,
il y avait Monsieur Gibeault,
il était tellement content.
Lui-même était pas allé
à la guerre, je pense,
mais il avait vécu ça
beaucoup, hein?
Alors là, il se promenait
avec sa voiture dans le village,
des aller-retour, tu sais,
comme… Tout énervé.
Et les cloches ont sonné
pendant je sais pas
combien de temps.
Tu sais, la guerre est finie.
VIEUX DU VILLAGE
C'est moi puis mon beau-frère
qui avons sonné les cloches.
Quinze minutes
sans arrêter. Oui.
CURÉ
C'est toute une génération
qui a été fauchée.
Alors, c'est bon qu'aujourd'hui,
qu'on se souvienne de cela.
Il faudrait que notre jeunesse
actuelle n'oublie jamais
les sacrifices inouïs
de toute une génération.
CLAUDE PROVOST
Mais finalement,
la journée ensuite,
ils nous ont dit
que c'était vrai
que la guerre était terminée.
Ils m'ont retourné
à mon régiment,
qui était en Hollande.
Il a fallu rester
en Hollande jusqu'au…
30 octobre
avant qu'on puisse avoir un
bateau pour revenir au Canada.
Parce qu'il y avait tellement
de soldats à revenir.
Le certificat de décharge de CLAUDE PRÉVOST apparaît.
CLAUDE PROVOST
Je suis revenu au Canada,
puis mon ouvrage m'attendait.
Monsieur PRÉVOST sert une cliente dans son magasin.
CLAUDE PROVOST
Ça fait que j'ai recommencé
dans le magasin
deux semaines après mon retour.
Puis c'était normal.
JULIE est chez elle, elle joue du piano en écoutant ses entrevues sur son ordinateur.
CLAUDE PROVOST
Allez à la guerre,
c'est pas drôle.
Monsieur PRÉVOST se recueille devant le monument aux anciens combattants.
CLAUDE PROVOST (Narrateur)
Quand j'ai…
été sur le bateau, là,
je me suis retourné,
j'ai regardé en arrière,
j'ai dit: «Peut-être que je reviendrai
jamais ici.»
C'est quelque chose
quand on est jeune.
Puis on sait jamais
qu'est-ce qui va nous arriver.
Même quand on est arrivés
dans la France…
… on a pensé peut-être
qu'on était tous pour rester là.
Sous terre.
Près de l’épaule de CLAUDE PROVOST, une photo de lui dans les années de guerre apparaît.
JULIE montre son reportage à son grand-père.
GRAND-PÈRE
Ouf…
Bravo, Julie.
On dirait une vraie production
des Beaux Dimanches.
JULIE
J'ai pas pu tout mettre.
GRAND-PÈRE
Ah, mais…
c'est dans leurs choix
qu'on peut apprécier le talent
des grandes réalisatrices.
Ton père a-tu vu ça?
JULIE
Pas encore.
GRAND-PÈRE
Ah, il faut lui montrer.
Avec un talent
comme le tien, là,
il peut pas te refuser
d'aller à ton camp de cinéma.
JULIE
On a pas l'argent cette année.
GRAND-PÈRE
En tout cas,
si t'as pas une bonne note…
Je peux le garder?
GRAND-PÈRE s’empare du dépliant du camp posé sur la table du salon.
JULIE
Oui.
À l’école des applaudissements retentissent après les présentations.
PROFESSEUR (Narrateur)
Bravo, Julie.
C'est très réussi, ta vidéo.
La cloche de l’école sonne. Les autobus scolaires attendent la sortie des élèves. Au magasin général, tous les participants à la vidéo sont réunis pour accueillir JULIE et la féliciter.
GRAND-PÈRE
(Approchant de la fenêtre)
Elle s'en vient.
Vite, vite, vite! Dépêchez-vous!
JULIE s’arrête au magasin général. Elle entre. Tous l’accueillent avec des applaudissements.
GRAND-PÈRE
Tout le monde, je vous présente
Julie, ma petite-fille.
PÈRE DE JULIE
Et ma fille.
GRAND-PÈRE
Oui, la plus grande
réalisatrice de Moose Creek.
Sur le comptoir du magasin général, à côté d’un présentoir de coquelicots pour la fête du Souvenir, l’ordinateur de JULIE montre une image de CLAUDE pendant la guerre.
CLIENTE
Très beau film, Julie.
JULIE
Ah, merci.
GRAND-PÈRE
Monsieur le président
du Club Optimiste.
PRÉSIDENT DU CLUB OPTIMISTE
J'ai entendu dire
que tu voulais aller étudier
dans un camp de cinéma
à Toronto.
GRAND-PÈRE
Et la communauté
s'est cotisée et…
PRÉSIDENT DU CLUB OPTIMISTE
On a ramassé assez
pour ton voyage.
JULIE
Vraiment?
PRÉSIDENT DU CLUB OPTIMISTE
Oui.
JULIE
Mais, grand-père, je connais
pas vraiment tous ces gens-là.
GRAND-PÈRE
Oui, mais, Julie,
c'est ça, une communauté.
Le PHOTOGRAPHE du journal local prend une photo.
PHOTOGRAPHE
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Tous applaudissent et acclament leur nouvelle vedette.
TOUS
Wouh!
Dans le village le train siffle en passant au passage à niveau.
Générque de fermeture
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