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Vidéo transcription
Destierros
Les mécanismes frontaliers qui agissent sur les migrants sont multiples. De refuge en refuge, en empruntant les trains, les migrants prennent direction Nord à travers le Mexique pour atteindre les États-Unis et le Canada. À la veille de l’élection américaine, ils savent que ce pourrait être leur dernière chance de franchir la frontière.
Réalisateur: Hubert Caron-Guay
Année de production: 2017
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Presque tous les dialogues de ce documentaire sont en espagnol et ont été traduits pour les sous-titres et retranscrits ici. Tous les témoignages des migrants présentés ici ont été filmés en ne laissant voir que leur visage éclairé dans l'obscurité. D'une scène à l'autre, on suit presque toujours des migrants différents.
Début film
La nuit, un homme avec un petit sac à dos marche sur un semblant de sentier dans les bois. Au bout d'un moment, il arrive près d'un feu de camp presque éteint avec une moustiquaire tendue à des arbres. Il passe à côté et continue son chemin. Il regarde autour de lui, cherchant quelque chose.
Une voiture de police mexicaine est garée au bord d'une route.
Titre :
[mot_etranger=ES]Destierros[/mot_etranger]
De nombreux migrants attendent dans la cour d'un refuge, discutant en espagnol de manière entremêlée.
VOIX DU RESPONSABLE
Avancez!
En avant.
Un jeune homme fait signe à d'autres hommes d'avancer dans une direction.
VOIX DU RESPONSABLE
Avancez, camarades.
Les hommes s'avancent lentement.
VOIX DU RESPONSABLE
Silence, s'il vous plaît.
Passez, camarades.
VOIX D'UN VOLONTAIRE
Silence!
Les hommes se rassemblent autour du RESPONSABLE du refuge, qui se tient au centre de la cour, et ils se taisent pour l'écouter.
RESPONSABLE
Alors, camarades.
Nous sommes nombreux.
Nous sommes nombreux,
n'est-ce pas?
Je vous demanderais un peu
de patience et de compréhension.
Observons un instant de silence
et louons humblement Dieu,
cet être supérieur à qui nous
avons confié nos vies quand
nous avons quitté nos maisons
et nos pays.
Demandons à Dieu de rester
avec nous, et notre famille,
et de nous donner la force.
Qu'il nous délivre de tous
les dangers qui guettent
notre âme et notre corps,
et qu'il nous aide à vivre
en harmonie, sans s'attirer
d'ennuis, en construisant
des liens d'amitié et de solidarité.
Observons un moment de silence
pour prier.
Tous les hommes et les femmes rassemblés autour de la cour du refuge restent silencieux un moment. Beaucoup ont les yeux fermés et la tête baissée dans une attitude de recueillement.
RESPONSABLE
Amen.
S'il vous plaît, mettez
vos portefeuilles et vos cellulaires
dans vos sacs à dos, et attachez
vos souliers à votre sac à dos,
afin que personne ne perde rien
pendant la nuit. Faites preuve
de respect dans les dortoirs,
pour que tout le monde puisse
se reposer dans le calme.
Bonne nuit.
Les migrants applaudissent. Plusieurs groupes se dirigent vers les dortoirs à l'intérieur pendant que d'autres attendent en file.
VOIX DU VOLONTAIRE 1
Vous pouvez aller là-haut,
s'il vous plaît.
VOIX DU VOLONTAIRE 2
Deux de plus.
VOIX DU VOLONTAIRE 3
Quatre.
VOIX DU MIGRANT
Est-ce qu'on peut dormir dehors
pour pouvoir entendre le train?
VOIX DU VOLONTAIRE 2
Tu seras levé avant qu'il passe.
VOIX DU VOLONTAIRE 1
Montez, s'il vous plaît.
Vous deux.
En haut, s'il vous plaît.
VOIX DU VOLONTAIRE 3
Allez en bas.
Les hommes dans la file se dirigent vers l'intérieur, guidés par un volontaire.
VOLONTAIRE 1
En bas maintenant.
VOLONTAIRE 2
Encore quatre.
VOLONTAIRE 1
(S'adressant à un migrant )
Tu peux aller là-bas.
C'est plein ici.
Demande-leur de te faire
de la place.
Un autre migrant, qui est juste devant dans la file s'adresse au VOLONTAIRE 1.
MIGRANT 1
Nous sommes ensemble.
VOLONTAIRE 1
Non, il y a de la place
pour toi ici.
MIGRANT 2
On partira ensemble.
VOLONTAIRE 1
Oui, on vous réveillera tous.
Les deux migrants se séparent.
VOIX DU VOLONTAIRE 1
Amène-les par ici!
VOLONTAIRE 3
(Montrant de la main)
Par ici, s'il vous plaît.
Suivez la file.
VOIX DU VOLONTAIRE 4
Il faut éteindre la lumière.
VOLONTAIRE 3
Par ici, s'il vous plaît.
Les migrants continuent à être répartis entre différents dortoirs.
VOIX D'UN MIGRANT
Par là?
VOLONTAIRE 3
Oui. Suivez la file.
La lumière de la cour est éteinte.
Une JEUNE FEMME témoigne.
JEUNE FEMME
Venir ici n'était pas planifié.
Nous avons emprunté
un chemin, et beaucoup de choses
sont arrivées sur la route.
Quand nous sommes arrivés
au Guatemala, on a dû faire
un détour. On ne pouvait pas
passer puisqu'on nous demandait
de l'argent.
Après, à proximité du Mexique,
on a dû prendre un bateau.
Plus tard, on a rencontré un gang.
Ils ont agressé des gens devant nous.
Ils leur ont sauté dessus,
les ont volés, et battus avec
des bâtons et des pierres.
Nous avons vu ça
et nous sommes partis en courant.
On a changé de route,
pour passer à travers la forêt.
Quand on est sortis de là,
les gens nous regardaient
de façon suspicieuse
parce qu'on avait l'air de voleurs.
On a marché, donc on était
bien sales. En demandant
des directions, on est arrivés ici,
au refuge. Quand nous sommes
arrivés, ils nous ont très bien
traités. Ils nous ont posé des
questions, ils nous ont emmenés
voir le médecin, et nous ont donné
des vêtements. Ils nous ont
demandé avec qui on voyageait,
et on a dit qu'on était seuls.
Ils nous ont soutenus,
et nous ont parlé du refuge.
Nous avons pris refuge ici.
Nous sommes dans un refuge
et nous sommes bien ici,
parce qu'ils s'occupent bien
de nous. Même si nous sommes
nombreux, ils nous traient comme
si nous étions tous uniques.
La vérité, c'est que j'ai quitté
parce qu'il y avait plusieurs
membres de gang qui voulaient
enlever les femmes pour qu'elles
fassent partie de leur gang.
Ils voulaient que les femmes
restent avec eux. Et si tu ne leur
obéissais pas, ils pouvaient tuer
ta famille. Ou bien ils te menaçaient.
Quand j'ai décidé de fuir, c'était
parce qu'un d'eux m'a demandé
de travailler avec eux, mais
je ne l'ai pas fait. Ils voulaient que
je leur vendre une de mes amies.
Ils m'ont offert de l'argent
en échange. Je leur ai dit non,
que je ne voulais pas, parce que
c'était une amie à moi.
Et parce que nous sommes tous
des êtres humains, vous valons
tous la même chose.
Donc je ne l'ai pas fait.
Comme j'ai refusé, ils sont venus
chez moi et ont battu mon cousin
à coups de marteau. Ils lui ont
détruit les doigts. Ils l'ont battu
à coups de pieds. Puis ils ont
pillé ma maison, volé et battu
ma famille. Alors toute ma famille
s'est dispersée, dans différentes
directions. Ma mère a décidé
qu'on devait venir ici un par un,
parce que s'ils réalisaient qu'on
partait tous en même temps,
ils pouvaient tenter de tous nous
tuer. Alors nous avons quitté
notre maison un par un.
Maintenant, ils attendent que
je me rende à la ville de Mexico,
pour que le suivant prenne
la route, et ainsi de suite.
On ne pouvait pas partir tous
en même temps, pour éviter
de trop attirer l'attention.
Le jour, un jeune homme marche sur un sentier dans les bois avec une machette. Il coupe une branche et la met de côté.
Le jeune homme marche sur le sentier, tenant plusieurs branches dans une main. Il rejoint d'autres jeunes hommes, qui coupent eux aussi du bois. L'un d'eux prend une grosse brassée et la place sur son épaule, puis ils marchent ensemble sur un sentier.
Un HOMME témoigne.
HOMME
La première fois, en 2007,
ils m'ont arrêté aux États-Unis.
Puis la deuxième fois,
ils m'ont attrapé à Coatzacoalcos,
Veracruz. La troisième fois,
ils m'ont attrapé à San Luis.
Puis deux fois à Monterrey.
Et les autres fois, j'ai été déporté
des États-Unis. J'ai décidé de
partir du Honduras à cause
de mon orientation sexuelle,
je suis homosexuel.
J'étais discriminé et menacé.
Récemment, quand ils m'ont
déporté des États-Unis,
je n'ai pas osé rester plus
de cinq jours avec ma mère.
Quand je suis parti de chez moi,
je n'avais que 22 dollars.
Je les ai utilisés pour arriver
à la frontière entre le Honduras
et le Guatemala. Puis je me suis
senti coincé, parce que j'ai vu
beaucoup de choses qui se sont
passées sur la voie ferrée.
Des personnes battues, d'autres
jetées du train. On a même tiré
sur quelqu'un l'autre jour.
Comme je l'ai dit, je suis déjà
passé par ici huit fois,
mais récemment on m'a
déporté des États-Unis.
J'étais à Los Angeles.
C'est comme ça que j'ai atterri ici.
Je lutte pour obtenir l'asile
politique aux États-Unis,
mais je ne sais pas comment
avance mon cas, parce que
j'ai été déporté ici. Maintenant
j'essaye d'avoir l'autorisation
pour poursuivre ma route.
Je suis allé aux bureaux
de l'immigration pour voir
s'ils peuvent m'aider à aller
de l'avant. Je ne veux pas
perdre mon statut de réfugié.
Mais ils disent que le processus
prend trois mois. Maintenant,
c'est la deuxième fois que
je demande l'asile.
Donc ils m'ont dit que je dois
attendre quatre à cinq mois.
Parfois je désespère, mais
comme le dit ma famille,
je ne perds rien à attendre.
Prendre le train en ce moment
est trop risqué. Tout le monde
répète que c'est très dur,
que c'est très difficile d'atteindre
le nord. Et maintenant avec
les contrôles d'immigration,
des gens se font attraper
à chaque départ de train.
Alors je ne sais pas. Parfois,
j'aimerais reprendre la route.
Il m'arrive de perdre espoir.
Un jeune homme portant une poubelle en plastique et le jeune homme avec la grosse brassée de bois sur l'épaule reviennent jusqu'au refuge.
HOMME (Narrateur)
Ici, si tu ne fais rien pour
t'occuper l'esprit, tu as
l'impression d'être en prison.
Si tu ne fais que dormir et dormir,
ça peut te traumatiser ou te faire
perdre la tête.
Le jeune homme dépose sa machette dans un coin, puis apporte la brassée de bois jusqu'à une énorme pile de branches dans la cour du refuge. Un autre jeune homme ajoute une très grosse branche sur le tas.
À l'intérieur du refuge, de la musique joue. Plusieurs jeunes hommes consultent leur téléphone.
Un soir au refuge, de la musique joue et des gens dansent avec entrain dans la pénombre. Ils poussent par moments des exclamations enthousiastes, s’exclament et chantent.
Dans la cour, plusieurs hommes avec des sacs à dos se rassemblent. Un VOLONTAIRE se hâte d'aller leur ouvrir la porte et les hommes sortent. D'autres hommes s'élancent à leur suite.
VOLONTAIRE
Courez si vous voulez l'attraper!
Les hommes courent jusqu'à une route, puis continuent à courir à travers la ville. Une petite fille se trouve parmi eux.
VOIX D'HOMME
Nous partons pour le Nord.
Un autre homme pousse un cri d'enthousiasme.
Les hommes sont maintenant rassemblés près d'une voie ferrée.
VOIX D'HOMME 2
Vive la Bête!
Un train de marchandises se prépare au départ. Un employé avec un talkie-walkie s'affaire à fixer deux wagons ensemble à la lueur d'une lampe de poche. Il passe un appel avec son téléphone.
VOIX D'HOMME 3
La numéro 2.
La numéro 4 est morte.
Elle est morte.
Elle n'a plus d'essence.
Plusieurs hommes grimpent entre les deux wagons qui viennent d'être attachés ensemble pour passer de l'autre côté du train, puis ils attendent. L'employé les ignore.
Un HOMME TORSE NU attend à l'écart. Le train démarre lentement.
HOMME TORSE NU
(Pointant le train)
Il s'en va à Cancún.
Et il revient demain.
Le train bouge lentement à côté des hommes.
HOMME 1
On pourrait essayer maintenant?
HOMME 2
Essaie de t'y accrocher.
Le premier homme fait un essai, s'accrochant à l'échelle d'un des wagons et montant dessus, puis il redescend. Le deuxième homme fait à son tour un essai, grimpant à l'échelle d'un wagon.
VOIX D'HOMME
Le prochain train qui s'en vient
ira plus vite.
Le deuxième homme saute de l'échelle pour redescendre et le premier s'adresse à lui.
HOMME 1
Ne te jette pas comme ça.
Il faut que tu te penches
en avant.
Le train continue à se déplacer lentement. Les hommes attendent à côté. Au bout d'un moment, le train s'immobilise. Des hommes discutent en regardant les wagons.
Les hommes continuent à attendre. L'un d'eux retire son bonnet, se passe la main dans les cheveux, soupire profondément, puis remet son bonnet en place. Il ferme les yeux et bouge silencieusement les lèvres. L'homme à côté de lui lui parle doucement.
Un groupe d'hommes attend juste à côté des wagons. L'un d'eux, qui est plus expérimenté, s'adresse au PÈRE de la petite fille.
HOMME EXPÉRIMENTÉ
Je ne vous recommande pas
de prendre la petite avec vous.
(Montrant le train)
Regarde, il n'y a pas de wagons
à toit ouvrant. Ta fille ne sera
pas capable de tenir comme ça
pendant dix heures. Comment
vas-tu faire pour la faire monter?
Le PÈRE répond quelque chose.
HOMME EXPÉRIMENTÉ
C'est ta décision.
Sais-tu ce que tu fais?
Penses-y. Comment va-t-elle
s'accrocher à un wagon couvert
pendant huit ou dix heures?
Le PÈRE et sa fille s'approchent du train pour l'examiner.
PÈRE
Bien sûr que je vais l'amener.
Il pose la main sur l'épaule de sa fille et sourit, puis rejoint le groupe. Un deuxième homme plus expérimenté discute avec le premier.
HOMME EXPÉRIMENTÉ 2
Mais il y a la petite fille...
C'est mieux quand il y a
un toit ouvrant. C'est plus
facile de s'y accrocher.
HOMME EXPÉRIMENTÉ
Tu t'accroches à la porte.
Le train se déplace à nouveau.
HOMME EXPÉRIMENTÉ 3
(S'adressant au PÈRE)
Plein de wagons couverts
viennent d'arriver.
Que des wagons couverts.
Le PÈRE et sa fille s'éloignent du groupe, examinant le train à nouveau.
Un jeune homme noue son lacet. Des aboiements retentissent au loin.
VOIX D'HOMME
(Criant)
L'immigration!
Plusieurs hommes s'enfuient aussitôt en courant, d'autres hésitent sur la direction à prendre, puis se mettent à courir à leur tour. Beaucoup continuent à attendre près du train.
VOIX D'HOMME 2
On s'en va. Je pense
qu'il y a trois agents par là.
Le reste des hommes se mettent à courir à leur tour. Ils se glissent entre les bâtiments de la gare et s'éloignent à la hâte.
Un homme longe la voie ferrée en courant, puis ralentit un peu plus loin, rejoignant un groupe qui attend là. Il regarde autour de lui, essoufflé.
Un groupe attend, certains des jeunes hommes sont encore adolescents. Quelques wagons de train approchent lentement sur la voie, avec un employé qui se tient à l'avant. Les hommes regardent les wagons passer à côté d'eux, puis s'arrêter un peu plus loin. Un homme s'avance sur les voies pour regarder.
VOIX D'HOMME
Est-ce qu'il s'en vient?
L'homme sur les voies pointe une direction du doigt. L'employé avec le talkie-walkie marche le long des voies, suivi d'un deuxième employé. Ils rejoignent l'employé qui se tenait à l'avant des wagons et parlent tous les trois. Les hommes regardent autour d'eux.
VOIX D'HOMME 2
La «migra» est là.
L'HOMME TORSE NU se tient parmi le groupe qui attend et leur donne des conseils.
HOMME TORSE NU
Faites très attention!
Un autre train arrive plus rapidement sur une voie.
HOMME TORSE NU
Vous devez courir
à la vitesse du train
pour faire un pas de côté
et sauter sur le train.
Si vous courez à une autre
vitesse, c'est dangereux.
Faites très attention!
Vous devez courir à la même
vitesse que celle du train
pour faire un pas de côté.
Faites très attention!
Que Dieu vous bénisse tous!
Faites attention!
L'HOMME TORSE NU s'approche du train en marche, puis il se met à courir le long du train pour leur montrer. Il s'arrête après quelques foulées et continue à donner des conseils aux autres. Une jeune femme rejoint le groupe.
HOMME TORSE NU
Vous devez courir à la même
vitesse que celle du train!
Plusieurs jeunes hommes s'approchent du train.
HOMME TORSE NU
Ne prenez pas de chance!
Courrez à la même vitesse
que celle du train!
Allez, allez, allez!
Les hommes se précipitent pour monter à bord du train en utilisant les échelles sur le côté des wagons. De nombreux hommes sont déjà assis sur le toit des wagons et d'autres continuent à grimper.
HOMME TORSE NU
À la vitesse du train!
D'autres hommes courent et montent à bord.
HOMME TORSE NU
Faites attention!
Un train avance rapidement sur des rails à travers la campagne.
De nombreux hommes attendent de part et d'autre d'une voie ferrée. Certains guettent l'horizon, d'autres sont installés dans un wagon ouvert à l'arrêt. Un des hommes fredonne assis dans le wagon.
JEUNE HOMME
Fais-en une en anglais!
L'homme fredonne en baragouinant des mots ressemblant à de l'anglais.
HOMME QUI CHANTE
C'est mon anglais créole!
L'HOMME QUI CHANTE rit et continue à fredonner. Le JEUNE HOMME assis à côté tend une petite poche de lait à un deuxième jeune homme, qui la prend et boit par une ouverture.
JEUNE HOMME
(S'adressant à l'HOMME QUI CHANTE)
Est-ce que tu veux du lait?
Le deuxième jeune homme rend la poche de lait au premier.
JEUNE HOMME
Tu en veux?
HOMME QUI CHANTE
Merci.
Le sifflement d'un train se fait entendre et tous les hommes commencent à s'approcher le long des voies. Ceux qui se trouvaient dans le wagon en sortent.
Le train arrive lentement. Un ADOLESCENT s'avance le long du train et attend à côté. Un peu plus loin, de nombreux autres hommes se mettent en position près des rails pour pouvoir monter à bord. Un HOMME EN CHEMISE s'approche de l'ADOLESCENT.
HOMME EN CHEMISE
Est-ce que tu le prends?
ADOLESCENT
(Faisant un geste négatif)
C'est difficile de descendre.
Ça va être difficile de descendre.
Tu ne pourras pas t'accrocher.
Ils nous ont averti d'éviter ça.
VOIX D'HOMME
Par ici!
ADOLESCENT
Je vais prendre le wagon
à toit ouvrant!
Le train se met à accélérer et des hommes commencent à courir à côté et à grimper à bord. De nombreuses personnes montent, mais l'ADOLESCENT continue à attendre en examinant les wagons qui passent. Le train ralentit et finit par s'arrêter. L'ADOLESCENT s'appuie contre une échelle et attend.
Un HOMME examine le dessous d'un wagon et explique à l'ADOLESCENT où s'installer en pointant les différentes parties du doigt.
HOMME
Il faut que tu le fasses quand
il s'arrête, comme maintenant.
Sur cette plaque de métal.
Quand l'immigration arrête
le train ou quand il ralentit,
tu peux t'asseoir là et
t'accrocher à ça. Quand le train
s'arrête, tu sors et tu montes là.
L'HOMME s'écarte du train.
HOMME
Qu'est-ce que tu en penses?
ADOLESCENT
C'est bon.
HOMME
Mais tu dois t'asseoir plus haut.
(Montrant sous le train)
Très haut, là.
Là, ils ne te verront pas.
L'ADOLESCENT regarde l'emplacement indiqué en riant.
HOMME
Mais si tu étais en haut
du premier wagon,
tu leur échapperais assurément.
À la nuit tombée, de nombreux hommes attendent, assis le long d'une voie ferrée. Des feux d'artifice explosent tout à coup dans le ciel au loin. Le sifflement d'un train à l'approche se fait entendre, et les hommes tournent la tête. Le train s'arrête, mais les hommes ne bougent pas, continuant à attendre. Le train redémarre lentement. De la musique joue au loin. Un des hommes se couche sur le côté pour dormir.
Les hommes attendent toujours le long des rails dans la nuit. Un autre train approche. Un HOMME commente la situation.
HOMME
(Propos traduits de l'anglais)
Ce train s'en va à Orizaba.
(Pointant du doigt)
À deux heures d'ici, il y a
un point de contrôle.
Les hommes continuent à attendre.
HOMME
(Propos traduits de l'anglais)
Laisse-moi te poser
une question. Je pense
que tu sauras la réponse.
Un train passe en sifflant.
HOMME
(Propos traduits de l'anglais)
Cette situation existe depuis
des années, n'est-ce pas?
Entre les personnes illégales
et l'immigration, n'est-ce pas?
Est-ce que tu penses que c'est
le gouvernement mexicain
qui nous attraper...
Le train siffle de plus belle. L'HOMME se lève, puis il retourne s'asseoir.
HOMME
(Propos traduits de l'anglais)
Ce n'est pas celui qu'on attend.
Pas celui-là.
Ils ne nous laissent pas monter.
Pas sur ceux-là.
On le sait déjà.
Le train ralentit dans un grincement métallique et s'arrête.
HOMME
(Propos traduits de l'anglais)
Je vais te reposer la question.
Est-ce que tu penses que c'est
le gouvernement mexicain
qui essaye de nous attraper et
de nous renvoyer, ou alors,
c'est le gouvernement américain
qui paye les Mexicains pour
nous attraper?
Tu penses que c'est ça?
J'ai raison, non?
Le train se remet à bouger.
HOMME
(Propos traduits de l'anglais)
Parce que ça ne s'arrêtera jamais.
La guerre pourrait bien s'arrêter,
mais ça, jamais ça ne s'arrêtera.
Tu as entendu parler
de Donald Trump?
Celui qui veut devenir président.
Tu crois qu'il arrivera à faire
ce qu'il dit? Qu'il fermera
toutes les frontières? Et il veut
que personne ne puisse passer.
Personne.
Des bruits de train se font entendre à nouveau.
HOMME
(Propos traduits de l'anglais)
Tu sais ce qui se passera
si ça se produit? Je pense que
les États-Unis s'effondreront.
Parce que tous les gros travaux,
nous les faisons pour moins cher.
Et qui va faire ça si nous
ne sommes plus là?
Plus personne.
C'est ce qui va se passer.
Tout va s'écrouler.
Parce que nous faisons tout
pour moins cher. Les toits,
nous, nous chargeons
10 dollars ou 15 dollars
par pied carré. Les travailleurs
là-bas demandent jusqu'à
150 dollars pour la même chose.
Nous, nous sommes prêts
à le faire pour 20 dollars
ou même 15 dollars.
Les gens là-bas demandent
150 dollars.
L'HOMME marche maintenant près d'un train qui passe lentement, puis il attend avec d'autres hommes en parlant avec eux en espagnol.
HOMME
Ils attachent les wagons.
Allons-y. Retournons-y.
L'HOMME et ses compagnons remontent le long d'un train qui avance en discutant en espagnol. L'HOMME commence à courir près du train.
VOIX D'HOMME 2
Laisse-le partir,
il y en aura un autre.
Le train s'éloigne et l'HOMME s'arrête de courir.
Des arbres s'agitent au vent dans une forêt sombre et brumeuse.
JEUNE HOMME (Narrateur)
Je me suis déjà échappé cinq fois.
À trois points de contrôle:
la police de l'état,
la police municipale,
et celle de l'immigration.
Et dans cette ville, Medias Aguas,
des agents de l'immigration ont
fait une embuscade dans le train.
Quand on a fui, ils ont crié:
«Stop! Stop!».
Ils voulaient qu'on s'arrête,
mais on a continué à courir.
Ils ont abandonné éventuellement,
parce qu'on a fui vers les collines
et traversé des forêts remplies
de serpents. On est même passés
par des terres où il y avait
beaucoup de bétail. On court
le risque qu'on nous tire
dessus, ou de se faire attaquer
par du bétail. On ne s'arrêtera
pas de courir, juste parce
qu'ils nous l'ont dit.
On a déjà beaucoup souffert.
Alors, on ne peut pas
se rendre maintenant, sinon
on n'aurait pas quitté nos maisons.
Un HOMME témoigne.
HOMME
Je crois que, légalement,
le Mexique devrait nous
laisser passer librement.
Nous ne leur causons aucun mal.
Nous venons d'autres pays.
On ne dérange personne et
on ne fait de mal à personne.
Nous suivons simplement
le chemin sans faire de tort.
Nous ne faisons que
traverser le pays pour arriver
aux États-Unis. Mais ici,
ils nous arrêtent et nous
déportent dans notre pays.
Notre but est d'arriver
aux États-Unis.
Ils ne gagnent rien à nous
arrêter. Ils nous arrêtent,
et le mois suivant,
nous sommes de retour.
Notre objectif est d'aller
aux États-Unis. C'est
la seule chose qu'on veut.
C'est la seule chose qu'on a.
Le problème, c'est que...
si on tente de former
des organisations de travailleurs,
le gouvernement engage
des gangs pour les dissoudre.
Au Honduras, il y avait
plusieurs groupes autochtones.
Par exemple, il y avait une dame
qui luttait pour l'environnement.
Elle a visité plusieurs pays
pour défendre les groupes
d'action écologistes.
Et elle vient d'être assassinée,
à cause de son activisme.
On suppose que les gangs
l'ont tuée, parce qu'elle voulait
réduire la pauvreté parmi
les groupes autochtones.
Ils ne te laissent pas lutter
pour tes droits. Au Honduras,
si tu fais partie d'un groupe,
ils te tuent. Il y a beaucoup
de gangs. Les gouvernements
sont puissants. Ils ont le pouvoir
absolu pour nommer et éliminer
qui ils veulent. Ce n'est pas
démocratique. Au Honduras,
il n'y a pas de démocratie.
Il n'y a aucune liberté.
Ils disent que nous sommes
libres, mais c'est un mensonge.
Il n'y a aucune liberté.
Seuls les groupes puissants
sont libres de faire ce qu'ils
veulent. Ils peuvent nommer
et éliminer qui ils souhaitent.
Seulement eux,
et personne d'autre.
Aux États-Unis,
la première fois que j'ai traversé
la frontière du Rio Bravo,
j'ai marché pendant deux jours.
Puis ils m'ont attrapé et
ils m'ont placé en détention.
La première fois, j'ai été
détenu pendant 17 jours
dans un centre de détention
à Puerto Isabel. Après 17 jours,
ils m'ont déporté vers mon pays.
De retour au Honduras.
Ils m'ont déporté au Honduras.
Deux ans plus tard, j'ai décidé
d'essayer à nouveau, parce que
je voulais soutenir ma famille.
Dans mon pays, nous vivons
dans la pauvreté extrême.
On n'arrive pas à gagner
notre vie.
J'ai trois enfants et une épouse,
et on gagne seulement assez
pour les besoins du jour.
Nous ne pouvons pas
envoyer nos enfants à l'école.
Les écoles sont privées
dans notre pays. Et avec
des ressources très limitées,
nous ne pouvons pas leur
donner une éducation.
C'est parfois pour cette
raison qu'on doit émigrer.
Pour qu'ils puissent avoir
une vie meilleure,
différente de la nôtre.
Une vie plus digne pour
nos enfants. C'est pour ça
que j'ai décidé d'essayer
une deuxième fois,
et ils m'ont à nouveau
attrapé à la frontière.
Ils m'ont détenu pendant
22 jours. Ils ont dit que
la prochaine fois qu'ils allaient
m'arrêter, je serais détenu
pendant 5 ans. Maintenant,
je vis avec la peur que
s'ils m'attrapent, je serai là
un certain temps.
Des voitures et des camions roulent la nuit sur une autoroute longeant une voie ferrée, surplombant des collines.
Une JEUNE FEMME témoigne.
JEUNE FEMME
La première fois,
j'avais environ 18 ans.
À Nuevo Laredo,
à la frontière des États-Unis,
les agents d'immigration
m'ont arrêtée au premier
point de contrôle.
Ils m'ont mise en prison, et
m'ont déportée au Guatemala.
La dernière fois, c'était difficile.
J'ai pris la route du train.
J'avais faim et soif.
Nous avons dû payer,
sinon ils ne nous auraient pas
laissés monter sur les trains.
Comment dirais-je?
On dit qu'il y a plus d'agents
d'immigration maintenant,
que c'est plus contrôlé.
C'est pour ça que cette fois-ci,
nous n'avons pas pris le train.
Au Guatemala,
les femmes sont exploitées.
On peut gagner assez d'argent
à la campagne. J'étais bien
là-bas, mais malheureusement,
il y a environ six mois,
ils ont tué mon frère.
Alors tout a changé.
Ma mère a vendu sa terre
et habite maintenant
un lieu bien pire.
Il y a beaucoup de tueurs
à gages, de vendeurs
de drogues, de tout.
Je ne veux pas que
mes enfants grandissent
là-dedans et deviennent
comme eux.
D'habitude, au Guatemala,
chaque nouveau politicien
qui entre au pouvoir,
au lieu d'aider les pauvres,
aide les riches à devenir
plus riches.
Les politiciens volent l'argent.
Ils n'aident pas les pauvres.
Par exemple, Baldetti a volé
de l'argent et se trouve
maintenant en prison.
Maintenant, ils veulent aussi
arrêter l'ancien vice-président,
mais qui sait s'ils vont le faire.
Parce qu'ils peuvent acheter
n'importe qui. Tout tourne
autour de l'argent. Il y a
beaucoup de corruption.
Dans le cas de mon frère,
il est en prison. Il a 16 ans.
Il boit beaucoup, il a ce vice.
Il avait de mauvaises
fréquentations, et deux
de ses amis ont tué quelqu'un.
Il était avec eux, alors il a été
considéré comme complice.
Ses amis ont pu s'échapper,
mais mon frère a été
condamné à trois ans de prison.
Mais si nous avions de l'argent,
l'argent que demande le juge
ou l'avocat qui examinent
son cas, ils le libéreraient.
C'est comme ça, même si
mon frère était coupable,
avec de l'argent, tu peux tout
régler. Si tu tues quelqu'un
et tu as de l'argent pour payer,
on te relâche. C'est comme ça
au Guatemala, ils profitent
des pauvres. Parfois,
ils ne sont pas coupables
et ils sont condamnés à tort.
Il y a beaucoup de viols,
beaucoup d'enlèvements
d'enfants, comme partout.
Parfois, à cause de la pauvreté,
les adolescents de 16 ans,
ou de même de 13 ou 14 ans,
sont déjà des tueurs.
Ils tuent même pour
20 dollars ou pour 80 dollars.
Parce que parfois, les gens
veulent obtenir justice,
et comme les politiciens et
les policiers sont des vendus,
comme ils sont corrompus,
les gens se font justice
eux-mêmes.
Alors ils payent des adolescents,
et les adolescents acceptent
puisqu'ils ont besoin d'argent.
Ils tuent pour 20 ou 40 ou
100 dollars. Et le gouvernement
ne fait jamais rien. Avec
chaque nouveau gouvernement,
la situation empire.
Un train avance sur des rails la nuit.
Un homme marche à gauche le long de voies ferrées sur un pont disparaissant dans le brouillard.
Un HOMME PLUS ÂGÉ témoigne.
HOMME PLUS ÂGÉ
Je reviens de la frontière,
de Monclova, Coahuila.
Sur le chemin, nous avons
rencontré un inspecteur
des voies ferrées. Il nous a
donné de l'eau, puis nous a
conseillé d'éviter de marcher
du côté droit de la voie ferrée.
Il nous a dit de prendre
le côté gauche. J'ai trouvé ça
étrange. Mais, nous sommes allés
du côté qu'il nous a suggéré.
Puis, du côté de la montagne,
où il y avait des arbres,
quelques personnes sont
apparues en moto, et d'autres
ont commencé à marcher
derrière nous. Nous étions
deux personnes plus âgées,
un dans la trentaine, et un autre
dans la jeune vingtaine.
Nous nous sommes regroupés,
puisque c'était suspect, et
nous avons continué à marcher
sans nous retourner. Puis
nous avons reconnu l'inspecteur
qui nous avait orientés,
passer en voiture près de nous,
et se diriger vers le nord.
Il nous a regardés et a continué
son chemin. Après avoir marché
environ un demi-kilomètre,
nous sommes arrivés à un pont.
Un viaduc où le train
passait sur la partie du haut
et où les voitures passaient
sur la partie du bas.
D'où nous étions,
nous ne pouvions pas voir
la fin du pont.
C'était dangereux, alors nous
sommes descendus en bas.
Nous nous sommes rendus
jusqu'en bas.
Et là, tout est arrivé très vite.
Mais avant d'arriver là,
nous avions revu le même
inspecteur. Il était avec
d'autres personnes. Je l'avais
aperçu en train de rire.
Ça ne faisait aucun doute,
qu'il avait eu un contact visuel
avec ceux qui étaient sous le pont.
Il savait ce qui se tramait
sous le pont, qu'il y avait
des kidnappeurs. Ils ont pointé
leurs revolvers 9 millimètres
vers nous, des armes de bon
calibre. Ils se sont approchés
avec leurs revolvers
et nous ont encerclés.
On ne pouvait pas fuir.
Il y avait un risque énorme
qu'ils nous tirent dessus
et nous tuent. Ils savaient
qu'ils pouvaient impunément
nous tuer, creuser un trou
et nous enterrer.
Mais une fois morts,
nous ne valons rien.
Mais vivants, nous valons
beaucoup. Ils savent que
nous avons de la famille
dans notre pays qui peut
vendre une poule, un porc,
une vache, ou une maison
et envoyer de l'argent
pour éviter qu'on soit tué.
C'est le genre d'extorsion
qu'ils font. Ils kidnappent
et demandent à la famille
une rançon. Alors,
ils nous ont pris et ont dit:
«Ne bougez pas.»
Ils nous ont insultés
pour nous intimider.
Ils nous ont fait monter
dans une camionnette,
vieille et sale.
Et ils nous ont dit qu'ils
nous donneraient à manger.
«Vous allez vers le nord?
Nous allons vous aider
à traverser.» Ils ont dit:
«Ne bougez pas!»
Ils pointaient toujours
leurs revolvers vers nous
à l'arrière de la camionnette
sans sièges. Ils nous ont
enfermés dans une maison.
Et dans la maison,
les tortures ont commencé.
C'était une maison sécurisée,
avec des portes de sécurité.
Il y avait déjà d'autres gens,
et ils amenaient plus de gens
kidnappés. Il n'y avait pas
de nourriture. Pour l'eau...
il fallait supplier pour avoir
un verre d'eau. Ils disaient
que si on ne donnait pas
un numéro de téléphone
ou que notre famille
n'envoyait pas d'argent,
ils ne nous nourriraient pas.
Les tortures ont commencé
ainsi. Ils nous faisaient
sortir les mains sur la tête.
Ils commençaient à nous battre
et à nous donner des décharges
électriques sur le corps,
avec des machines spéciales,
comme des chargeurs de batteries
avec deux câbles qu'on te met
dessus, un système haute tension.
Ils m'ont aussi pendu
par les pieds sur une poutre
et ils me frappaient,
parce que je ne donnais pas
de numéro de téléphone.
Mais ils ont pris mon argent.
J'avais un peu d'argent sur moi,
puisque j'avais travaillé
et économisé de l'argent,
parce que je savais qu'à
la frontière, j'en aurais besoin.
Donc ils me l'ont pris,
et les tortures ont commencé.
J'ai des preuves.
Il attrape des papiers sur le côté.
HOMME PLUS ÂGÉ
Il faudrait que je les montre,
pour prouver que j'ai été kidnappé.
Il montre un papier.
HOMME PLUS ÂGÉ
Peut-être que vous pouvez
voir quelque chose.
Ce sont des rendez-vous
à l'hôpital au Mexique,
où j'ai reçu de l'aide.
Il montre un autre papier officiel.
HOMME PLUS ÂGÉ
Ça vient du gouvernement
du Mexique. Et merci au Mexique,
qui m'a tendu la main, puisque
je suis arrivé fracturé de partout.
J'ai déposé des plaintes formelles.
Le Bureau du procureur général
du Mexique, et le Bureau de
la protection des migrants
m'ont tendu la main.
Ils ont défendu mon cas,
et ont prouvé sa véracité.
Il a été prouvé que j'ai été victime
de kidnapping et de torture.
Il montre une lettre officielle.
HOMME PLUS ÂGÉ
J'avais demandé le statut
de réfugié au Canada.
Au Canada, je les ai suppliés
de ne pas me renvoyer là-bas,
parce que je ne suis pas
une mauvaise personne,
je n'ai causé aucun tort
au Canada.
Je travaillais seulement
pour survivre au Canada,
pour avoir la paix,
pour vivre en paix.
Je n'ai jamais fait de mal
à personne. Je les ai suppliés
de ne pas me renvoyer
au Honduras. Je leur ai dit
que je ne faisais rien de mal.
Et que si je rentrais
au Honduras... Mon frère
a été assassiné il y a environ
trois ans, bientôt ça fera
quatre ans.
Il a été assassiné pour
ne pas avoir payé une rançon.
Notre famille recevait
des menaces tout le temps.
J'ai raconté ça au tribunal
au Canada, mais
ils ne m'ont pas cru.
Ils voulaient des preuves.
Pour prouver que ça m'était
véritablement arrivé.
Ils voulaient des papiers.
Ils ne m'ont pas cru.
Puis ils m'ont dit de faire
une demande pour...
À une autre institution,
l'ERAR (Examen des risques
avant renvoi), mais ils ne
m'ont pas laissé la chance
de faire la demande.
J'y avais droit. Je sais
qu'au niveau international,
j'ai le droit. Après la première
option, celle du statut de réfugié,
la deuxième est celle de l'ERAR,
mais on ne me l'a pas accordée
au Canada. Ils m'ont mis à bord
d'un avion pour le Honduras.
Arrivé là-bas, j'ai été victime
d'extorsion et de menaces.
J'ai dû fuir à nouveau.
Au Honduras, tu ne peux pas
les dénoncer, sinon ils vont
te tuer ou tuer ta famille.
Alors j'ai fui à travers le Mexique,
où j'ai été victime de violence.
Et j'ai formulé des plaintes
formelles, et j'ai des preuves
pour montrer au Canada
combien nous devons souffrir
pour arriver là. Et une fois
arrivés, on nous rejette,
parce que...
Nous ne venons pas d'un pays
terroriste, mais c'est un pays
encore plus cruel envers
ses propres citoyens.
Parce qu'on nous trouve morts
et personne ne fait rien.
Et peut-être qu'au niveau
international, les pays qui
accueillent des réfugiés,
comme le Canada,
ne le voient pas comme ça.
Nous arrivons là, et souvent,
ils nous déportent.
L'HOMME PLUS ÂGÉ marche maintenant seul dans une rue la nuit, avec un petit sac à dos. Il arrive au portail d'un refuge et sonne, puis il attend. Au bout d'un moment, quelqu'un vient lui ouvrir le portail et il entre dans la cour.
Plusieurs hommes sont assis ou allongés dans un dortoir et discutent en espagnol. L'HOMME PLUS ÂGÉ est allongé sur un lit à côté d'un autre HOMME TORSE NU qui tourne les pages d'une bible.
Un jeune homme en haut d'un lit superposé écoute avec attention les deux hommes qui s'adressent à lui.
HOMME TORSE NU
Ta miséricorde
m'accompagnera
toute ma vie,
et j'habiterais éternellement
dans la maison du Seigneur.
HOMME PLUS ÂGÉ
Tu peux aller partout
si tu l'invoques.
HOMME TORSE NU
Sans avoir peur.
Même si le diable surgit
et t'attaque,
Dieu prendra soin de toi.
Rien ne va t'arriver.
HOMME PLUS ÂGÉ
Quand j'étais à Palenque,
on me poursuivait et vous
savez ce qui s'est passé?
Nous étions derrière un arbre
et quand ils se sont approchés,
les vaches ont chassé ceux
qui nous poursuivaient.
Les vaches les ont fait courir
et ne les ont pas laissé arriver
jusqu'à nous. Ils étaient armés.
Nous étions juste là.
Seulement Dieu peut faire ça.
Et je me suis mis à parler
du Psaume 23. Je parle
de divine providence.
Il y avait un garçon
comme toi qui pleurait,
parce qu'il voyait
qu'ils venaient vers nous armés.
L'HOMME TORSE NU se met à lire des passages de la bible.
HOMME TORSE NU
(Lisant)
«L'enfant sage réjouit son père,
mais l'enfant insensé est
l'ennui de sa mère.
Les trésors de la méchanceté
n'ont aucune valeur;
mais la droiture délivrera
de la mort.
L'Éternel n'affamera point
l'âme du juste; mais fait
obstacle à la malice des méchants.
La main paresseuse s'appauvrit;
mais la main des diligents enrichit.
La haine envenime les conflits;
mais l'amour absout tous les torts.
La sagesse se trouve sur les lèvres
de l'homme intelligent;
mais le jalon est pour le dos
de celui qui est dépourvu de sens.
Les sages mettent en réserve
la science; mais la bouche du fou
annonce une ruine prochaine.
Les biens du riche sont
les fortifications de sa ville;
mais la pauvreté des démunis
est leur ruine.»
L'HOMME TORSE NU s'arrête de lire et tourne les pages à nouveau.
HOMME PLUS ÂGÉ
Ce sont des...
HOMME TORSE NU
Proverbes.
HOMME PLUS ÂGÉ
Les proverbes sont du sérieux.
HOMME TORSE NU
Tout y est!
Un JEUNE HOMME parle au téléphone, seul, plongé dans l'obscurité.
VOIX D'HOMME
Hey, quoi de neuf?
JEUNE HOMME
D'où je suis, je peux voir
les États-Unis.
D'ici je peux, tu sais.
Son interlocuteur acquiesce.
JEUNE HOMME
Je peux les voir d'où je suis,
mais traverser, c'est difficile.
Tu comprends?
VOIX D'HOMME
Oui. Et là,
tu vas essayer ou pas?
JEUNE HOMME
Oui, avec l'aide de Dieu,
j'espère y arriver.
J'espère y arriver.
VOIX D'HOMME
Écoute.
Il faut que tu saches
si tu vas traverser ou pas.
JEUNE HOMME
Oui, on verra.
VOIX D'HOMME
Sois bien certain.
Si c'est dangereux, n'y va pas.
JEUNE HOMME
Oui, je suis déjà ici,
alors il faut que j'y aille.
VOIX D'HOMME
Fais attention à toi.
Ça fait déjà longtemps
qu'on ne s'est pas vus.
JEUNE HOMME
Je ferai attention.
On verra.
Ça fait combien de mois déjà?
VOIX D'HOMME
Ça fait trois mois que tu es parti.
JEUNE HOMME
T'en fais pas.
Trois mois, ce n'est rien.
On verra.
Si je ne traverse pas et qu'on
m'attrape, je serai de retour.
On verra.
VOIX D'HOMME
Trois mois, c'est trois mois.
Ce n'est pas facile.
JEUNE HOMME
Oui.
Et comment va Kelly?
VOIX D'HOMME
Elle est toujours avec moi.
JEUNE HOMME
Son ventre commence à grossir?
VOIX D'HOMME
Oui.
JEUNE HOMME
C'est très dur pour moi
d'être loin de vous.
VOIX D'HOMME
C'est vrai, je trouve ça dur aussi.
Ce n'est pas pareil sans toi ici.
JEUNE HOMME
Quand on est là-bas,
on ne le réalise pas
mais quand on est séparé
de sa famille, ça se sent.
Je le sens. Je ne peux pas
être loin de vous.
VOIX D'HOMME
C'est très dur, c'est vrai.
JEUNE HOMME
Et si...
Et si j'arrive à traverser,
et que je reste aux États-Unis,
alors quoi?
Tout sera différent.
Je vais gagner de l'argent
pour construire une maison.
Avec l'aide de Dieu,
si je peux traverser.
C'est ma mission,
construire une maison
pour que toute la famille
puisse y vivre.
VOIX D'HOMME
Ce que je veux,
c'est que tu fasses attention.
JEUNE HOMME
Toi aussi.
Ne fais pas de bêtises.
Parce que je veux te voir
quand j'y serai.
VOIX D'HOMME
Ne t'inquiète pas pour nous.
Je te demande seulement
de prendre soin de toi.
JEUNE HOMME
Oui.
VOIX D'HOMME
Je te l'assure,
si quelque chose t'arrive
un jour, je pars avec toi.
JEUNE HOMME
Ne dis pas de bêtises.
On se reparlera.
Un autre jour.
VOIX D'HOMME
Tu me manques. Crois-moi.
JEUNE HOMME
Vous me manquez aussi,
mais qu'est-ce que je peux y faire?
VOIX D'HOMME
As-tu mangé?
JEUNE HOMME
Oui.
VOIX D'HOMME
Honnêtement?
JEUNE HOMME
Oui!
Ici, on a droit à trois repas.
C'est une maison de migrants
où l'on nous aide.
VOIX D'HOMME
Fais attention.
JEUNE HOMME
Oui. Prends soin de ma mère,
ne lui crée pas d'ennuis.
VOIX D'HOMME
Bien sûr que non.
JEUNE HOMME
Ne lui donne pas de raisons
de s'inquiéter.
Son interlocuteur acquiesce.
JEUNE HOMME
Ok. Dis bonjour à Maria.
VOIX D'HOMME
Oui, je le ferai.
JEUNE HOMME
Et remercie-la pour l'argent.
VOIX D'HOMME
Oui.
JEUNE HOMME
Ok.
VOIX D'HOMME
Bye.
Un autre JEUNE HOMME parle au téléphone seul dans le noir.
JEUNE HOMME 2
Le gars m'a dit qu'il part
après-demain, et je veux
partir avec lui, parce que
ça va coûter moins cher.
Il m'a dit de prendre l'autoroute 10
pour vous rejoindre.
Vous êtes à San Antonio?
VOIX D'HOMME 2
Non.
JEUNE HOMME 2
Vous êtes où alors?
VOIX D'HOMME 2
À McAllen.
JEUNE HOMME 2
À McAllen?
VOIX D'HOMME 2
Oui.
JEUNE HOMME 2
McAllen, Houston?
VOIX D'HOMME 2
Oui.
JEUNE HOMME 2
Je peux y aller par
l'autoroute 10 ou pas?
VOIX D'HOMME 2
Je ne sais pas.
Je ne connais pas ce chemin.
JEUNE HOMME 2
Le gars m'a dit de prendre la 10.
VOIX D'HOMME 2
Vérifie avant, parce que
si tu arrives au mauvais endroit,
tu risques de te perdre.
Tu n'auras personne
pour venir te chercher.
Tu devrais aller à Reynosa.
JEUNE HOMME 2
Mais j'ai atterri ici.
VOIX D'HOMME 2
Tu aurais dû poser la question.
JEUNE HOMME 2
Oui...
VOIX D'HOMME 2
Tu aurais dû aller à Reynosa
pour arriver ici. Maintenant,
tu pourrais te perdre.
J'espère que non.
JEUNE HOMME 2
Ici, c'est El Paso.
Tu connais El Paso?
VOIX D'HOMME 2
Oui.
JEUNE HOMME 2
Alors, je suis à El Paso.
Dans une maison de migrants.
Où on ne peut rester que
trois jours.
VOIX D'HOMME 2
Oui.
J'y ai été une fois.
JEUNE HOMME 2
Alors, qu'est-ce qu'on fait?
Parce que ce gars a quelqu'un
de l'autre côté. Il demande
500 dollars.
VOIX D'HOMME 2
Tu vas devoir te débrouiller,
parce que je n'ai pas cet argent.
Il faut voir ce que tu peux faire.
Comme je te dis, cette ville
n'est pas à proximité.
Le jour, le désert s'étend à l'horizon, avec une chaîne de montagnes au loin.
En haut d'une tour de surveillance, plusieurs caméras pivotent pour balayer l'horizon.
Le soir tombe sur la haute barrière marquant la séparation entre les États-Unis et le Mexique, dans un paysage désertique avec des montagnes au loin. Un HOMME parle au téléphone à quelqu'un sans qu'on le voie.
VOIX D'HOMME 1
Je suis allé à la frontière
de Sonora, et à la frontière
de Nogales, pour voir comment
la traversée se passait.
J'ai essayé de monter le mur,
mais les agents d'immigration
sont partout.
Ici à El Paso, Texas,
à Las Cruces, Nouveau-Mexique,
aussi à San Antonio, Texas,
tout le long de la frontière,
on ne peut pas traverser
parce que les patrouilles sont là.
VOIX D'HOMME 2
Oui, c'est difficile. J'ai traversé
le désert de l'Arizona,
ça m'a pris huit jours à partir
de Caborca, Sonora.
Deux pour se rendre à
la frontière, puis encore
six jours à partir de là.
D'abord, assure-toi de ne pas
faire ce que j'ai fait.
Il vaut mieux que tu travailles
où tu te trouves et que
tu attendes le bon moment.
Ça ne fait rien si tu restes là
quelque temps.
On m'a arrêté parce que
j'ai voulu aller trop vite.
Et maintenant, je le regrette.
L'HOMME PLUS ÂGÉ poursuit son témoignage.
HOMME PLUS ÂGÉ
Je n'avais pas de plan
pour traverser la frontière.
Et je pense à comment faire,
parce que traverser la frontière,
c'est très compliqué.
Je pensais que c'était plus
facile ici. Mais récemment,
on m'a dit que c'est devenu
plus délicat. Parce que...
Les gens disent que les choses
sont devenues plus compliquées
de l'autre côté. La partie
la plus proche pour traverser
de l'autre côté est mieux gardée.
Quelques personnes sont
parties d'ici, et une seule
personne est revenue.
Il a dit que trois hélicoptères
patrouillaient la montagne
El Cristo. Tout le monde
traversait par là, parce qu'il
n'y avait pas de garde, et que
c'était le point le plus proche.
Imagine-toi, trois hélicoptères.
Comme pour traquer quelqu'un d'important. Mais on est de
simples migrants qui entrent
illégalement, c'est tout.
La nuit, une voiture roule sur une route plongée dans l'obscurité.
HOMME PLUS ÂGÉ (Narrateur)
J'ai pris la décision de passer
par cette frontière.
On m'avait dit que la frontière
était tranquille ici, et elle l'est.
Le problème, c'est l'autre côté.
Je ne pense pouvoir entrer.
J'aurais besoin que quelqu'un
vienne me chercher, nous
appelons ça la célèbre [mot_etranger=EN]ride[/mot_etranger].Mais il faut que ce soit
quelqu'un de l'autre côté,
qui m'aide au moins à passer
le premier contrôle d'immigration.
Parce qu'il y a toujours
un point de contrôle juste
à l'entrée des villes-carrefours.
C'est normalement le dernier,
après ça il n'y en a plus.
À moins d'être malchanceux.
Une voiture roule sur une autoroute la nuit. Au bout d'un moment, elle arrive à un poste de contrôle où des agents de l'immigration avec des chiens contrôlent des camions.
Texte narratif :
Ce projet a été rendu possible grâce à la généreuse collaboration des personnes migrantes rencontrées en 2016 lors de leur déplacement vers le Nord.
Générique de fermeture
Films
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